Au nom du peuple Camerounais
— L’an deux mille quatorze ;
— Et le vingt-deux du mois d’octobre ;
—La Chambre Administrative de la Cour Suprême siégeant en sections réunies au Palais de justice à Yaoundé, dans la salle des audiences de la Cour composée de
—Monsieur Clément ATANGANA, Président de la chambre Administrative,………..Président ;
—Mme Suzanne MENGUE, Présidente de la Section du Contentieux des Contrats Administratifs ;
—MM Moise EBONGUE, Président de la Section du Contentieux de l’annulation et des questions diverses ;
–Christophe YOSSA, Président de la Section du Contentieux Fiscal et Financier ;
-Mme Julienne NOUMBISSIE épouse AYISSI NGONO, Conseiller à la Chambre Administrative, substituant Monsieur Moïse Flaubert TCHEPTANG, Président de la Section du Contentieux de la Fonction Publique ;
—Membres ;
— En présence de Monsieur Georges MBENGUE, Avocat Général près de la Cour Suprême, occupant le banc du Ministre Public ;
—Avec l’assistance de maitre Flavienne NOAH AM-BASSA, Greffier
— A rendu en audience publique, conformément à la loi, l’arrêt dont la teneur suit:
ENTRE
— Etat du Cameroun (MINMIDT) représenté par Madame OLOMO BELINGA née BESSOMO Thérèse Dieudonné et Monsieur MALAH, demandeur au pourvoi comparants;
—D’UNE PART
—Et,
—La Société SELECT ROCK, ayant pour conseils Maitres ONGOLO FOE et AYISSI Zénon, avocats BP. 5550 Yaoundé, défenderesse ;
— D’AUTRE PART
— Statuant sur le pourvoi formé par le Ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique (MINMIDT) contre l’ordonnance de sursis à exécution n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/2014 rendue le 08 Avril 2014 par le Président du tribunal administratif de Yaoundé, dans la cause opposant ledit Ministère à la Société SELECT ROCK ;
Chambre Administrative de la Cour Suprême
— Vu la loi n°2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême;
— Vu la loi n° 2006/022 du 29 Décembre 2009 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs;
— Vu les décrets n° 2006/465 du 20 Décembre 2006, 2010/218 du 08 Juillet 2010 et 2012/193 du 18 Avril 2012 portant nomination de Magistrats au siège de la Cour Suprême;
— Vu les ordonnances n° 734 Du 15 Septembre 2010 et n° 368 du 19 juillet 2012 de Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême portant répartition des Conseillers dans les Chambres Judiciaire et Administrative de la Cour Suprême ;
— Vu les ordonnances n° 735 du 15 Septembre 2010 et n° 370 du 19 Juillet 2012 de Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême portant désignation des Présidents de Section à la Cour Suprême ;
— Vu les mémoires déposés au Greffe de la Chambre Administrative de la Cour Suprême ;
—Vu les conclusions en date du 20 Octobre 2014 de Monsieur RISSOUK à MOULONG Martin, Procureur Général près de la Cour Suprême ;
— Après avoir entendu en la lecture du rapport, Madame MENGUE Suzanne, Président de la Section du Contentieux des Contrats Administratifs ;
— Oui l’Etat du Cameroun représenté à l’audience par Madame OLOMO BELINGA née BESSOMO Thérèse Dieudonné ;
— OUI la Société SELECT ROCK représentée par son conseil, Maitre ONGOLO FOE ;
— OUI le Ministère Public en ses conclusions ;
— Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
— Attendu qu’aux termes de l’article 119(2) de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs :
« En attendant la mise en place des juridictions prévues par la présente loi, la Chambre Administrative de la Cour Suprême exerce provisoirement leurs attributions. A cet effet, les sections de ladite chambre statuant par jugement, en premier ressort et à charge d’appel ou de pourvoi devant les sections réunies ».
— Attendu en l’espèce que par déclaration faite le 20 avril 2014 au greffe du tribunal Administratif du Centre, l’Etat du Cameroun représenté par le Ministère des Mines, de l’Industrie et de Développement Technologique (MINMIDT), s’est pourvu en cassation contre l’ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/2014 rendue le 08 Avril 2014 par le président du tribunal administratif de Yaoundé dans la cause opposant ledit Ministère à la société SELECT ROCK ;
— Attendu que le 08 Mai 2014, I’Etat du Cameroun a déposé au Greffe de la Chambre Administrative de la Cour Suprême un mémoire à l’appui de son pourvoi soulevant un moyen unique de cassation pris de la violation de la loi, violation de l’article 30 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs;
— Attendu que ledit mémoire est présenté ainsi qu’il suit :
«A Monsieur le président de la Chambre Administrative de la Cour Suprême ;
«Le Ministre,
«Vu la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs ;
Vu l’ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/2014 accordant le sursis à exécuter datée du 08 avril 2014 ;
Vu la correspondance n° 646/A/G/TA/YDE du greffier en chef du Tribunal Administratif du Centre relative à la notification de l’ordonnance n° 07/OSE/ AB/PTA/YDE/2014 et reçue au Ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique le 09 avril 2014 sous le n° 005430/2014 ;
«Vu la décision n° 003256/MINMIDT/SG/DAJ/NNP du 30 avril 2014 portant désignation de Madame OLOMO BELINGA et Monsieur MALA NOAH Moise coreprésentants de l’Etat en justice dans l’affaire SELECT ROCK S.A contre Etat du Cameroun (MINMIDT);
«A le respectueux honneur de former pourvoi contre l’ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/2014 accordant le sursis à exécution dans le cadre de l’affaire visée en objet;
-
Les faits et procédures
« Attendu que le 20 juin 2003, la société SELECT ROCK S.A a introduit auprès de l’ex Ministre de l’Eau et de l’Energie, une demande de permis d’exploitation d’une carrière de pierre au lieu-dit Nkom-Ndamba dans l’arrondissement d’Obala ;
« Que par Arrêté n° 000048/MINMEE/SG/DMG/ DMG/SDAMIC du 24 octobre 2003, l’autorité saisie a fait droit à cette demande ;
« Que de novembre 2003 à mai 2004, soit 07 mois, la société SELECT ROCK S.A a véritablement exploité son titre minier ;
« Que huit(08) années plus tard, le promoteur a introduit en date du 03 octobre 2012, une demande de renouvellement du permis d’exploitation commerciale de carrière auprès du Ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique ;
«Que par arrêté n° 005144/A/MINMIDT/SG/DMG/ SDM du 19 octobre 2012, le Ministre a accordé le renouvellement après avoir versé dans le dossier une nouvelle pièce à savoir le certificat d’étude d’impact environnemental et social exigé par la loin° 96/12 du 05 août 1996 portant loi cadre relative à la gestion de l’environnement ;
«Que par arrêté n° 001109/MINMIDT/SG/DM/ SDM du 16 mai 2013, les travaux d’exploitation de la carrière de Nkom-Ndamba ont été supprimés aux motifs que le périmètre de sécurité n’a pas été respecté et que par conséquent la mise en fonctionnement de ladite carrière constitue un danger permanent pour les riverains ;
« Que par Arrêté n° 003839/MINIDT/SG/DM/DAJ du 06 août 2013, le MINMIDT abroge l’arrêté du 19 octobre 2012 portant renouvellement du permis d’exploitation commerciale de la carrière de pierre de Nkom-Ndamba et que par lettre n° 000160/MINMIDT/SG/ DAJ/CR du 23 janvier 2014, il a invité le Directeur Général de SELECT ROCKS à déposer un nouveau dossier pour une nouvelle attribution au lieu du renouvellement;
« Qu’après un recours gracieux préalable sans succès, la société SELECT ROCK S.A a saisi le tribunal administratif du Centre aux fins d’annulation et de sursis à exécution de l’arrêté mis en cause ;
« Que par ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/ 2014, le sursis à exécution fût accordé à la société SELECT ROCK S.A aux motifs que le principe de sécurité et de stabilité juridique exige que le retrait d’un acte individuel créateur de droits ne puisse intervenir que dans les délais de recours en excès de pouvoir qui est de trois mois et de soixante jours à compter de son émission ;
« Que l’abrogation est intervenue près de dix mois après I’ arrêté de renouvellement, c’est-à-dire, après le délai sus indiqué ;
II – Les moyens
« Mais attendu que la section 5 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs relative au sursis à exécution dispose en son article 30 alinéa 2 que : si l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision n’intéresse ni l’ordre public, ni la tranquillité publique, le président du tribunal administratif peut ordonner le sursis à exécution ;
« Que dans les moyens de l’ordonnance de sursis à exécution, le juge n’a pas pu démontrer en quoi l’arrêté d’abrogation du Ministre des Mines, de l’Industrie et du développement Technologique, cause un préjudice irréparable à la société SELECT ROCK S.A ;
« Que par conséquent, les conditions d’octroi du sursis à exécution ne sont pas réunis ;
« Que du fait que la situation de la carrière est à proximité des maisons d’habitation constitue un danger permanent pour les populations riveraines en ce sens que les tirs explosifs peuvent entrainer une déflagration des pierres susceptibles d’engendrer les morts d’hommes en dehors des dégâts matériels importants ;
« Que de ce fait, l’arrêté d’abrogation pris par le Ministre vise à préserver les vies humaines et par conséquent, est relatif à la sécurité et à la tranquillité publique ; le respect du périmètre de sécurité entre une carrière et les habitations étant une prescription légale et impérative, y trouve sa justification ;
« Que de ce qui précède, le juge administratif a violé la loi ;
Par ces motifs,
« Constater que les conditions d’octroi du sursis à exécution ne sont pas réunies ;
« Constater la violation de l’article 30 de la loi n° 2006/ 022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs ;
«Casser l’ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/ 2014 ;
Sous toutes réserves
«Le Représentant de l’Etat» ;
-Attendu que Maitres ONGOLO FOE et AYISSI Zénon, Avocats agissant au nom et pour le compte de la société SELECT ROCK S.A ont déposé en date du 11 juin 2014 un mémoire en réponse enregistré sous le n° 60 et qui se lit comme il suit ;
«Plaise à la Cour,
«Disant contester l’ordonnance de sursis n° 07/OSE/ CAB/PTA/YDE rendue le 08 avril 2014 par Monsieur le Président du tribunal administratif de Yaoundé, le Ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique (MINMIDT) a formé pourvoi contre elle ;
«Au soutien de son recours, il expose que l’ordonnance attaquée a été rendue en violation des dispositions de l’article 30 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 en ce que : « le juge n’a pas pu démontrer en quoi l’arrêté d’abrogation du Ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique cause un préjudice irréparable à la société SELECT ROCK S.A ;… du fait que la situation de la carrière est à proximité des maisons d’habitation constitue un danger permanent pour les populations riveraines en ce sens que les tirs explosifs peuvent entrainer une déflagration des pierres susceptible d’engendrer des morts d’hommes en dehors des dégâts matériels importants» ;
Sur les faits
«Par arrêté n° 000046/MINMEE du 24 octobre 2003, le permis d’exploitation commerciale de la carrière de pierre de Nkom-Ndamba lui a été attribué ;
« Ce permis a été renouvelé après respect et accomplissement de toutes les formalités prescrites par la loi suivant arrêté n° 005144/MINMIDT du 19 octobre 2012 ;
« Contre toute attente, par correspondance n°001109 du Ministre des Mines datée du 16 mai 2013 portant en objet : « suspension des travaux dans votre carrière de Nkom-Ndamba», cette autorité dans ce qui semble être sa conclusion, confirme « l’arrêt définitif de toute activité d’exploitation sur ce site » ;
« Le motif avancé de cette mesure étant « les rapports des différentes missions d’experts de (son) département ministériel sur le site devant abriter la carrière, lesquels « montrent une grande proximité de celle-ci avec les maisons d’habitation » ;
« Contestant une telle présentation de la situation sur le terrain, la société SELECT ROCK a saisi le Ministre des Mines d’un recours gracieux enregistré dans ses services le 19 juillet 2013 ;
« Devant la preuve irréfutable par elle rapportée du caractère grossièrement erroné de cette motivation, le MINMIDT y a renoncé et est revenu à la charge par l’arrêté n° 003839/MINMIDT/SG/DM/DAJ du 06 aout 2013 non motivé ;
Sur le droit
«L’exécution de l’arrêté n° 003839/MINMIDT/SG/ DM/DAJ du 06 août 2013 est de nature à causer un préjudice irréparable. Ledit arrêté n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité et encore moins la tranquillité publique ;
«A ce jour, les investissements réalisés par la SELECT ROCK sur le site de la carrière en termes d’acquisition des terres, de viabilisation, de terrassement, d’ouverture des voies d’accès, d’acquisition du matériel d’exploitation et autres engins lourds et notamment une station de concassage de nouvelle génération pouvant produire 350 tonnes de granulats l’heure s’élèvent à plus de cinq milliards de nos francs comme l’atteste le procès-verbal du ministère de Maitre ONANA Virginie Solange, Huissier de justice à Obala daté du 17 juillet 2013 en annexe ;
«La SELECT ROCK emploie à ce jour une trentaine de personnel dont une dizaine d’ingénieurs camerounais et étrangers affectés à l’implantation de la carrière. Les estimations sont de 250 employés dès la phase de lancement de la carrière ;
«Bloquer un tel projet à ce stade d’avancement des travaux d’implantation aurait des conséquences irréparables tant pour ses promoteurs que pour l’économie du pays ;
«C’est vainement que l’on recherche en quoi la suspension des effets de l’arrêté n° 003839/MINMIDT/SG/ DM/DAJ du 06 aout 2013 intéresse l’ordre public, la sécurité ou la tranquillité publique. En effet, le bâtiment le plus proche du front de tir et destiné à abriter les bureaux de la SELECT ROCK se situe à plus de 700 m à vol d’oiseau ;
«Pour conforter davantage cette assertion, il y’a lieu de rappeler que le Ministre des Mines a abandonné le motif de « la proximité des habitations » pour justifier sa décision ;
«Or, seule l’effectivité de la réalité de ce motif aurait pu constituer une menace à l’ordre public, à la sécurité ou à la tranquillité publique ;
« Surabondamment, suivant la jurisprudence de l’arrêt Etablissements GORTZOUNIAN, CS/CA, jugement n° 42/96-97 du 05 décembre 1996:«(…) l’acte attaqué étant un acte administratif générateur de droits, son annulation ne pouvant alors intervenir que dans le délai de recours contentieux, en l’occurrence deux mois à compter de son intervention;
« L’arrêté n° 005144 portant renouvellement du permis d’exploitation étant daté du 19 octobre 2012, son annulation ou« son abrogation » intervenue le 06 aout 2013 (soit 09 mois 13 jours plus tard) suivant arrêté n°003839/ MINMIDT est illégale;
« C’est donc à bon droit que le premier juge a sainement rendu l’ordonnance déférée ;
« Par ces motifs et tous autres à ajouter ou à suppléer d’office :
« Constater que la suspension des effets dudit arrêté ne concerne ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique ;
« Prendre acte de l’inanité des arguments développés par le MINMIDT ;
« En conséquence, rejeter son pourvoi comme non fondé ;
« Mettre les dépens de la décision à intervenir à la charge du MINMIDT ;
Sous toutes réserves ;
Sur la recevabilité du pourvoi
—Attendu que le pourvoi est recevable comme fait dans les délais et forme de la loi ;
Au fond
— Attendu que selon l’article 30 alinéa 1,2 et 3 de la loi n°2006/022du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs :
« (1) Le recours gracieux contre un acte administratif n’en suspend pas l’exécution ;
« (2) Toutefois, si l’exécution est de nature à causer un préjudice irréparable et que la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, le Président du Tribunal administratif peut, après communication à la partie adverse et conclusions du Ministère Public, ordonner le sursis à exécution;
« (3) Il est statué sur la demande de sursis à exécution par ordonnance »;
— Attendu qu’il en résulte d’une part que le juge administratif ne peut ordonner le sursis à l’exécution de la décision administrative que si celle-ci, tout en n’intéressant ni l’ordre public, ni la sécurité ou la tranquillité publique, est de nature à causer un préjudice irréparable;
—Attendu qu’il en résulte d’autre part que le juge du sursis à exécution ne peut prendre qu’une mesure conservatoire, sans préjudicier au principal;
— Attendu en l’espèce que l’ordonnance dont pourvoi indique en son 5c rôle : « considérant que l’arrêté attaqué a été édicté le 06 août 2013 pour abroger et donc retirer celui du 19 octobre 2012, soit près de dix mois plus tard;…Qu’au regard des vices affectant aussi bien la mesure que la procédure de retrait, il y’a lieu de surseoir à l’exécution de l’arrêté attaqué, son exécution entrainant pour le bénéficiaire du permis un préjudice économique incommensurable…»;
— Attendu qu’il ressort de ces indications que le juge du sursis s’est fondé sur le« préjudice incommensurable» résultant notamment du vice de forme entachant l’acte administratif querellé, ce qui est différent du préjudice irréparable prévu par le législateur;
— Attendu en effet que la loi instituant le sursis à exécution vise à tempérer l’effet dévastateur des prérogatives de puissance publique révélées par l’exécution immédiate des décisions administratives, et le refus ou l’octroi de la mesure juridictionnelle susvisée, qui relève au demeurant du pouvoir discrétionnaire du juge unique, ne s’opère que de façon objective, en fonction de la seule nature de la cause juridique soumise et non point subjectivement;
—Attendu que, en droit administratif, l’appréciation du « préjudice irréparable » suppose au préalable la clarification de ce couple conceptuel articulé par la combinaison des vocables «préjudice » et «irréparable »;
— Attendu qu’il y’a d’une part, préjudice dès l’instant où une personne, physique ou morale de droit public ou privé, porte atteinte à une prérogative individuelle ou collective contrairement aux prescriptions textuelle ou jurisprudentielle ;
— Attendu que le tort, d’autre part, revêt un caractère irréparable lorsque l’activité juridique ou matérielle de la partie en cause occasionne à autrui des dégâts multiformes que ne saurait pleinement résorber l’action compensatrice ultérieure, la situation demeurant, en fin de compte, irréversible ou irrémédiable quelle que soit la réparation effectuée, cette dernière n’étant guère en mesure d’effacer l’ensemble des séquelles matérielles et psychologiques du dommage subi ;
— Qu’ainsi, en se fondant sur le préjudice incommensurable, notion teintée de subjectivité pour ordonner la suspension de l’exécution de l’acte administratif, le juge du sursis ne s’est pas conformé aux prescriptions de l’article 30 susvisée ;
— Attendu en outre que, la même ordonnance affirme: « considérant par ailleurs que ni l’arrêté critiqué, ni la réponse au recours gracieux n’indiquent les pièces qui n’auraient pas été produites par la société SELECT ROCK lors de l’instruction de la demande de renouvellement ; qu’il pourrait s’agir d’un défaut de motivation préjudiciable au maintien de l’arrêté ordonnant l’abrogation…” ;
— Attendu que par ces termes qui laissent entrevoir la décision au fond de l’affaire, le juge du sursis s’est livré à un pré-jugement contraire aux prescriptions de l’article 30 susvisé ;
— Qu’il s’ensuit que le moyen est fondé et que l’ordonnance attaquée encourt la cassation ;
Sur l’évocation
— Attendu qu’aux termes de l’article 104 alinéa 4 de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la cour suprême : « en cas de cassation, la Chambre Administrative dispose d’un pouvoir d’évocation lorsque l’affaire est en état d’être jugée au fond »;
— Attendu que tel est le cas en l’espèce ;
— Attendu que comme rappelé plus haut, la société SE-LECT ROCK a obtenu le permis d’exploitation commerciale de la carrière de pierre de Nkom-Ndamba suivant arrêté n° 000046/MIŃMEE/SG/DMG/SDAMIC/ SCR/SM du 24 octobre 2003 ;
— Attendu que ledit permis a été renouvelé par l’arrêté n° 005144/MINMIDT du 19 octobre 2012 abrogé par celui n° 003839/MINMIDT/SG/DM/DAJ du 06 août 2013 ;
— Attendu qu’à la suite de la requête de ladite société enregistrée au greffe du tribunal administratif du Centre le 19 mars 2014 sous le n° 732, l’exécution a été suspendue par l’ordonnance n° 07/OSE/CAB/PTA/YDE/ 2014 du 08 avril 2014 dont pourvoi ;
—Attendu qu’en raison de la nature commerciale de l’exploitation entreprise par la société SELECT ROCK sur le site litigieux, le préjudice qui pourrait résulter de l’exécution de l’acte administratif contesté n’est point irréparable, la recourante pouvant prétendre à une juste compensation financière en cas d’issue heureuse du recours au fond par l’Etat du Cameroun qui n’est pas insolvable ;
—Attendu qu’au surplus, il ressort de la correspondance n°001109/MINMIDT/SG/DM/SDAM du 16 mai 2013 du chef du département ministériel en cause intervenue avant l’arrêté d’abrogation que « les rapports des différentes missions d’experts…sur le site devant abriter…» la « carrière de Nkom-Ndamba, montrent une grande proximité de celle-ci avec les maisons d’habitation…le périmètre de sécurité n’ayant pas été respecté, la mise en fonction de ladite carrière constituera une menace et un danger permanent pour les riverains…» ;
— Qu’il en résulte que la décision querellée intéresse bien la sécurité et la tranquillité publiques ;
— Attendu que les conditions du reste cumulatives de l’article 30 de la loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs n’étant pas ainsi réunies, la requête n’est pas fondée ;
— Qu’il convient de la rejeter ;
Par ces motifs
— Statuant publiquement, contradictoirement, en matière administrative, en sections réunies, à l’unanimité des membres et en dernier ressort;
Décide
Article 1er : Le pourvoi est recevable en la forme ;
Article 2: Au fond, il est justifié. Par conséquent, l’ordonnance de sursis à exécution attaquée est annulée ;
Sur évocation
Article 3 : La demande de sursis à exécution introduite par la société SELECT ROCK n’est pas justifiée. Par conséquent, elle est rejetée ;
Article 4 : La société SELECT ROCK est condamnée aux dépens ;
— Ainsi jugé et prononcé par la Chambre Administrative de la Cour Suprême en son audience publique des Sections réunies du mercredi vingt-deux octobre deux mille quatorze, en la salle des audiences de la Cour, où siégeaient;
—Monsieur Clément ATANGANA, Président de la chambre administrative de la cours suprême….PRESIDENT;
—Madame Suzanne MENGUE, Président de la Section du Contentieux des Contrats administratifs;
—Messieurs Moise EBONGUE, Président de la Section du Contentieux de l’annulation et des questions diverses;
—-Christophe YOSSA, Président de la Section du Contentieux fiscal et financier;
—Madame Julienne NOUMBISSIE épouse AYISSI NGONO, Conseiller à la Chambre Administrative, substituant Monsieur Moise Flaubert TCHEPTANG, Président de la Section du Contentieux de la fonction publique;
-En présence de Monsieur Georges MBENGUE, Avocat Général près de la Cour Suprême, occupant le banc du Ministre Public;
—Et avec l’assistance de Maitre Flavienne NOAH AMBASSA, Greffier;
—En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président, les Membres et le Greffier;