ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Première Chambre
Audience publique du 31 mai 2007
Pourvoi n°115/2003/PC du 11 décembre 2003
Affaire : Madame AMANI YAO née KASSI Marie Louise
(Conseil : Maître Thomas MOULARE, Avocat à la Cour)
contre
Société de Promotion Commerciale et Immobilière dite SOPROCIM
SARL
(Conseil : Maître COMA AMINATA, Avocat à la Cour)
ARRET N° 021/2007 du 31 mai 2007
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 31 mai 2007 où étaient présents :
- Jacques M’BOSSO, Président, rapporteur
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Biquezil NAMBAK, Juge
et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;
Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires devant la Cour de céans de l’affaire AMANI YAO née KASSI Marie Louise contre Société de Promotion Commerciale et Immobilière dite SOPROCIM par Arrêt n° 499/03 du 16 octobre 2003 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire saisie d’un pourvoi initié par Madame AMANI YAO née KASSI Marie Louise, de nationalité ivoirienne, demeurant à Adjamé – habitat, 04 B.P. 4059 Abidjan 04, ayant pour conseil Maître MOULARE Thomas, Avocat à la Cour, demeurant 8 boulevard CARDE, Abidjan – Plateau, 22 B.P. 772 Abidjan 22en cassation de l’Arrêt n°929 rendu le 19 juillet 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort
En la forme
Reçoit Madame AMANI YAO et la Société SOPROCIM en leurs appels principal et incident ;
Au fond :
Déclare Madame AMANI YAO mal fondée ;
L’en déboute ;
Déclare par contre la société SOPROCIM bien fondée en son appel incident ;
Réforme en conséquence le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Condamne Madame AMANI YAO née KASSI Marie Louise à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts ;
Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Condamne Madame AMANI YAO aux dépens » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à l’exploit de pourvoi en cassation annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Président ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure qu’ayant décidé de mettre en valeur son terrain, objet du lot n° 536 sis à Abidjan, Zone 4 C, Madame AMANI YAO avait entamé la construction d’un immeuble à trois niveaux jusqu’au premier chaînage ; que confrontée par la suite à des difficultés financières, elle avait approché la SOPROCIM avec laquelle elle dit avoir conclu verbalement un bail à construction afin que celle-ci achevât la construction de son immeuble avec ses fonds propres pour se faire rembourser avec les revenus locatifs des appartements composant l’immeuble ; que c’était ainsi, selon les dires de Madame AMANI YAO, que la SOPROCIM avait achevé la construction de l’immeuble, puis géré ce dernier durant quatorze ans sans jamais lui rendre compte de cette gestion et sans payer les impôts fonciers et taxes qui étaient demeurés à sa charge exclusive ; que cependant, prétendant n’avoir pas été totalement remboursée de ses frais, la SOPROCIM l’avait assignée devant le Tribunal de première instance d’Abidjan en remboursement des investissements non amortis ; qu’accédant à ladite demande de la SOPROCIM, ledit Tribunal avait d’abord, par son Jugement ADD n° 338/2001 du 26 juin 2001, ordonné une expertise immobilière à l’effet d’évaluer la valeur vénale de l’immeuble litigieux, les revenus locatifs que la SOPROCIM en avait tirés durant la gestion ainsi que tous les autres frais par celle-ci exposés avant de décider, par Jugement n° 500 du 30 juillet 2001, de la condamnation de la dame AMANI YAO à payer à ladite SOPROCIM la somme de 34.611.000 F CFA et de la transformation en inscription définitive d’hypothèque l’inscription provisoire prise sur les titres fonciers n° 5529 et 6692 formant le lot 3536 ancien lot 285 sis en zone 4 C ; que sur appel interjeté dudit jugement par Madame AMANI Yao devant la Cour d’appel d’Abidjan, celle-ci avait rendu l’Arrêt n° 929 du 19 juillet 2002 attaqué ; qu’ayant formé pourvoi contre ledit arrêt devant la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, celle-ci, après avoir relevé que l’affaire soulève des questions relatives à l’Acte uniforme sur le droit des sûretés, s’en était dessaisie par Arrêt n° 499 du 16 octobre 2003 au profit de la Cour de céans.
Sur le premier moyen en sa première branche
Attendu que Madame AMANI YAO fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé la décision du premier juge et de l’avoir condamnée à payer la somme de 500.000 F CFA à titre de dommages-intérêts à la SOPROCIM au motif que celle-ci aurait subi un important préjudice méritant réparation alors que, selon le moyen, « en exécution du bail à construction intervenue entre eux, après avoir édifié l’immeuble des époux AMANI YAO sur ses fonds propres, la société SOPROCIM devait se faire rembourser ses fonds engagés grâce aux loyers des appartements dont la gestion lui avait été confiée ; que non seulement la société SOPROCIM s’est livrée à une gestion des plus opaques de l’immeuble, et ce, pendant quatorze ans sans en rendre le moindre compte aux époux AMANI, mais aussi et surtout elle avait pris toute licence quant à l’obligation de paiement des impôts fonciers, laissant ceux-ci à la charge exclusive des époux AMANI ; qu’un tel comportement de la SOPROCIM est préjudiciable aux époux AMANI ; que ce comportement plus que fautif de la SOPROCIM l’expose à la réparation du préjudice souffert par lesdits époux conformément à l’article 1382 du Code civil qui dispose que “tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer” ; qu’aussi curieux que cela puisse paraître, la Cour d’appel a condamné les époux AMANI à la réparation d’un prétendu dommage souffert par la société SOPROCIM du fait des époux AMANI ; qu’en statuant de cette manière, la Cour d’appel a violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 1382 du code civil » ;
Mais attendu qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure que contrairement aux allégations de Madame AMANI YAO, il est établi que la « situation intenable » dans laquelle se trouvait la SOPROCIM à la date de la requête introductive d’instance est consécutive au non remboursement par Madame AMANI YAO du fonds de roulement engagés à sa demande par la SOPROCIM pour la réalisation de ses travaux ; qu’il existe ainsi un lien direct de causalité entre les agissements de la dame AMANI YAO et le préjudice subi par la SOPROCIM ; qu’il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, en considérant que le fait pour la dame AMANI YAO de n’avoir pas remboursé à la SOPROCIM les fonds propres que celle-ci a engagés après la livraison de l’immeuble a causé un préjudice certain à la SOPROCIM qui mérite réparation, la Cour d’appel d’Abidjan n’a, en rien, violé l’article 1382 du Code civil ; qu’en conséquence, il échet de rejeter cette première branche du premier moyen comme étant non fondée ;
Sur le premier moyen en sa seconde branche
Attendu que Madame AMANI YAO fait également grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé ou commis une erreur dans l’interprétation ou l’application de l’article 136 du « Traité OHADA » portant sur le droit des sûretés en ce que la Cour d’appel a confirmé le jugement en transformant en inscription définitive l’inscription provisoire d’hypothèque sur les titres fonciers n° 5520 et 6692 de la circonscription foncière de Bingerville formant le lot n° 3536 ancien lot n° 285 sis en zone 4 C alors que, selon le moyen, « l’article 136 du Traité de l’OHADA portant sur le droit des sûretés dispose en ces termes “pour sûreté de sa créance, le créancier peut être autorisé à prendre inscription provisoire d’hypothèque sur les immeubles de son débiteur en vertu d’une décision de la juridiction compétente du domicile du débiteur ou du ressort dans lequel sont situés les immeubles à saisir. La décision rendue indique la somme pour laquelle l’hypothèque est autorisée. Elle fixe au créancier un délai dans lequel il doit, à peine de caducité de l’autorisation, former devant la juridiction compétente l’action en validité d’hypothèque conservatoire ” ; qu’en l’espèce, l’ordonnance autorisant l’inscription d’hypothèque conservatoire a été rendue le 19 janvier 2000 ; qu’un délai de trois mois avait été imparti à la SOPROCIM pour former devant le Tribunal de première instance d’Abidjan sa demande en validité d’hypothèque, c’est-à-dire le 19 avril 2000 au plus tard ; qu’en l’espèce, la SOPROCIM a introduit sa demande en validité d’hypothèque conservatoire le 22 mai 2000 ; que conformément aux dispositions de l’article 136 précité, l’ordonnance d’autorisation d’hypothèque conservatoire étant devenue caduque, ni le premier juge, ni la Cour d’appel ne pouvait, sans violer la loi, transformer l’inscription d’hypothèque conservatoire en inscription définitive d’hypothèque ; qu’en statuant ainsi qu’elle a fait, la Cour a violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 136 du Traité de l’OHADA portant sur le droit des sûretés » ;
Mais attendu qu’aussi bien en première instance que dans son acte d’appel du 1er février 2002 valant premières conclusions, Madame AMANI YAO s’est limitée à contester le fondement de la créance de la SOPROCIM et à considérer que sa dette vis-à-vis de celle-ci a été largement apurée durant la gestion de 14 ans pour conclure que « dans ces conditions, l’hypothèque conservatoire prise par la SOPROCIM sur les titres fonciers de lot sis en zone 4 C ne se justifie point et ne saurait être validée » ; que le moyen tiré de la caducité de l’ordonnance d’autorisation de l’inscription d’hypothèque n’a point été soulevé ou discuté ni en première instance, ni devant le juge d’appel ; qu’il suit que ledit moyen, mélangé de fait et de droit, soulevé pour la première fois en cassation doit être déclaré irrecevable ;
Sur le second moyen
Attendu que Madame AMANI YAO reproche enfin à l’arrêt attaqué un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs en ce que, « la Cour d’appel a confirmé le jugement de condamnation de dame AMANI à payer la somme de 34.611.000 F CFA à la SOPROCIM au motif qu’elle aurait pris l’engagement ferme de lui rembourser les fonds propres qu’elle affecterait à l’édification de l’immeuble litigieux dès la fin des travaux et que la SOPROCIM aurait accepté de percevoir les loyers pendant un certain temps pour se faire payer sans y être en réalité obligée » alors que, selon le moyen, « les époux AMANI en disant dans leur courrier du 23 avril 1980 qu’ils feraient le nécessaire pour que la SOPROCIM récupère ses fonds de roulement, ils optèrent pour la solution de la gestion de l’immeuble litigieux par la SOPROCIM pour se faire rembourser ainsi qu’elle avait fait pour les deux premières villas de Monsieur AMANI ; que ce principe de la construction de l’immeuble sur fonds propres et du remboursement par gestion figurait déjà dans un premier courrier adressé à la SOPROCIM par les époux AMANI ; que mieux encore, la SOPROCIM retient ce principe de la construction de l’immeuble sur fonds propres et la gestion par elle pour se faire rembourser les sommes engagées par elle ; qu’il n’est pour ce faire de conférer son courrier du 05/03/1986 adressé aux époux AMANI en ce sens (…) que les parties avaient convenu dès le départ que la SOPROCIM construirait l’immeuble litigieux sur fonds propres et gérerait ledit immeuble pour se faire rembourser ; que la Cour, en rendant l’arrêt entrepris aux motifs susindiqués, avait insuffisamment motivé sa décision » qui encourt cassation de ce fait ;
Mais attendu qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure que dans sa lettre du 23 avril 1980 adressée au Directeur de la SOPROCIM, Monsieur AMANI YAO Valentin, époux de KASSI Marie Louise, s’engageait à tout faire « dans les délais pour l’octroi du crédit pour la construction du bâtiment de Madame YAO Valentin situé en zone 4 C ; même si le bâtiment est déjà achevé, je ferai le nécessaire pour que la SOPROCIM récupère son fonds de roulement » ; qu’il n’est point contesté que les travaux réalisés par la SOPROCIM sur ses fonds propres, c’est-à-dire ses fonds de roulement, ont été livrés à la dame AMANI YAO depuis 1988 tandis que le remboursement desdits fonds est demeuré laborieux en raison du caractère aléatoire des revenus locatifs des appartements formant l’immeuble litigieux ; que par sa lettre en date du 27 mai 1991 adressée au couple AMANI, la SOPROCIM soulignait que l’incapacité dudit couple à régler le prix des travaux l’avait mise « dans une situation intenable » dans la mesure où le non paiement de fonds de roulement d’une société entraîne la rupture de financement et la cessation de ses activités ; que par ailleurs et à la demande de Madame AMANI YAO, le premier juge avait ordonné, par Jugement avant dire droit n° 338/2001 du 16 juin 2001, une expertise immobilière à l’effet d’évaluer la valeur vénale de l’immeuble litigieux, les revenus locatifs que la SOPROCIM en avait tirés durant sa gestion ainsi que tous les autres frais par celle-ci exposés ; qu’il suit qu’en prenant en compte tous ces éléments et en retenant pour motiver son arrêt « qu’il résulte des mêmes productions notamment des correspondances entre les parties qu’il a été convenu que la société SOPROCIM achève la construction de l’immeuble sur ses fonds propres à charge pour Madame AMANI de lui rembourser ses investissements dès la fin des travaux », la Cour d’appel d’Abidjan a suffisamment motivé sa décision et donné une base légale à celle-ci ; qu’ainsi, ce second moyen n’est pas davantage fondé et doit être rejeté ;
Attendu que Madame AMANI YAO ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi formé par Madame AMANI YAO née KASSI Marie Louise ;
La condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier