L’impressionnante vitesse de propagation du Corona virus ou COVID-19 couplée à la gravité des symptômes qu’elle provoque chez les personnes atteintes font de cette pandémie l’une des plus dévastatrices de la décennie. L’impact de celle-ci sur les économies est manifeste. Cela pousse à s’interroger sur les conséquences du COVID-19 sur l’exécution des obligations contractuelles. En d’autres termes, peut-on considérer au Cameroun, au vu des récents évènements que le COVID-19 constitue un cas de force majeure (i) ou bien est-il plus plausible, dans le contexte actuel d’évoquer la situation d’imprévision engendrée par l’épidémie comme cause exonératoire à l’exécution des obligations contractuelles (ii) ?

i) L’ épidémie du coronavirus peut -elle être considérée comme étant un cas de force majeure ?

La “force majeure” ou cas fortuit est une circonstance exceptionnelle, étrangère au débiteur d’une obligation, et qui a pour conséquence de l’empêcher d’exécuter les prestations qu’il devait à son créancier. Pour que la force majeure puisse libérer le débiteur de ses obligations, il faut que le juge constate le caractère imprévisible et irrésistible de l’événement1. Le critère de l’extériorité est également souvent recherché mais dans le cas de l’épidémie de Coronavirus, il est évident que l’évènement est extérieur aux parties. Nul besoin de s’attarder donc sur ce point.

Il est important de préciser que l’imprévisibilité s’évalue le jour de la conclusion du contrat et par référence à une personne prudente et diligente2. L’épidémie de COVID-19 sera difficilement qualifiée d’évènement imprévisible pour les parties ayant conclu un contrat au cours de ces derniers mois car l’épidémie a été annoncée par les autorités avant même que les premiers cas ne soient détectés sur le territoire national. De ce fait, et comme cela avait été le cas lors de l’épidémie de grippe aviaire, le caractère imprévisible sera difficilement établi3. Néanmoins pour les contrats dont la conclusion remonte à une époque où l’épidémie n’était pas envisageable, le critère de l’imprévisibilité pourrait être retenu.

L’irrésistibilité pour sa part s’apprécie au regard du comportement du débiteur au moment de la survenance de l’évènement. Il faut que ce dernier soit dans l’impossibilité d’exécuter le contrat. Le COVID-19 bien que mortel dans bien des cas n’étant pas incurable, il est difficile d’établir l’irrésistibilité de cette maladie. En plus, il existe un ensemble de précautions qui peuvent être adoptées dans le but de ne pas se faire infecté.

2010 avait estimé que le caractère irrésistible de la Dengue en Martinique ne pouvait pas être établi car il existait “des mesures de protection individuelles à respecter, tels que l’utilisation de Moustiquaires et de répulsifs ainsi que le port de vêtements longs” et que “les symptômes de cette maladie consistaient en une forte fièvre accompagnée de maux de tête, de courbatures et d’asthénie pouvant durer plusieurs semaines et qu’elle ne présentait pas de complications dans la majorité des cas”4.

Toutefois, les mesures étatiques restrictives prises pour endiguer la crise (le fait du prince)

pourront selon leurs natures être qualifiées ou non de cas de force majeure5.

ii) L’ évocation de l’imprévision comme cause exonératoire à l’exécution des obligations

La théorie de l’imprévision prévoit que dans le cadre de l’exécution d’un contrat, une modification générale de l’équilibre de celui-ci dû à un changement de circonstances imprévisible au moment de sa formation pourrait entraîner sa révision par le juge, à l’avantage de la partie lésée par le changement de circonstances6.

L’évènement imprévisible serait, selon le professeur Bruno Oppetit, celui que l’on ne pouvait raisonnablement demander aux parties de prendre en compte au moment où elles ont conclu leur contrat. Dans le cas de la présente épidémie, les conventions conclues avant que les parties ne puissent raisonnablement anticiper ce danger pourront se voir appliquer l’imprévision.

L’imprévision contrairement à la force majeure se singularise par le fait que l’évènement invoqué ne rend pas impossible l’exécution de l’obligation. Ladite exécution deviendra juste plus onéreuse mais demeurera réalisable.

Les parties peuvent librement en cas d’imprévision décider de renégocier leur contrat en tenant compte des nouveaux paramètres situationnels. En France, suite à la réforme du droit des contrats de 2016, la théorie de l’imprévision a été intégrée dans le code civil et son nouvel article 1195 permet désormais aux parties non seulement de procéder à une renégociation de leur contrat en cas d’imprévision mais aussi dans l’hypothèse d’un échec de la renégociation, de demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation dudit contrat.

Le code civil camerounais ne possède pas de dispositions similaires et en général, les juridictions civiles sont hésitantes à l’idée d’appliquer la théorie de l’imprévision car elle s’oppose au principe de la force obligatoire du contrat. Toutefois, les parties peuvent éventuellement convenir entre elles d’une renégociation de leurs obligations sans résilier le contrat.

Paul Ariel KOMBOU, Avocat aux barreaux du Cameroun et du Nigéria, Collaborateur Senior au sein du Cabinet Chazai Wamba.

1 Un arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 6 nov. 2002 ; (Sté Clio “Voyages Culturels” c/ T. : Juris-Data n° 016221 et 1ère Civ. – 30 octobre 2008, BICC n°697 du 1er mars 2009) décide que seules l’irrésistibilité et l’imprévisibilité dans son exécution, dont la survenance doit être appréciées à la date de la conclusion du contrat, caractérise la force majeure.

2 CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003.

3 CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291.

Dans une circonstance similaire, la Cour d’appel de Nancy dans un arrêt du 22 novembre

4 CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003 Supra.

5 CA Paris, 18 janvier 2012, n° 10/02246.

6 Conseil d’État, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux [archive], publié au recueil Lebon, p. 125.