ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Assemblée plénière       

Audience publique du 04 novembre 2014                                                                          

Affaire : AMITY BANK CAMEROON,

       (Conseil : Maitre Etienne ABESSOLO, Avocat à la Cour),

             Contre

     ETABLISSEMENTS SATRA EXPRESS VOYAGE,

                                                          

ARRET N°106/2014 du 04 novembre 2014

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique foraine tenue le 04 novembre à Yaoundé (Cameroun) où étaient présents :

Messieurs   Marcel SEREKOÏSSE SAMBA                          Président

Abdoulaye Issoufi TOURE,                       Premier Vice-président

Madame        Flora DALMEIDA MELE,                           Second Vice-président                                                                      Messieurs   Namuano Francisco Dias GOMES,                  Juge, Rapporteur

Victoriano OBIANG ABOGO,                     Juge

Idrissa YAYE,                                       Juge

Djimasna N’DONINGAR,                             Juge

et  Maître Paul LENDONGO,                    Greffier en chef,

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 29 avril 2008 sous le numéro n°025/2008/PC et formé par Maître Etienne ABESSOLO, Avocat au Barreau du Cameroun, Immeuble Direction Générale ORANGE CAMEROUN, Boulevard de la Liberté BP 15211 Douala, agissant au nom et pour le compte de Amity Bank Cameroon SA, dont le siège est à l’Avenue De Gaulle à Douala, BP 2705 (République du Cameroun), dans la cause l’opposant aux Etablissements SATRA Express Voyage, entreprise individuelle du sieur AOUDOU BASSIROU, ayant son siège à la Rue Manguiers au quartier Bonapriso BP 11316 Douala (République du Cameroun), en cassation de l’arrêt N°107/REF rendu le 14 juillet 2004 par la Cour d’Appel du Littoral à Douala (Cameroun), statuant en matière civile et commerciale, dont le dispositif est le suivant :

 

« EN LA FORME :

Reçoit l’appel ;

 

AU FOND :

 

Infirme la décision entreprise ;

Statuant à nouveau ;

 

Constate que l’inscription est tardive car faite en violation de l’article 3 alinéa 1 de la loi du 18 janvier 1851 relative au nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement ;

 

Constate que AMITY BANK a violé l’article 7 (5) de la convention ;

 

Dit que AMITY BANK a commis une voie de fait en saisissant les camions des Etablissements SATRA ;

 

Déclare nul le nantissement contenu dans la convention de crédit n°3033 du répertoire de Maître Marceline ENGANLIM en date du 22 juin 2001 ;

 

Déclare nulles les saisies appréhension pratiquées sur les camions et plateaux des Etablissements SATRA EXPRESS VOYAGE suivant procès-verbaux des 12, 23 et 24 septembre 2002 et 14 octobre 2002 de Maître KAMWA Gabriel, huissier de justice à Douala ;

 

Ordonne en conséquence la mainlevée desdites saisies et la restitution desdits camions et plateaux aux Etablissements SATRA EXPRESS VOYAGE sous astreinte de 200.000 francs par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt ;

 

Condamne AMITY BANK aux dépens distraits au profit de Maître NJOMBIE Avocat aux offres de droit ; » ;

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge ;

Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure qu’Amity Bank et les Ets SATRA Express Voyage ont signé le 22 juin 2001 une convention aux termes de laquelle la première prêtait à la seconde, une somme de 450.000.000 FCFA remboursable en un an pour l’acquisition de véhicules semi-remorques , notamment 20 camions RENAULT 340 et 09 plateaux remorques SAT ; que pour sûreté et paiement de sa dette, SATRA Express Voyage a affecté en nantissement les 20 camions et 09 plateaux remorques ; que l’article 7 de la convention stipulait : « Que le requérant (ETS SATRA EXPRESS), affecte en nantissement au profit de la Banque (AMITY), conformément à l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et à la loi du 18 janvier 1951 dans ses dispositions non contraires, 20 camions et 09 plateaux remorques… En conséquence le présent gage fera l’objet d’une inscription au greffe du Tribunal compétent, à l’intérieur du double délai de 15 jours suivant la date de l’acte de nantissement et d’un mois à compter de la livraison du matériel sur les lieux de son installation » ; que l’inscription du nantissement a été faite par Amity Bank au greffe du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo le 28 juin 2002 soit pratiquement un an après l’acte constitutif de nantissement, sans mentionner ledit nantissement sur certaines cartes grises des véhicules ainsi nantis ; qu’au bout de dix (10) mois, SATRA Express Voyage qui ne parvenait pas à honorer ses engagements demanda un rééchelonnement de sa dette ; que les parties signèrent alors un protocole d’accord homologué par le juge des conciliations et dans lequel les Ets SATRA reconnaissaient devoir la somme de 619.513.086 FCFA qu’ils s’engageaient à rembourser en 33 mensualités de 24.409.139 FCFA chacune en principal, intérêts et frais compris à compter du 31 mars 2002 jusqu’en novembre 2004 ; que les garanties initialement consenties restaient maintenues et une clause prévoyait l’exigibilité anticipée de l’intégralité de la dette en cas de défaillance du débiteur ; que six (6) mois plus tard, des 146.454.834 FCFA attendus par Amity Bank, Satra Express Voyage ne versa que la somme de 48.861.130 FCFA ; que devant cette défaillance et dans la crainte de voir la valeur de ses garanties diminuer, Amity Bank faisait jouer la clause d’exigibilité anticipée et faisait pratiquer une saisie-appréhension sur douze (12) camions et plateaux remorques les 12, 23, 24 septembre et 14 octobre 2002 ; que par exploit du 22 octobre 2002, Satra Express Voyage engagea une action en nullité de la saisie pratiquée, introduisit une demande additionnelle en nullité du nantissement et sollicita que le juge ordonne la suspension des opérations de saisie, demande qui fut rejetée par le juge du contentieux de l’exécution du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo ; que les opérations continuèrent donc jusqu’à la vente totale des biens saisis qui s’est effectivement déroulée le 07 décembre 2002 ; que sur l’action en nullité de la saisie après plusieurs renvois le juge rendit l’Ordonnance n°703 du 10 juin 2003, déboutant les Ets SATRA Express Voyage ; que les Ets Satra Express Voyage relevèrent appel de cette décision ; que la Cour d’appel du Littoral à Douala, par l’Arrêt n°107/REF du 14 juillet 2004, infirmait la décision attaquée et statuant à nouveau faisait droit à toutes les demandes présentées par les Ets SATRA Express Voyage ; arrêt dont pourvoi ;

 

Attendu que par lettre n°293/2008/G5 du 02 juillet 2008 le Greffier en chef de la Cour de céans a tenté de joindre les Etablissements SATRA Express Voyages afin de leur signifier, en application des articles 29 et 30 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, le recours en cassation formé par Amity Bank SA; que cette correspondance est demeurée sans suite ; que le principe du contradictoire ayant été respecté, il y a lieu d’examiner le présent recours ;

Sur le premier moyen toutes branches réunies tiré de la violation de l’article 10 du Traité  du 17 octobre 1993 relatif a l’harmonisation du droit des affaires en Afrique et des articles 95 et 150 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés.

 

Attendu que Amity Bank fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles 10 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique et 95 et 150 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés, au motif que l’annulation du nantissement convenu entre les parties a été prononcée pour inscription tardive de celui-ci au registre de commerce, en application de l’article 7 de la convention notariée n°3043 du 22 juin 2001 et sur le fondement de l’article 3 de la loi du 18 janvier 1951 relative au nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement ;

 

Attendu en effet, qu’aux termes de l’article 10 du Traité : « Les Actes uniformes sont  directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure.» ; que  l’article 95 de l’Acte Uniforme portant organisation des Suretés dispose que : « Le nantissement du matériel et des véhicules automobiles ne produit effet que s’il est inscrit au registre du commerce et du crédit mobilier…» ; et enfin l’article 150 du même Acte Uniforme portant organisation Suretés :« sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à celles du présent Acte Uniforme… » ;

 

Attendu que la Cour d’Appel, pour annuler le nantissement et infirmer l’ordonnance entreprise, a motivé ainsi : « Qu’en omettant de respecter les termes de la convention qu’elle a librement choisi de signer, Amity Bank a non seulement violé l’article 3 aliéna 1 de la loi du 18 janvier 1951 relative au nantissement, de l’outillage et du matériel d’équipement, mais a aussi violé l’article 7 alinéa 5 de la convention signée le 22 juin 2001 avec les Etablissements SATRA EXPRESS » ; que la Cour d’Appel, en se référant dans l’arrêt querellé aux dispositions d’une loi nationale antérieure et contraire à celles de l’AUS, pour annuler le nantissement et les saisies, viole manifestement les articles visés au moyen ; qu’il y a lieu de casser l’arrêt attaqué, d’évoquer et statuer sur le fond sans qu’il soit besoin d’analyser l’autre moyen de cassation ;

Sur l’évocation 

 

Attendu que par requête enregistrée au Greffe de la Cour d’Appel du Littoral à Douala le 24 juin 2003, les Etablissements SATRA Express Voyages, ayant pour conseil Maître NJOMBIE Flaubert, Avocat au Barreau du Cameroun, BP 1009 Douala, ont relevé appel contre l’Ordonnance n°703 rendue le 10 juin 2003 par le Juge du contentieux de l’exécution du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo dans l’affaire qui les oppose à Amity Bank S.A ;

 

Attendu qu’au soutien de leur appel les Ets SATRA Express Voyages, pour parvenir à l’infirmation de l’ordonnance, invoquent la nullité du nantissement et des saisies pratiquées sur les véhicules, du fait de l’inscription tardive et de l’absence d’autorisation de la juridiction compétente pour pratiquer les saisies-appréhensions ; qu’ils reprochent au Juge du contentieux de l’exécution d’avoir fait une mauvaise appréciation des faits et d’avoir violé la loi ; que l’Acte uniforme OHADA portant organisation des sûretés, en son article 95, a prescrit l’inscription du nantissement pour les besoins de publicité, afin de rendre celui-ci opposable aux tiers à compter de cette inscription, mais n’a pas règlementé les délais d’inscription, qui pourtant doivent être prescrits pour validité de celle-ci ; qu’il appert qu’il faut faire appel à la loi du 18 janvier 1951 relative au nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement professionnel qui, elle règlemente les délais relatifs à l’inscription du nantissement en son article 3 alinéa 1er lequel stipule que : « A peine de nullité, le nantissement doit être inscrit dans les conditions requises par les article 10 et 11 de la loi du 17 mars 1909 et dans un délai de 15 jours à compter de la date de l’Acte constitutif de nantissement » ; que les articles 10 et 11 de la loi du 17 mars 1909 prescrivent pour la validité du nantissement la forme notariée et son inscription, à peine de nullité, dans la quinzaine de la date de l’acte constitutif de nantissement ; que la convention signée entre Amity Bank et les Etablissements SATRA Express Voyages en son article 7 stipulait que « …  le présent gage fera l’objet d’une inscription au greffe du tribunal compétent à l’intérieur du double délai de 15 jours suivant la date de l’acte de nantissement et d’un mois à compter de la livraison du matériel sur les lieux de son installation » ; qu’en procédant à l’inscription du nantissement au greffe du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo le 28 juin 2002 soit un an après l’acte constitutif de nantissement dressé le 22 juin 2001, il y a violation des articles 10 et 11 de la loi du 17 mars 1909 sur la validité du nantissement par Amity Bank ; que l’acte constitutif du nantissement répond à deux critères : la forme notariée et l’inscription dans les quinze jours après l’acte constitutif ; que dès lors qu’un de ces critères fait défaut le nantissement doit être déclaré nul ; qu’il échet d’infirmer l’ordonnance attaquée et de déclarer le nantissement nul pour inscription tardive et par voie de conséquence annuler les saisies appréhensions pratiquées car ayant leur fondement dans un acte nul ; qu’il y a lieu de déclarer Amity Bank coupable de voies de fait, d’ordonner la mainlevée des saisies et la restitution aux Etablissements SATRA Express Yoyages des camions saisis sous astreinte de 2000.000 de francs par jour de retard à compter de l’assignation ;

 

Attendu que dans ses répliques du 07 juin 2004, Amity Bank rétorque que le législateur de l’OHADA dans l’acte uniforme portant sûretés dispose en son article 95 que :«  le nantissement du matériel et des véhicules automobiles ne produit effet que s’il est inscrit au Registre du commerce et du crédit mobilier », que le législateur OHADA n’a pas voulu assortir l’inscription d’un délai et n’a pas non plus renvoyé aux lois nationales des Etats parties pour y supplier en cas de carence ; que la loi évoquée par les Etablissements SATRA Express Voyages n’est plus applicable ; qu’en sus les termes de la convention de crédit signée entre les parties le 22 juin 2001 sont une reproduction mécanique des formulaires contenus dans les ordinateurs des notaires, qu’on ne saurait invoquer à l’encontre de Amity Bank l’article 1134 du code civil relatif aux conventions pour arguer qu’il y a eu violation de l’article 7 de la convention signée le 22 juin 2001 ; que Amity Bank étant munie d’un titre exécutoire, l’autorisation de la juridiction compétente pour saisir n’est plus nécessaire ; que la restitution des camions n’a plus sa raison d’être, dès lors que le nantissement entre les parties est valable et que la vente a déjà eu lieu avant même que l’ordonnance soit rendue ; qu’il ya lieu de débouter les Etablissements SATRA Express Voyages de leurs demandes comme non fondées et de confirmer l’ordonnance entreprise ;

 

Attendu que les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ; que l’application des Actes uniformes OHADA dans les matières qu’ils régissent n’est donc pas une faculté mais bien une obligation qui s’impose dans leur application aux juridictions nationales; qu’il est constant qu’en l’espèce le nantissement du matériel professionnel et des véhicules automobiles est bel et bien régi par l’Acte uniforme portant organisation des sûretés ; que le nantissement du matériel et des véhicules automobiles ne produit effet que s’il est inscrit au Registre du commerce et du crédit mobilier ; que l’inscription du nantissement n’est enfermée dans aucun délai dont le non-respect annulerait le nantissement convenu ; que donc le nantissement des 20 camions et 09 plateaux remorques conclu entre Amity Bank et les Ets SATRA Express Voyage est parfaitement valide et qu’en statuant comme il l’a fait, le Juge du contentieux de l’exécution a fait une bonne appréciation des faits et une saine application de la loi ; qu’en conséquence il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise ;

 

Attendu que les Etablissements SATRA Express Voyages ayant succombé il y a lieu de les condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n°107/REF rendu le 14 juillet 2004 par la Cour d’appel du Littoral à Douala;

Evoquant et statuant à nouveau,

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Condamne les Etablissements SATRA Express Voyages aux dépens.

 

Ainsi fait, jugé et prononcé  les  jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président                                                                   

  

Le Greffier en chef