ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Audience Publique du 15 juillet 2004

 

Pourvoi n° 028/2003/PC du 07 février 2003

 

AFFAIRE : MOBIL OIL COTE D’IVOIRE

              (Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)

 

                   contre

 

            1°) – LES CENTAURES ROUTIERS

                         (Conseils : Maîtres FADIKA-DELAFOSSE-KACOUTIE –ANTHONY,

                               Avocats  à la Cour)

 

  2°) – CAISSE AUTONOME DES REGLEMENTS

            PECUNIAIRES DES AVOCATS dite CARPA

 

 3°) –  Maître ADOU Hyacinthe, Huissier de Justice

 

ARRET N° 028/2004 du 15 juillet 2004

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du  15 juillet 2004 où étaient présents :

 

Messieurs  Seydou BA, Président

Jacques M’BOSSO, Premier Vice-président

Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-président

Maïnassara MAIDAGI, Juge, rapporteur

Biquezil NAMBAK, Juge

et  Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré le 07 février 2003 au greffe de la Cour de céans sous le n°028/2003/PC et formé par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, demeurant immeuble SIPIM, 5ème étage, 24 boulevard CLOZEL, 01 BP 1306 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, Société Anonyme, dans une cause l’opposant à la société LES CENTAURES ROUTIERS ayant pour conseils Maîtres FADIKA-DELAFOSSE-KACOUTIE-ANTHONY, Avocats à la Cour, demeurant immeuble Les Harmonies, boulevard Carde, rue Docteur Jamot, 01 BP 2297 Abidjan 01,en cassation de l’Arrêt n°744 rendu le 14 juin 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

« Statuant publiquement, et contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;

 

En la forme :

Ordonne la jonction des procédures 241/01 et 243/02 ;

Reçoit la Société MOBIL OIL en ses appels ;

 

Au fond :

Partiellement la déclare fondée ;

Infirme l’ordonnance n°5316/2001 du 18 décembre 2001 et statuant à nouveau ;

Dit que MOBIL OIL est recevable en son action mais la déclare mal fondée, l’en déboute ;

Confirme par contre l’Ordonnance n°215/2002 du 15 janvier 2002 en toutes ses dispositions ;

Condamne MOBIL OIL aux dépens » ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que dans un litige opposant la société LES CENTAURES ROUTIERS à la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, celle-ci avait été condamnée, par Arrêt  n°1107 du 14 juin 1996 de la Cour d’appel d’Abidjan, à payer à celle-là la somme principale de 1.109.000.000. F CFA outre les intérêts de droit et les frais de procédure ; qu’en exécution de cette décision, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait fait pratiquer plusieurs saisies-attributions de créances entre les mains des sociétés CIE, SCB, SUCAF, AIR AFRIQUE, CITIBANK et THANRY, toutes ces saisies ayant permis, selon MOBIL OIL COTE D’IVOIRE , d’immobiliser la somme de 5.703.027.544 F CFA ; que toujours selon MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, malgré la garantie de recouvrement de sa créance qu’elle s’était constituée par l’ensemble des saisies pratiquées, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait, par exploit en date du 13 novembre 2001, fait pratiquer une autre saisie-attribution de créance entre les mains de la CARPA ; que suite à cette dernière saisie, la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE assignait à deux reprises la société LES CENTAURES ROUTIERS devant le juge des référés aux fins d’obtenir mainlevée de cette dernière saisie au motif que le montant des sommes dont le recouvrement est recherché par le créancier poursuivant avait d’ores et déjà été atteint par les précédentes saisies pratiquées entre les mains de différents tiers ; que par Ordonnance de référé n°5316/01 du 18 décembre 2001, le juge des référés déclarait irrecevable la première action de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE tandis que par Ordonnance n°215 du 15 janvier 2002, le même juge, en réponse à la deuxième action, déboutait la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE de sa demande de mainlevée ; que suite aux appels relevés des deux ordonnances sus-indiquées, la Cour d’appel d’Abidjan, après avoir ordonné la jonction des deux procédures d’appel, rendait l’Arrêt n°744 du 14 juin 2002 dont pourvoi ;

Sur le second moyen

Vu l’article 154 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé ou commis une erreur dans son interprétation en ce que la Cour d’appel, pour rejeter l’argument de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, a soutenu « que s’il résulte des productions qu’il y a eu plusieurs saisies, il n’apparaît nullement qu’il y a eu paiement corrélatif… que dès lors qu’il n’y a pas eu paiement corrélatif, la saisie attribution de créance du 13 novembre 2001 n’est pas abusive… que c’est donc sans fondement que la Société MOBIL OIL sollicite la mainlevée de la saisie-attribution de créance du 13 novembre 2001 qui a été pratiquée entre les mains de la CARPA » alors que, selon la requérante, dès lors qu’une saisie est pratiquée, elle a pour conséquence l’attribution immédiate au profit du créancier poursuivant du montant des sommes saisies et l’effet attributif signifie que les sommes saisies-attribuées sortent du patrimoine du débiteur saisi pour entrer dans celui du créancier saisissant dès l’exploit de saisie-attribution de créance ; qu’au surplus la saisie pratiquée a pour effet également de rendre indisponible les sommes qui ont été immobilisées, le débiteur saisi ne pouvant plus disposer librement de ces sommes ; qu’en raison « des effets d’attribution et d’indisponibilité » de la saisie-attribution de créance, les termes du titre exécutoire dont se prévaut le créancier poursuivant sont exécutés dès lors que, par une saisie pratiquée entre les mains d’un tiers, le créancier poursuivant s’est constitué une garantie suffisante pour le recouvrement du montant de la condamnation en principal, intérêts et frais et, qu’il n’est pas nécessairement exigé que les saisies pratiquées donnent lieu à un paiement effectif au profit du créancier poursuivant pour considérer que le titre dont il se prévaut a été exécuté ; que par conséquent la mise en place d’autres procédures d’exécution postérieures serait sans fondement et injustifiée alors que le montant recherché a été garanti par une saisie antérieure ;

Attendu qu’aux termes de l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé, « l’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée ainsi que tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers.

Les sommes saisies sont rendues indisponibles par l’acte de saisie.

Cet acte rend le tiers personnellement responsable des causes de la saisie dans la limite de son obligation » ;

Attendu qu’il ressort de l’analyse des dispositions de l’article 154 susénoncé que l’acte de saisie-attribution a pour effet, d’une part, l’attribution immédiate au profit du créancier saisissant du montant des sommes saisies jusqu’à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée y compris tous ses accessoires et, d’autre part, l’indisponibilité desdites sommes qui sortent du patrimoine du débiteur saisi, lequel ne peut plus en disposer, pour entrer  dans celui du créancier saisissant ; qu’ainsi en raison de l’existence de ces deux effets qui se produisent indépendamment du paiement par le tiers-saisi des sommes saisies, le titre exécutoire était à même d’être exécuté par les tiers-saisis dès lors que le créancier s’était constitué une garantie suffisante pour le recouvrement de sa créance en principal, intérêts et frais ;

Attendu qu’en l’espèce, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait, antérieurement à la saisie attribution du 13 novembre 2001 entre les mains de la CARPA, en exécution de l’Arrêt n°1107 du 11 juin 1996 de la Cour d’appel d’Abidjan ayant condamné la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE à lui payer la somme de 1.109.000.000 FCFA outre les intérêts de droit et les frais, pratiqué en exécution du même arrêt d’autres saisies-attributions les 11, 13 et 29 décembre 2000, 23 janvier, 26 et 28 février, 12 juin, 28 juillet et 1er août 2001 au préjudice de ladite société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE et entre les mains des sociétés CIE, SCB, SUCAF, CITIBANK, THANRY, AIR AFRIQUE ; que les tiers-saisis avaient déclaré devoir à la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE la somme globale de 5.763.027.544 F.CFA, somme couvrant largement le montant de la créance en principal, intérêts et frais ;

Attendu que pour rejeter la demande de mainlevée de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE relative à la saisie-attribution de créance pratiquée à son préjudice le 13 novembre 2001 par la société LES CENTAURES ROUTIERS, la Cour d’appel qui s’est bornée à affirmer qu’« il résulte des productions que s’il y a eu plusieurs saisies, il n’apparaît nullement qu’il y a eu paiement corrélatif. Dès lors, la saisie du 13 novembre 2001 n’est pas abusive et ne viole pas les dispositions de l’article 154 de l’acte uniforme sur les voies d’exécution… il convient de dire que la demande de mainlevée formulée par MOBIL OIL n’est pas fondée ; elle doit être en conséquence rejetée… » sans se prononcer sur les saisies-attributions antérieures des 11, 13 et 29 décembre 2000, 23 janvier, 26 et 28 février, 12 juin, 28 juillet et 1er août 2001 à la suite desquelles les tiers saisis avaient déclaré devoir la somme globale de 5.763.027.544 F CFA, laquelle couvre largement la créance cause de la saisie s’élevant en principal intérêts et frais à 844.518.582 F CFA, n’a pas mis la Cour de céans en mesure d’exercer son contrôle ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner  le premier moyen ;

Sur l’évocation

Attendu que par exploit d’huissier en date du 26 février 2002 la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE a interjeté appel des Ordonnances n°5316 du 18 décembre 2001 et n°215 du 15 janvier 2002 rendues par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, la première ayant déclaré irrecevable l’action de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE  et la seconde ayant déclaré son action mal fondée et l’ayant débouté de sa demande de mainlevée de la saisie attribution de créance du 13 novembre 2001 ;

Attendu que la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE demande à la Cour de céans de dire et juger son action bien fondée et d’ordonner par conséquent mainlevée de la saisie attribution de créance du 13 novembre 2001 pratiquée entre les mains de la CARPA ; qu’à l’appui de sa demande, elle soutient :

 

  • d’une part, que conformément à l’article 153 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution, pour pratiquer une mesure d’exécution, le créancier poursuivant doit être muni d’un titre exécutoire constatant sa créance et dès lors que les premières mesures d’exécution ont permis de recouvrer le montant de la condamnation résultant du titre exécutoire dont se prévaut le créancier poursuivant, les termes dudit titre ont été exécutés ; que dans le cas d’espèce, des précédentes saisies-attributions de créance pratiquées entre les mains de différents tiers à son préjudice ont permis d’immobiliser la somme de 5.763.027.544 F CFA alors que le montant recherché par le créancier poursuivant à cette époque s’élève à la somme de 907.430.755 F CFA ce qui fait que par l’effet des saisies de créance antérieures pratiquées, le montant des sommes recherchées en principal, intérêts et frais résultant de l’arrêt de condamnation obtenu par la société LES CENTAURES ROUTIERS a été atteint ; que par conséquent la saisie attribution de créance du 13 novembre 2001 entre les mains de la CARPA a été pratiquée en parfaite violation de l’article 153 de l’Acte uniforme susindiqué en ce que la société LES CENTAURES ROUTIERS ne possède  plus aucun titre exécutoire pour le faire ;

 

  • d’autre part, que conformément à l’article 154 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution, le créancier poursuivant ne peut entreprendre des mesures d’exécution complémentaires à l’encontre de son débiteur dès lors que le montant des sommes recherchées a d’ores et déjà été garanti par une saisie précédente ; que dans le cas d’espèce, elle a été condamnée par arrêt n°1107 du 14 juin 1996 à payer à la société LES CENTAURES ROUTIERS la somme de 1.109.000.000 FCFA outre les intérêts de droit et les frais de procédure et qu’en exécution de cette décision la société LES CENTAURES ROUTIERS a fait pratiquer diverses saisies-attributions de créance pour avoir paiement de la somme de 907.430.755 FCFA représentant le cumul du principal et des intérêts de droit et ce conforment aux modalités de calcul retenues par le créancier poursuivant ; que l’ensemble des saisies-attributions de créance a permis d’immobilisation dans un premier temps de la somme de 4.562.040.783 FCFA et dans un second temps de la somme de 1.200.986.761 FCFA soit au total 5.763.027.544 FCFA ; qu’en dépit de toutes ces garanties, la société LES CENTAURES ROUTIERS a continué sa logique de nuisance en faisant pratiquer le 13 novembre 2001 une saisie-attribution de créance portant sur la somme de 838.127.231 FCFA ; que cette nouvelle saisie constitue manifestement une violation flagrante des dispositions de l’article 154 de l’Acte uniforme portant voie d’exécution et, est injustifiée ;

 

Attendu qu’il ressort de l’analyse de l’article 154 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution  que l’acte de saisie-attribution rend indisponible la créance saisie-attribuée et emporte attribution immédiate et de plein droit de celle-ci au créancier saisissant, lequel devient ainsi créancier du tiers-saisi ; qu’il résulte de ce transfert immédiat que la somme, objet de la saisie, est affectée de droit au saisissant et que ni la signification ultérieure d’autres saisies, ni toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ne peuvent remettre en cause cette attribution ;

Attendu qu’en l’espèce, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait déjà effectué plusieurs saisies-attributions entre les mains de divers tiers, lesquels avaient déclaré devoir la somme globale de 5.763.027.544 F CFA ; que cette somme couvre largement le montant des sommes dont le recouvrement est recherché et s’élevant en principal, intérêts et frais à 844.518.582 F CFA ; que le créancier saisissant, la société LES CENTAURES ROUTIERS, ne démontrant pas qu’il n’a pas pu se faire payer par les tiers- saisis pour quelque raison que ce soit, ne pouvait en l’état pratiquer d’autres saisies-attributions à l’encontre de son débiteur la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE ; qu’il y a lieu dès lors d’ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 13 novembre 2001 entre les mains de la CARPA ;

Attendu que la société LES CENTAURES ROUTIERS ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n°744 rendu le 14 juin 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution du 13 novembre 2001 pratiquée par la société LES CENTAURES ROUTIERS entre les mains de la CARPA ;

Condamne la société LES CENTAURES ROUTIERS aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président

Le Greffier