ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Troisième chambre

Audience publique du 1er mars 2018

Pourvoi :  n° 027/2017/PC du 07/02/2017

Affaire :   TOURE DEURY

               (Conseil : Maître Claude COELHO, Avocat à la Cour)

             contre

               Ali Ahmat ABACAR & Mahamat Adoum ABACAR

         (Conseil : Maitre F. NZALAKANDA, Avocat à la Cour)

Arrêt N° 049/2018 du 1er mars 2018

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires(OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 1er mars 2018 où étaient présents :

 

Messieurs César Apollinaire ONDO MVE,                              Président, rapporteur

Namuano F. DIAS GOMES,                                                  Juge

Abdoulaye Issoufi TOURE,                                                 Juge,

et Maître Alfred Koessy BADO,                                          Greffier ;

 

Sur le recours enregistré au Greffe de la Cour le 07 février 2017 sous le n°027/2017/PC formé par Maître Claude COLEHO, Avocat à la Cour, résidant à Pointe-Noire, Congo, B.P.430, au nom et pour le compte de TOURE DEURY, Commerçant, domicilié au Grand Marché de Pointe-Noire, dans le différend qui l’oppose à Ali AHMAT ABACAR et MAHAMAT ADOUM ABACAR, tous domiciliés à Pointe-Noire, au 181, Avenue 15 août 1963, Arrondissement 1 Lumumba, ayant tous deux pour conseil Maitre Fulgence NZALAKANDA, Avocat à la Cour à Pointe-Noire, cabinet sis Avenue BITELIKA NDOMBI, Route de l’Aéroport Agostino Neto, B.P.5787,en cassation de l’arrêt n°44 du 25 octobre 2016 rendu par la Cour d’Appel de Pointe-Noire dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort ;

 

En la forme

Reçoit l’appel ;

 

Au fond

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Condamne TOURE DEURY aux dépens (…) » ;

Le demandeur invoque au soutien de son recours les deux moyens tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de monsieur le Second Vice-président César Apollinaire ONDO MVE ;

 

Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure qu’en juillet 2010, TOURE DEURY signait un bail à usage professionnel avec la succession BATCHI Dominique, bail renouvelé en 2013 pour une durée de 10 ans ; que le 15 juillet 2013,les bailleurs lui notifiaient leur volonté de vendre l’immeuble loué et lui accordaient 48 heures pour lever l’option d’achat; que par la suite, il était notifié de la vente dudit immeuble à Ali AHMAT ABACAR et MAHAMAT ADOUM ABACAR, et de son devoir de verser les loyers à ces derniers ; que réagissant, TOURE DEURY saisissait la justice d’une demande d’annulation de la vente, et s’opposait au paiement du loyer à Ali AHMAT ABACAR et MAHAMAT ADOUM ABACAR, jusqu’à ce qu’il soit statué sur son action ; que ces derniers saisissaient alors le Tribunal de Commerce de Pointe-Noire qui, par jugement du 10 juillet 2015, résiliait le bail ayant subsisté à la mutation de propriété, ordonnait l’expulsion de TOURE DEURY et des occupants de son chef, et condamnait ce dernier à payer la somme de 2.100.000 FCFA à titre de loyers impayés; que l’arrêt objet du présent recours a été rendu sur appel de TOURE DEURY;

 

 

 

Sur le premier moyen tiré de la violation des dispositions de l’article 828 du Code de la Famille de la République du Congo

 

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir justifié la résiliation du bail et l’expulsion de TOURE DEURY en énonçant que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil français relatif au droit de préemption en cas de vente d’un immeuble appartenant à une succession par des indivisaires ne sont pas applicables, car abrogées par le Code de la Famille du Congo qui dispose pourtant, en son article 828, que « le contenu de la loi étrangère est établi devant les juridictions congolaises par tout moyen par le plaideur qui s’en prévaut et au besoin à la diligence du juge. Ce dernier peut faire état de sa connaissance personnelle d’une loi étrangère considérée comme un fait accessible à tous. Les juges du fond vérifient le sens et la portée des lois étrangères.» ; que ce texte français protège l’occupant des locaux à usage commercial proposés à la vente et édicte le principe selon lequel le locataire bénéficie d’un droit de préemption ; que ce droit n’a pas été respecté en l’espèce, d’un point de vue formel, TOURE DEURY n’ayant eu comme délai pour préempter que trois jours, alors que ce délai est fixé par le même texte à un mois; que le Code de la Famille Congolais n’ayant rien prévu sur la question, il convenait d’appliquer la loi française non contraire à l’ordre public Congolais ;que l’article 828 du Code de la Famille Congolais acceptant ce renvoi à la loi étrangère, le juge d’appel a donc violé l’article 828 précité en estimant que l’article 815-14 du Code civil français ne pouvait s’appliquer au Congo ; que l’arrêt attaqué qui a statué ainsi encourt par conséquent la cassation de ce chef ;

Attendu que si la Cour d’appel a estimé à tort que l’article 828 du Code de la Famille du Congo a abrogé l’article 815-14 du Code civil français, il reste que l’article 815-14 précité est relatif à la péremption entre indivisaires et ne trouve aucune application entre bailleurs et preneurs d’un bail professionnel ; que le moyen est inopérant et il échet, par substitution de motifs, de le rejeter ;

 

Sur le second moyen tiré de la violation de l’article 133 alinéa 4 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général

 

Attendu qu’il est fait grief à la Cour la dénaturation des faits ; que si TOURE DEURY a conclu le bail avec la succession BATCHI Dominique, il est constant que bien qu’ayant prévenu le locataire en lui offrant de lever l’option d’achat dans les trois jours suivant la réception de l’offre, il est apparu que six mois auparavant, la succession avait déjà conclu la vente de la parcelle abritant le local loué avec ALI AHMAT ABACAR et MAHAMAT ADOUM ABACAR et perçu un acompte de 60.000.000 de FCFA sur le prix de vente de 250.000.000 FCFA ;que face à cette attitude, le locataire a saisi le Tribunal en annulation de la vente et, suite à la sommation de payer le loyer aux nouveaux acquéreurs, informé ceux-ci et la succession de son refus, un tel paiement étant de nature selon lui à valider la vente faite en fraude de ses droits ; que le défaut de paiement dont se prévaut le juge d’appel pour ordonner l’expulsion ne peut être considéré que comme un acte préventif ou un élément factuel, sur lequel la Cour aurait dû rejeter la demande d’expulsion pour défaut de payement des loyers ; qu’en omettant de prendre en compte ces faits, la Cour a, selon le moyen, violé l’article 133 alinéa 4 de l’Acte uniforme du 15 décembre 2010 portant sur le droit commercial général, et exposé sa décision à la cassation ;

 

Attendu cependant que les dispositions de l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général étant d’ordre public et s’imposant aux parties et aux juridictions, la circonstance de la mise en vente de l’immeuble loué par TOURE DEURY ne le dispensait pas de son devoir de paiement des loyers ; que c’est donc à bon droit que la Cour, constatant le refus du locataire de se soumettre à cette obligation substantielle, a prononcé la résiliation du bail qui le liait aux défendeurs ayant succédé aux héritiers BATCHI Dominique dans la qualité de bailleur ; que l’expulsion subséquente du locataire et des personnes de son chef était justifiée, et il convient de rejeter le moyen ;

 

Attendu qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi ;

Attendu que le demandeur ayant succombé, il échet de le condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

 

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 

Le Président

 

Le Greffier