Avant toute chose, il est de bon ton de préciser qu’il s’agit ici d’une fiction. Toute ressemblance avec des personnes ayant existé est de ce fait purement fortuite.
Ce bon vieux papier roulé qui se pose sur mes lèvres. L’odeur des feuilles de tabac sèches qui me chatouille les narines. La fumée de ma cigarette s’infiltre dans mes poumons. Toute cette nicotine semble me remonter jusqu’au cerveau. Mon esprit s’engourdit. C’est le vertige. Mon âme s’apaise, l’espace de quelques secondes. La sensation s’estompe et je tire à nouveau sur ma clope jusqu’à encrasser mes poumons.
La première cigarette de la journée, cet instant magique. C’est la seule qui en vaille la peine. C’est l’incendie dans ma poitrine. Je l’éteins avec quelques gorgées d’eau-de-vie. C’est fort. On pourrait désinfecter des plaies avec. Il est 6h30. Une bouteille de vodka bon marché, un paquet de Marlboro rouge : le petit-déjeuner des champions.
Accoudé à mon balcon au premier étage de l’immeuble, je respire l’air pur du matin. La petite pluie d’hier soir a laissé le sol humide. Le doux parfum de l’argile a envahi toutes les ruelles non bitumées de la capitale. Qu’est-ce que j’aime cette odeur ! Elle me rappelle le sud, le village, le champ, ma grand-mère, les fèves de cacao, le petit marché, et toute cette pauvreté qui m’a poussé à fuir.
La brise fraîche du matin caresse ma peau, et cela me fait me sentir vivant. On ne peut vraiment apprécier la vie que lorsqu’on a été près de la mort. J’y ai échappé de peu hier. Les traces de lame sur mon bras droit en témoignent. Je repense à la scène : les ivrognes tout autour qui m’accusaient d’avoir des cartes dans mes manches, mon assaillant qui me menaçait avec son couteau, sa lame qui m’a déchiré l’avant-bras sur près de dix centimètres, mes poings qui lui ont dévissé la mâchoire, et la bagarre générale qui a suivi dans le casino.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 277 – Blessures graves
Est puni d’un emprisonnement de dix (10) à vingt (20) ans celui qui cause à autrui la privation permanente de l’usage de tout ou partie d’un membre, d’un organe ou d’un sens.
Article 279 – Coups avec blessures graves
(1) Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et, s’il y a lieu, d’une amende de cinq mille (5 000) à cinq cent mille (500 000) francs, celui qui, par des violences ou des voies de fait, cause involontairement à autrui des blessures telles que prévues à l’article 277 ci-dessus.
(2) L’emprisonnement est de six (06) à quinze (15) ans, lorsqu’il est fait usage d’une arme ou d’une substance explosive, corrosive ou toxique ou d’un procédé de sorcellerie, magie ou divination.]
Je cicatrise assez vite, je ne me plains pas. Les premiers rayons du soleil font la course dans un ciel d’une pureté féerique. Je les envie. Depuis mon balcon, j’aperçois une jeune maman qui accompagne son petit garçon à l’école. Le tableau semble tout droit sorti d’un livre de lecture. Mon cœur se serre. Je pense à tout ce que j’aurai à faire aujourd’hui. Une série de pompes me remettra les idées en place.
Je compte chaque traction dans ma tête. J’en suis à peine à cinquante quand j’entends une voix féminine depuis la porte de la véranda. Sur un ton ironique, elle me dit dans ma langue maternelle que n’importe quel margouillat pourrait faire plus de pompes que moi mais que cela ne fera jamais de ce dernier le plus fort des reptiles. Cette petite phrase moqueuse m’arrache un sourire. Le premier de la journée.
Elle s’esclaffe et je devine qu’elle a mis sa main devant son rire pour en tamiser le son. Son parfum est doux. En plein effort, je la regarde. Elle est cachée derrière la porte par pudeur. — Quatre-vingts ! m’exclamai-je, exténué.
— Même si c’est seulement dix, je le saurais comment ? me lance-t-elle.
Je lui demande pourquoi elle reste cachée derrière le battant de ma porte. Elle me répond qu’elle ne veut pas que tout le quartier voie sa nudité.
— Mais, ma chérie, tout le quartier connaît ta nudité ! lui rétorquai-je dans un éclat de rire.
Elle referme la porte bruyamment et rentre à l’intérieur.
Je la rejoins en rigolant pour bien enfoncer le clou. Son regard furieux laisse bientôt place à des yeux inquiets lorsqu’elle revoit ma plaie à la lumière du jour. Les mots se bousculent dans sa bouche, mais aucun son ne traverse ses lèvres. Elle a peur de me vexer, mais son arrogance finit par reprendre le dessus. — J’en ai marre de jouer les infirmières pour toi. Il faut arrêter tes histoires de bandits, là ! me lance-t-elle.
Une prostituée qui me fait la morale sur mon style de vie… Je trouve cela cocasse. Son effronterie ne l’empêche pas d’être impressionnée par mon imposante musculature. Elle fait deux pas en arrière. Ses yeux sont rivés sur mes bras. Elle sait qu’une gifle peut surgir de nulle part à tout moment. Elle en a l’habitude avec moi.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 280 – Blessures légères
Est puni d’un emprisonnement de six (06) jours à deux (02) ans et d’une amende de cinq mille (5 000) à cinquante mille (50 000) francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui, par des violences ou des voies de fait, cause, même involontairement à autrui, une maladie ou une incapacité de travail de plus de huit (08) jours et jusqu’à trente (30) jours.]
Je la dévisage silencieusement. Avec son mètre soixante et son corps potelé, tout en rondeurs, j’ai l’impression de faire le double de sa taille.
Je n’ai pas le temps pour une dispute ce matin. J’attends un coup de fil, et je dois être prêt bien avant. Je me dirige vers la salle de bain et je me douche rapidement pendant qu’elle regarde une télénovela avec le volume du téléviseur au maximum. Katalina aurait encore trompé Arturo avec le jardinier de l’hacienda… À moins que ce ne soit l’inverse.
Je sors de la salle de bain, j’éteins le téléviseur. Elle râle. Je la pousse sur le lit et je lui fais l’amour sans préliminaires. C’est peut-être la dernière fois que je goûte à une femme.
Pendant que je m’habille, mon téléphone sonne. C’est un numéro masqué. C’est le coup de fil que j’attendais. La voix au bout du fil est à la fois fine et grave selon les notes qu’elle prononce. C’est la même voix que la première fois que nous avons pris contact. Je ne saurais dire s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Tout ce que je sais, c’est que ces gens sont extrêmement professionnels.
Le rendez-vous m’est donné en face de la gare, dans une heure. Je récupère ma carte de crédit dans un tiroir et la glisse dans mon portefeuille. Ça peut toujours servir. Je dépose un billet de 10.000 FCFA sur la table de chevet. J’ai le visage grave. Elle le remarque et, pour une fois, elle garde le silence.
Je lui dis “à tout à l’heure”, même si, dans le meilleur des cas, on ne se reverra pas avant au moins l’année prochaine.
Il fait chaud, et les taxis se font rares. Je stoppe une moto-taxi. Je lui dis d’accélérer. On slalome entre les voitures, on roule sur les trottoirs. S’il était possible de rouler sur les câbles électriques, on le ferait. Il me dépose au point du rendez-vous.
L’entrée de la gare ne désemplit pas. Les voyageurs affluent. Quand j’étais plus jeune, j’avais l’habitude d’opérer dans ce secteur. Du vol de téléphones portables à l’arrachage de sacs à main, j’ai tout fait. Je débarquais fraîchement de ma brousse. Il fallait survivre.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 318 – Vol, abus de confiance, escroquerie
(1) Est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de cent mille (100 000) à un million (1 000 000) de francs, celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui :
a) Par vol, c’est-à-dire en soustrayant la chose d’autrui (…)
Article 320 – Vol aggravé
(1) Les peines de l’article 318 ci-dessus sont doublées si le vol a été commis soit :
a) A l’aide de violences ;
b) Avec port d’arme ;
c) Par effraction extérieure, par escalade ou à l’aide d’une fausse clef ;
d) A l’aide d’un véhicule automobile (…)]
Une voiture me fait des appels de phares. Je me rapproche. C’est une Peugeot 506 noire. Le choix du véhicule n’est pas des plus judicieux. Ils auraient pu prendre quelque chose de plus discret.
J’entre à l’arrière. Mon interlocuteur est assis. Je reconnais immédiatement sa voix lorsqu’il me salue. C’est un homme vêtu très élégamment, la cinquantaine passée, des manières précieuses, le regard froid. C’est un homme mauvais.
Il m’explique en détail, de sa voix fluette, la tâche qui sera la mienne et à quel point il tient à ce que ce soit moi qui accomplisse cette mission, compte tenu du professionnalisme avec lequel j’ai conduit l’opération précédente.
Tuer n’a jamais été un problème pour moi. Mon premier meurtre, je l’ai commis pour une paire de Nike. Je n’ai jamais réfléchi plus loin que la satisfaction immédiate de mes besoins. Ma conscience est toujours restée silencieuse.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 320 – Vol aggravé
(2) Est puni de la peine de mort, quiconque commet un vol avec des violences ayant entrainé la mort d’autrui ou des blessures graves, telles que prévues aux articles 277 et 279 du présent Code.]
Mais ce qu’on me demande de faire aujourd’hui semble aller au-delà de mes aptitudes. Le premier travail était pourtant simple : c’était un journaliste, un adulte. Quand on m’a annoncé que, pour le prochain boulot, la cible serait plus jeune, je me suis dit que cela serait plus facile, mais jamais je n’aurais pensé à ça.
Quatre ans ! Je suis troublé. J’avais déjà accepté la mission, mais là, on me parle de quatre ans.
Je pense à me rétracter. Je pense à sortir de cette voiture, rentrer dans mon petit studio, me rouler un joint et oublier tout ça. Quatre ans ! C’est trop jeune.
Je pense sérieusement à résilier cet accord. Mais j’en sais peut-être trop. J’ai vu le visage de ce gars. Je ne l’avais jamais vu auparavant. C’est sûrement un maillon important de la chaîne.
Est-ce que la vie d’un enfant que je ne connais même pas vaut la mienne ?
L’homme me parle des modalités de paiement une fois le travail accompli. Le montant me donne le tournis. Au moins quatre fois supérieur à mon salaire sur le premier travail.
Je leur ai dit que je ferai le job, donc je ferai le job. Quatre ans. Ses parents n’auront qu’à en faire un autre.
Le chauffeur démarre. Nous roulons vite. Je vois défiler des centaines d’affiches publicitaires des divers candidats à l’élection présidentielle de 2025. L’atmosphère est électrique en ville. À travers les vitres fumées, on perçoit l’effervescence de la période électorale, qui contraste avec le calme régnant dans l’habitacle de la voiture. Les sièges sont confortables. Je m’achèterai ce genre de véhicule dès que je serai payé.
Une boîte de chocolat noir est ouverte sur le siège, à ma droite. Régulièrement, mon interlocuteur y glisse ses doigts fins et ramène les sucreries à sa bouche dans un mouvement d’une extrême nonchalance. L’or blanc de sa chevalière semble avoir été moulé directement sur son annulaire. Elle doit valoir une fortune, mais certainement pas plus que la montre suisse qui orne son poignet. La complexité de son mécanisme se dissimule derrière l’éclat des diamants qui scintillent sur son cadran.
Il m’invite à me servir dans son coffret de chocolats. Je décline poliment son offre, me méfiant de ses allures de Willy Wonka.
Nous nous garons au deuxième point de rendez-vous. Il ajuste sa cravate de créateur italien et nettoie délicatement les commissures de ses lèvres à l’aide d’un mouchoir de soie. Je suis assis à côté de Gatsby ma parole !
La Nigériane ouvre la portière et s’installe sur le siège avant. Elle me fait un clin d’œil. C’était mon acolyte lors de la première mission, il y a quelques mois. Une vipère. On ne la briefe pas. Elle connaît le plan, peut-être même a-t-elle contribué à son élaboration. Son teint est plus clair que la dernière fois que je l’ai vue. Elle est d’une exceptionnelle beauté. Je la trouverais même attirante si je ne savais pas quelle harpie se cache derrière ses fausses allures de femme d’affaires surbookée.
Le moteur est à l’arrêt. Elle est là uniquement pour récupérer une petite sacoche verte que lui tend le monsieur. Elle échange rapidement quelques mots avec lui et nous descendons de la voiture, elle et moi. Notre opération peut commencer.
La Peugeot 506 démarre et s’éloigne. Si le plan est bien exécuté, nous reverrons notre commanditaire ce soir même pour la livraison du colis ainsi que pour notre paiement.
Dans un français plus qu’approximatif, elle m’indique où se trouve son véhicule. Nous nous dirigeons vers sa voiture, garée près de l’école. C’est un petit coupé japonais de couleur grise, muni d’un coffre suffisamment large pour l’usage que nous souhaitons en faire. Excellent choix de véhicule.
Elle s’installe au volant, moi sur le siège passager. Son jean gris dessine ses courbes généreuses et sublime ses longues jambes athlétiques. Elle a des allures de célébrité. Son haut ample et volontairement oversize laisse tout de même deviner une poitrine imposante. Elle semble décontractée et élégante ce matin.
Elle s’appelle Chioma, mais ça m’amuse de l’appeler Biafra. Elle ne manque pas de répartie. Elle m’a surnommé Yaoundé en retour. On dirait des noms de code que des brigands pourraient utiliser dans une série télé, mais en nettement moins glamour.
Pendant près d’une semaine, Biafra s’est rendue ici en taxi chaque jour pour effectuer des repérages. Elle m’explique que le plus simple a été de déterminer les emplois du temps des élèves et des maîtresses. Cette école n’employant pas de gardiens en journée, la tâche n’en a été que plus simplifiée.
Par contre, le plus dur, selon elle, fut de trouver un petit garçon correspondant aux critères. Elle me tend les photos qu’elle a prises de l’enfant avec son portable. Une adorable petite créature. Il a la couleur des anges.
Elle m’explique qu’en plus de correspondre aux exigences du client, elle l’a choisi parce que ses parents ne se pointent jamais à temps à la sortie des classes. Elle lui a déjà adressé la parole. Elle est même allée jusqu’à lui offrir des friandises. Aujourd’hui, elle lui proposera de le raccompagner.
Malgré son cynisme, je dois avouer qu’elle a fait un travail remarquable. Il est neuf heures et demie.
Elle s’adresse à moi dans un étrange mélange d’anglais, de français et de langage des signes improvisé. Je comprends facilement cet argot. Je n’ai été à l’école que jusqu’en classe de seconde, mais je m’en sortais plutôt bien en cours d’anglais. J’étais excellent dans toutes les matières littéraires ; c’était ma passion.
Nous patienterons sur place jusqu’à la sortie des classes à midi. Biafra a sûrement choisi cet établissement à cause de son isolement. Mis à part un commissariat de police situé à un kilomètre environ, il n’y a quasiment pas de voisins aux alentours.
Si un jour j’ai des enfants, je ne les inscrirai pas dans ce genre de trous perdus.
Les heures s’écoulent lentement. Je suis de plus en plus anxieux. Je pense au rôle que j’aurai à jouer. Il est certes décisif, mais assez simple. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne m’informe du plan qu’au fur et à mesure. Toute la ruse du stratagème repose sur la Nigériane.
Elle est d’un calme olympien. Elle patiente jusqu’à l’heure du crime en regardant des productions Nollywoodiennes sur son smartphone. De temps à autre, elle éclate de rire et s’obstine à m’expliquer l’aspect comique des scènes de son film malgré mon évident manque d’intérêt.
Je souris par complaisance. Ses tentatives de français me font saigner les oreilles. Heureusement qu’elle a choisi une école anglophone pour l’opération, elle sera dans son élément.
Quel genre de femme est capable d’afficher un air aussi serein et détaché quelques heures avant de commettre un acte aussi ignoble que celui que nous nous apprêtons à perpétrer ? Aurait-elle sacrifié son instinct maternel à quelques esprits Igbo ?
Mais ai-je vraiment le droit de la juger ? Je ne pense pas valoir mieux.
Il est onze heures. Il commence à faire chaud. La sueur traverse mon marcel et imprègne mon t-shirt noir. Le véhicule n’est pas climatisé. Les rayons du soleil m’obligent à dégainer ma paire de Ray-Ban.
Je me regarde dans le rétroviseur pour vérifier que je n’ai pas l’air trop suspect. Ça peut aller. Les lunettes cachent même le vide de mon regard.
Je demande à Biafra de m’expliquer les critères de sélection des enfants. Elle s’empresse de le faire avec un certain enthousiasme. Le sujet la passionne.
Elle m’explique en anglais que tout dépend des commandes. S’il faut livrer les colis à des réseaux pédophiles, il est évident que le gosse devra être vivant.
Les critères exigés par ce genre de clients dépendent beaucoup plus de leurs goûts personnels que d’autre chose. Certains les aiment très jeunes, d’autres les préfèrent plus âgés. Il y en a qui veulent des garçons, d’autres des filles.
Elle me raconte qu’une fois, on leur aurait même commandé des hermaphrodites. Je me rends compte qu’elle a une énorme expérience dans ce domaine. Elle en parle comme d’une prestation de services des plus banales.
Elle évoque brièvement une affaire de trafic d’organes à laquelle elle aurait pris part à Ibadan, dans son pays. Quand elle me décrit les sommes folles qu’elle amassait à cette période, je vois ses yeux scintiller.
Son moteur serait donc la cupidité ?
J’ai honte de me l’avouer, mais sur ce point, nous sommes pareils.
Les détails de son récit à Ibadan sont choquants. Un Stephen King à côté aurait des allures de conte pour enfants. Elle me parle d’une maison dans la forêt, dans laquelle ils enfermaient les victimes. Du “Bush meat”, comme elle les appelle, littéralement “de la viande de brousse”. Elle était chargée de surveiller ces captifs. À chaque étage de la bâtisse étaient enchaînés, complètement nus, des malheureux répartis selon des catégories bien définies.
Au rez-de-chaussée étaient emprisonnés les femmes enceintes et les enfants. Le premier étage, quant à lui, était réservé aux adultes, hommes et femmes. Des chaînes implantées dans le sol leur tenaient les chevilles. Aucune torture ne leur était infligée, mis à part le fait qu’ils étaient privés de nourriture jusqu’à ce qu’ils succombent, conformément aux exigences des clients.
Certaines parties des corps squelettiques, ainsi que des organes, étaient acheminées vers plusieurs relais avant d’être livrées à de riches clients pour des rituels et autres cérémonies occultes.
Je pensais être une âme damnée, mais à côté de cette diablesse, je fais figure de saint.
Elle m’explique qu’elle a dû fuir son pays après que les forces de l’ordre ont découvert leur base, que les médias locaux se sont empressés de baptiser “The Ibadan Slaughterhouse”. “La maison de l’horreur d’Ibadan” pour la presse francophone internationale.
Elle laisse échapper quelques ricanements en me contant les aventures sordides qu’elle a vécues à cette époque, dans ce qui ressemblait à une véritable ferme humaine. J’espère oublier rapidement toutes ces anecdotes macabres et à forte connotation nécrophile.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 274 – Violation de tombeaux et de cadavres
(1) Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à cinq (05) ans et d’une amende de dix mille (10 000) à cent mille (100 000) francs celui qui :
a) Viole des tombeaux ou sépultures ;
b) Profane tout ou partie d’un cadavre humain, enseveli ou non. (…)
(3) Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à cinq (05) ans, quiconque se livre à des pratiques sexuelles sur un cadavre (…)
Article 276 – Assassinat
(1) Est puni de mort le meurtre commis soit :
(a) avec préméditation ;
(b) Par empoisonnement
(c) Pour procéder au trafic des organes de la victime ; (…)
Article 277-3 – Torture
(1) Est puni de l’emprisonnement à vie celui qui, par la torture, cause involontairement la mort d’autrui (…)
Article 291 – Arrestation et séquestration
(1) Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) à un million (1 000 000) de francs, celui qui, de quelque manière que ce soit, prive autrui de sa liberté.
(2) La peine est un emprisonnement de dix (10) à vingt (20) ans dans l’un des cas suivants :
(a) Si la privation de liberté dure plus d’un (01) mois ;
(b) Si elle est accompagnée de sévices corporels ou moraux ;
(c) Si l’arrestation est effectuée soit au vu d’un faux ordre de l’autorité publique, soit avec port illégal d’uniforme, soit sous une fausse qualité].
Je pense que cette femme est folle. L’argent n’est pas son seul moteur. J’ai hâte que tout ceci prenne fin, que je sois payé et que je me barre loin d’ici. Elle se baisse pour toucher le poignet situé sous son siège et ajuste l’inclinaison de son fauteuil. Elle lâche un soupir d’allégresse une fois positionnée dans son transat de fortune.
À cause de son étirement, son haut légèrement retroussé au niveau de son ventre laisse apparaître quelques centimètres de peau. J’y remarque un début de tatouage, visiblement réalisé à la main. Ce symbole tient plus de la scarification rituelle que du motif branché d’un salon de tatouage.
Elle aborde enfin les détails qui concernent notre affaire. L’homme dans la voiture, qu’elle se garde bien de nommer, serait le responsable de l’antenne locale d’un vaste réseau de trafic d’organes.
Le client qui les a contactés a insisté pour que les organes proviennent d’un corps masculin âgé de 4 ans tout au plus.
Elle me dit qu’au vu de toutes les indications qu’il a données sur le choix de l’enfant, il est évident que ces organes serviront à des cérémonies.
Cela ne me plaît guère. Les trucs occultes ne m’ont jamais branché.
Biafra est très volubile, mais pas stupide. Elle ne me dévoile que ce que je suis censé savoir. Cependant, à travers ses brefs échanges avec l’homme de la Peugeot 506, j’ai saisi que le commanditaire de cette opération serait un certain Sam. Si mes soupçons sont fondés, il s’agirait d’un riche homme d’affaires solidement ancré dans les cercles politiques. Un individu pour lequel j’ai travaillé à plusieurs reprises, des missions grassement rémunérées consistant à nettoyer et détruire des preuves dans des chambres d’hôtel ou d’autres lieux peu conventionnels, après qu’il ait violemment abusé de jeunes femmes et hommes.
Il est midi. La sirène de la fin des cours retentit. Les enfants se précipitent hors des salles de classe et se ruent vers l’unique marchand de glaces à proximité. Les élèves de la maternelle sortent à leur tour. Certains rentrent chez eux tout seuls. À la place du gosse, j’ai presque envie d’enlever une des maîtresses de cette école et de la dépecer moi-même. On n’a pas idée d’être aussi désinvolte. Cet établissement ne respecte aucune mesure de sécurité. C’est presque trop facile pour nous.
Biafra me tapote le bras. Notre cible franchit la barrière de l’école et s’adosse à la clôture pour attendre sagement ses parents. C’est un ange. Ses joues rondes, son regard rieur, une petite gourde bleue qui pend à son cou. Ses yeux clairs supportent encore moins le soleil que les miens. Il les plisse et, d’un pas hésitant, se dirige vers un point d’ombre sous un palmier. L’ombre des feuilles forme des zébrures sur sa peau blanche d’albinos. Si l’innocence avait un visage, elle porterait sûrement les traits de ce petit être.
Biafra sort de la voiture et s’avance vers le gamin. Je la hais. Elle lui parle, il lui répond. Leurs lèvres bougent, mais je n’entends rien. Il sourit : elle l’a mis en confiance. Le vice s’est déguisé pour séduire la vertu. Ils reviennent ensemble vers notre véhicule, main dans la main. Un étranger à l’histoire penserait qu’ils sont mère et fils. Moi, je vois un loup et un agneau. Je déteste cette adaptation de la fable dont je suis témoin… et bientôt acteur.
Elle installe confortablement l’enfant à l’arrière et boucle sa ceinture. Le petit ange me dit : “Good afternoon, Sir.” Sa voix est pure. Mon cœur se crispe. Je ne réponds pas. Biafra s’assied au volant, démarre, et en quelques secondes, nous n’apercevons même plus l’école dans le rétroviseur. Elle continue de converser avec lui. Il s’appelle Willy et est en petite section. Il n’a pas encore tout à fait quatre ans. Il a un vocabulaire étonnant pour son âge et s’exprime uniquement en anglais.
D’après ce qu’il explique, sa maman travaillerait très loin et chaque jour, après l’école, ils passeraient du temps ensemble sur son lieu de travail. J’en déduis qu’elle profite de sa pause pour le récupérer à l’école. Elle ne doit certainement pas avoir les moyens de se payer une nounou, donc elle le garde avec elle au travail. Avec beaucoup de fierté, il nous explique en quoi consiste le travail de sa maman : “Elle donne des choses et aussi de l’argent aux gens dans une grande boutique.” Sa description m’arrache presque un sourire. Sa mère est sûrement caissière dans un supermarché.
Biafra continue de poser des questions. On apprend que son repas préféré est le poulet grillé, qu’il ne sait pas où est son père et qu’il habite avec sa grand-mère. Biafra a l’air tellement bienveillante que je me prendrais presque au jeu. On approche de notre destination. C’est la cinquième fois que notre colis nous rappelle que ce n’est pas la direction de la maison de sa grand-mère. La Nigériane lui répond à chaque fois que c’est un raccourci et qu’elle sait très bien où habite sa maman. Elle ajoute que c’est cette dernière qui lui a demandé de récupérer son fils à l’école.
Quand nous avons emprunté la petite piste menant à notre repère, j’ai perçu de l’inquiétude dans les yeux de Willy. Biafra gare enfin. Le lieu est désert. Aucune plantation en vue, uniquement de hautes herbes et des arbres. Le lieu est encore plus sinistre que lors de la dernière mission. La seule trace du passage des hommes dans cette contrée est une petite maison inachevée, celle où tout va se passer.
Je sors du véhicule et j’ouvre la portière de Willy. Sans même prendre son sac à dos, le petit garçon bondit hors de la voiture et entame un sprint avec une vitesse impressionnante pour son âge. Je ne fournis aucun effort pour le stopper. J’ai presque envie de crier : “Cours, Willy, cours !” quand cette démone de Biafra se lance à ses trousses. Elle est très athlétique. En quelques foulées, elle l’a rattrapé. Sa main agrippe fermement le col de sa tenue de classe, et il se débat de toutes ses forces.
Elle me hurle quelque chose dans son dialecte, certainement pas très aimable, puis enchaîne en anglais pour me demander pourquoi je ne l’ai pas rattrapé. Je ne lui réponds pas. Je récupère juste le petit. Elle me met en garde contre une prochaine tentative d’évasion de Willy. L’adrénaline lui monte sûrement à la tête : elle oublie à qui elle s’adresse. Je m’approche d’elle et lui recommande, posément, de ne plus jamais proférer de menaces à mon égard. Elle se tait et détourne le regard.
Willy continue de se débattre. Je balaie violemment son crâne avec le plat de ma main, et cette taloche le calme immédiatement. Il se met à sangloter, ce qui lui vaut une deuxième gifle. Il ravale ses larmes. Je le conduis vers la maisonnette où m’attendait déjà, dans un sac, le matériel que j’avais exigé pour ce job : une scie, une petite hachette pour les os durs, un rouleau de corde à linge, une combinaison en plastique pour me couvrir des giclées de sang, de l’acide pour nettoyer toutes les traces à la fin et une bonne bouteille de cognac. Rien de trop sophistiqué.
Avec quelques bouts de corde, je saucissonne rapidement les bras du petit dans son dos. Il est tellement jeune qu’avec les bras noués de la sorte, même s’il tentait encore de s’enfuir, il n’aurait pas suffisamment d’équilibre pour courir longtemps sans trébucher. Il me suffirait de tordre son frêle cou d’un geste sec pour abréger ses souffrances. Il n’aurait pas à subir la suite des opérations.
Je le fais asseoir au sol, dans un coin de la pièce. Je lui murmure que s’il bouge, je le frapperai et que j’irai frapper sa maman aussi. Biafra entre avec une lampe rechargeable allumée et ferme la porte derrière elle. Les murs de la bâtisse ne sont pas crépis, le sol n’a aucun revêtement. Par contre, toutes les ouvertures sont bien installées et hermétiquement fermées. Mis à part une échelle et quelques pelles rondes, la pièce est vide.
Biafra s’assied sur un parpaing et commence à fouiller dans la sacoche que lui a remise l’homme de la Peugeot 506. Je regarde Willy, terrorisé dans son coin. Je m’avance vers lui. Il est d’un courage exceptionnel. Il voit la mort s’avancer vers lui. Sait-il seulement ce qu’est la mort ? Je sais ôter la vie sans faire souffrir. Ça se passera sans douleur. Il ne saura même pas ce qui lui arrive. Juste un sommeil lourd et profond… J’hésite.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 276 – Assassinat
(2) Est puni de mort le meurtre commis soit :
(d) avec préméditation ;
(e) Par empoisonnement
(f) Pour procéder au trafic des organes de la victime ; (…)]
Vais-je vraiment poser cet acte ? S’ils m’avaient prévenu dès le départ qu’il s’agirait d’un enfant de quatre ans, j’aurais sûrement décliné la proposition. Ils le savaient. Depuis le début, ils jouent sur ma psychologie, me mettant chaque fois devant le fait accompli. J’ai horreur qu’on essaye de me manipuler.
Biafra me fait signe d’attendre avant de passer à l’acte. Je m’étais déjà arrêté avant qu’elle ne parle, de toutes les façons. Elle me dit que ce n’est pas dans cette pièce qu’aura lieu l’exécution. Apparemment, hier, tard dans la nuit, elle aurait préparé une autre salle pour le sacrifice. Toutes ces précisions de dernière minute commencent à m’agacer. Voilà qu’elle me parle de sacrifice, alors que notre commanditaire avait seulement mentionné un meurtre classique, dans le cadre d’un trafic d’organes.
Je dis à Biafra que la sorcellerie n’est pas mon rayon. Elle me répond que cela ne pose pas de problème, car elle maîtrise le sujet. Ça ne me surprend pas, au vu de tout ce qu’elle m’a raconté sur elle-même. Elle me dira quoi faire et à quel moment. Elle attrape fermement le petit albinos par le col et le traîne vers la salle d’à côté. Il pleure toutes les larmes de son corps et appelle sa mère de toutes ses forces. Comment fait-elle pour ne pas ressentir de peine ?
Elle ouvre la porte, fermée à clé, et m’invite à entrer. D’après le plan de la maison, cette pièce est sûrement censée être une chambre d’amis. Il y fait noir, et je n’y vois rien. Elle referme la porte à clé derrière moi. La Nigériane se déplace sans difficulté dans cette obscurité, comme si elle possédait des yeux de félin. Il me semble qu’elle fait asseoir le petit au sol. Elle claque une allumette et se baisse, sans doute pour allumer une lampe… Non. C’est une bougie rouge qui s’illumine. Puis une autre.
Un étrange symbole est dessiné au sol, apparemment avec du sang d’animal. Je trouve que ça fait un peu cliché, mais une violente sensation d’inconfort m’envahit malgré tout. Biafra me confie que ça la dérange d’avoir à effectuer ce rituel en présence d’un inculte, mais que le patron a insisté pour que je sois de la partie. Les “hautes instances”, comme elle les appelle, auraient tellement apprécié mon professionnalisme lors de la mission précédente qu’ils souhaitent désormais m’impliquer dans toutes leurs opérations. De ce fait, il est nécessaire que je me familiarise avec les usages. Une marque de considération dont je me serais bien passée.
Je regarde Willy, sanglotant doucement, et je me dis que tout ceci devient de plus en plus absurde. Biafra m’annonce que c’est moi qui vais l’exécuter, mais qu’il faut d’abord qu’elle prépare le cadre. Je ne réponds pas. J’observe la scène en spectateur. Elle se déshabille, et je vois peu à peu apparaître des tatouages artisanaux sur toute la surface de son dos, de ses cuisses et de ses mollets. Des marques tribales.
Sans interrompre son effeuillage, elle m’explique qu’il est essentiel, pour le succès de ce genre de rituel, que la victime agonise tout au long de la séance. Elle ne doit pas mourir dès le début. Sa souffrance est une énergie qui, selon elle, se cristallise dans ses points vitaux. Ses organes en auront ainsi une plus grande valeur spirituelle. Même son sang sera récupéré après les rites, ajoute-t-elle. Elle me révèle que le corps d’un jeune albinos vaut généralement 75 000 dollars, mais que celui de ce petit aura une valeur de plus de 200 000 dollars sur le marché noir après le rituel. Le client, lui, est prêt à en payer le double si nous respectons les délais.
Il y a encore quelques heures, de telles sommes auraient sûrement excité mon avidité. Mais à présent, je me sens totalement détaché de tout cela. Je ne remarque presque pas la perfection physique de Biafra. J’ai du mal à apprécier quoi que ce soit venant d’une sorcière. Maintenant qu’elle est complètement nue, un filet de sang zigzague le long de sa cuisse, s’écoulant de son entrejambe. Je suppose que c’est aussi une recommandation du “manuel du parfait rituel”.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 251 – Pratiques de sorcellerie
(1) Est puni d’un emprisonnement de deux (02) à dix (10) ans et d’une amende de cinq mille (5000) à cent mille (100 000) francs, celui qui se livre à des pratiques de sorcellerie, magie ou divination susceptibles de troubler l’ordre ou la tranquillité publics, ou de porter atteinte aux personnes, aux biens ou à la fortune d’autrui, même sous la forme de rétribution.]
C’est grotesque ! Tous ces ossements qu’elle sort de sa sacoche sont grotesques. Les poudres qu’elle souffle dans le vide le sont encore plus. Les paroles incompréhensibles qu’elle marmonne entre ses dents, l’odeur de soufre qui se répand dans la pièce, ses pas de danse, l’angoisse qui m’envahit, la transe qui la submerge peu à peu… tout cela est grotesque. Willy est terrifié, pétrifié. Elle avance vers lui.
La cadence accélérée de ses mouvements ralentit, laissant place à une nonchalance presque sensuelle. On dirait quasiment qu’elle tente de séduire l’enfant. Elle me lance qu’elle m’aurait bien invité si j’étais déjà initié, mais que cela sera pour la prochaine fois. Pas besoin de me faire un dessin. Non satisfaite à l’idée d’ôter la vie à ce petit ange, elle veut en plus le souiller. Ce qu’elle lui demande de faire dépasse ce que je peux supporter de regarder.
[Loi N°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal
Article 346 – Outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de seize ans
(1) Est puni d’un emprisonnement de deux (02) à cinq (05) ans et d’une amende de vingt mille (20 000) à deux cent mille (200 000) francs, celui qui commet un outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de seize (16) ans.
(2) Les peines sont doublées si l’outrage est commis avec violence (…).
(3) La peine est un emprisonnement de dix (10) à quinze (15) ans si l’auteur a eu des rapports sexuels même avec le consentement de la victime.
(4) En cas de viol, l’emprisonnement est de quinze (15) à vingt-cinq (25) ans. (…)]
“Chioma, arrête-moi ça !” La phrase est sortie de ma bouche avant que le petit ne s’exécute, sans que je ne m’en rende compte. De même que la gifle que je lui ai assénée. À partir de cet instant, tous mes choix m’ont semblé insufflés par une force supérieure.
Chioma a tenté de riposter, ce qui n’a eu pour effet que d’exacerber ma colère. Je l’ai plaquée au sol et frappée avec toute la sauvagerie qui m’animait. Je sais ôter la vie sans faire souffrir, mais je souhaitais vraiment qu’elle agonise, comme ses victimes d’Ibadan, comme le pauvre gars que nous avons décapité lors de la dernière mission. Comme moi-même quand le sadique de la Peugeot 506 s’apercevra que j’ai fait échouer le plan.
J’ordonne à Willy de se cacher les yeux. Il s’exécute. Si je lui sauve la vie, ce n’est pas pour qu’il finisse traumatisé dans le processus. Je frappe le visage de Chioma de toutes mes forces. Je ne ressens même plus la douleur de ma blessure d’hier. Au bout d’un moment, elle ne se débat plus, ses cris se sont tus. Son visage ressemble désormais à une pâte informe, mais je continue de frapper. Je veux que son corps meure, que son âme meure et que tous les souvenirs d’elle disparaissent.
Je rigole intérieurement. Ses esprits ne lui viennent pas en aide ? Pauvre sotte.
Je suis un homme mort. Où que je me cache, ils me retrouveront. On ne joue pas avec ce genre de personnes. Au fond, je n’en ai que faire. Aucun regret.
J’ai détaché Willy, je l’ai installé sur le siège avant et j’ai accéléré pour m’éloigner de cette maison de l’horreur.
Dans la voiture, je lui parle comme à un homme. Après tout ce qu’il a vécu, il en est un désormais. Je lui explique clairement ce qui vient de lui arriver, mes intentions initiales et les raisons pour lesquelles j’ai changé d’avis. Je lui explique à quel point les Hommes sont mauvais et combien la vie est belle et sacrée. Je n’en reviens pas que ce soit moi qui tienne ce genre de discours.
Je lui remets ma MasterCard. De toutes les façons, je vais mourir dans peu de temps. Ça ne me servira plus à rien. J’ai écrit toutes les informations nécessaires pour s’en servir sur un bout de papier que je lui confie également. Je lui demande de remettre tout cela à sa mère. J’ai tout de même une jolie somme sur ce compte. Entre autres affaires illégales, j’ai gagné beaucoup d’argent en trichant aux cartes. Sa mère pourra retirer cet argent à n’importe quel distributeur.
Je parle à Willy. Il m’écoute attentivement. Il a tellement pleuré aujourd’hui qu’il doit être épuisé. Mon T-shirt est maculé du sang de Chioma et de quelques morceaux de chair. Je roule vite. La voiture est légère. Il est seize heures. Le temps joue contre moi. Bientôt, ils essaieront de joindre Chioma et comprendront que quelque chose ne va pas.
Je dépose mon petit albinos devant le commissariat près de son école. Je reste à proximité jusqu’à ce qu’un policier vienne à lui. Le type a une tête de bon gars. Willy est sauvé. Je peux maintenant partir mourir.
On ne peut vraiment apprécier la vie que lorsqu’on a été près de la mort. La mère du petit Willy saura désormais à quel point le bonheur peut être éphémère. Elle a failli perdre la chair de sa chair. Tout se joue sur des détails. Faire le mauvais choix d’établissement scolaire, arriver en retard à la sortie des classes… Ce ne sont que des détails.