ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Troisième chambre
Audience Publique du 27 octobre 2016
Pourvoi : n° 091/2013/PC du 16/07/2013
Affaire : Réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit du Mali (Nyèsigiso)
(Conseil : Maître Abdoul Karim KONE, avocat à la cour)
contre
Pharmacie Espace-santé (Ibrastou)
Moustapha SIDIBE
(Conseils : Maître Aliou BOUBACAR, avocat à la cour)
ARRET N° 153/2016 du 27 octobre 2016
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 27 octobre 2016 où étaient présents :
Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente
Messieurs Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Idrissa YAYE, Juge, rapporteur
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Fodé KANTE, Juge
et Maître Alfred Koessy BADO, Greffier ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 16 juillet 2013 sous le n°091/2013/PC et formé par maître Abdoul Karim KONE, avocat associé du cabinet Berthé-Koné, dont l’étude est sise à Bamako, Hamdallaye ACI 2000, BP 8025, rue 286, porte 1718, agissant au nom et pour le compte du Réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit du Mali (Nyèsigio) ayant son siège social à Ségou Hamdallaye, en face de la mosquée du vendredi et sa direction générale à Bamako, Dravela Bolibana, avenue Cheick Zayed, rue 346, porte 416, représenté par monsieur Modibo COULIBALY, son directeur général, dans la cause l’opposant à la pharmacie Espace-santé (Ibrastou), sise à Bamako, Faladiè village CAN, près des 1008 logements sociaux, représentée par son gérant Moustapha SIDIBE, et à ce dernier, domicilié à Magnambougou-Projet, rue 259, porte 541, Bamako, ayant pour conseil maître Aliou BOUBACAR, avocat à la cour, Bamako, Magnambougou-Projet, rue 398, immeuble Moussa Ben MAIGA, 2è étage, 2è porte, près de la radio Guintan, face à la station SMC, BP E 5150, en cassation de l’arrêt n° 49 rendu le 12 décembre 2012 par la cour d’appel de Bamao et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale en dernier ressort ;
En La Forme : Reçoit les appels
Au Fond : Ordonne la jonction des deux procédures
Infirme les jugements entrepris ;
Statuant à nouveau : Reçoit l’Opposition de la Pharmacie Espace Santé « Ibrastou » représentée par Moustapha SIDIBE ; y faisant droit condamne le Réseau des caisses d’Epargne et de crédit « Nyèsigiso » à lui payer la somme de 22.394.613 FCFA (vingt-deux millions cent quatre-vingt-quatorze mille six cent treize francs)
Déboute la caisse d’Epargne et de crédit Nyèsigiso de ses prétentions.
Met les dépens à sa charge » ;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi le moyen de cassation articulé en deux branches tel qu’il figure à sa requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Idrissa YAYE, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, suivant ordonnances d’injonction de payer n°s 251/10 et 252/10 du 20 juillet 2010, il a été enjoint à monsieur Moustapha SIDIBE et à la pharmacie Espace-santé (Ibrastou) de payer respectivement au réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit du Mali (Nyèsigiso) les sommes de 9 784 369 FCFA et 4 016 664 FCFA ; que sur opposition de Moustapha SIDIBE et de Ibrastou, le tribunal de commerce de Bamako a, par jugements n° 53/JGT et 54/JGT du 19 janvier 2011, annulé lesdites ordonnances ; que sur appel de Nyèsigiso, la cour d’appel de Bamako a, après avoir ordonné la jonction des deux procédures, reçu lesdites oppositions et a rendu l’arrêt infirmatif dont pourvoi en cassation ;
Sur le moyen unique
Vu les articles 4, 62, 98 et 309 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et les articles 1 et 10 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu que le requérant fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, d’une part, violé les articles 4, 62, 98 et 309 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique en ayant opéré une confusion des créances et dettes de deux personnes juridiques distinctes par le biais d’une jonction juridiquement inappropriée de procédures ; que, d’autre part, le requérant reproche à l’arrêt critiqué la violation des articles 1 et 10 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce qu’il a retenu, que : « Considérant que sur le fond, il résulte des pièces versées au dossier, notamment de la copie du livret d’épargne et des copies des reçus de versements et de retraits un trop perçu par Nyèsigiso de la somme de 22.394.613FCFA ; qu’il echet de condamner au paiement de ladite somme à Espace Santé Ibrastou », alors que selon le moyen, la créance revendiquée par les défendeurs, à la différence de celles dont il poursuit le recouvrement, ne présentait pas les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité exigés par l’article 1 de l’Acte uniforme précité ; qu’il lui reproche enfin, d’avoir déclaré recevable l’opposition des défendeurs en violation des termes de l’article 10 de l’Acte uniforme précité et d’être resté silencieux sur le vice invoqué ;
Attendu que la cour d’appel de Bamako qui, après avoir justement retenu : « que le fait pour un juge de dire qu’il manque de temps pour apprécier une cause constitue un défaut de motivation », n’a pas motivé son propre arrêt sur l’exception d’irrecevabilité de l’une des oppositions pourtant soulevée devant elle ; qu’enfin, il résulte des mentions de l’arrêt critiqué que : « Moustapha SIDIBE ne peut être distingué de la Pharmacie Espace Santé : « Ibrastou » que les deux constituent la même et unique partie dans les deux instances ; … », alors même qu’il résulte des pièces versées au dossier que la pharmacie Ibrastou, étant une SARL, ne peut être confondue avec la personne de son gérant, également, personnellement concernée par l’une des procédures d’injonction de payer ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel expose son arrêt à la censure de la Cour de céans ; qu’il échet dès lors de casser l’arrêt querellé et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que suivant actes n°2 et 3 du 5 janvier 2012 et n°7 et 8 en date du 19 janvier 2012, maître Aliou ABOUBACAR, avocat à la cour, agissant pour le compte de la pharmacie Ibrastou et Bénoît KEITA, chef du contentieux de Nyèsigiso agissant pour le compte du Réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit du Mali (Nyèsigio), déclarent interjeter appel contre les jugements n° 53 et 54 rendus le 19 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Bamako dans deux instances en opposition à injonction de payer ayant annulé les ordonnances d’injonction de payer n° 251/10 et 252/10 et renvoyé Nyèsigiso à mieux se pourvoir ;
Qu’au soutien de son appel, Nyèsigiso sollicite, d’une part, l’annulation du jugement entrepris, motif pris de ce que le premier juge a retenu que : « le tribunal ne dispose ni le temps, ni l’expertise nécessaire pour procéder à une étude détaillée des différentes pièces versées par l’opposant et en conséquence les montants payés. », privant ainsi, selon le moyen, leur décision de motivation juridique nécessaire ; que d’autre part, Nyèsigiso s’oppose à la demande de jonction de procédure sollicitée par Ibrastou, motifs pris de ce qu’il s’agit de créance distincte et qu’aucune confusion n’est possible Ibrastou et Moustapha SIDIBE ayant deux personnalités juridiques distinctes et soutient l’irrégularité de l’opposition formée contre l’ordonnance d’injonction de payer n° 252 du 20 juillet 2010 faite le 06 juillet 2010, soit avant que ladite ordonnance ne soit rendue ; qu’il s’oppose enfin, à la désignation d’un expert, estimant que sa créance, matérialisée par le reliquat d’un bon de paiement, le montant d’un dépôt en compte et le document attestant le remboursement par lui de quatre échéances de prêt du débiteur, et sollicite dès lors qu’il soit fait droit à son ordonnance d’injonction de payer n°251 du 20 juillet 2010 ; qu’il conclut au rejet de l’opposition formée et de la demande reconventionnelle de Moustapha SIDIBE comme mal fondées ;
Attendu qu’en réplique, Ibrastou soutient s’être intégralement libéré et produit aux débats une véritable documentation faisant ressortir tous les mouvements sur ses comptes dans les livres de Nyèsigiso ; que de la juxtaposition des versements et des retraits, il en ressort un trop perçu en sa faveur d’un montant de 22.394.613 FCFA dont elle demande le paiement ; qu’elle soutient que l’irrégularité de l’acte d’opposition invoquée par Nyèsigiso n’est qu’une erreur matérielle n’ayant aucune incidence sur le contenu de l’acte, en ce que au lieu du 06 août, l’huissier a écrit le 06 juillet ; qu’elle sollicite la jonction des procédures et demande, à titre reconventionnelle sur la base des pièces pertinentes produites, que soit constater qu’un écart se dégage en sa faveur et sollicite la condamnation de Nyèsigiso à lui payer la somme de 22.394.6163 FCFA ; qu’à défaut, elle sollicite la désignation d’un expert-comptable à l’effet de faire le point entre les parties ;
Sur la recevabilité des appels
Attendu que les appels faits au nom des parties au procès doivent être déclarés recevables pour avoir été faits dans les termes et délais légaux par personnes ayant pouvoir ou reçu pouvoir pour ce faire ;
Sur la jonction de procédures
Attendu que maître Aliou ABOUBACAR sollicite la jonction des deux procédures en application de l’article 371 du CPCCS ;
Attendu qu’en réplique Nyèsigiso s’oppose à cette jonction jugée inopportune et impossible juridiquement, motifs pris de ce que les deux procédures sont distinctes et que l’une d’elle est frappée d’irrecevabilité ; que les deux procédures sont relatives à des créances distinctes ;
Attendu qu’il y a lieu, conformément à l’article 371 sus invoqué et eu égard au lien étroit de connexité de ces deux procédures, établi par la confusion apparente des différentes créances, pour une bonne administration de la justice, d’ordonner la jonction de ces procédures pour être statué par une seule et même décision ;
Sur la recevabilité des oppositions
Attendu que Nyèsigiso sollicite l’irrecevabilité de l’opposition formée contre l’ordonnance d’injonction de payer n° 252 du 20 juillet 2010 faite le 06 juillet, soit avant que ladite ordonnance ne soit rendue ;
Attendu qu’en réplique Ibrastou soutient qu’il s’agit d’une simple erreur matérielle manifeste n’ayant aucune incidence sur le contenu de l’acte qui conserve toute sa valeur juridique ;
Mais attendu qu’il résulte des pièces versées au dossier que les ordonnances dont opposition ont été signées le même jour, à savoir le 20 juillet 2010 ; qu’elles ont fait l’objet d’opposition ; que lesdites oppositions ont été déclarées recevables et le premier juge a annulé lesdites ordonnances par les jugements querellés n°53 et n°54 du 19 janvier 2011 ; ce qui laisse entendre que la date du 06 juillet ne pouvait être qu’une erreur manifeste et que lesdites oppositions ont été manifestement faites à la même date ; que du reste, il n’est pas logiquement concevable qu’une opposition soit faite le 06 juillet 2010 contre une ordonnance rendue le 20 juillet 2010 ; qu’il y a lieu de considérer dès lors que les deux oppositions ont été faites le 06 août et les déclarer recevables ;
Sur le fond
Attendu que Nyèsigiso sollicite l’infirmation du jugement entrepris pour avoir retenu que : « …le tribunal ne dispose ni le temps, ni l’expertise nécessaire pour procéder à une étude détaillée des différentes pièces versées par l’opposant et en conséquence les montants payés… » ; que par cette motivation, les premiers juges ont fait une entorse à la loi ; que sa créance matérialisée par un contrat de prêt en date du 05 novembre 2007 avec des clauses et des conditions bien précises relatives aux intérêts et aux pénalités, n’a point fait l’objet de contestation ; qu’il conclut à l’infirmation du jugement querellé, au rejet de l’opposition formée comme mal fondée et au rejet de la demande reconventionnelle formulée par Ibrastou ;
Attendu qu’en réplique Ibrastou soutient la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a annulé l’ordonnance d’injonction de payer, motifs pris de ce qu’elle a fait la preuve de s’être intégralement libérée ; qu’elle verse une documentation faisant ressortir tous les mouvements sur ses comptes dans les livres de Nyèsigiso ; qu’il résulte de la juxtaposition des versements et des retraits un trop perçu en leur faveur d’un montant de 22.394.613 FCFA dont elle demande à titre reconventionnel le paiement ; qu’à défaut, elle sollicite la désignation d’un expert-comptable agréé à l’effet de faire le point entre les parties ;
Attendu que pour rétracter les ordonnances dont opposition, les premiers juges ont, dans les deux jugements n° 53 et 54 de la même date, attaqués, rédigés en des termes identiques, affirmés : « Que le sieur SIDIBE a produit à la procédure une pile de pièces pour justifier le règlement de la créance ; que le tribunal ne dispose ni le temps, ni l’expertise nécessaire pour procéder à une étude détaillée des différentes pièces versées par l’opposant et en conséquence les montants payés ; que seule une expertise comptable ne pouvant être ordonnée dans une procédure d’injonction de payer peut donner les renseignements nécessaires ; que la certitude de la créance est donc en cause ; » ; qu’une telle motivation, légère et insuffisante, doit être sanctionnée par l’infirmation des jugements querellés ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer. » ;
Attendu, en l’espèce, que le Réseau des Caisses d’Epargne et de Crédit du Mali (Nyèsigio) avait produit à l’appui de ses requêtes aux fins d’injonction de payer, copies d’un contrat de prêt d’un montant de 5 millions, d’une cédule de remboursement et d’une synthèse des comptes de dépôts n°8222 et n°52 ; qu’en réplique et à l’appui de sa demande reconventionnelle, la défenderesse avait produit différentes copies de reçus de versements et de retraits ; qu’ainsi, il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier que lesdits comptes de dépôts n° 8222 et n°52 aient été clôturés et un solde dégagé au bénéfice ou au préjudice de l’une des parties au procès ; que seule la clôture desdits comptes est susceptible de faire apparaitre au profit de l’une ou l’autre de ces personnes un solde créditeur ayant les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité exigée par l’article 1er précité ; que tel n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu de dire que c’est à tort que la procédure spéciale d’injonction de payer a été initiée ; qu’il échet dès lors de dire qu’il n’y a pas lieu à injonction de payer ; qu’il y a lieu également et pour les mêmes motifs de rejeter la demande reconventionnelle de Ibrastou et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
Attendu que toutes les parties ayant ainsi succombé, il y a lieu de faire masse des dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’arrêt n° 49 rendu le 12 décembre 2012 par la cour d’appel de Bamako ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Déclare recevables les appels ;
Ordonne la jonction des deux procédures ;
Déclare recevables les oppositions ;
Infirme les jugements n° 53 et 54 rendu le 19 janvier 2011 par le tribunal de commerce de Bamako ;
Dit n’y avoir lieu à injonction de payer ;
Rejette la demande reconventionnelle de Ibrastou et Moustapha SIDIBE ;
Fait masse des dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
La Présidente
Le Greffier