ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première chambre

Audience publique du 07 juin 2012

Pourvoi n° : n° 081/2009/PC du 27 Août 2009

Affaire : Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire dite SGBCI

         (Conseils : SCPA DOGUE –Abbé YAO & Associés, Avocats à la Cour)

contre

                Société Civile Immobilière Choucair Frères dite SCI CHOUCAIR

(Conseil : Maître Ibrahim NIANG, Avocat à la Cour)

 

ARRET N° 046/2012 du 07 juin 2012

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), Première Chambre,  de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 07 juin 2012  où étaient présents :

 

Messieurs  Antoine Joachim OLIVEIRA Président

Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge

Marcel SEREKOÏSSE SAMBA, Juge, rapporteur

 

                      et   Maître MONBLE Jean Bosco, Greffier ;

 

Sur le pourvoi n° 081/2009/PC enregistré au greffe de la Cour de céans le 27 août 2009 et formé par Maître AKA Félix, SCPA DOGUE, ABBE YAO et Associés, Avocats à la Cour d’appel d’Abidjan, y demeurant, Plateau, 20-22 Bd CLOZEL, Résidence « LES ACACIAS », 5è étage, porte 505, 20 B.P.97 Abidjan 20, tél : 20 21 60 77, agissant au nom et pour le compte de la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (SGBCI) dont le siège est à Abidjan, 5&7 Avenue Joseph ANOMA, 01 BP 1355 Abidjan 01, représentée par son Administrateur Directeur Général, Monsieur  Bernard LABADENS, dans la cause qui oppose cette banque à la Société Immobilière CHOUCAIR FRERES (SCI CHOUCAIR), ayant pour Conseil Maître Ibrahim NIANG, Avocat à la Cour, 06 BP. 6131 Abidjan 06, en cassation de l’Arrêt n° 207 rendu le 24 avril 2009 par la Cour d’Appel d’Abidjan, dont le dispositif est ainsi énoncé :

 

« Statuant sur le siège, publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;

Déclare la SCI CHOUCAIR recevable en son appel ;

L’y dit bien fondé ;

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau ;

Déclare recevables et bien fondés les dires et observations de la SCI CHOUCAIR ;

Annule en conséquence la procédure  de saisie immobilière entreprise ;

Condamne la SGBCI aux dépens… » ;

 

La requérante SGBCI invoque à l’appui de son pourvoi deux moyens de cassation  tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

SUR  Les Faits  et  procédure

Attendu que par convention  en date des 24 et 25 janvier 1979  passée devant Maître Georges LOISEAU, alors notaire à Abidjan,  la Société Générale de Banques en Côte d’Ivoire (SGBCI) a consenti  à la Société Civile Immobilière CHOUCAIR FRERES ( CHOUCAIR)  un crédit à moyen terme d’un montant de un milliard trois cent cinquante millions (1 350 000 000) de francs CFA  destiné au financement partiel de la construction d’un immeuble à usage d’habitation, remboursable en 28 trimestrialités égales de quarante huit millions deux cent quatorze mille deux cent (48 214 200) francs CFA chacune ; qu’en sûreté et garantie de toutes les sommes en principal, intérêts, frais et accessoires qui pourraient être dues à la SGBCI  en vertu de ces conventions, ainsi  qu’à la sûreté et garantie de l’exécution de toutes les charges, les conditions et  les obligations inhérentes, la Société Civile Immobilière CHOUCAIR FRERES a affecté et hypothéqué au profit de la SGBCI  en deuxième rang, un terrain urbain bâti, sis à Abidjan-Plateau, formant le lot n° 32 d’une superficie de 3 150 mètres carrés, objet du titre foncier n° 157 de la circonscription foncière de Bingerville ; que par un second acte des 8 et 11 avril 1980 passé devant le même notaire, la SGBCI a consenti à la Société Civile Immobilière CHOUCAIR FRERES, des ouvertures de crédits complémentaires d’un montant de cent quinze millions (115 000 000) de francs CFA et de deux cent cinquante millions (250 000 000) de francs CFA ; que la dernière convention portant sur les deux crédits complémentaires ayant pris en compte la première ouverture de crédit résultant de la convention des 24 et 25 janvier 1979, les parties ont convenu  que le remboursement portera  sur la somme de 1.715.000.000 FCFA (1.350.000.000 + 115.000.000 + 250.000.000) suivant un tableau d’amortissement  d’accord parties ; que par ailleurs, les parties ont convenu que les intérêts seront calculés au taux d’escompte de la BCEAO pour les crédits à moyen terme, majorés de 3,25% l’an ; qu’ enfin, une commission d’engagement de 0,75% l’an sera perçue sur le montant du crédit effectivement utilisable, que celui-ci soit utilisé ou non ;

 

Qu’il est stipulé en outre que les intérêts et commissions seront incorporés au montant de chaque billet, et qu’en cas de non paiement aux échéances prévues, le total des sommes qui pourraient être exigibles de ce chef sera productif d’intérêts au taux de 1% par mois ou fraction de mois écoulés, jusqu’à parfait paiement ;

 

Attendu que par  exploit en date du 10 juillet 1995, la SCI CHOUCAIR FRERES a assigné la SGBCI en reddition de compte et en responsabilité ; Qu’en réaction, la SGBCI a requis et obtenu le 12 juillet 1995  une Ordonnance d’injonction de payer n° 2224/95, qui a été rétractée à la demande de la SCI CHOUCAIR FRERES par Ordonnance n° 2991/95 du 21 août 1995 ; que la SGBCI assigna à son tour la SCI CHOUCAIR FRERES le 05 septembre 1995 pour paiement d’une créance évaluée à 7. 696. 667. 980 F CFA ; que le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau, saisi, des deux assignations,  après jonction des procédures,  a  ordonné une expertise comptable par Jugement      n° 22/ADD/CIV1 du 02 avril 1998 ; qu’entre temps, le 08 mai 2008, la banque a délaissé un commandement à la SCI CHOUCAIR FRERES d’avoir à payer sa dette au titre des crédits à moyen terme dont elle a bénéficié ; que face à la carence de sa débitrice, la SGBCI  a entrepris de réaliser les garanties hypothécaires en servant un commandement aux fins de saisie immobilière par exploit en date du 20 mai 2008, avec injonction d’avoir à payer la somme de 8.786.741. 139 FCFA en principal, intérêts, frais et accessoires ;

 

Qu’aucun paiement n’ayant été enregistré dans le délai de vingt (20) jours qui lui avait été imparti par le commandement, celui-ci a été déposé au Bureau du Conservateur de la Propriété Foncière pour  visa ; que celui-ci ayant été  visé par le Conservateur, un cahier des charges a été déposé au Greffe du Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau, fixant les dates de l’audience éventuelle au 21 juillet 2008 et celle de l’adjudication au 25 août 2008, avec sommation à la SCI CHOUCAIR FRERES de prendre communication du cahier des charges le 13 juin 2008 ; que suite à l’audience éventuelle, le Tribunal par Jugement      n° 2539 du 28 juillet 2008 a statué ainsi qu’il suit :

 

«Reçoit les dires et observations de la SCI CHOUCAIR ;

Les y dit cependant mal fondés ;

Les rejette ;

Constate que toutes les formalités exigées pour parvenir à la vente de l’immeuble litigieux ont été régulièrement accomplies par la SGBCI, créancière poursuivante ;

Lui en donne acte ;

Valide en conséquence le commandement aux fins de saisie immobilière en date du 20 mai 2008 ;

Renvoie la cause et les parties à l’audience des criées du 25 août 2008 ;

Réserve les dépens… ».

 

Attendu que sur l’appel  interjeté contre ce jugement par la SCI CHOUCAIR FRERES,  la Cour d’appel d’Abidjan a rendu  l’Arrêt n° 207 du 24 avril 2009 sus énoncé, objet du présent recours.

 

Attendu qu’au soutien de son pourvoi, la SGBCI  invoque deux moyens de cassation ;

 

Sur le premier moyen de cassation en deux branches, pris  de  la violation de la loi résultant de l’erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi ;

 

Sur la  première branche du moyen, tirée de la mauvaise interprétation ou application de l’article 300 de l’Acte uniforme portant Organisation des procédures simplifiées de recouvrement  et des voies d’exécution (AUPSRVE),  en ce que la Cour d’appel, pour déclarer l’appel recevable, a retenu que :  « en se prononçant sur l’exigibilité et la liquidité de la créance, les premiers juges ont statué sur le principe même de cette créance et l’appel relevé de leur décision est conforme à la lettre et à l’esprit de l’article 300  de l’AUPSRVE et qu’il en résulte que ledit appel est recevable et doit être déclaré tel » ; Alors que le Tribunal n’a statué que sur une contestation portant sur la liquidité ou l’exigibilité ou la certitude de la créance et non sur son principe, celui-ci ne pouvant en aucun cas se confondre avec les caractères certain, liquide et exigible de la créance ;

 

Attendu qu’il ressort de l’analyse des pièces de la procédure que dans  leur décision frappée d’appel, les premiers juges ont retenu ;

-que c’est en vertu de deux grosses notariées  constatant des créances liquides et exigibles, revêtues de la formule exécutoire au sens de l’article 33 de l’AUPSRVE, que la SGBCI a entrepris la poursuite ;

 

– que ces actes notariés exécutoires établissent des sommes d’argent déterminées dans leur montant qui sont consenties à titre de prêt par la banque à la SCI CHOUCAIR ;

 

– que la liquidité et l’exigibilité d’une créance suffisent à elles seules pour autoriser le recours à la saisie et à la vente d’un immeuble ;

 

Sur la deuxième branche du moyen, tirée de la mauvaise interprétation ou application des articles 247 et 312 de l’AUPSRVE et le défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de la contrariété ou de l’obscurité de motifs ; en ce que, pour infirmer le jugement du tribunal, la Cour d’appel affirme que « la saisie immobilière litigieuse ne remplit pas les conditions de l’article 247 de l’Acte uniforme puisque n’étant pas encore liquide et exigible, c’est à tort que le Premier juge a ordonné la continuation de la vente » ; Alors d’une part  qu’aux termes de l’article 312 de l’AUPSRVE « la poursuite ne peut être annulée sous prétexte que le créancier l’avait commencée pour une somme plus importante que celle qui lui est due » ; D’autre part qu’aux termes de l’article 247 de l’AUPSRVE «  la vente forcée d’immeuble ne peut être poursuivie qu’en vertu d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ; la poursuite peut avoir lieu également en vertu d’un titre exécutoire par provision, ou pour une créance en espèce non liquidée, mais l’adjudication ne peut être effectuée que sur un titre définitivement exécutoire et après la liquidation » ;

 

Attendu que l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique édicte que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)  assure dans les Etats Parties l’interprétation et l’application commune des Actes uniformes et, saisie par voie de recours en cassation, se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales, ainsi que dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux ;

 

Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure que l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, entré en vigueur le 10 juillet 1998, n’avait pas intégré l’ordre juridique interne de la République de Côte d’Ivoire au moment où, respectivement  les 24 et 25 janvier 1979 puis les 8 et 11 avril 1980, la SGBCI concluait avec la SCI CHOUCAIR  les conventions d’octroi des crédits à celle-ci ; qu’il ne pouvait de ce fait être applicable ;  que dans ce contexte, aucun grief ni moyen relatifs à l’application de l’Acte uniforme invoqué n’auraient dû être formulés et présentés devant les juges du  fond par la requérante ;  que dès lors, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA en matière contentieuse, telles que précisées à l’article 14 susvisé, n’étant pas réunies, il échet de se déclarer incompétent et renvoyer en conséquence la requérante à mieux se pourvoir ; que la SGBCI ayant ainsi succombé, elle doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

  • Se déclare incompétente ;
  • Renvoie la SGBCI à mieux se pourvoir ;
  • La condamne aux dépens.

 

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président                                                

Le Greffier