ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Première Chambre
Audience Publique du 27 janvier 2005
Pourvoi : n° 102/2003/PC du 21 octobre 2003
Affaire : Abdoulaye Baby BOUYA
(Conseil : Maître MOUNKAILA YAYE, Avocat à la Cour)
Contre
BANQUE INTERNATIONALE POUR L’AFRIQUE
dite BIA-NIGER
(Conseil : Maître BOULAMA Yacouba, Avocat à la Cour)
ARRET N° 002/2005 du 27 janvier 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 27 janvier 2005 où étaient présents :
- Jacques M’BOSSO, Président, rapporteur
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Biquezil NAMBAK, Juge
et Maître BINDE Colombe Zelasco KEHI, Greffier ;
Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique devant la Cour de céans de l’affaire Abdoulaye Baby BOUYA contre Banque Internationale pour l’Afrique dite BIA-NIGER par Arrêt n° 02-185/C du 26 décembre 2002 de la Cour Suprême du Niger, chambre judiciaire, saisie d’un pourvoi initié le 11 mars 2002 par Maître MOUNKAILA Yayé, Avocat à la Cour à Niamey, y demeurant B.P. 11972 Niamey, agissant au nom et pour le compte de Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA, commerçant à Niamey, BP. 11401,en cassation de l’Arrêt n°76 du 23 mai 2001 rendu par la Cour d’appel de Niamey au profit de la BIA-NIGER et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort,
Reçoit Abdoulaye Baby BOUYA en son appel régulier en la forme ;
Au fond : Confirme l’Ordonnance attaquée ;
Condamne Baby BOUYA aux dépens » ;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la « requête afin de cassation » annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Président ;
Vu les articles 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que pour garantir le remboursement du prêt de soixante deux millions sept cent quatre vingt dix mille deux cent huit (62.790.208) F CFA contracté en 1997 auprès de la Banque Internationale pour l’Afrique dite BIA-NIGER, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA avait signé par devant notaire en faveur de ladite banque, le 30 novembre 1999, un pouvoir spécial de vente de gré à gré de l’immeuble lui appartenant et faisant l’objet de l’acte de cession n° 2967, îlot 3679, parcelle C, lotissement Route Ouallam ; qu’à la suite des difficultés de remboursement de ce prêt qu’aurait rencontrées Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA selon la BIA-NIGER, celle-ci avait décidé, après plusieurs réclamations demeurées infructueuses selon elle, d’exécuter le mandat de vente de gré à gré à lui donné par Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA en procédant à la vente de l’immeuble de ce dernier ; que contestant pour sa part cette décision de vente de son immeuble par la BIA-NIGER, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA était allé occuper les lieux ; que suite à cette occupation, la BIA-NIGER avait saisi en référé le Président du Tribunal régional de Niamey d’une requête en expulsion de Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA des lieux occupés ; que dès la notification à lui faite de ladite ordonnance d’expulsion, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA en avait relevé appel devant la Cour d’appel de Niamey par acte d’appel du 07 mai 2001 en demandant à celle-ci au motif, entre autres, « qu’il y a contestation sérieuse sur le montant même de la créance restant due et que seul le juge du fond peut apprécier » :
« – d’infirmer l’ordonnance querellée
– de constater que la vente [de son immeuble par BIA-NIGER] a été faite irrégulièrement en violation des articles 246 et suivants de l’Acte uniforme du 10 avril 1998
– dire et juger que l’expulsion de Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA est illégale » ; que ladite Cour d’appel, en rendant sa décision par Arrêt n° 76 du 23 mai 2001, avait confirmé l’ordonnance entreprise ; que par requête afin de cassation en date du 11 mars 2002, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA, assisté de son Conseil Maître MOUNKAILA Yayé, Avocat à la Cour à Niamey, avait formé un pourvoi en cassation de l’arrêt confirmatif susindiqué devant la Cour Suprême du Niger en invoquant trois moyens de cassation dont l’incompétence du juge des référés qui a rendu la décision attaquée ; que statuant sur la cause, la Cour Suprême du Niger, avant de se déclarer incompétente et de renvoyer l’affaire devant la Cour de céans, avait considéré, s’agissant de l’exception d’incompétence du juge des référés, « qu’il résulte des pièces du dossier, notamment de la requête abréviative de délai adressée par le demandeur au pourvoi au Président de la Cour d’appel de Niamey le 07 mai 2001 que celui-ci a fait état de l’existence de contestation sérieuse sur le montant même de la créance restant due et que seul le juge du fond peut apprécier ; qu’il est donc inexact de dire que le moyen tiré de l’incompétence du juge des référés est invoqué pour la première fois » en cassation comme le soutient BIA-NIGER ; que c’est donc l’Arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Niamey qui est déféré à la censure de la Cour de céans ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé l’ordonnance d’expulsion rendue par le Président du Tribunal Régional de Niamey dont l’incompétence a été soulevée à l’audience des référés du 04 mai 2001 mais qui est passé outre celle-ci au motif que ledit Président « s’est permis, sans aucune retenue, d’invoquer pêle-mêle les articles 1315, 1134 et 1603 du code civil pour valider, en plus de l’expulsion mais aussi la vente de l’immeuble appartenant à Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA alors que toutes ces questions n’ayant pas été préalablement débattues devant un juge du fond sont de nature à le rendre incompétent » ; qu’aux termes de l’article 809 du code de procédure civile applicable au NIGER, « les ordonnances sur référé ne feront aucun préjudice au principal » ; qu’en procédant comme il l’a fait, toujours selon le moyen, « le Juge des référés a statué au fond alors qu’il devait se déclarer incompétent, la créance elle-même n’étant pas liquidée donc contestée » ;
Attendu qu’il est de principe, en matière d’exceptions de procédure, que celles-ci « doivent, à peine d’irrecevabilité être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir » par la partie qui les invoque ; que s’agissant de l’exception d’incompétence, la juridiction dont l’incompétence est soulevée doit nécessairement se prononcer sur sa compétence avant de statuer sur la contestation dont elle est saisie ;
Attendu, par ailleurs, qu’il est également de principe que les ordonnances du Juge des référés ne doivent en aucune manière préjudicier au principal ;
Attendu, enfin, qu’il est de règle que l’objet d’un litige porté devant une juridiction est déterminé non pas seulement par la prétention de la partie demanderesse, mais par les prétentions respectives de toutes les parties, lesquelles prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense ; que le Juge est tenu de se prononcer sur tout ce qui lui est ainsi demandé ;
Attendu, en l’espèce, que de l’examen des pièces du dossier de la procédure, il ressort d’une part, que comparaissant à l’audience des référés du 04 mai 2001 comme le relève l’Ordonnance n°76/TR/NY/2001 prise lors de ladite audience, le demandeur au pourvoi, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA a contesté le montant de la créance de la défenderesse, la BIA-NIGER, en faisant « valoir qu’en réalité le prêt [à lui consenti par la BIA-NIGER] est amorti par le versement à la banque de loyers d’un de ses immeubles loués par l’Ambassade de Chine et que ces loyers sont régulièrement versés à la banque qui avait accepté le principe en vertu d’une convention » et, d’autre part, « de la requête abréviative de délai adressée par le demandeur au pourvoi au Président de la Cour d’appel de Niamey le 07 mai 2001 que celui-ci a fait état de l’existence de contestation sérieuse sur le montant même de la créance restant due et que seul le juge du fond peut apprécier ; qu’il est donc inexact [comme le relève à juste titre la Cour Suprême du NIGER dans son Arrêt de renvoi n° 02-185 du 26 décembre 2002] de dire que le moyen tiré de l’incompétence du Juge des référés est invoqué pour la première fois » en cassation ;
Attendu que dudit examen des pièces du dossier de la procédure, notamment de l’analyse de la motivation de l’arrêt de la Cour d’appel de Niamey, il apparaît clairement que celle-ci, bien que saisie en matière de référé, a statué, nonobstant le déclinatoire de compétence, comme une juridiction de fond en se prononçant non seulement sur l’existence de la créance contestée de la BIA-NIGER à travers l’appréciation des pièces justificatives des versements faits par Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA, mais aussi, sur la régularité du pouvoir de vendre de gré à gré en concluant « qu’en dehors de cette somme de 9.000.000 F CFA, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA ne prouve pas avoir payé une autre somme ; … qu’aux termes de l’article 1315 du code civil, celui qui prétend être libéré d’une obligation devra rapporter la preuve ; … qu’à défaut de cette preuve, Monsieur Abdoulaye Baby BOUYA doit être déclaré défaillant ; que dans ces conditions, c’est à bon droit que la BIA-NIGER a réalisé sa garantie conformément au pouvoir de vendre de gré à gré signé le 30 novembre 1990 » ; que ce faisant, la Cour d’appel de Niamey, qui siégeait en référé, s’est prononcée sur le fond du litige, violant ainsi le principe selon lequel les ordonnances du Juge des référés ne doivent en aucune manière préjudicier au principal, principe repris à son compte par l’article 809 du Code nigérien de procédure civile aux termes duquel, « les ordonnances sur référé ne feront aucun préjudice au principal » ;
Attendu que de ce qui précède, il résulte que le premier moyen du pourvoi pris en ses deux branches est fondé ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué pour violation de la loi sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi et de renvoyer la cause et les parties devant le Juge du fond ;
Attendu que la BIA-NIGER ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’Arrêt n° 76 rendu le 23 mai 2001 par la Cour d’appel de Niamey (NIGER) ;
Renvoie la cause et les parties devant le Juge du fond ;
Condamne la BIA-NIGER aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier