ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 23 juin 2016
Pourvoi : n° 084/2015/PC du 20/05/2015
Affaire : ASCOT COMMODITIES
(Conseils : Maître François SARR et Associés, Avocats à la Cour)
Contre
Bocar Samba DIEYE
(Conseil : Maître Boubacar WADE, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 125/2016 du 23 juin 2016
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 23 juin 2016 où étaient présents :
Messieurs Abdoulaye Issoufi TOURE, Président, rapporteur
Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge
Djimasna N’DONINGAR, Juge
et Maître Jean-Bosco MONBLE, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 20 mai 2015 sous le n° 084/2015/PC et formé par Maître François SARR et Associés, SCPA demeurant 33 Avenue Léopold Sédar Senghor, à Dakar, agissant au nom et pour le compte de la Société ASCOT COMMODITIES, de droit suisse dont le siège est à Genève 12, rue Michel Servet, BP 404, dans la cause l’opposant à Bocar Samba DIEYE, Commerçant demeurant à Grand Dakar, BP 10124, ayant pour conseil Maître Boubacar WADE, Avocat à la Cour, 4 Boulevard Djily Mbaye à Dakar,en cassation partielle de l’Arrêt n° 40 rendu le 23 janvier 2015 par la Cour d’appel de Dakar et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort ;
En la forme :
- Vu l’ordonnance de clôture du 26 décembre 2014 ;
Au fond :
- Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a annulé la convention de séquestre du 04 juin 2009 et en ce qu’il a ordonné une expertise ;
- Déboute Bocar Samba DIEYE de sa demande en annulation du surplus de ladite convention et de sa demande d’expertise ;
- Déboute la Société ASCOT COMMODITIES SA de sa demande en remboursement de frais non compris dans les dépens ;
- Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
- Fait masse des dépens d’instance et d’appel ;
- Dit qu’ils seront supportés par les parties chacune pour moitié. ».
Sur le rapport de Monsieur Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier vice-président ;
La requérante invoque à l’appui de son recours les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ; le défendeur de son côté présente un moyen unique de cassation.
Sur la rapport de Monsieur Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier vice- président ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il résulte des pièces des dossiers que par contrats en dates des 30 juillet et 20 octobre 2008, ASCOT COMMODITIES vendait une certaine quantité de riz à Bocar Samba DIEYE pour une somme totale de 27.868.850 euros ; que l’acheteur n’ayant pas respecté ses engagements, le vendeur initiait une procédure de saisie conservatoire en son encontre et saisissait les juridictions arbitrales désignées dans l’acte de vente ; qu’alors les deux parties se sont rapprochées et ont conclu deux contrats, l’un du 07 mai 2009 par lequel Bocar Samba DIEYE donnait en gage des marchandises parmi lesquelles le reste du riz et s’engageait à n’effectuer aucune livraison de tout ou partie des marchandises gagées sans mainlevée préalable par instructions écrites du créancier ; que par un autre contrat du 04 juin 2009, un compte séquestre était ouvert à la BICIS pour la domiciliation des recettes des éventuelles ventes ; qu’à partir de février 2012, Bocar Samba DIEYE, ayant cessé tout versement dans le compte séquestre, assignait ASCOT devant le Tribunal de Dakar aux fins d’annulation de l’article 4 du contrat du 07 mai 2009 et la désignation d’un expert pour déterminer la valeur des marchandises gagées ; que par jugement du 24 décembre 2013 il sera fait droit à sa requête ; que sur appel de ASCOT la Cour d’appel de Dakar a rendu l’arrêt querellé qui a fait l’objet de pourvoi des deux parties.
Sur le premier moyen tiré de la violation de l’article 56.1 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.
Attendu que par ce moyen en son paragraphe 4.3, il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir annulé l’article 4 du contrat de gage et le second paragraphe de l’article 3 de la convention du compte séquestre au motif que ces clauses permettaient la vente des marchandises gagées en dehors de toute procédure judiciaire et sans titre exécutoire en méconnaissance de l’article visé au moyen alors que l’article 56.1 régit les effets du gage ainsi que sa réalisation mais ne s’applique pas à la vente de biens non gagés ; qu’en l’espèce l’article 4 du contrat organise la vente des marchandises après mainlevée par ASCOT créancier gagiste ; qu’ainsi l’article 4 a prévu un mécanisme de renonciations partielles successives au gage permettant par la suite au débiteur de disposer librement de la chose ; que c’est à tort que la Cour d’appel a retenu que ce mécanisme conventionnel permettait la vente des marchandises hors la procédure de l’article 56.1 ;
Attendu que l’article 56.1 de l’Acte Uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés est ainsi libellé :
« Faute de paiement à l’échéance, le créancier gagiste muni d’un titre exécutoire peut faire procéder à la vente forcée de la chose gagée, huit jours après une sommation faite au débiteur et s’il a y lieu au tiers constituant du gage dans les conditions prévues par les dispositions organisant les voies d’exécution.
La juridiction compétente peut autoriser l’attribution du gage au créancier gagiste jusqu’à due concurrence et d’après estimation suivant les cours ou à dire d’expert.
Toute clause du contrat autorisant la vente ou l’attribution du gage sans les formalités ci-dessus est réputée non écrite. ».
Attendu qu’il appert que cette disposition s’applique au gage arrivé à son terme et pour la réalisation duquel le créancier gagiste entreprend une procédure de vente ou d’attribution après dire d’expert ; qu’en l’occurrence le gage est encore en cours et le créancier gagiste a décidé d’y mettre fin par une mainlevée ; que cette hypothèse n’entrant pas dans le cadre de l’article 56.1 c’est à tort que l’arrêt querellé y a fait application ; qu’il echet donc de le casser et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu que suivant exploit d’huissier du 15 janvier 2014, la Société ASCOT COMMODITIES a interjeté appel du jugement rendu le 24 décembre 2013 par le Tribunal hors classe de Dakar dans la cause l’opposant à Bocar Samba DIEYE et à la Banque Internationale pour le Commerce et de l’Industrie du Sénégal dite BICIS.
Attendu qu’au soutien de son appel, ASCOT COMMODITIES a exposé que le premier jugement pour annuler l’article 4 de la convention de gage et subséquemment la convention de compte séquestre a estimé que ledit article violait l’article 56.1 de l’ Acte uniforme portant organisation des sûretés en ce qu’il a permis la vente des marchandises gagées et le versement du produit de la vente dans un compte séquestre affecté exclusivement au paiement de la créance alors que cette disposition exige que la vente et l’attribution du gage ne se fassent que par décision judiciaire après expertise ; que ce texte n’a pas vocation à s’appliquer au moment de la conclusion et de l’exécution du gage ; que c’est plutôt l’article 46 dudit Acte uniforme qui doit s’appliquer en ce qu’il prévoit le remplacement des marchandises vendues et objets du gage par le produit de la vente ; qu’en plus, en l’espèce il n’y a pas eu de vente forcée puisque c’est Bocar Samba DIEYE lui-même qui procédait à la vente ; que de même la concluante ne s’est pas attribué l’objet du gage ; que Bocar Samba DIEYE a librement signé les contrats et les a exécutés pendant plusieurs années ; que s’agissant de l’expertise, l’article 13 de l’Acte uniforme sur le droit à l’arbitrage, ne permet à la juridiction étatique de prendre des mesures provisoires ou conservatoires qu’en cas d’urgence reconnue et motivée d’une part et d’autre part lorsque ces mesures n’impliquent pas un examen du litige au fond, lequel litige relève de la compétence exclusive du tribunal arbitral ; qu’elle conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Attendu qu’en réplique, Bocar Samba DIEYE explique qu’en garantie de sa dette de 27.768.880 euros à l’égard de ASCOT COMMODITIES, il avait donné en gage 63.500 tonnes de céréales ; qu’une convention de compte séquestre avait été conclue ; que ledit compte devait recueillir le produit de la vente des marchandises gagées conformément à l’article 4 du contrat ; que cet article permet ainsi la vente de la chose gagée sans l’intervention du juge encore moins d’un expert désigné par celui-ci ; que c’est à bon droit que le premier juge a considéré que la clause de l’article 4 est nulle ; que le moyen selon lequel il y a eu subrogation en application de l’article 46 de l’Acte uniforme cité est inopérant ; Que, quant à l’expertise, elle se justifie puisque ASCOT COMMODITIES lui avait vendu 55.000 tonnes de riz alors qu’en vertu du contrat de gage, elle avait remis 63.500 tonnes de marchandises en gage ; que l’expert désigné par le premier juge a effectivement conclu que lui, a subi une perte ; qu’en effet ASCOT s’est attribué pour 11.000.000.000 F CFA un gage évalué à 19.000.000.000 F CFA ;
Sur la nullité de l’article 4 du contrat de gage.
Attendu que par contrat en date du 07 mai 2009, les marchandises données en gage ont été remises à la Société Thocomar Shipping Agency en qualité de tiers détenteur ; que l’article 4 de ce contrat stipule : « le bénéficiaire (ASCOT COMMODITIES) consentira des mainlevées partielles sur les marchandises gagées par instructions écrites données au tiers détenteur.
A cet effet le bénéficiaire autorise le constituant (Bocar Samba DIEYE) à conclure des contrats de vente relativement aux marchandises gagées mais avec la condition que le constituant ne pourra effectuer aucune livraison de tout ou partie des marchandises gagées sans mainlevée préalable…
Les produits de ces ventes seront directement versés dans le compte séquestre ouvert dans les livres de la Banque… » ;
Attendu qu’il appert de cette clause que les ventes n’ont eu lieu qu’après mainlevée expresse du créancier ; que la chose ayant été volontairement restituée au débiteur “le gage disparaît indépendamment de l’obligation garantie” conformément à l’article 62 de l’Acte uniforme cité ; qu’il n’y a donc aucune violation de l’article 56.1 et que pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à la cassation, il echet de rejeter la demande d’annulation de l’article 4 du contrat de gage et subséquemment celle de l’article 3 de la convention de compte séquestre ;
Sur la demande d’expertise.
Considérant qu’aux termes de l’article 891.3 du code de procédure civile Sénégalais, la juridiction étatique peut prendre des mesures provisoires ou conservatoires lorsqu’un tribunal arbitral est saisi, à la condition que ces mesures ne préjudicient pas au fond ; qu’il ressort que l’expertise ordonnée par les premiers juges, tend non pas uniquement à sauvegarder des droits de Bocar Samba DIEYE mais à se prononcer sur le quantum du reliquat de la créance due ; que le tribunal arbitral ayant eu justement à statuer sur ce point c’est à tort que l’expertise a été décidée ; qu’il y a donc lieu de rejeter la demande d’expertise ;
Su les dommages-intérêts pour procédure abusive.
Attendu que ASCOT a demandé reconventionnellement la condamnation de Bocar Samba DIEYE à 500.000.000 F CFA à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive mais attendu que la preuve de l’abus n’est pas rapportée ; qu’il echet débouter ASCOT de cette demande ;
Sur les frais et les dépens.
Attendu que Bocar Samba DIEYE qui a succombé doit supporter les dépens ;
Attendu que ASCOT COMMODITIES n’établit pas avoir engagé des frais non compris dans les dépens qu’il echet de la débouter de cette demande ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Casse l’arrêt n° 40 rendu le 23 janvier 2015 par la Cour d’appel de Dakar ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Déboute Bocar Samba DIEYE de sa demande d’annulation et d’expertise.
ASCOT COMMODITIES de ses demandes reconventionnelles ;
Condamne Bocar Samba DIEYE aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier