Conformément à l’article 296 du Code Pénal Camerounais, « Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans, celui qui, à l’aide de violences physiques ou morales, contraint une personne, même pubère, à avoir avec lui des relations sexuelles ».

Le style direct et impératif employé dans la rédaction des articles du Code Pénal donne l’impression que la sanction d’une infraction est un acquis. « Est puni… ». Cela semble automatique. Une évidence que la punition sera appliquée dès que l’infraction aura été commise.

Pour les victimes, cela donnerait presque au Code Pénal quelque chose de rassurant mais la réalité est hélas faite de multiples nuances, et le chemin à parcourir entre la commission d’une infraction et l’application de la sanction est long. J’en veux pour preuves les 747 articles tortueux et sinueux du code de procédure pénal camerounais.

Nul besoin de planter d’avantage le décor car le récit que je m’en vais vous conter vous semblera probablement familier, tant ce type d’histoire est monnaie courante dans nos sociétés. Il s’agit bien entendu d’une fiction (enfin…) et toutes ressemblances avec des personnes ou des faits réels devront évidemment être traitées comme de pures coïncidences.

Toute l’histoire tourne autour d’une jeune demoiselle que pour les besoins de la narration, nous appellerons Eva. Eva a à peine 22 ans au moment des faits. Elle vient de terminer ses études et a décroché son premier stage professionnel dans un important cabinet comptable de la ville de Douala.

Dans les rues animées de la ville, la jeune femme de 22 ans émerge chaque matin du dédale urbain avec une légèreté de danseuse, son pas fougueux ponctuant l’aube qui peine à chasser les éclats nocturnes. Elle s’engouffre dans le tumulte matinal, défiant la morne routine avec un sourire enjôleur, car elle sait que derrière chaque facture à équilibrer, se cache l’éclat d’une vie bien vécue.

Au sein du cabinet de comptabilité dans lequel elle officie, elle navigue avec grâce entre les chiffres et les dossiers, son esprit vif capturant les nuances des bilans et des déclarations fiscales. Dans cet univers où l’arithmétique règne en maître, elle insuffle une touche d’élégance, comme une note de jazz dans un morceau classique.

Mais le vendredi soir, c’est une tout autre partition qui l’attend. Affranchie des colonnes et des tableaux, elle se métamorphose en déesse de la nuit, parée des lueurs des néons et de l’effervescence des clubs branchés. Sa beauté éclate alors tel un feu d’artifice, illuminant les regards envieux et capturant les cœurs égarés.

Dans les ruelles vibrantes de la ville, elle danse au rythme des pulsations nocturnes, son rire cristallin se mêlant au murmure des conversations enfiévrées. Entre deux verres de champagne et trois éclats de rire, elle se laisse emporter par le tourbillon de la vie, insouciante et libre, éclatante de jeunesse et de promesses.

Au petit matin, quand les lueurs de l’aube caressent timidement les façades des immeubles endormis, elle regagne son cocon, épuisée mais rayonnante. Et tandis que le monde s’éveille doucement, elle s’endort avec le doux parfum de la nuit encore imprégné dans ses cheveux, prête à recommencer l’éternel cycle de la vie, entre comptabilité et décadence, entre équilibre et folie.

C’est lors d’une de ces soirées qu’elle a fait la rencontre de Sam, ce quinquagénaire aux allures séduisantes, mais dont le regard lourd de désirs inavoués trahissait les intentions sombres. Au début, elle avait ri de ses blagues un peu trop salaces, avait accepté ses verres un peu trop généreux. Mais bientôt, les limites se sont estompées, et le flirt innocent s’est transformé en une toile d’araignée dont elle peine à s’extirper.

Chaque vendredi soir, il est là, tapi dans l’ombre des néons, guettant sa proie avec une patience perverse. Il l’accoste avec un sourire carnassier, ses mots doucereux se transformant en haleine chaude et désertique. Il la poursuit de ses assiduités malsaines, l’acculant dans un coin sombre de la boîte de nuit, ses mains avides cherchant à s’approprier ce qui ne lui appartient pas.

Eva se débat, telle une rose sauvage dans les griffes d’un prédateur, mais chaque refus n’est qu’un défi supplémentaire pour Sam. Il la harcèle de messages incessants, l’attend aux portes de son travail, sa silhouette menaçante brisant la quiétude de ses journées.

Dans sa chambre exiguë qu’elle loue grâce à ses modestes revenus, Eva ressent le poids des murs qui se referment sur elle. Les notes d’Amapiano qui berçaient ses soirées se sont transformées en un écho lugubre, le rire insouciant s’est éteint pour laisser place à un silence oppressant. Dans l’obscurité de sa chambre, elle se sent traquée, comme une proie aux abois.

Le Code Pénal Camerounais prévoit en son article 302-1 alinéa 1 qu’ « Est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à un (01) an et d’une amende de cent mille (100 000) à un million (1 000 000) de francs, quiconque, usant de l’autorité que lui confère sa position, harcèle autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

La loi est claire et dans le smartphone d’Eva, les preuves contre Sam sont accablantes mais notre jeune comptable ignore tout de cette disposition pénale.

Le temps passe et la vie d’Eva est devenue un tourbillon de difficultés, une danse infernale au rythme des factures impayées et des dettes qui s’accumulent. Sa situation familiale, jadis un roc sur lequel elle pouvait s’appuyer, s’est effritée comme du sable entre ses doigts.

Seule dans cette ville impitoyable, Eva se retrouve à jongler avec les maigres revenus de son stage, cherchant désespérément à joindre les deux bouts dans un monde où même l’air semble avoir un prix. Les nuits sans sommeil sont le théâtre de ses angoisses les plus profondes, alors que les menaces de coupures de services publics planent tel un glaive de Damoclès au-dessus de sa tête.

C’est dans ce tourbillon de désespoir que Sam, tel un vautour à l’affût de sa proie mourante, entre en scène. Il voit en la vulnérabilité d’Eva une opportunité, une ultime chance de prendre le contrôle de sa vie déjà chancelante. Sous couvert de fausses promesses et de prétendues bonnes intentions, il lui tend la main, mais c’est en réalité pour mieux l’enchaîner à sa propre misère.

Sam se sert de sa situation précaire comme d’une arme, une corde qu’il serre un peu plus à chaque fois qu’elle tente de s’échapper. Il lui promet monts et merveilles, mais chaque faveur a un prix, chaque geste de générosité cache une exigence tacite. Et tandis qu’elle se débat dans les méandres de ses problèmes financiers, il resserre son emprise sur elle, laissant sa liberté s’évaporer comme une fumée éphémère dans la nuit sans fin.

Eva, dans sa fragilité, se retrouve enchaînée à Sam, son salut dépendant de la bienveillance d’un homme dont l’ombre ténébreuse plane sur son existence. Et tandis que les dettes s’accumulent, que les menaces se font plus pressantes, elle se rend compte trop tard de l’emprise mortelle dans laquelle elle s’est laissée enfermer.

Un soir, alors que la lune pendait haut dans le ciel, Sam décida qu’il en avait assez de jouer aux abords de la prairie. Il fallait maintenant entrer dans la mêlée, plonger tête baissée dans les eaux troubles de ses désirs les plus sombres. Il échafauda un plan, tordu comme les rues tortueuses de la ville la nuit.

Alors qu’Eva est plus vulnérable que jamais, Sam l’invite dans un endroit isolé, loin des regards indiscrets, là où les ombres se mêlent à la peur et où le silence est brisé par le souffle rauque de l’angoisse. Il la berce de mots doux, ses mains avides caressant sa peau avec une tendresse feinte. Puis, dans un instant de folie incontrôlée, il la force, la brutalise, la viole sans vergogne.

Eva se débat, hurle, supplie, mais ses cris se perdent dans le néant, étouffés par la main de fer qui lui comprime la gorge. Elle sent la douleur s’insinuer en elle, déchirant son âme en lambeaux, tandis que Sam la possède avec une férocité sans égale.

Dans l’obscurité, les cris étouffés de désespoir se mêlent aux soupirs de douleur, tandis qu’elle se débat en vain contre la force implacable qui l’écrase. Ses larmes se mêlent à la sueur de son corps meurtri, son esprit vacillant au bord du gouffre de l’abîme.

Et lorsque l’horreur prend fin, lorsque le calme précaire revient envelopper la pièce, elle se retrouve seule, meurtrie, déchirée, brisée.

De façon douloureusement empirique, Eva découvre la réalité laconiquement décrite par l’article 296 du Code Pénal.

Les jours passent, mais les cicatrices restent, témoins silencieux de la barbarie infligée par un monstre déguisé en homme. Eva découvre bientôt l’ampleur de sa trahison, les maladies transmises par un prédateur sans scrupules. Son corps devient le théâtre macabre d’une vengeance perverse, sa santé déclinant sous le poids des souffrances endurées.

Et tandis qu’elle se débat dans l’obscurité de son existence, cherchant en vain une lueur d’espoir dans un monde sans pitié, elle réalise avec amertume que le prix de sa naïveté est bien plus élevé que ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle est devenue l’ombre d’elle-même, une victime parmi tant d’autres, condamnée à errer dans les méandres d’une existence dénuée de sens. Et tandis que les ténèbres s’épaississent autour d’elle, elle se demande si elle trouvera jamais le courage de se relever de ce cauchemar sans fin. Eva n’est plus qu’une énième « Eve », trompée par un « Samaël » et son antique monture au venin mortel.

Mais trêve de métaphore biblique. Sam n’en n’a que faire. Cet homme érudit qui a lu mille et un livre, y compris tous les livres saints, sait mieux que quiconque que les flammes de la géhenne attendent patiemment le diable qu’il est. Cela ne l’émeut plus depuis fort longtemps. Eva est loin d’être sa première victime et laborieux comme il est, elle ne restera pas longtemps sa dernière. Mais ce que Sam ignore, c’est que l’article 260 alinéa 1 du Code Pénal Camerounais dispose qu’ « Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à trois (03) ans, celui qui, par sa conduite, facilite la communication d’une maladie contagieuse et dangereuse ». Malheureusement, Eva l’ignore aussi.

Le désarroi d’Eva atteint des sommets abyssaux lorsqu’elle découvre les images cruelles de son propre calvaire étalées sur les réseaux sociaux, comme autant de cicatrices béantes dans l’intimité violée de son âme. Les souvenirs douloureux de cette nuit cauchemardesque refont surface avec une intensité dévastatrice, chaque détail s’enfonçant comme un poignard dans sa chair meurtrie.

Elle revoit les yeux glacials de Sam, le poids écrasant de son corps sur le sien, la sensation de terreur paralysante qui l’a saisie alors qu’elle se débattait en vain contre l’emprise implacable de son agresseur. Mais ce qui la frappe le plus, c’est l’absence du visage de Sam sur les images, dissimulé derrière un voile de pixels anonymes.

Elle se sent trahie, humiliée, exposée aux regards impitoyables d’une foule anonyme assoiffée de sensationnalisme. Et tandis que la honte et la colère s’entremêlent en un tourbillon destructeur, elle réalise avec amertume que même dans l’obscurité apparente de l’anonymat, le spectre menaçant de son agresseur plane toujours, invisible mais omniprésent, prêt à la happer à la moindre occasion.

En fait, Sam est un collectionneur qui apprécie conserver des reliques de ses exploits dans ses disques durs. Il avait capturé des clichés du calvaire d’Eva, à son insu, et lesdits clichés avaient été découverts par Lily, l’épouse légitime de ce dernier. Folle de rage, elle avait décidé de publier anonymement ces images sur internet en prenant la peine de protéger l’identité de son doux époux comme un avertissement à l’endroit de celui-ci.

Eva est un dommage collatéral de la tourmente de deux démons qui semblent régler leurs comptes avec l’existence.

Toutefois, Sam et Lily ignorent que l’article 74 de la Loi relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité au Cameroun dispose que : « (1) Est puni d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans et d’une amende de 1.000.000 (un million) à 5.000.000 (cinq millions) F CFA, quiconque, au moyen d’un procédé quelconque porte atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, les données électroniques ayant un caractère privé ou confidentiel.

(2) Sont passibles des peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus les personnes qui, sans droit, interceptent des données personnelles lors de leur transmission d’un système d’information à un autre ; 

(3) Est puni d’un emprisonnement d’un (01) à trois (03) ans et d’une amende de 1.000.000 (un million) à 5.000.000 (cinq millions) FCFA ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque procède ou fait procéder, même par négligence au traitement des données à caractère personnel en violation des formalités préalables à leur mise en œuvre. 

(4) Est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans et d’une amende de 1.000.000 (un million) à 5.000.000 (cinq millions) F CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, le fait de collecter par des moyens illicites, des données nominatives d’une personne en vue de porter atteinte à son intimité et à sa considération. ».

Ce qu’il y a de tristement paradoxal dans l’histoire d’Eva est le fait que Lily est notoirement reconnue comme étant une farouche défenderesse des droits des femmes sur les réseaux sociaux. Notre jeune comptable est d’ailleurs elle-même une fervente abonnée de ses pages qu’elle suit religieusement. Eva est loin d’imaginer que sa réputation a été détruite par son idole, un serpent aux parures de sainte.

Notre histoire se serait arrêtée là si nos protagonistes évoluaient dans un univers dépourvu d’avocats et d’Hommes de loi. Peut-être que dans une future fiction juridique, nous imaginerons ensemble, un univers dystopique dans lequel la justice n’existe pas, mais dans la présente histoire, Nous sommes présents.

Eva ignore certes tout du droit, mais Eva a des ami(e)s, des promotionnaires, des connaissances qui Nous connaissent. Nous, les avocats. J’utilise la première personne du pluriel car qu’il s’agisse de votre humble serviteur ou d’un de ses confrères d’ici ou d’ailleurs, cela ne fait pas vraiment de différence. Nous avons la même mission.

Nous, héritiers du clergé du droit, porteurs de la toge et du parchemin comme jadis les prêtres leurs ornements sacrés, Nous tenons debout comme des sentinelles dans les dédales labyrinthiques de la justice. Depuis des siècles, notre lignée s’est imprégnée du savoir ancien, des codes gravés dans la pierre des lois et des préceptes énoncés par les sages de l’Antiquité. Nous sommes les gardiens des temples de la loi, les défenseurs des faibles et des opprimés, les redresseurs de torts dans un monde où la justice se perd parfois dans les méandres de l’obscurité.

Dans notre quête infatigable de vérité et de justice, Nous affrontons les démons de l’humanité, tels que Sam et Lily, avec une détermination inébranlable. Comme les prêtres anciens, ou comme les chevaliers médiévaux défendant leur château, Nous brandissons nos plaidoiries comme des épées flamboyantes, prêts à combattre pour la cause des opprimés. Et dans chaque bataille juridique, Nous puisons dans l’héritage de nos ancêtres, invoquant les esprits des grands juristes du passé pour Nous guider dans notre quête de justice.

Car Nous savons que notre mission va bien au-delà de la simple résolution des litiges. Nous sommes les artisans de la société, les bâtisseurs de ponts entre le passé et l’avenir, entre l’ordre et le chaos. Et dans chaque dossier que Nous prenons en charge, Nous nous engageons à défendre les valeurs fondamentales de l’humanité : la liberté, la dignité et l’égalité devant la loi.

Ainsi, dans la lignée des grands avocats qui nous ont précédés, Nous poursuivons notre noble mission avec humilité et dévouement, conscients de l’importance cruciale de notre rôle dans la préservation de l’ordre et de la justice dans notre société. Et que Sam et Lily le sachent bien : face à Nous, les gardiens du temple de la loi, leur règne de terreur et d’impunité touche à sa fin.