ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Troisième chambre

Audience publique du 14 décembre 2017 

Pourvoi :     n° 040/2016/PC du 18/02/2016 

Affaire :     Société MAISONS SANS FRONTIERES SARL

                  (Conseils : Maîtres G. PENA-PITRA et B. BAKOUA BATANGOUNA, Avocats à la Cour) 

  

                                 contre

 

                 Société ELCO CONSTRUCTION SARL

                 (Conseils : Maîtres D. A. TSATY-BOUNGOU et Jasmine MALEKAT, Avocats à la Cour)

 

 

Arrêt N° 237/2017 du 14 décembre 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 14 décembre 2017 où étaient présents :

 

Messieurs    César Apollinaire ONDO MVE,                    Président

Namuano Francisco DIAS GOMES,                Juge

Djimasna N’DONINGAR,                            Juge, Rapporteur

 

et Maître     Alfred Koessy BADO,                               Greffier,

 

Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 18 février 2016 sous le n°040/2016/PC et formé par Maître Gilles PENA-PITRA, Avocat au Barreau de Pointe-Noire, demeurant au 242, Avenue Général De Gaulle, Tour Mayombé, 4ème étage, entrée B, Appt. 11, BP 5460, Pointe-Noire, Congo, et  Maître B. BAKOUA BATANGOUNA, Avocat au Barreau de Pointe-Noire, domicilié au 666, Avenue Jean Félix TCHICAYA, Route de la Base, BP 1424, Pointe-Noire, agissant au nom et pour le compte de la société Maisons Sans Frontières SARL, sise au 54, Rue des Compagnons de Brazza, BP 13934, Brazzaville, Congo, dans la cause l’opposant à la société ELCO Construction SARL, sise à l’immeuble City Center, 7ème étage, BP 2326 à Brazzaville, ayant pour conseils Maîtres Destin Arsène TSATY-BOUNGOU et Jasmine MALEKAT, Avocats à la cour, domiciliés au 17, Boulevard Général De Gaule, Immeuble CNSS, BP 5526 Pointe-Noire, République du Congo ;en cassation de l’Arrêt n°345 rendu le 22 mars 2013 par la Cour d’Appel de Pointe-Noire et dont le dispositif est le suivant :

 

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;

 

En la forme :

Reçoit l’appel de la société ELCO CONSTRUCTION ;

 

Au fond :

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société MAISONS SANS FRONTIERES tirée sur le défaut d’intérêt ;

Annule, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;

 

Evoquant et statuant à nouveau :

Constate que le contrat d’entreprise conclu entre la société MAISONS SANS FRONTIERES et la société ELCO CONSTRUCTION a été résilié abusivement de façon unilatérale par la société Maisons Sans Frontières ;

En conséquence :

Condamne la société MAISONS SANS FRONTIERES à payer à la société ELCO CONSTRUCTION les sommes ci-après :

  • 999.125.000 FCFA représentant le paiement des surfaces annexes construites ;
  • 000.000 FCFA représentant le remboursement de l’indu perçu par la société MAISONS SANS FRONTIERES sur la vente du ciment ;
  • 000.000 FCFA représentant le remboursement des frais engagés par la société ELCO CONSTRUCTION au BCTP ;
  • 500.000.000 FCFA représentant le remboursement de la ristourne de 20% retenue par la société MAISONS SANS FRONTIERES sur le paiement de chaque facture due à la société ELCO CONSTRUCTION ;
  • 000.000 FCFA représentant les frais engagés par la société ELCO CONSTRUCTION pour la construction de la Base sur le chantier sis au site dit lagune de TCHIKOBO ;
  • 000.000 FCFA représentant la valeur du matériel appartenant à la société ELCO CONSTRUCTION et qui a été soustrait frauduleusement à la Base ;
  • 080.000.000 FCFA représentant le solde dû sur les villas réceptionnées de fait par la société MAISONS SANS FRONTIERES ;

Soit la somme totale de 13.294.000.000 FCFA en principal ;

 

Valide l’hypothèque provisoire autorisée par l’ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire le 17 juin 2010 en hypothèque judicaire définitive, en sûreté du paiement de la créance de 13.294.000.000 FCFA de la société ELCO CONSTRUCTION due par la société MAISONS SANS FRONTIERES ;

 

Condamne la société MAISONS SANS FRONTIERES à payer la somme de 2.000.000.000 FCFA à la société ELCO CONSTRUCTION à titre de dommage-intérêts, en réparation du préjudice subi ;

 

Condamne la société MAISONS SANS FRONTIERES aux dépens » ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les six moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur le Juge Djimasna N’DONINGAR ;

 

Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que suite à la rupture d’un contrat d’entreprise conclu entre la Société MAISONS SANS FRONTIERES CONGO SARL dite MSF et la société ELCO CONSTRUCTION SARL, celle-ci saisissait le Président du tribunal de commerce de Pointe Noire qui a ordonné, le 26 avril 2010, la saisie conservatoire des biens meubles corporels et incorporels appartenant à la MSF pour garantie et sûreté de sa créance arrêtée en principal à 13.294.000.000 FCFA ; qu’au vu d’un procès- verbal de carence dressé par huissier de justice en date du 14 mai 2010, le Président du tribunal de grande instance de Pointe Noire, par une ordonnance sur requête du 17 juin 2010, autorisait la société ELCO CONSTRUCTION à prendre une inscription provisoire d’hypothèque sur les terrains bâtis et non bâtis, objet du titre foncier n°6847 appartenant à la société MSF ; que, sur assignation de la société ELCO CONSTRUCTION aux fins d’obtenir un titre exécutoire, le tribunal, par un jugement avant-dire-droit rendu le 26 novembre 2012, désignait un expert aux fins de déterminer le montant dû à la société ELCO CONSTRUCTION ; que la société ELCO CONSTRUCTION interjetait appel de cette décision ; que, par arrêt n°345 en date du 22 mars 2013, la Cour d’appel de Pointe Noire, retenant le caractère interlocutoire du jugement du 26 novembre 2012, prononçait son annulation et, sur évocation, condamnait la Société MAISONS SANS FRONTIERES au paiement de la somme de 13.294.000.000 FCFA en principal et 2.000.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts au profit de la société ELCO CONSTRUCTION et validait l’inscription hypothécaire sur le titre foncier n°6847 ; que, sur pourvoi de la société MSF, la Cour Suprême du Congo rendait le 23 janvier 2014 l’arrêt n°10/GCS-014 ;  que la société ELCO CONSTRUCTION SARL, estimant que la Cour Suprême de la République du Congo a statué dans un litige soulevant des questions relatives à l’application de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, sollicitait devant la CCJA l’annulation de l’arrêt ; que par arrêt n°168/2015 du 17 décembre 2015, il fût fait droit à la requête ; qu’à la suite de l’annulation, la société MAISONS SANS FRONTIERES saisissait la CCJA d’un nouveau pourvoi en cassation de l’arrêt n°345 rendu le 22 mars 2013 par la Cour d’appel de Pointe-Noire ;

 

Sur la recevabilité du pourvoi

 

Attendu que la défenderesse, dans son mémoire en date du 25 juillet 2016, a conclu à l’irrecevabilité du pourvoi de la société MAISONS SANS FRONTIERES aux motifs que celle-ci, ayant saisi la Cour Suprême du Congo, « voie optionnelle » de cassation, a épuisé le délai de deux mois, à compter de la signification de l’arrêt de la Cour d’appel attaqué, prévu à l’article 28 du Règlement de procédure ; qu’ainsi le recours en cassation devant la CCJA est introduit hors délai et doit être déclaré irrecevable ;

 

Mais attendu que le pourvoi de la société MAISONS SANS FRONTIERES est initié suite à l’annulation par la Cour de céans de l’arrêt n°10/GCS-014 rendu par la Cour Suprême du Congo ; que dès lors, en application de l’article 52-4 du Règlement de procédure, « (…) Toute partie devant [la CCJA] peut dans les deux mois de la signification du jugement de la Cour saisir cette dernière d’un recours en cassation contre la décision du juge du fond (…) » ; qu’il en résulte que la computation du délai commence à compter de la signification non pas de la décision du juge de fond querellée mais de l’arrêt de la CCJA annulant la décision de la Cour Suprême ; qu’il échet donc dire que le pourvoi est recevable ;

 

Sur le moyen tiré de la violation des articles 1er, 190, 213, 214 et 217 de l’Acte uniforme du 15 Décembre 2010 portant organisation des sûretés

 

Il est reproché à l’arrêt d’avoir méconnu les articles visés au moyen en ce qu’il a validé l’inscription hypothécaire alors, selon le moyen, que la créance poursuivie par la société ELCO CONSTRUCTION était inexistante ;

 

Mais attendu que ce moyen est caractérisé par son imprécision ; qu’il ne démontre pas en quoi la validation de l’hypothèque par la Cour d’Appel constitue une violation de toutes les dispositions citées au moyen ; qu’il échet le déclarer irrecevable ;

 

Sur le moyen tiré de l’existence d’une procédure pénale pour escroquerie contre le dirigeant de ELCO CONSTRUCTION

 

Attendu que, selon le moyen, la société ELCO CONSTRUCTION n’a aucune créance sur la société MAISONS SANS FRONTIERES ; que les agissements de la société ELCO CONSTRUCTION s’analysent en un enrichissement sans cause, une infraction pénale ; que contre cette escroquerie, la société MAISONS SANS FRONTIERES a déposé une plainte devant le juge d’instruction et la procédure est pendante ;

 

Mais attendu que ce moyen, non seulement ne précise pas la partie de l’arrêt qu’il critique mais aussi ne fait référence à aucune poursuite ; que la seule plainte au pénal ne peut tenir le civil en l’état ; que ce moyen étant vague et imprécis, il échet le déclarer irrecevable ;

 

Sur le moyen, en ses trois branches réunies tirées de la violation de l’article 13 du Traité institutif de l’OHADA

 

Attendu qu’il est reproché à la Cour d’appel d’avoir retenu l’affaire, opérant ainsi un dessaisissement du Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire alors que le jugement rendu n’était qu’une décision préparatoire ; que dans ces conditions, il n’a pas été permis à la société Maisons Sans Frontières de discuter et de répondre contradictoirement au fond, relativement au caractère imaginaire et chimérique de la prétendue créance dont se prévaut la société ELCO ; qu’en agissant de la sorte, la cour a violé l’article 13 susvisé qui institue que le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats parties ;

 

Mais attendu que le jugement avant-dire-droit du Tribunal de Pointe-Noire querellé avait tranché, dans son dispositif, la question de la qualité de créancière de la société ELCO CONSTRUCTION et ordonné une expertise pour le calcul exact du montant à lui payer ; que partant la Cour d’appel a retenu le caractère interlocutoire de cette décision et déclaré recevable l’appel y relatif ; qu’en statuant ainsi, elle n’a en rien encouru le grief formulé ; qu’il y’a lieu de rejeter le moyen ;

Sur le moyen, pris en ses deux branches tirées de la violation de la loi, présenté par le Cabinet BAKOUA

Attendu que, par la première branche, il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, en violation de l’article 82 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière Congolais, déclaré recevable l’appel contre le jugement qui avait ordonné une expertise pour déterminer la valeur des travaux réalisés par la société ELCO CONSTRUCTION au profit de la société MAISONS SANS FRONTIERES, aux motifs que ce jugement est interlocutoire parce que  « quoique qualifié d’avant-dire-droit et n’ayant rien décidé dans son dispositif, il contient, sur tous les chefs de demande formulés par la société ELCO CONSTRUCTION, des motifs qui constituent un dispositif implicite dès lors qu’ils se prononcent sur chaque chef de demande » ; que, selon le moyen, l’interlocutoire ne lie le juge que lorsque le jugement comporte des dispositions définitives, tranchées dans son dispositif ; que, par la seconde branche, la requérante soutient que l’inscription hypothécaire a été obtenue frauduleusement par la production entre les mains du Président du Tribunal de Grande Instance de Pointe-Noire d’une ordonnance retractée, en violation de l’article 136 de l’Acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés, faisant croire à l’existence d’une créance pourtant imaginaire ;

 

Mais attendu que le caractère interlocutoire du jugement querellé a, dans son dispositif, reconnu à la société ELCO CONSTRUCTION la qualité de créancière, avant de commettre un expert pour évaluer le montant de ses prestations ; qu’un tel jugement qui, tout à la fois, tranche ainsi une question de fond relative à l’existence de la créance et  ordonne une mesure d’instruction pour en déterminer le montant, revêt le caractère de jugement interlocutoire au sens de l’article 82 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière Congolais ; qu’il échet rejeter cette première branche du moyen ; que, eu égard au caractère frauduleux de l’inscription hypothécaire, il ressort de l’examen du dossier que cette question de fait n’a pas été discutée devant les juridictions de fond ; qu’étant soulevée pour la première fois en cassation, il y’a lieu de la déclarer irrecevable ;

 

Attendu que le moyen est mal fondé ; qu’il échet le rejeter ;

 

Sur le moyen tiré de l’omission de statuer, présenté par le Cabinet BAKOUA

 

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’être demeuré taisant sur la somme de 1.918.533.151 FCFA que sieur ALI AMINE a reconnu être redevable envers la société MAISONS SANS FRONTIERES alors que, devant le premier juge, celle-ci avait sollicité une compensation de sa créance avec une éventuelle créance de la société ELCO CONSTRUCTION ;

 

Mais attendu que la société MAISONS SANS FRONTIERES ne rapporte pas la preuve qu’elle a sollicité devant la Cour d’appel de Pointe-Noire une quelconque compensation ; que le moyen n’est pas fondé et sera rejeté ;

 

Sur le moyen tiré de la violation du droit à un procès équitable, présenté par le Cabinet BAKOUA

 

Attendu qu’il est reproché à la cour, d’une part, de n’avoir pas permis à la société MAISONS SANS FRONTIERES de discuter contradictoirement toutes les questions de fait soulevées par la partie adverse et, d’autre part, de l’avoir « forcé » à plaider cette affaire qui n’était pas en état de l’être ;

 

Mais attendu que ce moyen ne se rattache à aucun des cas d’ouverture à cassation prévus par l’article 28 bis du Règlement de procédure de la Cour de céans ; qu’il y’a lieu de le déclarer irrecevable ;

 

Attendu qu’il échet en conséquence de rejeter le pourvoi ;

 

Sur les dépens

 

Attendu que la société MAISONS SANS FRONTIERES ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

 

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Déclare recevable le pourvoi ;

Le rejette ;

Condamne la société MAISONS SANS FRONTIERES aux dépens ;

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 

 

 Le Président

 

Le Greffier