La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de I’ Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), troisième chambre, a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 07 juillet 2016 où étaient présents:

Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente

Messieurs Victoriano IBIANG ABOGO, Juge

-Idrissa YAYE, Juge

-Birika Jean Claude BONZI, Juge

-Fodé KANTE, Juge

Maitre Jean Bosco MONBLE, Greffier

Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans dans l’affaire United Bank of Africa dite UBA contre société GRASSFIELD HOLDING Limited, GBL C2, et Maître Désiré KANGAH, Notaire, par Arrêt n° 182/13 du 04 avril 2013 de la Cour suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi formé le 16 mars 2010 par maitres Théodore HOEGAH & Michel ETTE, Avocats Associés, dont le cabinet est sis à Abidjan, Plateau, Rue A 7,Pierre Smar, Villa NA 2, 01 BP 4053 Abidjan 01, la SCPA BILE-AKA BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour, dont le cabinet est sis à Abidjan Cocody, 7 Boulevard Latrille, 25 BP 945 Abidjan 25 et la SCPA AHOUSSOU,KONAN & Associés, Avocats à la Cour, dont le Cabinet est sis Abidjan Plateau, Boulevard Angoulvant, Résidence Neuilly, 1« étage aile gauche,01 BP 1366 Abidjan 01 agissant au nom et pour lè compte de la Banque United Bank of Africa dite UBA, siège social sis à Abidjan-Plateau, Boulevard Botreau Roussel,17 BP 808 Abidjan 17,représentée par Monsieur LIBY Guillaume, son Directeur Général dans la cause qui l’oppose à la société GRASSFIELDS HOLDING Limited, GBL C2 dont le siège social est sis C/O Ocra, level 2 Max city building Remy Olivier Street Port Louis Mauritius, (Ile Maurice), représentée par Monsieur Etienne TIAKO, son Administrateur unique, ayant pour conseil Maître Minta Daouda TRAORE, Avocat à la Cour, demeurant au Plateau, Immeuble Les Harmonies, bâtiment M1B,1 étage, 30 BP 713 Abidjan 30, et Maître Désiré KAN-GAH, Notaire à Abidjan, demeurant au Plateau, Avenue Lamblin, Immeuble MATCA, 1c étage, porte 62 Cidex 01 BP 442 Abidjan ayant pour conseils la SCPA IM-BOUA-KOUAO-TELLA & Associés, Avocats à la Cour demeurant à Abidjan-Cocody, Ambassade rue bya, villa économie, BP 670 Cidex 03 Abidjan,

En cassation de l’arrêt n° 22/10 rendu le 22 janvier 2010 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

« Par ces motifs

Statuant sur le siège, publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;

Déclare la société UBA recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé n° 2110 rendue le 30 septembre 2009 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan ;

L’y dit partiellement fondée ;

Réforme l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau

Fixe l’astreinte à la somme de 1.000.000 francs par jour à compter de la signification de l’arrêt ;

Confirme l’ordonnance entreprise pour le surplus ;

Condamne la société UBA aux dépens »

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à sa requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur Fodé KANTE, Juge ;

Vu les dispositions des articles 13,14 ct 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la société GRASSFIELDS HOLDING LTD, dans ses relations d’affaires avec la société INLIFE HOLDING S.A, a bénéficié d’une lettre de garantie par laquelle la banque UNITED BANK OF AFRICA dite UBA-CI ou UBA, s’est engagée à lui payer toute somme dont lui serait redevable ladite société, et ce, à première demande par écrit, dans la limite de 800.000.000 francs CFA, sous la condition de la réception par elle d’une lettre de Maitre KANGAH Désiré, notaire à Abidjan, 

confirmant le dépôt des originaux des pièces convenues entre les parties ; que suivant courrier en date du 22 septembre 2009,la société GRASSFIELDS HOLDING Limited a demandé à UBA-CI la mise en œuvre de la garantie bancaire ; que par courrier en date du 28 septembre 2009, la société UBA-CI a répondu à GRASSFIELDS HÓLDING que les conditions de mise en œuvre de la garantie bancaire n’étaient pas réunies faute de rédaction par la notaire de ladite lettre, condition préalable du paiement ; que par la suite, la société GRASS-FIELDS HOLDING, estimant avoir satisfait à l’obligation mise à sa charge de remettre les documents originaux audit notaire, a assigné l’UBA CI et Maitre KANGAH Désiré devant le Juge des référés du Tribunal de première Instance d’Abidjan-Plateau en paiement du montant de la garantie ; que faisant droit à cette demande, le juge des référés a par ordonnance n° 2110 rendue le 30 septembre 2009, sur le siège, condamné l’UBA CI à payer à la société GRASSFIELDS HOLDING Limited, la somme de 800.000.000 FCFA et sous astreinte de 5.000.000 FCFA par jour de retard à compter du prononcé de la décision ; que cette ordonnance a été signifiée le 02 octobre 2009 à l’UBA-CI qui a relevé appel à son encontre, suivant acte d’appel en date du 06 octobre 2009; que par arrêt n° 22 rendu le 22 janvier 2010, la Cour d’appel d’Abidjan a confirmé l’ordonnance querellée en ce qu’elle a condamné l’UBA au paiement de la somme de 800.000.000 FCFA et mis hors de cause Maître KANGAH Désiré, et l’a réformé en fixant l’astreinte à 1.000.000.FCFA par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt ; que par exploit en date du 16 mars 2010, l’UBA-CI ayant initié un pourvoi en cassation contre l’Arrêt précité devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire, celle-ci, par arrêt n° 182/13 en date du 04 avril 2013, s’est dessaisie du dossier de la procédure au profit de la cour de céans ;

Sur la recevabilité du pourvoi

Attendu que dans son mémoire en réplique reçu au greffe de la Cour de céans le 16 septembre 2013, la société GRASSFIELDS HOLDING Limited, défenderesse au pourvoi, soulève in limine litis, l’irrecevabilité du pourvoi en cassation de la banque UBA tirée d’une part, de la péremption de l’instance en cassation en ce que ledit pourvoi a été formé depuis le 16 mars 2010 devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire sans qu’aucun acte de procédure ait été fait pendant plus de trois ans, conformément à l’article 111 du code de procédure civile de Côte d’Ivoire, la Cour de céans pouvant, selon elle, constater cette péremption compte tenu de ce que le dossier de la Cour suprême de Côte d’Ivoire lui a été transmis dans son entièreté, et, d’autre part, de la violation de l’article 28 du Règlement de procédure de la Cour de céans en ce que le pourvoi ne serait pas conforme à cet article ;

Mais attendu, d’une part, il est établi suivant pièces versées au dossier de la procédure, contrairement aux allégations de la société GRASSFIÉLDS HOLDING Limited, que suite au pourvoi formé le 16 mars 2010 contre l’arrêt attaqué devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire, non seulement Maître KANGAH Désiré, autre défendeur au pourvoi, a conclu le 08 juillet 2010 par l’organe de la SCPA IMBOUA-KOUAO-TELLE & Associés, Maitre YAPO Eugène et KOFFI Francis, mais aussi, Monsieur le Président de la chambre judicaire de cette Cour a par ordonnance de distribution rendue le 17 novembre 2010, désigné Monsieur SIOBLO DOUAI en qualité de conseiller rapporteur, tout comme Monsieur le Procureur général près ladite Cour qui a pris ses conclusions le 08 février 2013 ; qu’il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité tirée de la péremption de l’instance en cassation n’est pas fondée et doit être rejetée ; que d’autre part, le pourvoi initial ayant été fait devant la Cour suprême de Côte d’Ivoire, l’article 28 du Règlement de procédure de la Cour de céans ne peut être évoqué pour la validité dudit pourvoi régi par les dispositions du droit national ivoirien ; qu’il échet dès lors de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société GRASSFIELDS HOLDING Limited et de déclarer le pourvoi recevable en la forme ;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 13 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt querellé d’avoir violé les dispositions de l’article 13 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage du Traité OHADA, motif pris de ce que pour rejeter le moyen tiré de l’incompétence du juge des référés, en raison de l’existence d’une clause compromissoire, la Cour d’appel s’est fondée sur la motivation suivante : « or considérant que la société UBA ne justifie pas en l’espèce que la société INLIFE HOLDING et la société GRASSFIELDS HOLDING ont donné leur accord pour la saisine exclusive d’un Tribunal arbitral en cas de litige quant à l’interprétation et à l’exécution du protocole d’accord ; que cette clause viole manifestement le caractère contradictoire de la clause compromissoire et ne peut dès lors être opposable à la société GRASSFIELDS HOLDING ; » alors, selon le moyen, qu’il résulte des documents sur la base desquels a été émise la garantie bancaire en cause, que la société INLIFE HOLDING a donné son accord pour la stipulation de la clause compromissoire insérée dans ladite garantie bancaire, d’une part, et d’autre part, s’agissant de la société GRASSFIELDS HOLDING, qu’il est rappelé que la garantie bancaire en l’espèce, en application des dispositions de l’article 1103 du code civil, est un contrat unilatéral qui produit ses effets à l’égard de la personne envers laquelle l’autre partie s’est engagée (le bénéficiaire), du seul fait de l’acceptation de celle-ci, la recourant ayant précisé à cet effet, que cet accord du bénéficiaire peut être exprès ou tacite ; que l’accord tacite résultera par exemple, du fait pour le bénéficiaire de se prévaloir du contrat unilatéral conclu en sa faveur, qu’elle invoque au soutien de sa demande soumise au juge des référés, GRASSFIELDS HOLDING LIMITED a ainsi exprimé son acceptation de ladite convention de garantie et partant, de ses clauses, dont la clause d’arbitrage ;

Attendu qu’aux termes de l’article 13 alinéa 4 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage : « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu’à la demande d’une partie, une juridiction, en cas d’urgence reconnue et motivé ou lorsque la mesure devra s’exécuter dans un Etat non partie à l’OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n’impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel le tribunal arbitral est compétent » ;

Qu’il en résulte que le juge des référés ne saurait, en présence d’une convention d’arbitrage, ordonner que des mesures provisoires ou conservatoires sans préjudicier au fond; qu’en espèce, pour rejeter le moyen tiré de l’incompétence du juge des référés en raison de l’existence d’une clause compromissoire, la Cour d’appel a retenu que : « la société UBA ne justifie pas que la société Inlife Holding et la société Grassfields Holding ont donné leur accord pour la saisine exclusive d’un Tribunal arbitral en cas de litige quant à l’interprétation et à l’exécution du protocole d’accord », et en déduire que « cette clause viole manifestement le caractère contradictoire de la clause compromissoire qui dès lors, ne saurait être opposable à la société Grassfields Holding » ; que du reste, la mesure ordonnée par les juges du fond en référé est une mesure de fond ne présentant aucun caractère provisoire ou conservatoire et ne pouvait être soutenu par l’article 13 in fine du Traité précité ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a méconnu les dispositions dudit article et sa décision encourt cassation ; qu’il échet en conséquence, de casser l’arrêt attaqué sans qu’il soit utile de statuer sur les autres moyens, et d’évoquer;

Sur l’évocation

Attendu que par exploit en date du 06 octobre 2009, comportant ajournement du 16 octobre 2009, la banque dénommée UNITED BANK OF AFRICA dite UBA a relevé appel de l’ordonnance n° 2110 rendue le 30 septembre 2009 par la juridiction des référés du Tribunal de première Instance d’Abidjan qui a mis hors de cause Maitre KANGAH Désiré et a ordonné à ladite banque de payer à la société GRASS FIELDS HOLDING Limited la somme de 800.000.000 FCFA sous astreinte comminatoire de 5.000.000 Francs par jour de retard à compter du prononcé de la décision ;

Qu’au soutien de son appel, l’UBA allègue qu’elle n’a pas pu comparaitre devant la juridiction des référés parce que l’assignation lui a été servie le 30 septembre 2009 à 8 heures 36 minutes alors que l’audience devait se tenir le même jour à 8 heures 30 minutes ; qu’elle n’a donc pu préparer sa défense pour être devant le Juge qui, selon elle, aurait observé une célérité inhabituelle en vidant son délibéré sur le siège ; qu’au demeurant, elle soulève, in limine litis, l’incompétence du Juge des référés du fait de l’existence d’une clause compromissoire dans la Convention de garantie, et soutient que même si cette clause compromissoire était affectée d’une invalidité ou d’inopposabilité à l’une des parties, c’est au Tribunal arbitral de statuer aussi bien sur sa propre compétence, que sur les questions relatives à l’existence ou à la validité de ladite convention d’arbitrage, conformément à l’article 11 de I’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ; qu’en outre, elle précise que c’est bien la société INLIFE, donneur d’ordre qui a désigné Maître Désiré KANGAH, comme Notaire, qui n’aurait eu aucun rapport direct avec elle en tant que Banque ; qu’ainsi, il ne serait pas exact d’affirmer comme l’a fait le juge des référés,« que le défaut de rédaction de la lettre due au bénéficiaire par le Notaire est imputable à la banque qui a omis de notifier sa mission au Notaire » ; qu’à titre subsidiaire, l’appelante soulève l’exception de nullité tirée de la violation du principe de compétence d’attribution exclusive du Président du Tribunal (article 32 alinéa 3 du code de procédure civile), en ce que l’intérêt en cause excédant largement la somme de 100.000.000 FCFA, ne peut être connue en référé que par le Président du Tribunal, ainsi que celle tirée de la violation de l’article 106 du code pour défaut de communication du dossier au Ministère Public; qu’elle soulève aussi l’irrégularité de l’assignation à comparaitre comme ayant été servie à 8 heures 36 minutes alors que l’audience démarrait à 8 heures 30 minutes du même jour, ainsi que celle affectant l’engagement de la banque UBA en ce que la lettre de garantie litigieuse ne comporte ni la dénomination de lettre de garantie ni la convention de base ce, en violation de l’article 30 de I’Acte uniforme portant organisation des sûretés ;

Attendu que la société GRASSFIELD HOLDING Limited, intimée, soutient quant à elle, que c’est à bon droit que le premier Juge ne s’est pas déclaré incompétent, étant donné que l’incompétence des juridictions étatiques en présence d’une convention d’arbitrage est relative de sorte qu’elle ne saurait valoir que lorsque l’une des parties litigantes l’invoque, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce devant le Juge des référés et qu’en plus, cette clause compromissoire a été insérée dans une lettre de garantie unilatéralement émise par le garant ce qui, selon elle, fait que ladite clause est manifestement nulle, et en conséquence, inopposable à elle ; que s’agissant de l’incompétence ratione materiae de la juridiction des référés, l’intimée soutient que celle-ci n’aurait fait qu’ordonner, en tant que juridiction de l’urgence, à l’UBA-CI de remplir l’obligation irrévocable et inconditionnelle à laquelle elle s’était elle-même soumise à son égard ; que l’engagement de l’UBA-CI étant consigné dans un acte unilatéral, qu’il est logiquement indiscutable que ce soit elle qui fixe les conditions dans lesquelles elle accepte de se soumettre ; que c’est donc elle qui a désigné le Notaire pour accomplir une certaine mission ; que l’accord du Notaire n’ayant pas été obtenu avant sa nomination, il s’en déduit, selon toujours l’intimée, que la banque a malicieusement fixé une condition qu’elle savait difficile voire impossible à réaliser ;

Sur l’incompétence du juge des référés à connaître de la validité ou de l’inopposabilité de la clause compromissoire insérée dans la convention de garantie litigieuse

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus lors de l’examen du premier moyen de cassation articulé par la recourant, tiré de l’existence d’une clause compromissoire relativement à tout différend susceptible de naître entre les parties, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance n° 2110 rendue le 30 septembre 2009 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau et, statuant à nouveau, de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir;

Attendu que la société GRASSFIELDS HOLDING Limited ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens; 

Par ces motifs

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Déclare recevable le pourvoi en la forme ;

Au fond

Casse l’Arrêt n° 22/10 rendu le 22 janvier 2010 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant sur le fond

Infirme l’ordonnance n° 2110 rendue le 30 septembre 2009 par le Juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau ;

Se déclare incompétente ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir

Condamne la société GRASSFIELDS HOLDING Limited aux dépens.