ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

Première chambre

 Audience Publique du 22 décembre 2005 

Pourvoi : n°052/2003/PC du 10 juin 2003 

Affaire : Société Générale de Banques au Cameroun dite SGBC

                   (Conseil : Maître YIKAM Jérémie, Avocat à la Cour)

                                      contre

               Monsieur ESSOH Grégoire

                          (Conseil : Maître Luc TCHOUAWOU SIEWE, Avocat à la Cour)                           

ARRET N° 057/2005 du 22 décembre 2005       

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 22 décembre 2005 où étaient présents :

 

Messieurs Jacques M’BOSSO,                     Président

Maïnassara MAIDAGI,                Juge, rapporteur

Biquezil NAMBAK,                   Juge

 

et Maître KEHI Colombe BINDE, Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°052/2003/PC du 10 juin 2003 et formé par Maître YIKAM Jérémie, Avocat au Barreau du CAMEROUN, BP 756 Nkongsamba, agissant au nom et pour le compte de la Société Générale de Banques au Cameroun dite SGBC dans la cause qui l’oppose à Monsieur ESSOH Grégoire, représentant de ESGREG VOYAGES, ayant pour conseil Maître Luc TCHOUAWOU SIEWE, BP 29 Nkongsamba (CAMEROUN), Avocat à la Cour, en cassation du Jugement n°31/CIV rendu le 03 janvier 2002 par le Tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba et dont le dispositif est le suivant :

 

« statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en premier ressort ;

Déclare irrecevables les dires et observations de sieur ESSOH Grégoire comme insérés tardivement dans le cahier des charges ;

Cependant annule la procédure de saisie immobilière pratiquée contre ESSOH Grégoire car en violation de l’article 28 (2)  de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Dépens à la charge de la SGBC » ;

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les cinq moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure qu’en exécution de l’Ordonnance d’injonction de payer n°226 rendue le 04 mai 1992 par le Président du Tribunal de grande instance de Yaoundé condamnant Monsieur ESSOH Grégoire, représentant de ESGREG-VOYAGES es-qualité, à payer la somme de 107.775.996 F CFA à la Société Générale de Banques au Cameroun (SGBC), celle-ci à fait délivrer à celui-là un commandement aux fins de saisie de l’immeuble appartenant à ce dernier et faisant l’objet du titre foncier n°5292 du département du Moungo ; que le débiteur ne s’étant pas exécuté dans le délai de 20 jours à lui imparti, un cahier des charges a été déposé au greffe du Tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba le 1er août 2000 suivi le lendemain de la sommation de prendre communication du cahier des charges ; qu’à la suite de cette sommation, Monsieur ESSOH Grégoire a inséré ses dires et observations non datés dans le cahier des charges mais à l’audience du 1er février 2001 ; que le Ministère Public a pris des réquisitions écrites déposées au greffe le 05 juillet 2001 et le Tribunal, en date du 03 janvier 2002, a rendu le Jugement n°31/CIV dont pourvoi ;

 

Sur la recevabilité du mémoire en réponse de Monsieur ESSOH Grégoire

Attendu que la SGBC, demanderesse au pourvoi, demande à la Cour de céans de déclarer le mémoire en réponse de Monsieur ESSOH Grégoire irrecevable au motif que le recours en cassation lui ayant été signifié à son domicile le 27 novembre 2003, son mémoire en réponse en date du 18 février 2004 n’a été reçu au greffe de la Cour que le 05 mars 2004 ; que ledit mémoire a été déposé tardivement au regard des articles 27-2 (in fine) et 30 (1) du Règlement de procédure de la Cour ;

Attendu qu’aux termes des articles 25.5 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et 1er de la Décision n°002/99/CCJA du 04 février 1999 de la même Cour, « les délais de procédure, en raison de la distance, sont établis par une décision de la Cour publiée au Journal officiel de l’OHADA » et, « sauf si les parties ont leur résidence habituelle en COTE D’IVOIRE, les délais de procédure sont augmentés, en raison de la distance, comme suit :

  • en Afrique centrale : de vingt et un jours ;
  • (…) » ;

Attendu qu’en l’espèce, Monsieur ESSOH Grégoire étant domicilié à Melong au CAMEROUN, il y a lieu d’ajouter, en application des dispositions susénoncées,  au délai de trois mois prévu à l’article 30.1 du Règlement de procédure pour le dépôt du mémoire en réponse, celui de vingt et un jours prévu par la décision n°002/99/CCJA du 04 février 1999 sus-indiquée ; qu’ayant reçu signification du recours en cassation le 27 novembre 2003 et ayant déposé à la Cour son mémoire en réponse le 05 mars 2004, Monsieur ESSOH Grégoire se trouve largement dans les délais légaux ; qu’en conséquence, il y a lieu de déclarer recevable le mémoire en réponse déposé par celui-ci ;

 

Sur le deuxième moyen

Vu l’article 311 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiés de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est reproché à la décision attaquée une violation ou une inapplication de l’article 311 de l’Acte uniforme susvisé en ce que le premier juge a reçu un moyen de nullité de la procédure de saisie immobilière introduit par le Ministère Public après l’audience éventuelle alors que, selon le moyen, suivant l’article 311 de l’Acte uniforme susindiqué, tous les moyens de ladite procédure doivent être introduits cinq jours avant l’audience éventuelle ; qu’en l’espèce tous les moyens de nullité devant être soulevés au plus tard le 02 septembre 2000, aussi bien Monsieur ESSOH Grégoire que le Ministère Public ont soulevé le même moyen de nullité après l’audience éventuelle ; que si le Tribunal a, à juste titre déclaré les dires et observations de Monsieur ESSOH Grégoire irrecevables pour avoir été introduits hors délai, il a paradoxalement déclaré recevables les réquisitions du Ministère Public et annulé la saisie immobilière au fallacieux motif que cette institution bénéficie d’un régime spécial alors que la généralité de l’article 311 précité ne permet à aucune demande d’échapper à la rigueur du délai, quelle que soit son origine ou son auteur ; que si malgré l’abrogation des articles 36 du code de procédure civile et commerciale et 23 de l’Ordonnance n°72/4 portant organisation judiciaire par les articles 10 du Traité et 336 de l’Acte uniforme précité, le Ministère Public était toujours qualifié pour soulever les moyens de nullité de la procédure de saisie immobilière, il était tenu de se conformer aux conditions de délai fixées par l’article 311 visé au moyen sans qu’il puisse exciper d’un prétendu statut spécial qui ne trouve sa source dans aucun texte de droit communautaire ; qu’enfin le juge camerounais, en accordant un régime de faveur au Ministère Public, introduit dans les Actes uniformes une disparité que les auteurs desdits Actes voulaient éviter en adoptant les règles communes applicables de la même manière dans tous les Etats Parties ;

Attendu qu’aux termes de l’article 311 de l’Acte uniforme susvisé, « les moyens de nullité, tant en la forme qu’au fond, à l’exception de ceux visés par l’article 299 alinéa 2 ci-dessus, contre la procédure qui précède l’audience éventuelle doivent être soulevés, à peine de déchéance, par un dire annexé au cahier des charges cinq jours au plus tard, avant la date fixée pour cette audience ; s’ils sont admis, la poursuite peut être reprise à partir du dernier acte valable et les délais pour accomplir les actes suivants, courent à la date de la signification de la décision judiciaire qui a prononcé la nullité.

S’ils sont rejetés, la procédure est continuée sur ses derniers errements » ;

Attendu qu’il ressort de l’analyse des dispositions susénoncées qu’à l’exception des moyens de nullité visés par l’article 299 alinéa 2 de l’Acte uniforme susvisé, à savoir ceux fondés sur un fait ou un acte survenu ou révélé postérieurement à l’audience éventuelle et ceux tendant à faire prononcer la distraction de tout ou partie des biens saisis, les autres moyens de nullité, tant en la forme qu’au fond contre la procédure qui précède l’audience éventuelle, doivent être soulevés, à peine de déchéance, par un dire annexé au cahier des charges cinq jours au plus tard, avant la date fixée pour ladite audience éventuelle ; qu’en l’espèce, bien que l’audience éventuelle ait été fixée au 07 septembre 2000, Monsieur ESSOH Grégoire n’avait inséré ses dires et observations que plusieurs mois après ladite audience éventuelle ; qu’il suit  qu’en annulant la procédure de saisie immobilière pratiquée contre Monsieur ESSOH Grégoire, bien qu’ayant déclaré irrecevables ses dires et observations comme insérés tardivement dans le cahier des charges, au seul motif « que c’est à bon droit que le Ministère Public a requis dans la présente cause et ses arguments méritent d’être retenus » alors que, d’une part,  les réquisitions que ledit Ministère Public a été amené à prendre dans la présente procédure de saisie immobilière, en application de la législation interne, ne sauraient s’assimiler aux dires et observations au moyen desquels les cas de nullités prévus à l’article 311 susénoncé doivent être soulevés dans les délais requis et, d’autre part, l’Acte uniforme précité ne prévoit dans une telle procédure aucune communication de la cause au Ministère Public,  le Tribunal du Moungo à Nkongsamba a violé les dispositions susénoncées de l’Acte uniforme susvisé ; qu’il échet en conséquence de casser le jugement attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de cassation ;

 

Sur l’évocation

Attendu que le 02 août 2000, la SGBC a, suivant exploit d’huissier, fait sommation à Monsieur ESSOH Grégoire d’avoir à  prendre connaissance du cahier des charges au greffe du Tribunal du Moungo à Nkongsamba ;

Attendu que Monsieur ESSOH Grégoire a inséré dans le cahier des charges des dires et observations non datés en vue d’être examinés à l’audience du 1er février 2001 et dans lesquels il sollicite la nullité des procédures ; qu’il fait valoir que la sommation de prendre connaissance du cahier des charges ne lui a été signifiée ni à domicile, ni à personne comme l’exige l’article 269 de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, mais plutôt à un certain Daniel PRISO inconnu de lui ; que c’est de manière fortuite qu’il a eu connaissance de la procédure longtemps après le délai à lui imparti pour déposer les dires et observations ;  qu’il estime par conséquent que pour cette raison, ses dires et observations sont recevables en la forme ; qu’il ajoute que la saisie querellée est irrégulière comme pratiquée en violation de l’article 28 (2) de l’Acte OHADA sus évoqué qui dispose que « sauf s’il s’agit d’une créance hypothécaire ou privilégiée, l’exécution est poursuivie en premier  lieu sur les biens meubles et, en cas d’insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles » ;

Attendu que réagissant à cet argumentaire, la SGBC, par l’organe de son conseil Maître NANA Jean Jules, conclut à l’irrecevabilité des dires et observations de Monsieur ESSOH Grégoire d’une part, pour n’avoir pas été formés par acte d’avocat comme l’exige l’article 298 de l’Acte uniforme OHADA précité et, d’autre part, comme déposés moins de 08 jours avant l’adjudication en violation de l’article 299 du même acte ;

Attendu que le ministère public requiert d’une part que les dires et observations du saisi soient déclarés irrecevables et d’autre part que les poursuites soient annulées pour violation de l’article 28 de l’Acte uniforme OHADA ;

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels le jugement attaqué a été cassé, il y a lieu de déclarer irrecevables lesdits dires et observations de Monsieur ESSOH Grégoire comme déposés hors délai, de rejeter par conséquent sa demande tendant à l’annulation de la procédure de saisie immobilière engagée, d’ordonner la continuation des poursuites et de renvoyer la cause et les parties devant le tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba pour y procéder ;

Attendu qu’il y a lieu, en l’espèce, de réserver les dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement après en avoir délibéré

Casse le Jugement n°31/CIV rendu le 03 janvier 2002 par le Tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba ;

Evoquant et statuant à nouveau,

Déclare irrecevables les dires et observations insérés dans le cahier des charges par Monsieur ESSOH Grégoire ;

Rejette en conséquence sa demande tendant à l’annulation de la procédure de saisie immobilière engagée ;

Ordonne la continuation des poursuites et renvoie la cause et les parties devant le tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba pour y procéder ;

Réserve les dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président

Le Greffier