ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 Assemblée plénière                    

Audience Publique du 19 juillet 2007

Pourvoi : n° 085/2003/PC du 06 octobre 2003

Affaire :       Blue Road Shipping LTD et autres

                     (Conseil : Maître Alpha O. DIALLO, Avocat à la Cour)

contre

            1°/ Transways Entreprises SA

           2°/ Scilly Isles Navigation SA

  (Conseil : Maître TALL Ahmadou, Avocat à la Cour)

ARRET N° 026/2007 du 19 juillet 2007

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), a rendu en Assemblée plénière, l’Arrêt suivant en son audience publique du 19 juillet 2007 où étaient présents :

 

Messieurs      Ndongo FALL,                       Président

Antoine Joachim OLIVEIRA,     Second Vice-président

Doumssinrinmbaye BAHDJE,    Juge, rapporteur

Boubacar DICKO,                            Juge

Biquezil NAMBAK,                  Juge

 

et  Maître ASSIEHUE Acka,      Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 06 octobre 2003 sous le n°085/2003/PC et formé par Maître Alpha O. DIALLO, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte des sociétés Blue Road Shipping LTD, Calm Seas Navigation LTD, Allseas Navigation LTD, Daylight Shipping CO Moon Navigation LTD, Nimdew Shipping LTD, Carla Sea Navigation, Marine Trade Navigation LTD, ayant chacune son siège social à Malte, Leo Mariner Shipping CO LTD, Leo Tempest Shipping Co LTD, ayant chacune son siège social à Chypre, dans la cause qui les oppose à Transways Entreprises SA dont le siège est au n° 80, Broad Street, Monrovia, « agissant tant en son nom personnel qu’à celui de Scilly Isles Navigation SA », toutes deux ayant pour conseil Maître TALL Ahmadou Baïdy Habib, Avocat au Barreau de Guinée Conakry, dont l’étude est sise à la Rue KA 026x Boulevard DIALLO Telly, B.P. 1502 Conakry,en cassation de l’Arrêt n° 193 rendu le 26 juin 2003 par la Cour d’appel de Conakry et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière économique, en dernier ressort et sur appel ;

En la forme : Déclare l’appel irrecevable ;

Déboute l’intimé de sa demande de paiement de dommages-intérêts ;

Met les frais et dépens à la charge des appelants, le tout en application des dispositions des articles 10, 16 de l’Acte uniforme sur l’organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et de l’article 741 du Code de procédure civile, économique et administrative » ;

Les requérantes invoquent à l’appui de leur pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE ;

Vu les dispositions des articles 13 et  14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu que par Ordonnance n° 18/PTI/CKY/CAB rendue le 14 avril 2003 par le Président du Tribunal de première instance de Conakry I, les sociétés Blue Road Shipping LTD, Calm Seas Navigation et neuf autres, ayant chacune son siège social à Malte et les sociétés Leo Mariner, Shipping Co LTD et Leo Tempest Shipping Co LTD, ayant chacune son siège à Chypre, ont été condamnées « solidairement et indivisiblement par extension » des Ordonnances n° 15/C/TPI/CKRY/2003 du 26 mars 2003 et n° 017/CP/TPI/CKRY/2003 du 02 avril 2003 à payer la somme de 2.446.976,56 dollars US à Transways Entreprises SA, « agissant tant en son nom qu’au nom de Scilly Isles Navigation LTD » ; que cette ordonnance a été signifiée le même jour par exploit de Maître YAYA Galissa BANGOURA, huissier de justice à Conakry, tant à Monsieur Moussa SOUMAH, Inspecteur à la Direction nationale de la Marine Marchande de Guinée, qu’au capitaine du navire M/V Lilac Islands qui ferait l’objet d’une procédure de saisie au port de Conakry ; que la même ordonnance a été signifiée aux sociétés Leo Tempest Shipping Co LTD et Leo Mariner Shipping Co LTD domiciliées à CHYPRE par un huissier de justice à CHYPRE le 30 avril 2003 ; que considérant que les délais de recours impartis aux sociétés condamnées étaient venus à expiration, Transways Entreprises SA a obtenu, du Greffier en chef du Tribunal de première instance de Conakry I, l’apposition de la formule exécutoire sur l’Ordonnance n° 017/CP/TPI/CKRYI/2003 du 02 avril 2003 à la date du 18 avril 2003 et sur l’Ordonnance n° 018/P/TPI/CKRYI/CAB du 14 avril 2003 à la date du 02 mai 2003 ; que se fondant sur l’article 10 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, les sociétés demanderesses au pourvoi ont, par acte en date du 15 mai 2003, formé opposition à l’Ordonnance d’injonction de payer n° 18 du 14 avril 2003 ; que le Tribunal de première instance de Kaloum-Conakry, statuant sur les mérites de cette action, a constaté l’apposition de la formule exécutoire sur « l’ordonnance d’extension », déclaré l’opposition irrecevable pour forclusion et maintenu en conséquence l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions ; que par lettre n° 110/AOD/JK/06/03 en date du 05 juin 2003, les demanderesses au pourvoi ont relevé appel de cette décision ; que la Cour d’appel de Conakry, statuant en matière économique, a rendu l’Arrêt n° 193 du 26 juin 2003 objet du présent pourvoi en cassation ;

Sur la compétence de la Cour de céans

Attendu que Transways Entreprises SA soulève l’incompétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA à « connaître des faits de la cause » aux motifs que « le Traité de l’OHADA, instituant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), définit de façon très stricte, les limites de sa compétence dans l’alinéa 3 de l’article 14 libellé dans les termes suivants : ” Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales” ; qu’ainsi, selon elles, il ne suffit pas qu’une décision ait été rendue en application de tel ou tel Acte uniforme, pour que la Cour soit automatiquement compétente ; qu’il faut qu’existe un problème de compréhension, d’interprétation des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme, pour que soit autorisée la saisine de la CCJA, juridiction d’exception, qui ne saurait connaître de n’importe quelle procédure ; qu’à l’évidence et ainsi qu’il sera aisé de s’en rendre compte, à l’examen de l’ensemble des moyens soulevés par les demanderesses au pourvoi, la présente affaire ne saurait en aucune manière être considérée comme une de celles qui sont de la compétence restreinte de la Cour présentement saisie ; qu’il convient donc, in limine litis, de faire droit à la présente exception d’incompétence, avec toutes les conséquences de droit. » ;

Mais attendu qu’il appert des pièces du dossier de la procédure et notamment des requêtes aux fins d’injonction de payer de Transways Entreprises SA elle-même que les Ordonnances d’injonction de payer n°s 015, 017 et 018 rendues par le Président du Tribunal de grande instance de Conakry se fondent sur les articles 1er et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que pareillement, la Cour d’appel, pour déclarer l’appel des sociétés Blue Road Shipping et autres irrecevable par son Arrêt n° 193 du 26 juin 2003, s’est basée sur les articles 10 et 16 dudit Acte uniforme ; qu’il résulte de ce qui précède que le présent contentieux soulève bien des questions liées à l’application de l’Acte uniforme susvisé, relativement à la procédure d’injonction de payer et que sont bien réunies les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage  de l’OHADA telles que définies par l’article 14 susénoncé du Traité ; qu’il s’ensuit que l’exception d’incompétence soulevée est non fondée et qu’il échet en conséquence de se déclarer compétent ;

 

Sur la recevabilité du pourvoi

Attendu que les sociétés Transways Entreprises SA et Scilly Isles Navigation S.A. soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi pour violation de l’article 28, alinéa 4 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, « parce que celles-ci se sont limitées à communiquer seulement les pages de couverture de leurs statuts qui ne renseignent en rien sur leur existence juridique » ; que de plus, selon les défenderesses au pourvoi, les documents produits au dossier sont en anglais et non traduits en français, langue officielle de l’OHADA ; que toujours selon elles, les demanderesses au pourvoi n’apportent pas la preuve que les mandats donnés à leur avocat ont été régulièrement établis par les représentants qualifiés et que lesdites demanderesses au pourvoi n’ont pas la capacité d’agir en justice ;

Mais attendu, d’une part, que s’il est vrai que le recours en cassation des sociétés Blue Road Shipping LTD et autres n’était pas accompagné de l’intégralité de leurs statuts, de même que les éléments communiqués l’étaient en anglais, il n’en demeure pas moins qu’à la demande du Greffier en chef de la Cour de céans, les demanderesses au pourvoi, en complément de leur dossier, ont fait parvenir le 10 mai 2004 au greffe de la Cour de céans les statuts de leurs entités respectives traduites en français, se conformant ainsi aux exigences de l’article 27-4 du Règlement de procédure de la Cour de céans qui dispose que, « si, en raison du volume d’une pièce ou d’un document, il n’en est annexé à l’acte que des extraits, la pièce ou le document entier ou une copie complète est déposé au greffe » ; que, d’autre part, les mandats réclamés par les défenderesses au pourvoi ont été bien produits par les sociétés Blue Road Shipping et autres et existent dans le dossier ; que ces mandats ont bien été délivrés à leur conseil, Maître Alpha Diallo par les Directeurs desdites sociétés, responsables habilités à les délivrer, les défenderesses au pourvoi ne rapportant pas la preuve contraire ; qu’il y a lieu de dire au regard de ce qui précède que le recours est recevable parce que conforme aux exigences de la loi ;

 

Sur l’exception de nullité de l’acte d’opposition

Attendu que les Sociétés Transways Entreprises SA et Scilly Isles Navigation S.A., défenderesses au pourvoi, soulèvent la nullité de l’acte d’opposition fait le 15 mai 2003 par les requérantes, en ce qu’il ne contiendrait pas les mentions exigées par l’article 28 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA et l’article 686 du Code de procédure civile, économique et administrative de la Guinée aux termes duquel « Tout acte d’huissier de justice doit contenir, indépendamment des mentions présentées par ailleurs la date, et si le requérant est une personne physique ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ; ces mentions sont prescrites à peine de nullité » ; qu’en outre, elles font valoir que l’acte d’opposition avec assignation à comparaître ne comporte pas d’exposé de moyens, ni de pièces sur lesquelles la demande est fondée alors que ces mentions sont exigées à peine de nullité par l’article 524 du code guinéen susmentionné ;

Attendu que l’exception de nullité ainsi formulée, qui dénonce les vices que comporterait l’acte d’opposition fait le 15 mai 2003 par les requérantes, relevait de l’examen des juges du fond ayant statué sur opposition à l’ordonnance d’injonction de payer susvisée devant lesquels les sociétés Transways Entreprises SA et Scilly Isles Navigation SA avaient d’ailleurs abondamment conclu sans soulever une quelconque nullité dudit acte ; qu’en excipant présentement, en cassation, devant la Cour de céans de la nullité de cet acte d’opposition, ladite exception doit être déclarée irrecevable ;

 

Sur le deuxième moyen

Vu l’article 10 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé ou commis une erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 10 de l’Acte uniforme susvisé en ce que, pour déclarer tardive l’opposition des requérantes, ledit arrêt a retenu que la signification de l’ordonnance d’injonction de payer a été faite non seulement au gardien constitué du navire MV/Lilac Island objet d’une procédure de mise en vente en République de Guinée, mais aussi au capitaine représentant l’armateur et le ou les propriétaires ; qu’il ne saurait être sérieusement prétendu que la notification de l’ordonnance effectuée dans des conditions irrégulières à la Direction Nationale de la Marine Marchande, en tant que « …gardien du navire Lilac Island » ou la transmission par cette administration au capitaine de l’ordonnance, constitue un acte de signification aux requérantes ; qu’en effet c’est une remarque d’évidence que la Direction de la Marine Marchande n’a pas qualité pour recevoir des actes de justice destinés à des sociétés privées, spécialement lorsque celles-ci sont domiciliées à l’étranger, pas plus que le capitaine du navire « MV/Lilac Island», à supposer que cette ordonnance lui ait été transmise par la Direction Nationale de la Marine Marchande, n’a pas qualité pour recevoir un acte qui leur est destiné, les demanderesses au pourvoi n’étant ni propriétaires ni affréteurs de ce navire ; qu’enfin en formulant leur opposition le 15 mai 2003, elles sont dans les délais au regard des dispositions de l’article 10 alinéa 2 de l’Acte uniforme susvisé aux termes desquelles « si le débiteur n’a pas reçu personnellement la signification de la décision portant injonction de payer, l’opposition est recevable jusqu’à l’expiration du délai de quinze jours suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponible en tout ou en partie les biens du débiteur » ; qu’en déclarant leur appel irrecevable, et en confirmant ce faisant le Jugement n° 6 du 05 juin 2003 alors que l’opposition faite le 15 mai 2003 l’a été dans les délais, d’autant qu’ayant leur siège social à l’étranger, elles devraient bénéficier des délais de distance, la Cour d’appel de Conakry a manifestement violé l’article 10 susvisé et son arrêt encourt de ce fait la cassation ;

Attendu que les significations de l’ordonnance d’injonction de payer faites le 02 avril 2003 et délaissées à la Direction Nationale de la Marine Marchande de la République de Guinée ainsi que la transmission de ces actes de signification au capitaine du navire saisi MV/Lilac Island ne sont pas opposables aux requérantes ; qu’en effet, ni la Direction Nationale de la Marine Marchande, ni le capitaine du navire MV/Lilac Island n’ont qualité pour recevoir des actes de procédure délivrés aux requérantes, lesquelles, d’une part, sont domiciliées hors du territoire de la République de Guinée et, d’autre part, ne sont ni propriétaires, ni affréteurs du navire ; qu’ainsi la seule date à prendre en considération comme point de départ du délai d’opposition est celle du 30 avril 2003, date à laquelle l’ordonnance d’injonction de payer a été portée à la connaissance des requérantes à Chypre ; que les requérantes disposaient donc d’un délai de quinze jours francs à compter du 30 avril 2003 pour former opposition, délai auquel il fallait ajouter celui de distance ; qu’en conséquence l’opposition faite le 15 mai 2003, soit dans le délai légal doit être déclarée recevable ; qu’il s’ensuit qu’en retenant « que la signification de l’ordonnance a été faite non seulement au gardien constitué du navire mais aussi au capitaine représentant et l’armateur et le ou les propriétaires [et qu’il en résulte] que la signification a été faite de façon régulière et que c’est donc [à] bon droit [que] le juge d’instance a constaté la forclusion des opposants », la Cour d’appel a méconnu les dispositions susénoncées de l’article 10 de l’Acte uniforme susvisé et qu’en conséquence sa décision mérite cassation ;

Sur l’évocation

Attendu que par lettre n° 110/AOD/JK/06/03 en date du 05 juin 2003, reçue au greffe du Tribunal de première instance de Conakry le 09 juin 2003 et enregistrée sous le numéro 105, Maître Alpha Oumar Diallo, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte des sociétés Blue Road et autres, a déclaré relever appel du Jugement n° 06 rendu le 05 juin 2003 par le Tribunal de première instance de Conakry Kaloum dont le dispositif est le suivant :

« Constate la non conciliation des parties ;

Statuant sur la demande en recouvrement, en application de l’article 12 alinéa 2 de l’Acte uniforme sur le recouvrement (OHADA) ;

Constate que l’Ordonnance d’injonction de payer est déjà sous sa forme exécutoire ;

Dit en conséquence que les demanderesses en opposition sont forclos ;

Maintient l’Ordonnance n° 18/P/TPI/CK/RY1/CAB du 14 avril 2003 en toutes ses dispositions et dit qu’elle sortira son plein et entier effet ;

Met les frais à la charge des demanderesses à l’opposition » ;

 

Attendu qu’à l’appui de leur appel, les sociétés susmentionnées, d’une part, soutiennent que la Direction Nationale de la Marine Marchande n’a pas qualité pour recevoir des actes de justice destinés à des sociétés privées, surtout quand ces sociétés sont domiciliées à l’étranger ; qu’il en est de même pour le capitaine du navire MV/Lilac Island ; que, d’autre part, elles soulèvent l’incompétence des juridictions guinéennes, motif pris de ce qu’en application des dispositions de l’article 3 du livre I de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la juridiction compétente est celle du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l’un d’entre eux en cas de pluralité de débiteurs ; qu’aucune des appelantes n’est domiciliée en République de Guinée et n’a non plus signé un contrat comportant élection de domicile en Guinée ; que la Cour, constatant que les juridictions guinéennes sont incompétentes, infirmera le Jugement n° 6 du 05 juin 2003 en toutes ses dispositions et renverra Transways Entreprise S.A. tant en son nom personnel qu’au nom de Scilly Isles S.A. à mieux se pourvoir ;

 

Attendu que, subsidiairement, les appelantes sollicitent, dans le cas où la Cour n’accueillait pas l’exception d’incompétence, de dire et juger que la créance alléguée par Transways Entreprises S.A. à l’encontre des sociétés débitrices ne constitue pas une créance certaine, liquide et exigible au sens de l’article 1er de l’Acte uniforme du 10 avril 1998  et que pour tous ces motifs, il y a lieu de rétracter  l’Ordonnance n° 18 du 14 avril 2003 et condamner les intimées aux dépens ;

 

Attendu que les intimées soulèvent in limine litis les exceptions tirées de la forclusion ainsi que celle d’irrecevabilité de l’appel ; que selon elles, l’Ordonnance n° 18 en date du 14 avril 2003 du Président du Tribunal de première instance de Conakry I a été signifiée à la société Santanita Shipping Co LTD et 14 autres, toutes représentées par la Direction Nationale de la Marine Marchande ; que cette direction nationale a été constituée gardienne du navire MV/Lilac Island faisant l’objet d’une procédure de saisie ; que le capitaine du navire MV/Lilac Island a lui aussi reçu signification de cette injonction de payer et a visé l’original de cette signification ; qu’à travers donc la Direction Nationale de la Marine Marchande et le capitaine du navire, toutes les sociétés appelantes ont reçu signification le 14 avril 2003 et que n’ayant pas fait opposition comme prévu à l’article 12 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’ordonnance d’injonction de payer a été grossifiée ; que c’est pour ces motifs que le juge a déclaré les demandes en opposition forcloses ; que relativement à la régularité de l’appel, les intimées soutiennent qu’en application des dispositions de l’article 16 de l’Acte uniforme, ledit appel est irrecevable ;

 

Attendu que les intimées sollicitent, pour tous les motifs évoqués ci-dessus et sans examen au fond, que l’appel soit déclaré irrecevable et que les appelantes soient condamnées à leur payer la somme de 250.000 USD pour appel abusif et dilatoire ;

 

Attendu que dans leurs notes en cours de délibéré datées du 25 juin 2003, les appelantes, en réplique aux exceptions d’irrecevabilité et forclusion soulevées par les intimées, se prévalent de l’article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que pour elles, en application des dispositions dudit article, « la décision rendue sur l’opposition est susceptible d’appel », et que cet appel, en vertu de son effet dévolutif, exige de la Cour qu’elle reçoive le recours dans sa forme et dans son fond ; que toujours selon elles, la Cour devrait rouvrir les débats et rejeter l’exception de forclusion qui est sans fondement légal ; que s’agissant de cette forclusion, elles soutiennent qu’il est de principe en droit que nul ne peut être jugé sans avoir été régulièrement cité ; qu’il est en outre constant que les sociétés Léo Tempest et Léo Mariner ont reçu signification de l’Ordonnance n° 018 du 14 avril 2003 au plus tôt le 30 avril 2003 ; que l’acte d’opposition avec assignation à comparaître a été signifié le 15 mai 2003 dans le délai de 15 jours prévu à l’article 10 de l’Acte uniforme susmentionné à la Direction nationale de la marine marchande qui d’ailleurs n’a pas qualité pour recevoir des actes de justice destinés à des sociétés privées domiciliées à l’étranger, de même que ne le peut le capitaine du navire M/V Lilac Island ;

 

Sur l’incompétence des juridictions guinéennes

Attendu que les appelantes soulèvent l’incompétence des juridictions guinéennes à connaître des faits de la cause, en application des dispositions de l’article 3 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution selon lesquelles la juridiction compétente est celle du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l’un d’entre eux en cas de pluralité de débiteurs ; qu’elles précisent qu’aucune d’entre elles n’est domiciliée en République de Guinée ; que pour elles la Cour, constatant cette incompétence, infirmera le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et renverra Transways Entreprises SA, défenderesse au pourvoi, à mieux se pourvoir ;

 

Mais attendu qu’aux termes de l’article 3 de l’Acte uniforme susvisé, « la demande [aux fins d’injonction de payer] est formée par requête auprès de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l’un d’entre eux en cas de pluralité de débiteurs…

L’incompétence territoriale ne peut être soulevée que par la juridiction saisie de la requête ou par le débiteur lors de l’instance introduite par son opposition » ;

 

Attendu qu’il ressort des productions que ni les appelantes ni la juridiction saisie n’ont soulevé l’incompétence des juridictions guinéennes lors de l’instance introduite sur opposition conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 3 susénoncées ; qu’il y a lieu de rejeter ladite exception des juridictions guinéennes ;

 

Sur la recevabilité de l’appel

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l’arrêt attaqué a été cassé, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité de l’appel pour forclusion soulevée par les intimées ;

 

Sur le bien fondé du recours à la procédure d’injonction de payer

Attendu que l’article 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose que « la procédure d’injonction de payer peut être introduite lorsque :

 

1) la créance a une cause contractuelle ;

2) l’engagement résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce, ou d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante » ;

 

Attendu, en l’espèce, qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, notamment de la requête aux fins d’injonction de payer, que la somme de 2.532.003,75 dollars US réclamée par les intimées est détaillée, selon elles, ainsi qu’il suit :

 

« 1 – Convention de Financement : 162.589,59 USD, en tenant compte des intérêts conventionnels au 30 avril 2003, suivant fiche de décompte ci-jointe ;

 

2 – Virement effectué par Transways Entreprises SA, au titre des commissions de courtage dues à NSC en application de la convention ci-dessus : 37.514,25 USD ;

 

3 – Pour Scilly Isles Navigation LTD (perte de profit, dédommagement à obtenir de Transways qui a d’ailleurs déjà rédigé un engagement à échéance annuelle en ce sens en date du 25/02/02) : 1.450.000,00 USD ;

 

4 – Financement pour l’achat de combustible, qui est demeuré à bord, sans être consommé dans le cadre des voyages faisant l’objet de la convention de financement : 13.704,41 USD ;

 

5 – Préjudice issu du paiement, par Transways Entreprises SA, de surestaries dues par le MV/Lilac Island du fait du versement de surestaries : 9.262,50 USD ;

 

6 – Non-respect de l’exclusivité d’une année par l’armateur / propriétaire envers Transways Entreprises SA, dommage évalué à 375.600,00 USD

 

7 – Dommages et intérêts réclamés par Transways Entreprises SA, pour atteinte à sa bonne réputation vis-à-vis de ses clients, suite aux engagements qu’elle n’a pu elle-même tenir, du fait de la violation par les co-débiteurs solidaires de leurs propres engagements : 483.333,00 USD » ;

 

Attendu que certaines des demandes susmentionnées concernent les dommages et intérêts qui n’ont pas un caractère contractuel ; qu’en l’espèce, la décision d’injonction de payer ayant été rendue en violation de l’article 2 susvisé, il échet d’infirmer le jugement entrepris et d’annuler l’Ordonnance d’injonction de payer n° 18 rendue le 14 avril 2003 par le Président du Tribunal de première instance de Conakry I ;

 

Attendu que Transways Entreprises SA et Scilly Isles Navigation SA ayant succombé, doivent être condamnées aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Se déclare compétente ;

Déclare le pourvoi recevable ;

Casse l’Arrêt n° 193 rendu le 26 juin 2003 par la Cour d’appel de Conakry ;

Evoquant et statuant,

En la forme :

Rejette l’exception d’incompétence des juridictions guinéennes ;

Rejette l’exception d’irrecevabilité de l’appel ;

 

Au fond :

Infirme le Jugement n° 06 rendu le 05 juin 2003 par le Tribunal de première instance de Conakry 1 et annule par voie de conséquence l’Ordonnance d’injonction de payer n° 18 rendue le 14 avril 2003 par le Président du Tribunal de première instance de Conakry I ;

Condamne les défenderesses aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et  an  que dessus et ont signé.

 

Le Président

 Le Greffier