ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première Chambre

Audience publique du 29 novembre 2012

Pourvoi : n° 019/2009/PC du 20 février 2009

Affaire: AFRILAND FIRST BANK (ex CCEI-BANK)

               (Conseil : Maître Penka Michel, Avocat à la Cour)

contre

      LELL Emmanuel      

                (Conseil : Maître Jackson F. Ngnie KAMGA, Avocat à la Cour)

Arrêt N°077/2012 du 29 novembre 2012

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première Chambre,  a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 29 novembre2012 où étaient présents :

 

Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA, Président

Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge, rapporteur

Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Juge

 et   Maître MONBLE Jean Bosco,Greffier ;

 

Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, de l’affaire Afriland First Bank (ex-CCEI BANK) contre LELL Emmanuel, par Arrêt de la Cour Suprême du Cameroun, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié par Maître Penka Michel, Avocat au Barreau du Cameroun, B.P. 3588 à Douala, au nom et pour le compte de Afriland First Bank (ex CCEI-BANK), dans la cause qui oppose cette dernière à Monsieur LELL Emmanuel, ayant pour Conseil Maître Jackson F. Ngnie KAMGA, Avocat au Barreau du Cameroun, BP. 12.287 à Douala,en cassation de l’Arrêt n° 038/PC rendu le 18 avril 2008 par la Cour d’Appel de Douala et dont le dispositif est le suivant :

 

«Par ces motifs

Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort, à l’unanimité des membres ;

En la forme : Reçoit les appels ;

Au fond : Confirme le jugement entrepris ;

Condamne la société Afriland First Bank et Kagou Georges Léopold aux dépens distraits au profit de Maître Ngnie KAMGA, aux offres de droit… » ;

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux  moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE ;

Vu les dispositions des articles 14, 15 et 16 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par acte authentique n°6269 du 3 mars 1992 du répertoire de Maître Elie MBOBDA Mongoue, notaire à Douala, la CCEI-BANK devenue Afriland First Bank, a signé une convention d’ouverture de compte courant avec cautionnement personnel et hypothécaire de Monsieur LELL Emmanuel au profit de la Société Camerounaise de transformation dite SOCATRAF ; que c’est ainsi que Monsieur LELL Emmanuel a hypothéqué ses immeubles objet des titres fonciers n°5272W et 12006W ; qu’il résulte de cette convention de compte courant, un solde débiteur de 109.100.048 francs CFA ; que plusieurs mises en demeure aux fins de paiement faites à Monsieur LELL Emmanuel et à la SOCATRAF sont demeurées sans suite ; que pour recouvrer sa créance, Afriland First Bank a servi le 22 mars 2000 à ses débiteurs, par le biais de Maître Kogla, huissier de justice à Douala, un commandement aux fins de saisie immobilière demeuré également sans suite ; que c’est ainsi qu’un cahier de charges a été déposé au greffe du Tribunal de grande instance de Douala, le 7 juin 2000, fixant la vente au 25 août 2000 à 11 heures, en l’étude de Maître KOUEUSSEU Jeanne, notaire à Douala ; qu’une sommation de prendre communication du cahier des charges a été servie à Monsieur LELL Emmanuel et à la SOCRATAF le 11 juillet 2000 ; que ces derniers ont annexé au cahier des charges leurs dires et observations tendant à obtenir l’annulation du commandement aux fins de saisie immobilière et ceci, sous le prétexte d’une absence d’un pouvoir spécial à l’huissier instrumentaire ainsi que d’un défaut de signification et de commandement au tiers saisi ; que par Jugement n°353 du 06 mars 2003, le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala a ordonné la vente des immeubles et a fixé au 10 avril 2003 ladite vente ; que Monsieur LELL Emmanuel et la SOCATRAF ont formé un pourvoi contre le Jugement n°353 susmentionné devant la Cour Suprême du Cameroun, accompagné d’une requête aux fins de sursis à exécution ; que le Président de la Cour Suprême s’est déclaré incompétent à connaître de l’affaire et a renvoyé le dossier et les parties devant la Cour de céans ; que l’ordonnance présidentielle et l’Ordonnance n°574 du 23 septembre 2003 du Président du Tribunal de grande instance du Wouri à Douala fixant la nouvelle adjudication au 16 octobre 2003 ayant été notifiés à Monsieur LELL Emmanuel ce même jour, ceux-ci ont notifié à Afriland First Bank un certificat de dépôt d’une requête aux fins de défense à exécution contre l’Ordonnance n°547 du 22 septembre 2003 et ont même demandé la radiation de cette procédure ; que par une autre Ordonnance n°357 du 24 février 2004, une nouvelle adjudication a été fixée au 19 mars 2004 ; qu’à cette date, l’immeuble objet du titre foncier n°5272/W a été adjugé au profit de Monsieur KAGOU Georges Léopold suivant un procès-verbal d’adjudication du notaire, malgré l’appel interjeté contre ladite ordonnance et en dépit de la requête aux fins de sursis à exécution ; malgré aussi la notification du certificat de dépôt à Afriland First Bank le 10 mars 2004 pour une audience fixée au 26 mars 2004 ;

 

Attendu qu’il convient de rappeler que déjà, par Arrêt n°002/2006 du 19 mars 2006, la Cour de céans a rejeté le pourvoi formé par Monsieur LELL Emmanuel et la SOCATRAF contre le Jugement n°353 du 06 mars 2003 par lequel le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala a ordonné la vente des immeubles saisis ; que parallèlement, la Cour d’appel de Douala, par Arrêt n°107/C du 17 mars 2006, a déclaré irrecevable l’appel formé contre ce même jugement par Monsieur LELL Emmanuel et la SOCATRAF ;

 

Attendu que malgré ce qui précède, Monsieur LELL Emmanuel, par exploit du 4 août 2004, a sollicité l’annulation de l’adjudication du 19 mars 2004, ce qui a poussé le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala (autrement composé) a, par Jugement n°52 du 19 octobre 2006, déclaré nulle et de nul effet l’adjudication de l’immeuble objet du titre foncier n°5272, intervenue devant notaire le 19 mars 2004 ; qu’à la suite de l’appel de Afriland First Bank contre ce jugement, la Cour d’appel du Littoral, par Arrêt n°38/C du 18 avril 2008, a, par adoption des motifs, confirmé cette décision judiciaire et c’est contre l’arrêt susvisé qu’est exercé le présent pourvoi ;

 

Sur le premier moyen

Attendu que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 313 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en ce que ladite décision judiciaire, en confirmant le jugement du Tribunal de grande instance du Wouri à Douala, a violé l’article susvisé ; que selon le moyen, s’il est constant que l’adjudication litigieuse a été effectuée le 19 mars 2004, force est de constater que c’est plutôt le 3 août 2004, soit environ 5 mois après que cet acte fut attaqué en nullité par Monsieur LELL Emmanuel ; qu’en saisissant le juge d’instance à cette date, Monsieur LELL Emmanuel était forclos de son action, le délai de 15 jours à lui imparti à compter de l’adjudication étant déjà expiré ; que toujours selon le moyen, pour couvrir cette forclusion, le Jugement n°52 susvisé, adopté par l’arrêt entrepris motive que la vente, par adjudication, du 19 mars 2004 était illégale et frauduleuse, en ce que les formalités de publicité avant vente n’avaient pas été accomplies et que ni la SOCATRAF, ni Monsieur LELL Emmanuel n’avaient connaissance de la vente et n’y étaient présents, faute d’accomplissement par la demanderesse au pourvoi des formalités de publicité, alors que non seulement Monsieur LELL Emmanuel avait eu connaissance de la vente mais aussi que sa présence à la vente n’était pas obligatoire et dès lors qu’il avait été informé de la date de ladite vente par la publicité prescrite par l’article 276 de l’Acte uniforme susmentionné ; qu’ainsi, l’arrêt incriminé a violé l’article 313 susvisé et mérite d’être cassé pour ce fait ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 313 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dont la violation est excipée par la requérante, « la nullité de la décision judiciaire ou du procès-verbal notarié d’adjudication ne peut être demandée par voie d’action principale en annulation portée devant la juridiction compétente dans le ressort de laquelle l’adjudication a été faite que dans un délai de 15 jours suivant l’adjudication. L’annulation a pour effet d’invalider la procédure à partir de l’audience éventuelle ou postérieurement à celle selon les causes d’annulation » ;

 

Attendu que dans le cas d’espèce, il ressort des productions que l’adjudication litigieuse a été effectuée le 19 mars 2004, mais que c’est le 03 août 2004, soit 5 mois plus tard que l’assignation en nullité de ladite adjudication a été effectuée ; que tous les arguments développés pour justifier le prononcé du jugement n°52 en date du 19 octobre 2006 du Tribunal de première instance du Wouri à Douala, décision confirmée par l’Arrêt n°38/C en date du 18 avril 2008 de la Cour d’appel du Littoral à Douala sont inopérants et ledit arrêt qui a confirmé la décision du premier juge, laquelle a déclaré nulle et de nul effet l’adjudication de l’immeuble objet du titre foncier n°5272W a violé l’article 313 de l’Acte uniforme susvisé ; qu’il y a donc lieu de le casser sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen et d’évoquer ;

 

Sur l’évocation

Attendu que la Société Afriland First Bank et Monsieur LELL Emmanuel étaient en relation d’affaires ; qu’à la suite du non respect par Monsieur LELL Emmanuel de la convention passée entre les parties celles-ci ont saisi de leur différend diverses juridictions camerounaises et après plusieurs procédures devant ces juridictions et devant la Cour de céans qui a rejeté les prétentions de Monsieur LELL Emmanuel, ce dernier a initié une procédure nouvelle visant l’annulation des décisions des juridictions camerounaises devant lesquelles il a perdu  son procès contre Afriland First Bank ; que c’est ainsi que le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala (autrement composé), par Jugement civil n°052 du 19 octobre 2006, a déclaré nulle l’adjudication de l’immeuble objet du titre foncier n°5272/W intervenue devant notaire le 19 mars 2004 ;

 

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l’arrêt attaqué a été cassé, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris ;

 

Attendu que Monsieur LELL Emmanuel ayant succombé, doit être condamné aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Casse l’Arrêt n°038/C rendu le 18 avril 2008 par la Cour d’appel du Littoral à Douala ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Infirme le Jugement n°052 rendu le 19 octobre 2006 par le Tribunal de grande instance du Wouri à Douala ;

Condamne Monsieur LELL Emmanuel aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président

Le Greffier