La loi n°2018/022 du 11 décembre 2018 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2019 (ci-après la « Loi de finances »), publiée au journal officiel en date du 12 décembre 2018, présente un ensemble de mesures traduisant la volonté du gouvernement camerounais d’élargir son assiette d’impôts[1]. Tout en espérant un taux de croissance à 4,4% du Produit intérieur brut (PIB), l’Etat vise trois objectifs : réduire la dépense publique, maîtriser le rythme de l’endettement et surtout, accroître la mobilisation des recettes internes[2].

Pour y arriver, de nombreuses mesures sont proposées par le Gouvernement sur plusieurs plans notamment douanier, fiscal et financier. Ces dispositions concernent l’élargissement de l’assiette fiscale et la réduction de la dépense fiscale. C’est ainsi que l’on assistera à l’accroissement du champ d’application de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (ci-après « TVA ») aux contrats et commissions d’assurance vie et d’assurance maladie.

En effet, l’article 128 – 13 du Code Général des Impôts (ci-après « CGI ») qui permettait l’exonération de la TVA sur les contrats et commissions d’assurance vie et maladie a été supprimée par la Loi de finances. Autrement dit, à compter de 2019, un prélèvement de 19,25% sera effectué sur tous les contrats d’assurance vie et maladie (ci-après la « Réforme »).

Cette Réforme a été vivement critiquée par les assureurs qui affirment que l’application de la TVA sur l’assurance-vie et maladie, relève tout simplement « d’une taxation de l’épargne qui avait déjà subi une taxation puisqu’il s’agit d’une épargne sur le salaire », et « se traduit en réalité par la disparition de l’assurance-vie à terme si rien n’est fait »[3].

Les différentes interventions que suscite cette Réforme nous invitent à nous interroger sur l’impact réel de l’application de la TVA aux contrats d’assurance vie et maladie. La Loi de finances est-elle en train de constituer véritablement un frein au développement de l’assurance vie au Cameroun (1) ? Existe-t-il des conséquences positives de l’application de cette Réforme pour les compagnies d’assurance (2) ?

1. EFFETS DE L’ASSUJETTISSEMENT DE LA TVA AUX CONTRATS D’ASSURANCE VIE ET MALADIE

L’application de la TVA aux contrats d’assurance vie et maladie est susceptible (1.1) d’entrainer une augmentation des primes d’assurance vie et maladie, et par ricochet, (1.2) la réduction de la part des marchés des assureurs.

1.1. Augmentation de la prime d’assurance

La prime est la contribution que verse l’assuré à l’assureur en échange de la garantie qui lui est accordée. Elle est payable au départ de l’opération d’assurance ou de l’année d’assurance, d’où son nom de prime[4].

La TVA est quant à elle un impôt indirect sur la consommation. Elle concerne, en principe, tous les biens et services consommés ou fournis et elle est supportée par le consommateur final.

A l’origine, les compagnies d’assurances fournissaient les services d’assurance vie et maladie à des montants n’incluant pas la TVA. Les montants indiqués sur les polices d’assurance étaient toutes taxes comprises (TTC). La Réforme vise à inclure la TVA dans le prix TTC qui est aujourd’hui payé par le souscripteur. Cette TVA collectée étant à destination de l’Etat. Concrètement, la compagnie d’assurance, fournisseur du service, collecte la TVA auprès de ses clients et la reverse à l’Etat de sorte qu’au final, seul le souscripteur supporte cette TVA.

Ce mécanisme a pour principale conséquence d’augmenter le montant de la prime d’assurance au profit de l’Etat et au détriment de l’assuré et partant de la compagnie d’assurance.

En pratique, pour se constituer une réserve de capital qu’il pourra utiliser dans sa vie de retraité, le souscripteur devra payer près de 20 FCFA, pour chaque 100 Francs CFA versés dans le cadre du contrat d’assurance vie. Ce qui pourrait sembler paradoxal, vu que pour des montants identiques, les comptes d’épargne ouverts dans les établissements de crédit rémunèrent plutôt les déposants.

En outre, instaurer la TVA sur les polices d’assurance maladie, qui servent à rembourser les soins de santé des assurés revient à introduire la TVA sur les soins de santé. Le risque direct se trouve dans la réticence des employeurs à souscrire des polices d’assurance pour leurs employés.

Par ailleurs, la Réforme dans sa forme actuelle pourrait réduire l’attrait des personnes aux police d’assurance vie et maladie. Des solutions alternatives peu onéreuses telles que les banques et les mécanismes informels, notamment les tontines pourraient prendre le relais au détriment du produit d’assurance.

1.2. Réduction de la part des marchés des assurances

Le taux de pénétration des assurances au Cameroun est très faible, soit environ 2%[5]. Ce faible taux s’explique par le mur d’incompréhension qui persiste entre les assureurs et le public. En effet, l’assurance a mauvaise presse auprès de la majorité de la population dont les revenus sont déjà très bas[6]. Avant de payer les primes d’assurance, les populations doivent faire face aux urgences tels que l’alimentation, l’habillement, la scolarité, etc et celles-ci se refusent encore à rentrer dans des scénarios rationnels et institutionnels de couverture de risque. Face à une catastrophe, ces populations savent qu’elles pourront compter sur la solidarité africaine, notamment familles, amis, etc., pour cotiser et participer à la réparation du dommage[7].

Cette incompréhension pourra être renforcée par l’augmentation des primes d’assurance et entraîner des résiliations massives qui conduira à fragiliser les compagnies d’assurance. En effet, la réduction des souscriptions aux polices d’assurance vie réduirait nécessairement les participations aux bénéfices.

A cet égard, en matière d’assurance vie, la participation aux bénéfices représente la part des sommes que les assureurs doivent reverser aux souscripteurs en fonction des bénéfices techniques et financiers qu’ils ont eux-mêmes perçus[8].

Les compagnies d’assurance vie constituent des provisions mathématiques[9] comptabilisées au passif de leur bilan. Elles sont constituées par les cotisations qu’elles encaissent (provisionnent) en vue de leurs engagements futurs et qui, en attendant, sont capitalisées à titre financier et viager.

Même si elle est détenue par l’assureur, cette épargne doit revenir prioritairement aux assurés. Elle permet ainsi de lisser la rémunération des contrats en fonction des aléas commerciaux (taux servis par la concurrence) et des contraintes réglementaires.

Ainsi, le montant des participations aux bénéfices des assurés peut être affecté directement aux provisions mathématiques ou porté, partiellement ou totalement, à la provision pour participation aux excédents[10].

Dès lors, la réduction de la participation aux bénéfices des assurés pourrait devenir un réel handicap au développement des sociétés d’assurance vie.

Toutefois, certains aspects positifs peuvent néanmoins être observés avec l’entrée en vigueur de cette Réforme.

2. AVANTAGES DE L’ASSUJETISSEMENT A LA TVA AUX CONTRATS D’ASSURANCES VIE ET MALADIE

Les assurances et les produits financiers sont généralement placés en dehors du champ d’application de la TVA. Les assureurs et les banquiers ont très longtemps défendu cette solution. Pourtant, les inconvénients engendrés par une telle situation semblent prévaloir sur les avantages qu’elle est supposée offrir. En effet, les assureurs vie et maladie ne peuvent pas récupérer la taxe grevant leurs investissements ainsi que celle qu’ils payent sur leurs dépenses d’exploitation, notamment sur les factures de leurs prestataires de services eux-mêmes assujettis à la TVA[11].

2.1. Récupération de la taxe grevant les investissements

Compte tenu du principe de neutralité de la TVA fondé sur le régime des déductions, l’exonération dont bénéficient les compagnes d’assurance vie est en réalité pénalisante, dans la mesure où elles ne peuvent pas réduire la TVA sur leurs acquisitions de biens et services[12].

En effet, le droit à la déduction intégrale de la taxe tout au long de la chaîne des transactions, à l’exception du consommateur final, assure la neutralité de la taxe, quel que soit la nature du produit ou du service.

Il appartiendrait donc à chacun de faire son calcul. Les éléments à prendre en considération sont l’importance des investissements et des achats grevés de taxe, qui pourra être récupérée, et également la nature de la clientèle. Est-elle elle-même assujettie à la TVA, bénéficiant de la déduction de la taxe qui grèverait les primes d’assurances ?

En fonction de ces éléments, il pourrait y avoir un réel avantage à l’assujettissement des contrats d’assurance vie ou maladie à la TVA.

Pour avoir un réel avantage économique pour les compagnies d’assurance, il serait alors opportun que l’administration fiscale aille plus loin que la modification de la loi de finance de 2019 et qu’elle propose aux sociétés d’assurance un assujettissement à la TVA à taux zéro.

2.2. Assujettissement à la TVA de l’activité d’assurance vie à taux zéro

L’assujettissement à la TVA de l’activité d’assurance vie à taux zéro, tenant compte du principe de la neutralité de la TVA, permettrait aux sociétés de récupérer la TVA grevant leurs acquisitions de biens et services tout en garantissant la survie du contrat d’assurance vie ou du contrat d’assurance maladie.[13]

En effet, le taux zéro permettrait de « purger » en théorie toute la TVA payée par les sociétés d’assurance vie sans dissuader les potentiels souscripteurs à opter pour le produit d’assurance puisque l’application de la TVA à taux zéro n’aura aucune incidence sur le coût final du produit d’assurance.

Si cette solution semble avantageuse, il faudrait que l’administration fiscale soit disposée à renoncer à ses recettes résultant de la taxation des produits d’assurance vie et maladie et qu’elle aménage les dispositions de la loi de finance de 2019 en prévoyant un régime dérogatoire.

La Loi de finances, comme développée ci-dessus, prévoit un assujettissement à la TVA des contrats d’assurance vie et maladie. Le principe de cette imposition constitue un frein important au développement de l’épargne dans le cadre des sociétés d’assurance vie.

En effet, l’essentiel des épargnants dans le cadre des contrats d’assurance vie sont des particuliers. L’imposition de ces contrats risque de réduire leur attrait pour les produits d’assurance vie et constituer un frein à leur développement au Cameroun.

Il faudrait alors aboutir à la mise en place d’une fiscalité qui bonifie à la fois les produits de placements effectués par les compagnies, et les revenus versés aux assurés.

Pour les compagnies d’assurance vie, il s’agirait d’aboutir à un assujettissement à la TVA à taux zéro.

Auteurs :

Flora WAMBA, Avocate aux Barreaux du Cameroun et de Paris, Associée du Cabinet Chazai Wamba.

Khadidja Benazir MOUSSA, Juriste.

  1. Un article y relatif est disponible sur le site web : www.chazai-partners.com.

  2. Direction Générale du Budget, comprendre le projet de loi de finances 2019, http://www.dgb.cm/news/comprendre-le-projet-de-loi-de-finances-2019/.

  3. Investir au Cameroun, les assureurs saisissent la Primature pour obtenir la suppression de la TVA sur l’assurance-vie et maladie, https://www.investiraucameroun.com/assurance/0407-12923-les-assureurs-du-cameroun-saisissent-la-primature-pour-obtenir-la-suppression-de-la-tva-sur-l-assurance-vie-et-maladie.

  4. Couilbault (F.), Couilbault-Di Tommaso (S.), Huberty (V.), Les grands principes de l’assurance, 14e ed, Editions L’ARGUS de l’assurance, Mayenne, 2019, page 45.

  5. Affaires : avec 2% de taux de pénétration, le marché des assurances n’a pas la cote auprès des populations, https://actucameroun.com/2019/06/03/affaires-avec-2-de-taux-de-penetration-le-marche-des-assurances-na-pas-la-cote-aupres-des-populations/.

  6. Euro-Institut d’actuariat, Défis techniques, financiers et commerciaux de l’assurance vie en Afrique subsaharienne francophone, http://www.ressources-actuarielles.net/EXT/ISFA/blogAK.nsf/dx/Bertomeu-Gilles_et_al_2012.pdf/$file/Bertomeu-Gilles_et_al_2012.pdf..

  7. L’Afrique qui a inventé le système d’assurance il y a près de 4000 ans, en bénéficie peu aujourd’hui, https://www.agenceecofin.com/hebdop1/0305-56624-l-afrique-qui-a-invente-le-systeme-d-assurance-il-y-a-pres-de-4000-ans-en-beneficie-peu-aujourd-hui.

  8. Participation aux bénéfices en assurance-vie, https://assurance-vie.ooreka.fr/astuce/voir/703445/participation-aux-benefices-en-assurance-vie.

  9. Code CIMA, Article 86.

  10. Ibidem.

  11. L’ARGUS de l’assurance, les assurances pourront opter pour la TVA, https://www.argusdelassurance.com/juridique/les-assurances-pourront-opter-pour-la-tva.23612.

  12. MONDON CONSEIL INTERNATIONAL, Incitations fiscales et assurance vie, http://fanaf.org/article_ressources/file/Etats%20Generaux%20Assurances%202018/Communication_2_Incitations%20fiscales%20et%20assurance%20vie_Cabinet%20MONDON.pdf.

  13. MONDON CONSEIL INTERNATIONAL, Incitations fiscales et assurance vie, http://fanaf.org/article_ressources/file/Etats%20Generaux%20Assurances%202018/Communication_2_Incitations%20fiscales%20et%20assurance%20vie_Cabinet%20MONDON.pdf.