ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Première chambre
Audience publique du 12 novembre 2009
Pourvoi : n°042/2008/PC du 28 mai 2008
Affaire : Union Internationale de Banques en Guinée (UIBG)
(Conseils : Cabinet Alpha Bakar BARRY, Avocats à la Cour)
contre
Etablissements Alpha Oumar BARRY
ARRET N° 047 /2009 du 12 novembre 2009
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 12 novembre 2009 où étaient présents :
Messieurs Jacques M’BOSSO, Président
Maïnassara MAIDAGI, Juge, rapporteur
Biquezil NAMBAK, Juge
et Maître ASSIEHUE Acka Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 28 mai 2008 sous le n°042/2008/PC et formé par le Cabinet Alpha Bakar BARRY, Avocats à la Cour, par l’entremise de Maître Amadou Lélouma DIALLO, collaborateur audit Cabinet, agissant au nom et pour le compte de l’Union Internationale de Banques en Guinée (UIBG), sise au 5ème Boulevard angle Commune de Kaloum, BP 324 Conakry, représentée par Messieurs Guillaume PERDON et Abdoul DIALLO, respectivement Directeur général et Directeur général adjoint, dans une cause l’opposant aux Etablissements Alpha Oumar BARRY, sis au quartier Taouyah, Commune de Ratoma, représentés par Monsieur Alpha Oumar BARRY, Directeur général, domicilié au quartier Nongo, Commune de Ratoma-Conakry,
1°) en annulation de l’Arrêt n°29 rendu le 04 avril 2008 par la Cour Suprême de Guinée et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile :
En la forme : Déclare le pourvoi formé contre l’arrêt n°16 du 30 janvier 2007 sans objet ;
Par contre, déclare le pourvoi formé contre l’arrêt n°310 du 03 octobre 2006 recevable.
Au fond : Casse et annule l’arrêt n°310 du 3 octobre 2006,
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’appel de Conakry autrement composée ;
Ordonne la restitution de la caution de 30.000 F G aux demandeurs.
Met les frais et dépens à la charge de la défenderesse.
Dit que le présent arrêt sera publié au bulletin de la Cour Suprême ;
Ordonne sa transcription dans les registres à ce destinés. » ;
2°) en annulation de l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS du 26 juillet 2007 de Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême de Guinée et dont le dispositif est le suivant :
« 1)- Ordonne le sursis de l’exécution des Arrêts n°0310 du 3 octobre 2006 et n°16 du 30 janvier 2007 de la Première Chambre Economique de la Cour d’appel de Conakry ;
2)- Dit que les garanties proposées à savoir, la somme de 16.800 US dollars et 700.000 GNF retenue par l’UIBG et le Certificat d’usage foncier n°9778/DPUH/2007 de la Direction Préfectorale de DUBREKA relatif aux parcelles 21 à 26 du lot 10 d’une Contenance de 2975 m2 du plan Cadastral de KINDIADY, sont acceptées et devront être conservées en l’état sans possibilité d’aliénation pendant la durée de la garantie.
3)- Dit que la présente Ordonnance sera portée à la connaissance du Conservateur de la propriété foncière. » ;
La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens d’annulation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage de l’OHADA ;
Attendu que bien que le recours en annulation ait été signifié à la partie défenderesse, les Etablissements Alpha Oumar BARRY, par lettre n°151/2008/G2 du 29 mai 2008 du Greffier en chef de la Cour, reçue le 06 juin 2008 au Cabinet de leur conseil Maître DIALLO Thierno Amadou Oury, Avocat à la Cour, ladite partie défenderesse n’a pas déposé de mémoire dans le délai de trois mois qui lui a été imparti ; que le principe du contradictoire ayant été respecté, il y a lieu d’examiner le recours ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que les Etablissements Alpha Oumar BARRY, spécialisés dans l’importation de la viande en Guinée, étaient en relation d’affaires avec l’Union Internationale de Banques en Guinée (UIBG) ; que pour le règlement de leurs opérations d’importation avec l’un de leurs fournisseurs, la société de droit hollandais KUHNE & HEITZ, les deux parties avaient élaboré le processus suivant :
- L’UIGB, en tant que banque dépositaire et domiciliataire des avoirs des Etablissements Alpha Oumar BARRY, reçoit de la Société Générale d’Amsterdam pour le compte du fournisseur KUHNE & HEITZ, les orignaux des documents à charge pour l’UIGB de les remettre aux Etablissements Alpha Oumar BARRY contre soit leur acceptation avalisée, soit leur acceptation pure et simple ;
- Dans le cas de l’acceptation pure et simple, les Etablissements Alpha Oumar BARRY sont tenus de procéder à la vente des marchandises au port de Conakry avant de verser à l’UIGB une partie du produit de la vente afin de procéder au paiement du fournisseur conformément aux instructions de la Société Générale d’Amsterdam ;
Que le 25 juin 2005, l’UIGB constatait que les Etablissements Alpha Oumar BARRY n’avaient pas respecté leurs engagements qui consistaient à la remise des documents reçus entre le mois d’octobre 2003 et celui d’octobre 2004 ; qu’en effet, durant cette période, lesdits Etablissements s’étaient fait livrer des marchandises qu’ils avaient revendues sans pour autant procéder au reversement des produits de vente, tel que convenu par leur accord ; que l’UIGB, en sa qualité de banque dépositaire avait, sous la pression de la Société Générale d’Amsterdam, payé la somme de 167.678 euros en lieu et place des Etablissements Alpha Oumar BARRY ; qu’en contrepartie, elle avait procédé à une rétention sur les comptes desdits Etablissements des soldes créditeurs portant sur des provisions de 16.000 USD et 700.000 francs guinéens ; que les Etablissements Alpha Oumar BARRY avaient saisi le juge des référés à l’effet d’obtenir la libération de leur compte bancaire qu’ils estiment être arbitrairement bloqués par l’UIGB ; que celles-ci soulevant l’incompétence du juge de référés, ce dernier avait renvoyé, par Ordonnance n°23 du 07 mars 2006, les parties et la cause devant la juridiction du Tribunal de première instance de KALOUM lequel, par Jugement n°020 du 04 mai 2006, avait déclaré régulière la rétention faite sur la provision des comptes des Etablissements Alpha Oumar BARRY et faisant droit à la demande reconventionnelle de la banque UIGB, avait condamné lesdits Etablissements à lui payer les sommes de 167.678 euros en principal et de 5.000.000 de francs guinéens à titre de dommages-intérêts ; que sur appel des Etablissements Alpha Oumar BARRY, la Cour d’appel de Conakry, par Arrêt n°310 du 03 octobre 2006 avait confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouté l’UIGB du surplus de ses demandes ; que les Etablissements Alpha Oumar BARRY, saisissant à nouveau la Cour d’appel de Conakry, par requête aux fins de rétractation de l’Arrêt n°310 du 03 octobre 2006, ladite Cour déclarait lesdits Etablissements irrecevables en leur requête civile suivant Arrêt n°16 du 30 janvier 2007 ; que sur pourvoi en cassation contre les Arrêts n°310 du 03 octobre 2006 et n°16 du 30 janvier 2007 exercé par les Etablissements Alpha Oumar BARRY, la Cour Suprême de Guinée, malgré l’exception d’incompétence soulevée par la banque UIGB, avait cassé et annulé l’Arrêt n°310 du 03 octobre 2006 par Arrêt n°29 du 04 avril 2008 ; que parallèlement, le Premier Président de la Cour Suprême avait, à la requête des Etablissements Alpha Oumar BARRY, ordonné le sursis à l’exécution des Arrêts n°310 du 03 octobre 2006 et n°16 du 30 janvier 2007 par l’Ordonnance n°07/045/ORD/PPCS du 26 juillet 2007 ; que c’est contre l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 et l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS du 26 juillet 2007 que l’UIGB exerce le présent recours en annulation ;
Sur l’annulation de l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS du 26 juillet 2007
Vu les articles 14 alinéas 3 et 4 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique et 49 alinéa 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu que l’Union Internationale de Banques en Guinée (UIGB) demande à la Cour de céans d’annuler l’Ordonnance de sursis à exécution n°07/045/ORD/PP/CS rendue le 26 juillet 2007 par la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Guinée sur le fondement de l’article 18 du Traité institutif de l’OHADA au motif que ladite ordonnance viole l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution duquel il ressort que tout litige relatif à une mesure d’exécution forcée ou à une difficulté d’exécution, quelle que soit l’origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, relève de la compétence du Président de la juridiction statuant en matière d’urgence et en premier ressort et non celle du pouvoir présidentiel de la juridiction nationale de cassation ; qu’une jurisprudence constante de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage fait prévaloir cette disposition légale sur les ordonnances présidentielles rendues par les juridictions nationales de cassation portant sur le contentieux de l’exécution des décisions de justice ; qu’on en veut pour preuve le dossier DRABO BIYA et six autres contre Madame TOURE MAGBE (pourvoi n°040/2004/PC du 14 avril 2004 objet de l’Arrêt n°030 du 02 juin 2004) ;
Attendu qu’aux termes des articles 14 alinéas 3 et 4 du Traité et 49 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisés, « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévues au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux » et « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui. » ;
Attendu, en l’espèce, que l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS du 26 juillet 2007 du Premier Président de la Cour Suprême de Guinée a été rendue sur requête aux fins de sursis à exécution en application de l’article 78 de la loi organique n°91/08/CTRN du 23 décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême de Guinée ; que cette procédure de sursis à exécution est ouverte en cas de pourvoi en cassation contre une décision donnée et obéit à des règles de procédures spécifiques ; que l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance ne soulève aucune question relative à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au Traité institutif de l’OHADA ; qu’en effet, contrairement à ce que prétend la demanderesse au pourvoi, l’article 49 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisé n’est pas applicable en l’espèce, la procédure de sursis à exécution introduite le 15 juin 2007 et qui a abouti à l’ordonnance attaquée n’ayant pas eu pour effet de suspendre une exécution forcée déjà engagée-la signification-commandement de payer en date du 24 avril 2007 ne pouvant être considérée, en l’espèce, comme un acte d’exécution- mais plutôt d’empêcher qu’une telle exécution puisse être entreprise ; qu’il s’ensuit que la Cour de céans doit se déclarer incompétente pour statuer sur le recours en annulation de l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS du 26 juillet 2007 ;
Sur l’annulation de l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 de la Cour Suprême
Vu l’article 18 du Traité institutif de l’OHADA ;
Attendu que l’UIGB sollicite l’annulation de l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 de la Cour Suprême de Guinée pour violation des articles 2, 14 alinéa 1et 15 du Traité institutif de l’OHADA ; que selon la requérante, il résulte des dispositions desdits articles qu’aucune juridiction nationale de cassation de l’espace OHADA ne peut statuer sur un contentieux relevant expressément de la compétence exclusive de la CCJA ; qu’en l’espèce la Cour Suprême de Guinée devait se déclarer incompétente et renvoyer la cause devant la CCJA en application de l’article 15 du Traité précité ; que la Cour Suprême de Guinée ayant violé les articles 2, 14 alinéa 1 et 15 du Traité, il y a lieu, par application de l’article 18 du Traité, de retenir et d’arrêter que ladite Cour Suprême s’est déclarée compétente à tort à statuer sur la présente cause et déclarer nul et non avenu l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 de cette juridiction nationale ;
Attendu qu’aux termes de l’article 18 du Traité susvisé, « toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause.
Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue. » ;
Attendu, en l’espèce, qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, bien que l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 n’ait pas fait état de l’exception d’incompétence soulevée par l’UIGB, cette dernière avait, par mémoire en défense en date du 16 août 2007, reçu le 17 avril au greffe de la Cour Suprême et enregistrée sous le n°565, soulevé l’incompétence de la Cour Suprême de Guinée à connaitre du pourvoi exercé devant elle par les Etablissements Alpha Oumar BARRY ; que l’affaire sur laquelle le Juge des Référés, le Tribunal de première instance de KALOUM et la Cour d’appel de Conakry se sont prononcés respectivement par Ordonnance n°23 du 07 mars 2006, Jugement n°020 du 04 mai 2006 et Arrêts n°310 du 03 octobre 2006 et n°16 du 30 janvier 2007, est relative à une rétention exercée sur la provision des comptes des Etablissements Alpha Oumar BARRY ; que cette procédure est régie, en République de Guinée, par l’Acte uniforme portant organisation des suretés depuis le 21 novembre 2000, date d’entrée en vigueur dudit Acte uniforme, la Guinée ayant adhéré au Traité institutif de l’OHADA le 05 mai 2000 et déposé l’instrument d’adhésion le 22 septembre 2000 ; qu’ainsi la procédure relative à la rétention exercée sur la provision des comptes étant engagée le 19 janvier 2006 par exploit d’huissier devant le juge des référés du Tribunal de première instance de Conakry, elle relève désormais, en cassation, de la compétence de la Cour de céans par application de l’article 14 alinéa 3 du Traité institutif de l’OHADA ; que la Cour Suprême de Guinée s’étant par conséquent déclarée compétente à tort pour connaître du pourvoi en cassation exercé par les Etablissements Alpha Oumar BARRY contre les Arrêts n°310 du 03 octobre 2006 et n°16 du 30 janvier 2007 de la Cour d’appel de Conakry, sa décision est réputée nulle et non avenue en application des dispositions susénoncées de l’article 18 du Traité précité ;
Attendu que les Etablissements Alpha Oumar BARRY ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Se déclare incompétente pour statuer sur la demande d’annulation de l’Ordonnance n°07/045/ORD/PP/CS rendue le 26 juillet 2007 par le Premier Président de la Cour Suprême de Guinée ;
Dit que la Cour Suprême de Guinée s’est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi en cassation formé par les Etablissements Alpha Oumar BARRY ;
Déclare en conséquence nul et non avenu l’Arrêt n°29 du 04 avril 2008 rendu par la Cour Suprême de Guinée ;
Condamne les Etablissements Alpha Oumar BARRY aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier