Le cadre juridique du secteur pétrolier amont[1] camerounais a connu récemment une révision avec l’adoption du nouveau Code pétrolier du Cameroun par le biais de la loi n° 2019/008 portant Code Pétrolier (le « Code Pétrolier »). Outre la mise en place de mesures d’incitation aux investissements et la clarification des politiques de contenu local[2], l’un des éléments les plus marquants de cette révision a été la mise en place d’un régime inédit des infractions et sanctions administratives applicables au secteur pétrolier amont.

En effet, dans sa précédente mouture, le Code Pétrolier se contentait d’établir l’hypothèse d’une mise en jeu de la responsabilité civile des titulaires[3] de contrats pétroliers et de leurs sous-traitants, en raison de dommages corporels, matériels ou environnementaux causés notamment par les activités pétrolières[4].

Désormais, il prévoit une série non-exhaustive d’infractions susceptibles d’être imputées aux sociétés pétrolières dans le cadre de leurs activités ; au rang desquelles la conduite des opérations de recherche et d’exploitation des hydrocarbures en violation de dispositions du Code Pétrolier, le non-respect des engagements contractuels relatifs au contenu local ou encore le non-respect des dispositions de la loi n°96/12 du 5 août 1996 portant loi-cadre relative à l’environnement.

Ces infractions peuvent être sanctionnées, de manière alternative[5], par un retrait des droits (retrait de l’autorisation et/ou déchéance du contrat pétrolier prononcées le Ministre en charge des Hydrocarbures ou l’organisme public dûment mandaté à cet effet lorsque le titulaire du contrat pétrolier et/ou son sous-traitant ne satisfait pas aux obligations fixées par le Code Pétrolier) et des amendes, dont la moins importante s’élève à un montant de 75.000.000 FCFA (pour l’entrave au contrôle des opérations pétrolières par des agents assermentés et/ou habilités) et les plus élevées à un montant de 500.000.000 FCFA (notamment pour le non-respect des dispositions relatives à la conduite des opérations de recherche et d’exploitation des hydrocarbures)[6].

En tout état de cause, les sanctions varient en fonction de la nature et de la gravité des infractions commises ; l’appréciation de ces critères étant laissée à l’autorité auteure de la sanction[7].

La mise en place de cet arsenal répressif relativement sévère, loin de simplement marquer la fin de ce que l’on aurait pu percevoir comme un climat d’impunité pour les sociétés pétrolières, peut également constituer, pour le régulateur, une opportunité d’obtenir des résultats significatifs en matière de compliance pour les sociétés pétrolières.

  1. La relation entre sanctions administratives et résultats positifs en matière de compliance dans le secteur pétrolier amont

La notion de compliance peut être difficile à définir dans un système juridique d’inspiration civiliste, ce concept étant directement importé des pays de Common Law, notamment des États-Unis[8],[9], et mêlant de façon subtile soft law et hard law[10].

L’on pourrait la définir comme l’ensemble des processus permettant d’assurer la conformité des comportements de l’entreprise, de ses dirigeants et de ses salariés aux normes légales, réglementaires et éthiques qui leur sont applicables. L’entreprise doit donc dans ce contexte prouver « par avance que toute sa structure et toute personne qui dépend d’elle est en adéquation avec les règles générales du système dont elle-même dépend », et par cet effort, se « soustraire à la charge d’un ex post hasardeux. »[11]

La compliance est donc une zone de contact entre la régulation et l’autorégulation des entreprises d’un secteur donné, en ce qu’elle constitue la somme des procédures, mécanismes et initiatives mises en place au sein de l’entreprise pour garantir l’absence de violation de la loi ; la mise en place de ces éléments pouvant résulter à la fois d’obligations légales et/ou d’une éthique des affaires adoptée par l’entreprise notamment au regard de sa responsabilité sociale[12], notamment en termes de politique sociale ou environnementale.

En matière de compliance, l’on observe de manière générale que les entreprises sont moins susceptibles de se plier volontairement aux règlementations mises en place dans un secteur donné lorsque celles-ci sont peu ou pas assorties de sanctions, ou lorsque le régulateur prend l’habitude de ne pas sanctionner les entreprises qui y contreviennent. Cette tendance s’inverse en revanche clairement à mesure que le poids et la fréquence des sanctions s’alourdit, et vient à surpasser les avantages dont peuvent éventuellement bénéficier les entreprises[13].

Ainsi, au-delà de leur rôle de maintien de l’ordre public, les sanctions administratives (si tant est que le régulateur est disposé à les appliquer de façon transparente et systématique) participent directement à la volonté accrue des sociétés pétrolières de se mettre d’elles-mêmes en conformité avec les réglementations qui leur sont applicables.

Cette dynamique est également présente dans le secteur pétrolier amont, où une large adhésion des entreprises aux règlementations en vigueur est d’autant plus cruciale que la responsabilité sociale de celles-ci est élevée − en raison notamment des niveaux particulièrement élevés de disruption sociale et environnementale que peuvent générer leurs activités dans un espace humain donné.

En effet, l’on a pu identifier l’existence d’une corrélation entre la mise en place de régimes de sanctions suffisamment dissuasifs et l’influence positive sur le comportement des sociétés pétrolières en matière de compliance au sein des sociétés pétrolières.

En matière de contenu local par exemple, l’on a pu observer de mauvais résultats en matière de compliance tant lorsque les entreprises ressentent que les incitations dont elles pourraient bénéficier ne sont pas suffisamment garanties, que lorsque la menace de sanctions réprimant leurs entraves à la réglementation n’existe pas[14].

En matière de responsabilité environnementale, le maniement efficace des sanctions administratives s’est révélé être un antidote efficace contre les comportements contraires aux régulations du secteur. En effet, le fait pour l’administration de combiner les sanctions pécuniaires avec des sanctions administratives telles que le retrait de droits ou le refus d’accorder des droits futurs, comme le fait par exemple le législateur camerounais[15], a un effet direct et substantiel sur la culture d’entreprise. Les sociétés pétrolières commencent à ne plus simplement penser à corriger les atteintes environnement, mais également à se dire que si ces atteintes se multiplient et sont suffisamment sérieuses, elles peuvent être purement et simplement exclues du marché et être obligées de baisser le rideau[16].

Sans compter les atteintes causées à la réputation de société pétrolières responsables d’atteintes environnementales, qui peuvent être encore plus punitives et durable que les sanctions imposées[17]. En effet, les éventuels coûts qui s’imposeraient à une société pétrolière responsables de dommages environnementaux pour la réparation de ces dommages − liés notamment à la double-application des principes « pollueur-payeur »[18] et de « responsabilité »[19] − et la perception négative qu’a le public et les éventuels partenaires commerciaux d’opérateurs responsables de catastrophes environnementales de masse peut avoir de lourdes conséquences pour l’avenir d’une entreprise.

2. Perspectives d’avenir en matière de compliance dans le secteur pétrolier amont camerounais

Malheureusement, il paraît difficile à ce stade d’avoir une visibilité sur la compliance dans le secteur pétrolier amont au Cameroun. Le manque de données sur le sujet et la confidentialité qui entoure généralement la conclusion et l’exécution des contrats pétroliers au Cameroun rend donc également difficile une évaluation de l’impact réel que pourrait avoir le nouveau régime des infractions et de sanctions sur le comportement des entreprises du secteur.

Il serait toutefois possible d’escompter des résultats positifs en matière de compliance pour les sociétés pétrolières opérant au Cameroun. Mais, encore une fois, cela ne serait possible que si le régulateur fait preuve de crédibilité, manifestée tant par sa capacité à tenir ses engagements vis-à-vis des sociétés pétrolières qu’à sa volonté de réprimer de façon systématique les infractions à la réglementation dont elles pourraient éventuellement se rendre coupables.

Pour ce faire, il sera probablement nécessaire que la configuration administrative de la régulation du secteur pétrolier amont évolue. En effet, jusqu’ici, l’application des règles répressives dans le secteur pétrolier amont s’est heurtée, en Afrique, à l’inadéquation des mécanismes de mise en œuvre de ces règles ; cette inadéquation tenant notamment à la politisation excessive du processus de régulation administrative du secteur pétrolier amont.

La création d’un autorité administrative indépendante chargée de réguler le secteur pétrolier amont au Cameroun et dotée du pouvoir de sanctions, sur le modèle de l’Agence Nationale du Pétrole brésilienne (ANP) ou encore de la Petroleum Commission du Ghana pourrait permettre de contrecarrer de manière efficace les interférences politiques dans la régulation du secteur et assurer l’absence de conflits d’intérêts dans le processus de régulation, notamment en séparant le commercial du réglementaire dans un schéma où l’État camerounais, à travers la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) est un opérateur à parts entières du secteur pétrolier amont.

Si tant est que les moyens et pouvoirs accordés à cette autorité sont suffisants, une amélioration du contrôle, et la publicité des décisions sanctions pourrait avoir des effets bénéfiques en matière de mise en conformité des entreprises du secteur pétrolier amont.

Dans le même ordre d’idées, cette autorité indépendante, s’il elle est un jour mise en place, pourra également jouer un rôle crucial dans la collecte et la publication d’informations relatives à la compliance dans le secteur pétrolier amont.

Il appartient en tout état de cause aux pouvoir publics de faire le meilleur usage possible des opportunités créées par le législateur en balançant le besoin de compétitivité du secteur et les autres impératifs d’intérêt général.

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Auteurs :

Sarada Nya, Avocate aux Barreaux du Cameroun et de Paris.

Yann Solle, Juriste collaborateur senior au sein du Cabinet Chazai Wamba.

  1. Le Code pétrolier camerounais encadre uniquement les activités du secteur pétrolier amont, qui est définit par le législateur comme l’ensemble des « activités de prospection, de recherche et d’exploitation des hydrocarbures », par opposition au secteur pétrolier aval, qui englobe les « activités de transport par canalisation, de raffinage, de transformation, de stockage, de commercialisation et de distribution des hydrocarbures » (Article 2 du Code Pétrolier). Le secteur pétrolier aval est pour sa part encadré par une série disparate de textes concernant pour chacun d’eux l’une ou l’autres des activités dudit secteur.

  2. Le législateur camerounais définit le contenu local comme un « ensemble d’activités de l’industrie pétrolière camerounaise axées sur le développement des capacités locales, le transfert de technologies, l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales et la création d’une valeur ajoutée mesurable pour l’économie locale » (Article 2 du Code Pétrolier).

  3. Le titulaire du contrat pétrolier est une société pétrolière ou un consortium de sociétés commerciales, dont au moins l’une des composantes est une société pétrolière, lié à l’État par un contrat pétrolier ; le terme « titulaire » incluant également les co-titulaires (Article 2 du Code Pétrolier).

  4. Article 62 de l’ancien Code Pétrolier.

  5. En effet, l’Article 131(2) du Code Pétrolier indique que « l’une » de ces sanctions peut être prononcée à l’encontre du titulaire du contrat pétrolier ; ce qui exclut clairement une application cumulative des deux types de sanctions.

  6. Voir Article 132(2) du Code Pétrolier.

  7. Article 131(1) du Code Pétrolier.

  8. Marie-Anne Frison-Roche, « Le droit de la compliance », Recueil Dalloz n°32, septembre 2016, p.1871

  9. S’il est vrai que le Cameroun opère un système juridique mêlant droit civil et Common Law, mais les réglementations sectorielles telles que le Code Pétrolier et les réglementations existant en matière de droit des affaires (droit OHADA et lois nationales) sont d’inspiration civiliste.

  10. Le terme soft law désigne généralement des règles ou instruments juridiques qui ne sont pas contraignants. Ce concept se rencontre généralement en droit international (les résolutions des Nations Unies sont des exemples de soft law), mais il se répand dans d’autres champs du droit avec la multiplication de règles de droits à portée largement déclarative ou incitative, dont l’application est peu ou pas contrôlée par les pouvoirs publics. Dans le secteur pétrolier amont par exemple, il n’est pas rare de rencontrer de telles règles en matière de politiques de contenu local. La hard law, a contrario, désigne des règles et des instruments juridiques contraignants, dont l’application est obligatoire ; celle-ci pouvant faire l’objet d’une exécution forcée tant par les autorités administratives que judiciaires.

  11. Marie-Anne Frison-Roche, op. cit., pp.1871-1872.

  12. Le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) peut être défini comme l’ensemble des engagements que prend une entreprise et en vertu desquels elle gère les effets sociaux, environnementaux et économiques de ses activités de façon responsable et de manière conforme aux attentes du législateur et/ou des populations locales. La RSE peut être imposée dans son contenu par des obligations légales.

  13. Silvana Tordo, Michael Warner, Osmel E. Manzano et Yahya Ahnouti, « Local Content Policies in the Oil and Gas Sector », World Bank Study, Washington, DC: The World Bank, doi : 10.1596/978-0-8213-9931-6. License: Creative Commons Attribution CC BY 3.0, 2013, p. 153.

  14. Ibid.

  15. L’un des critères retenus par l’administration camerounaise pour l’accession au statut de société pétrolière est la justification de capacités techniques et financières pour mener à bien les opérations pétrolières dans des conditions d’hygiène, de sécurité et de protection de l’environnement conformes à la législation applicable et aux standards internationaux (Article 2 du Code Pétrolier). Autant dire qu’une entreprise dont le bilan global en matière de responsabilité environnementale laisse à désirer est immédiatement handicapée dans le processus d’obtention d’une autorisation ou d’un contrat pétrolier.

  16. George Jugovic Jr., cite par Laura Legere in « DEP Fined Oil & Gas Companies $2.5 million last year », State Impact Pennsylvania, février 2014 (https://stateimpact.npr.org/pennsylvania/2014/02/27/dep-fined-oil-and-gas-companies-2-5-million-last-year/)

  17. Geoffery Swett, John H. Statzer, « Upstream Oil & Gas Regulatory Enforcement – Are You Prepared? », The E.Vironment Benchmark, e.vironment, 2010, p.4.

  18. Principe « selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de la lutte contre celle-ci et de la remise en l’état des sites pollués doivent être supportés par le pollueur » (Article 9 de la Loi Environnement).

  19. Principe « selon lequel toute personne qui, par son action, créée des conditions de nature à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination dans des conditions propres à éviter lesdits effets » (Article 9 de la loi n°96/12 du 5 août 1996).