ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 18 avril 2013
Pourvoi n° 047/2005/PC du 30/09/2005
Affaire : 1° Société HANN et Compagnie
2° El Hadj Boubacar HANN
(Conseils : Maîtres TOGBA ZOGBELEMOU,
Maurice LAMEY KAMANO et NIANGADOU Aliou,
Avocats à la Cour)
contre
Société Générale de Banque de Guinée dite SGBG
(Conseil : Maître Mounir Houssein MOHAMED, Avocat à la Cour)
ARRET N° 027/2013 du 18 avril 2013
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 18 avril 2013 où étaient présents :
Messieurs Abdoulaye Issoufi TOURE, Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge, rapporteur
Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Mamadou DEME, Juge
et Maître BADO Koessy Alfred, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au Greffe de la Cour de céans le 30 septembre 2005 sous le n°047/2005/PC et formé par Maîtres Togba ZOGBELEMOU et Maurice LAMEY KAMANO, Avocats au Barreau de Guinée, rue KA, quartier MANQUEPAS, commune de Kaloum, B.P. 473 Conakry et NIANGADOU Aliou, Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire, Immeuble Nabil 3ème étage, agissant au nom et pour le compte de la société HANN et Compagnie dont le Siège est situé à Cité Chemin de fer, Immeuble Kindia, Commune de Kaloum, BP .431 Conakry, aux poursuites et diligences de son Administrateur provisoire Monsieur Kanfore COUMBASSA et El Hadj Boubacar HANN, opérateur économique de nationalité guinéenne demeurant à Conakry (GUINEE) BP 431, dans la cause qui les oppose à la Société Générale de Banque en Guinée dite SGBG dont le siêge social est à Conakry, Commune de Kaloum, cité chemin de fer, immeuble Boffa, B.P: 1514 Conakry, ayant pour conseil Maître Mounir Houssein MOHAMED, Avocat au Barreau de Guinée agissant aux poursuites et diligences de son Administrateur Directeur Général Monsieur Daniel TERUIN, en cassation de l’Ordonnance de référé n°046/PP/CA/05 du 21 juillet 2005 et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé ; au principal, renvoyons les parties à se pourvoir comme elles aviseront, mais dès à présent, vu l’urgence,
En la forme : recevons la SGBG en son appel ;
Au fond : constatons que l’expertise sollicitée porte sur l’ensemble de la gestion de la SGBG ;
Infirmons en conséquence l’Ordonnance déféré n°081 du 31/12/2004 en application des dispositions des articles 159 et 160 de l’Acte uniforme portant droit des sociétés.
Déboutons l’appelant du surplus de ses demandes.
Disons que cette ordonnance est exécutoire sur minute et avant enregistrement ».
Contre cette ordonnance, les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la Société HANN & Cie et Monsieur El Hadj Boubacar HANN, actionnaires de la SGBG SA, ont saisi le Président du Tribunal de première instance de Conakry-I le 04 octobre 2004 aux fins d’ordonner une expertise de gestion ; que le Juge des référés, par Ordonnance n°081 du 31 décembre 2004, a ordonné l’expertise de gestion ; que la SGBG a interjeté appel de ladite ordonnance ; que le Président de la chambre économique de la Cour d’appel assurant l’intérim du premier président l’a infirmée, par Ordonnance de référé n°046/PP/CA du 05 juillet 2005, dont pourvoi ;
IN LIMINE LITIS
Sur la recevabilité du pourvoi de Monsieur El Hadj Boubacar HANN
Attendu que la SGBG soulève l’irrecevabilité du pourvoi formé par El Hadj Boubacar HANN pour violation de l’article 23.1 du Règlement de procédure, en ce que la requête en cassation ne produit pas le mandat spécial de El Hadj Boubacar HANN à ses avocats et de l’article 28.1 du Règlement de procédure aux motifs que l’indication de la boîte postale ne saurait suppléer l’exigence de celle du domicile ;
Mais attendu que le mandat donné par Monsieur El Hadj Boubacar HANN qui n’avait pas été produit à l’origine à l’appui de sa requête en cassation, a été joint par la suite à la réplique du 18 avril 2006, donnant ainsi à la Cour de céans les moyens d’apprécier la représentation régulière du requérant ; que dès lors, il n’est pas porté atteinte à la sécurité des situations juridiques; qu’aussi la ville de résidence et la boîte postale sont indiquées suppléant largement à la mention du domicile ; qu’il echet de dire que le pourvoi d’El Hadj Boubacar HANN est recevable.
Sur la recevabilité du pourvoi de la Société HANN et Compagnie
Attendu que la SGBG soulève l’irrecevabilité du pourvoi formé par la Société HANN et Compagnie pour violation de l’article 28.4 du Règlement de procédure, en ce que le mandat spécial donné aux avocats de la Société HANN & Compagnie n’a pas été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet ;
Attendu qu’aux termes de l’article 28.4 deuxième paragraphe du Règlement de procédure : « si le requérant est une personne morale de droit privé, il joint à sa requête :… -la preuve que le mandat donné à l’avocat a été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet » ;
Attendu que le Sieur Kanfory COUMBASSA a été nommé en qualité d’Administrateur provisoire de la Société HANN & Compagnie en vertu de l’Ordonnance de référé n° 27 en date du 30 août 2005 rendue par Monsieur le Président du Tribunal de première instance de Conakry-3 ;
Mais attendu que nulle trace de publication de la dite ordonnance n’existe et que de la fiche d’immatriculation il ressort que El Hadj Boubacar HANN demeure, le Directeur Général et que donc KANFORY COUMBASSA n’a pas qualité pour agir au nom et pour le compte de la société HANN & Cie ; qu’en conséquence le mandat spécial donné aux conseils étant nul le pourvoi formé pour le compte de la société est irrecevable ;
Sur le premier moyen pris en sa première branche tiré de l’incompétence du Premier président de la Cour d’appel
Attendu que le demandeur fait grief à l’ordonnance attaquée d’avoir violé les articles 22 et 26 de la loi n°L/95/021/CTRN du 06 juin 1995 portant organisation de la justice en République de Guinée, modifiée par la loi n°L/98/014/AN du 16 juin 1998, en ce que l’ordonnance dont pourvoi a été rendue sur appel d’une ordonnance et que dans telle situation, la décision de la cour doit être prise en formation collégiale ;
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 22 sus-cité, moyen de pur droit, que la loi n’a pas donné compétence au Premier président de la Cour d’appel pour connaître de l’appel des ordonnances de référé rendues par les juridictions de première instance ; qu’ainsi le Premier président de la Cour d’appel et partant son intérimaire le Président de la première chambre économique ne pouvait légalement connaître de la présente cause normalement dévolue à la formation collégiale de la Cour d’appel de Conakry ; qu’en décidant ainsi dans une cause qui ne lui était pas dévolue, le Président de la 1ère Chambre Economique de la Cour d’appel de Conakry a, manifestement, excédé sa compétence exposant son ordonnance à cassation sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit en date de 18 mai 2005, la société SGBG a assigné devant la Cour d’appel de Conakry la société HANN & Cie et El Hadj Boubacar HANN à l’effet d’obtenir l’annulation de l’Ordonnance de référé n°81 du 31 décembre 2004 rendue par le Président du Tribunal de Kaloum dont le dispositif est ainsi libellé :
« Déclarons la Société HANN & Cie et El Hadj Boubacar HANN recevables et bien fondés en leur demande d’expertise de gestion de certaines opérations de gestion de la SGBG-SA ;
Ordonnons l’expertise de gestion des opérations suivantes de la SGBG-SA :
- L’assistance technique de la Société Générale France ;
- Les frais généraux notamment les charges de personnel ;
- Les comptes de dépôts et des emprunts de la SGBG auprès d’autres Banques et institutions financières ainsi que les charges sur opérations de trésorerie et opérations interbancaires ;
- Les comptes de crédit à la clientèle (valeurs non imputées, créances immobilisées, douteuses et litigieuses) et les créances irrécouvrables ;
- Les comptes créditeurs de la clientèle (passif) les comptes d’épargne à régime spécial (passif) et les charges sur opération avec la clientèle et autres charges d’exploitation bancaire ;
Commettons pour y procéder :
1°) Monsieur A. Stéphane KOUANDOU Expert Comptable, Médiateur Judiciaire agréé du Cabinet Jurist Conseil Sarl, Cabinet d’Audit et d’Expertise Judiciaire ;
2°) El Hadj Mamadou Oury DIALLO, Expert Comptable, Commissaire aux Comptes du Cabinet Oury, qui auront pour mission de :
- contrôler et vérifier les comptes et opérations ci-dessus identifiés pour les exercices 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003 ;
- dégager, en termes de révision des états financiers les conséquences de ces constatations sur les bilans et résultat d’exploitation, ainsi qu’il a été relevé à l’actif du bilan de l’exercice 2000 avec la différence de solde de 1,502 milliard de GNF ;
- analyser le coût de l’impact financier afférent aux statuts, conventions et baux conclus entre les actionnaires d’une part, la SGBG, ses actionnaires et les tiers d’autre part ;
- leur impartit un délai de deux (02) mois pour le dépôt de leur rapport entre les mains de la Société HANN et Compagnie et Monsieur El Hadj HANN et aux organes de gestion, de Direction ou d’Administration de la SGBG, délai qui commencera à courir à partir de la date à laquelle ils auront connaissance de leur mission ;
- disons que les honoraires des experts seront supportés par la SGBG SA ;
- Rejetons comme mal fondée la demande reconventionnelle en paiement de 50.000.000 FG présentée par SGBG ;
- Disons que cette ordonnance est exécutoire sur minute et mettons les frais à la charges de la SGBG » ;
Attendu que pour faire prospérer sa demande, la SGBG soutient par l’entremise de son conseil, que l’ordonnance déférée n’était pas motivée ; qu’en effet, l’expertise ne peut, aux termes de l’Acte uniforme relatif au droit des société commerciales et groupements d’intérêt économique, porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion et non de l’ensemble de la gestion d’une société comme le requièrent la société HANN & Cie et El hadj Boubacar HANN ; que ces derniers sollicitent une expertise portant sur une période de 5 ans sur l’assistance technique, les frais généraux, les comptes de dépôts et les emprunts, les crédits à la clientèle… sur l’intégralité du fonctionnement de la SGBG sans déterminer des incriminations précises ; que s’agissant de la demande d’expertise des comptes de crédit à la clientèle, la société HANN & Cie a oublié que la SGBG procède à la classification des créances en raison de leur nature et qu’en réalité il suffit de se reporter au rapport annuel du conseil d’Administration pour savoir comment les crédits sont ventilé ; qu’ils concluent au débouté après l’annulation de l’ordonnance querellée ;
Attendu que la Société HANN & Cie et El hadj Boubacar HANN ont exposé que l’alinéa 2 de l’article 119 du code de procédure civile économique et administrative prévoit : « qu’aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée d’office par le juge pour inobservation de ces dispositions, si elle n’a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement… » ; qu’au demeurant, contrairement aux prétentions de la SGBG, l’expertise sollicitée n’a pas un caractère général, mais elle concerne des opérations précises qui sont d’ailleurs conformes à l’esprit et même à la lettre des articles 159 et 160 de l’Acte uniforme relatif au droit des société commerciales et groupements d’intérêt économique qui prévoient en substance qu’un ou plusieurs associés représentant au moins le 1/5 du capital social peuvent, soit individuellement ou collectivement solliciter du chef d’une juridiction une expertise de gestion ; qu’en l’espèce, il est incontesté que les demandeurs d’expertise disposent de plus de 33% du capital social de la SGBG que c’est à bon droit que l’ordonnance déféré a été rendue et qu’il échet de la confirmer ;
Attendu qu’aux termes respectifs des articles 159 et 160 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique de l’OHADA, « un ou plusieurs associés représentant au moins le cinquième du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander au Président de la Juridiction compétente du siège social, la désignation d’un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion » et « s’il est fait droit à la demande, le juge détermine l’étendue de la mission et les pouvoirs des experts … » ;
Attendu qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier notamment des écritures de la société HANN & Cie et du Monsieur El hadj Boubacar HANN et de l’ordonnance déférée que l’expertise sollicitée et ordonnée porte sur l’ensemble des activités de la Société SGBG accomplies pendant au moins 5 ans et se rapportant à la fois sur l’assistance technique, les frais généraux, les comptes de dépôts et les emprunts et les crédits à la clientèle, allant au-delà de simple opération de gestion ; que le nombre d’opérations assignées aux experts, la nature vague de certaines d’entre elles et la période qu’elle doit couvrir laissent sans objet toutes les assemblées générales réalisées dans cette période, ainsi que l’utilité du commissaire aux comptes ce qui est contraire aux dispositions des articles 159 et 160 de l’Acte uniforme relatif au droit des société commerciales et groupements d’intérêt économique ; qu’il y a lieu d’infirmer l’ordonnance de référé n°81 du 31 décembre 2004, rendue par le Président du Tribunal de Kaloum ;
Sur les dommages-intérêts
Attendu que la SGBG demande, sans motiver, des dommages-intérêts d’un montant de 50.000.000 FG ; qu’elle ne rapporte aucune preuve de préjudice résultant de la faute des défendeurs en l’instance ; qu’il convient dès lors de l’en débouter ;
Attendu qu’El Hadj Boubacar HANN et la société HANN & Cie, ayant succombé il y a lieu de les condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après avoir délibéré,
Déclare irrecevable la Société HANN & Cie en son pourvoi ;
Reçoit le pourvoi formé par El Hadj Boubacar HANN ;
Casse l’Ordonnance de référé n°046/PP/CA/05 du 21 juillet 2005 du Président de la première chambre économique de la Cour d’appel de Conakry ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Reçoit la SGBG en son appel ;
L’y dit fondée ;
Infirme l’Ordonnance n°081 rendue le 31 décembre 2004 par le Président du Tribunal de première instance de Conakry-1 Kaloum ;
Statuant à nouveau, déboute El Hadj Boubacar HANN et la société HANN & Cie de leur requête en expertise de gestion ;
Déboute la SGBG en sa demande de dommages-interêts ;
Condamne El Hadj Boubacar HANN et la société HANN & Cie aux entiers dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an ci-dessus, ont signé :
Le Président
Le Greffier