Le potentiel énergétique de la République démocratique du Congo

La République démocratique du Congo est une immense étendue de ressources naturelles et humaines qui va de l’océan Atlantique au plateau de l’Est. Avec ses 2 345 409 km2 de superficie et ses 81,34 millions d’habitants, la RDC fait office de mastodonte en Afrique centrale. En plus de posséder les deux tiers des forêts tropicales d’Afrique, un sous-sol riche et un potentiel hydroélectrique considérable, la RDC dispose d’importants gisements d’une cinquantaine de minerais recensés, bien que juste une douzaine de ceux-ci soient effectivement exploités : le zinc, le cuivre, le tungstène, l’argent, l’uranium, le cadmium, le plomb, le cobalt, le diamant, l’or, l’étain, le manganèse, le coltan et des pierres précieuses telles que le diamant[1]. Malgré toutes ces richesses, l’économie de la RDC demeure relativement vulnérable car s’appuyant essentiellement sur les industries extractives, qui sont malheureusement très dépendantes de la fluctuation du cours des matières premières au niveau international. En raison de cet état des choses, la chute des cours du cuivre a négativement impacté l’économie du pays, de sorte que malgré son incroyable potentiel économique et énergétique, la RDC peine encore à s’imposer comme un leader économique au niveau régional[2].

Pour booster son économie, la RDC se doit impérativement de remédier à son problème de carence en énergie. Traversé par le fleuve Congo, le pays est doté d’un potentiel hydroélectrique évalué à 100.000 Méga Watt (MW), soit environ 13% du potentiel hydroélectrique mondial. Cependant, le pays ne dispose actuellement que de 2 516 MW soit 2.5% du potentiel estimé[3]. C’est dans ce contexte qu’interviennent les barrages d’Inga I et II. Ceux-ci ont pourtant la capacité d’accroitre considérablement la production d’énergie du pays et de permettre à la RDC de faire enfin face à ses besoins énergétiques internes, mais la mauvaise gestion de ces ouvrages par la société nationale d’électricité (Snel), dont le déficit budgétaire semble chronique, retarde l’accession du pays à une véritable indépendance énergétique.

Les barrages d’Inga I et Inga II, des éléphants blancs en eaux profondes

A l’instar de l’usine sidérurgique de Maluku, les barrages d’Inga I et II ont été conçus entre 1972 et 1982 dans le cadre d’une politique de développement et de prestige visant à amplifier le rayonnement du pays à l’international. Toutefois, le faible rendement de ces investissements en raison de la mauvaise maintenance de ces infrastructures pousse bon nombre d’observateurs à les qualifier d’éléphants blancs. La plupart des turbines de ces barrages étant à l’arrêt, faute de pièces de rechange, Inga I et II fonctionnent actuellement à 20 % de leur capacité, produisant respectivement 351 MW et 1 424 MW. De ce fait, seule 16% de la population congolaise a accès à l’électricité[4].

Le projet Inga III, Une solution qui se fait attendre

La simple évocation du nom « Inga III » suscite de l’enthousiasme chez les populations du continent. Ce projet ambitieux pourrait résoudre non seulement les soucis d’énergie de la RDC mais également ceux de toute l’Afrique australe. Ce barrage hydroélectrique prévu sur les chutes de l’Inga dans la province du Bas-Congo serait indispensable à l’approvisionnement en énergie des provinces du Kongo-Central et de Kinshasa. Le 16 octobre 2018, le gouvernement de la RDC procédait à la signature d’accords de développement avec un consortium sino-espagnol pour démarrer les études de faisabilité et de réalisation pour la construction de ce nouveau barrage[5] d’une capacité de 11.000 Mégawatts. Pour ce projet d’un coût estimé de 14 milliards de dollars, l’accord a été signé entre le gouvernement congolais et les groupements des sociétés « Chine Inga III » (emmené par China Three Gorges Corporation qui gère entre autres le barrage des Trois-Gorges en Chine) et « ProInga » (conduit par Cobra Instalaciones y Servicios, filiale du groupe BTP ACS) d’après un communiqué de la présidence. Ce projet colossal peine toutefois à trouver des financements, pourtant une meilleure gestion des recettes des barrages Inga I et II suffirait certainement à drainer les fonds nécessaires à la construction de ce troisième barrage sans avoir à recourir à une aide extérieure. On est en droit de s’interroger sur la nécessité de construire ce nouveau barrage estimé à plusieurs milliards de dollars quand parallèlement, la réhabilitation des deux premiers barrages n’est toujours pas effective, la société nationale d’électricité peinant à rassembler les quelques centaines de millions de dollars nécessaires à ce projet[6]. Mais tout ceci n’est rien comparé au Grand Inga dont Inga III n’est que la première des six phases.

Le difficile financement du grand Inga

Le projet du complexe Grand Inga porte sur la construction d’une centrale d’une puissance de 39.000 Mégawatts. Le projet intègre entre autres la construction d’un barrage hydroélectrique en amont de la prise d’eau de Nkokolo dans la vallée de la rivière Bundi et d’un autre barrage au niveau de son confluent avec le Congo en plus des barrages existant déjà. L’idée est de doter la RDC d’une série de 8 barrages au total (en comptant ceux qui existent déjà). Un projet d’une telle envergure suffirait en théorie à approvisionner en électricité tout un continent mais la difficulté qui se pose est celle de son financement[7]. D’un coût estimé entre 80 et 100 milliards de dollars[8], dans un pays rongé par la corruption et des soucis de gouvernance, le projet Grand Inga ne jouit pas d’un contexte véritablement propice à une mise en œuvre saine. Entre la suspension des financements de la Banque mondiale le 25 juillet 2016, et les incertitudes quant à la durée réelle des travaux, la configuration actuelle du projet n’est guère très rassurante. Bruno Kapandji, le chargé de mission de l’ex-président Joseph Kabila pour ce mégaprojet déclarait en effet le 13 juin 2018, que la construction durerait entre sept et onze ans. Le manque d’indépendance de l’agence en charge du projet, logée à la présidence ne facilite certainement pas la célérité de la prise de décision selon l’institution de Bretton Woods.

Des solutions alternatives

Le grand Inga est un projet utile mais est-il réellement nécessaire dans le contexte actuel ? La réhabilitation des deux premiers barrages devrait mobiliser d’avantage d’efforts d’autant plus que des dégradations irréversibles ont été constatées sur les barrages I et II comme en témoignent les rapports de Stucky SA[9], société d’ingénierie et planification indépendante. Une alternative à la construction du barrage Grand Inga serait peut-être d’opter pour une stratégie de décentralisation de la production électrique en choisissant des projets viables dans chacune des provinces du pays dotées de puissants cours d’eau.

Sachant que les principaux bénéficiaires potentiels du mégaprojet Inga ne sont pas les citoyens congolais mais plutôt l’industrie minière du Katanga et la compagnie sud-africaine d’électricité Eskom, il est logique de douter quelque peu de sa réelle nécessité pour les populations.

Lors de son discours d’investiture du Jeudi 24 janvier 2019, le président de la RDC, Félix Tshisekedi a semblé adopter cette dernière approche. La décentralisation de la production énergétique est clairement la stratégie à privilégier selon lui, pour atteindre l’autosuffisance énergétique globale.

Il a tenu à rappeler le faible taux d’accès de la population congolaise à l’énergie électrique, qui est de moins de 9% contre une moyenne de 30% en Afrique et a insisté sur le fait que paradoxalement, 76 000 villages du Congo peuvent s’auto-suffire en énergie grâce à leurs cours d’eau selon des études du PNUD[10].

Cette volonté plus qu’appréciable d’innover et d’explorer de nouvelles pistes ne sonne toutefois pas le glas des projets Inga. Les projets Inga III et Grand Inga, poursuit le président Tshisekedi, « […] seront réalisés avec une ouverture plus transparente vers les partenaires en tenant compte de l’importance stratégique et mondiale de ce site ». Ce projet colossal dont l’objectif est de fournir de l’énergie aux industries extractives de l’Afrique australe et des centres urbains éloignés représente potentiellement une formidable source de revenus pour la RDC. Mais pour que cela soit rentable, il faut d’abord trouver les financements nécessaires à sa réalisation. Grand Inga pourrait être financé dans le cadre d’une structure de partenariat public/privé. En considérant le contexte sociopolitique dans lequel ce projet sera développé, il est opportun de s’interroger quelque peu sur les implications économiques et juridiques de ce type de partenariat.

Le choix d’une structure de partenariat public-privé pour le financement de Grand Inga

Les pays faisant face aux contraintes des ressources publiques comme La RDC, et qui désirent investir dans les infrastructures optent généralement pour des partenariats avec le secteur privé pour palier au déficit de financement. Un partenariat public-privé (ou PPP) pour le financement du Grand Inga présenterait en effet bien des avantages. Ce serait par exemple un excellent moyen pour l’Etat de se doter des outils technologiques appropriés pour la mise en œuvre de toutes les opérations. Toutefois, pour un projet comme le Grand Inga, les PPP présentent un certain nombre d’inconvénients non négligeables, qu’il est toutefois possible de contourner.

Premièrement le développement, les appels d’offres et les coûts permanents des projets de PPP sont en général plus importants que ceux des procédés traditionnels de passation de marchés publics. Pour éviter de perdre inutilement de l’argent, le gouvernement devrait chercher à savoir au préalable si ces coûts plus élevés sont justifiés. Un certain nombre de PPP et d’unités de mise en œuvre du monde entier ont développé des méthodes d’analyse de ces coûts afin d’examiner le rapport qualité-prix[11].

Il ne faut également pas perdre de vue le fait que tous les projets ne se ressemblent pas forcément et donc, ne génèrent pas le même type de revenus. Certains projets par exemple, produiront des revenus dans la devise locale uniquement tandis que d’autres, comme le projet Grand Inga sont susceptibles de générer des revenus en devises internationales. Les contraintes liées aux marchés financiers locaux peuvent de ce fait avoir une incidence.

Les entreprises privées ont également tendance à refuser de supporter les risques qui échappent à leur contrôle à l’instar des risques liés aux actifs existants ou les risques de change. Si l’entreprise y consent, elle exigera logiquement un niveau plus important de contrôle sur les opérations.

En outre, le gouvernement doit comprendre que sa mission ne se termine pas avec la livraison de l’ouvrage. Contrairement au secteur privé, sa responsabilité est pérenne et il sera tenu responsable de la qualité du fonctionnement des infrastructures.

Enfin, il est important que le gouvernement aménage des mécanismes pour éviter que le déséquilibre relatif à la maîtrise du projet soit trop grand entre l’opérateur privé et le gouvernement. Il est de ce fait important de veiller à imposer à l’opérateur, des obligations de déclarations précises afin de minimiser le déséquilibre potentiel.

Un impact environnemental non négligeable

Au-delà de toutes les considérations économiques et juridiques, il est urgent de se soucier également des conséquences que la construction d’édifices aussi colossaux pourrait avoir sur l’environnement. Le détournement du fleuve Congo prévu dans le projet est susceptible selon les experts d’inonder la vallée de la Bundi et noyer des terres auparavant destinées à l’agriculture. Parallèlement, la réduction du flux du fleuve Congo va très certainement causer une disparation de la biodiversité et causer des modifications irréversibles dans les espèces dominantes. Enfin, la présence des lignes à haute tension représente une réelle menace pour la sécurité des populations[12].

L’Etat a tout intérêt à prendre en compte ces paramètres et d’élaborer des solutions avant de se lancer dans la phase pratique du projet.

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Auteurs :

Sarada Nya, Avocate aux Barreaux du Cameroun et de Paris.

Paul Ariel Kombou, Avocat au barreau du Cameroun et du Nigeria, Collaborateur Senior au sein du Cabinet Chazai Wamba.

  1. République Démocratique du Congo (Le contexte économiquehttp://www.expert-comptable-international.info/fr/pays/democratic-republic-of-congo/economie-3).

  2. Classement Doing Business 2019

  3. Ministère du Plan /UPPE-SRP : « Document de stratégie de la croissance et de réduction de la pauvreté », version finale, Kinshasa, Juin 2006, P 33, inédit.

  4. RD Congo : il y a mieux à faire que le Grand Inga (https://www.jeuneafrique.com/mag/346673/economie/rd-congo-y-a-mieux-a-faire-grand-inga/).

  5. Barrage Inga III : la RDC signe un accord exclusif avec deux groupes chinois et espagnol (https://www.jeuneafrique.com/647195/economie/barrage-inga-iii-la-rdc-signe-un-accord-exclusif-avec-deux-groupes-chinois-et-espagnol/).

  6. Ré­habili­ta­tion des barrages Inga 1 et Inga 2, Congo (https://www.gruner.ch/fr/news/rehabilitation-des-barrages-inga-1-et-inga-2-congo).

  7. « Grand Inga n’est–il qu’une grande illusion ? », Terri Hathaway, International Rivers, 1er avril 2005.

  8. RD Congo : il y a mieux à faire que le Grand Inga (https://www.jeuneafrique.com/mag/346673/economie/rd-congo-y-a-mieux-a-faire-grand-inga/).

  9. Ré­habili­ta­tion des barrages Inga 1 et Inga 2, Congo (https://www.gruner.ch/fr/news/rehabilitation-des-barrages-inga-1-et-inga-2-congo).

  10. Programme des Nations Unies pour le Développement.

  11. Avantages et risques des PPP (https://ppp.worldbank.org/public-private-partnership/français/à-propos-des-ppp/avantages-et-risques-des-pppenseignements-tirés-des-expériences/avantages-) consulté le 7 octobre 2019.

  12. Le président de la RDC, Félix Tshisékédi, veut cinq nouveaux barrages sur le fleuve Congo (https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/ethiopie/le-president-de-la-rdc-felix-tshisekedi-veut-cinq-nouveaux-barrages-sur-le-fleuve-congo_3260365.html).