ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première Chambre

Audience Publique du 29 novembre 2012 

Pourvoi : n° 040/2009/PC du 27 avril 2009

Affaire : Société Camerounaise de transformation

                Métallique dite (SCTM)

(Conseil : Maître Pierre BOUBOU, Avocat à la Cour)

                                            contre

               Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne

                et le Crédit dite   (BICEC)

        (Conseil : Maître Ebénézer MONGUE-DIN, Avocat à la Cour)

Arrêt N°079/2012 du 29 novembre 2012

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 29 novembre 2012 où étaient présents :

 

Messieurs   Antoine Joachim OLIVEIRA, Président,

Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge,

Marcel SEREKOÏSSE SAMBA, Juge, rapporteur

et Maître MONBLE Jean Bosco, Greffier ;

 

Sur le pourvoi n° 040/2009/PC enregistré au Greffe de la Cour de céans le 27 Avril 2009, formé par Maître Pierre BOUBOU, Avocat au Barreau du Cameroun, B.P.3424 Douala-Cameroun, tél (00237) 33 42 82 38/ 33 04 44 20 ;  agissant au nom et pour le compte de la Société Camerounaise de Transformation Métallique ( SCTM ) dont le siège est à Douala (Bojongo à Bédi), route de Douala-Nkongsamba BP 9091 ;  dans la cause qui oppose cette société à la Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (BICEC) dont le siège se trouve à Douala, Avenue du Général De Gaulle BP 1925 Douala, ayant pour Conseil Maître Ebénézer MONGUE-DIN, Avocat au Barreau du Cameroun, Avenue Ahmadou AHIDJO, BP 3426, Tél : (00237) 33 42 25 93/ 99 92 68 79 DOUALA-Cameroun ; en cassation de l’Arrêt n° 026/C rendu le 20 février 2009 par la Cour d’appel du Littoral à Douala, dont le dispositif est ainsi énoncé :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort, en formation collégiale et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME :

Reçoit l’appel ;

AU FOND :

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne la SCTM aux dépens distraits au profit de Maître MONGUE DIN, Avocat aux offres de droit. »

 

Attendu que la requérante SCTM invoque à l’appui de son pourvoi quatre (4) exceptions d’irrecevabilité et cinq (5) moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt.

Sur le rapport de Monsieur le Juge Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

SUR Les Fait et procédure

Attendu que par une convention en date du 14 mars 1997, la Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (ci-après BICEC) a acheté et pris en charge les actions et créances de la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie du Cameroun (BICIC) ; Que la BICIC ayant été créancière de la Société Camerounaise de Transformation Métallique (ci-après SCTM) de la somme de 333.783.514 FCFA, la BICEC, cessionnaire des créances de la BICIC, a signifié par acte d’huissier en date du 28 avril 2003 le transport de la créance à la SCTM dont celle-ci a accusé réception et pris acte par une première lettre du 02 mai 2003, puis une seconde du 25 juillet 2003 par laquelle elle ne se reconnaissait débitrice que de la somme de 78.177.470 FCFA et sollicitait à la BICEC « une solution  amiable » ; Que par requête du 30 novembre 2003, la BICEC a sollicité et obtenu du Président du Tribunal une Ordonnance n° 280/03/04 du 10 juin 2004  enjoignant la SCTM  de payer 343.783.514 FCFA se décomposant en 333.783.514 f en principal et 10.000.000 F à titre de frais de procédure ; Que cette ordonnance d’injonction de payer  a été signifiée une première fois le 25 juin 2004, puis une seconde fois le 01er juillet 2004 par acte du même huissier qui mentionnait expressément que la seconde signification annulait et remplaçait celle du 25 juin ;

 

Attendu que le 07 juillet 2004, la SCTM a fait opposition à l’ordonnance d’injonction de payer ; que par jugement avant-dire-droit n° 400/ADD du 08 mars 2006, le Tribunal de Grande Instance du Wouri à Douala, face à la contradiction des parties sur le montant de la créance, a ordonné une expertise financière et commis un expert aux fins de :

 

« 1- examiner le compte n° 6800 038360/25 ouvert au nom de la SCTM dans les livres de la BICIC aujourd’hui BICEC ;

 

2- dégager au vu des différents mouvements enregistrés par ledit compte le solde au 08 juillet 1993 date de clôture juridique dudit compte et le solde à la date du 30 juin 2004, date de la requête aux fins d’injonction de payer » ;

 

Au terme du délai imparti par le Tribunal à l’expert pour déposer son rapport, celui-ci conclut, entre autres ;

 

« …. Le solde initial au 31 mars 1990 : 340.296.899FCFA étant validé par les deux parties sur la base des documents reçus de part et d’autre, nous avons abouti en définitive aux soldes sollicités suivants :

  • Au 08 juillet 1993 solde débiteur de 493. 071. 352 FCFA après 24 versements mensuels de 2.825.806 F chacun.
  • Au 10 juin 2004 solde débiteur de 1.202.769.518 FCFA après 33 versements de 4.066.815 FCFA chacun.

De ce qui précède :

  • Compte tenu de la longue durée d’inactivité dudit compte courant d’une part
  • Et du fait que la BICEC (ancienne BICIC) réclame seulement la somme de 333.783.514 FCFA d’autre part,

Il revient donc au tribunal d’apprécier les éventuels facteurs notamment économiques qui pourraient justifier un rabattement conséquent des agios débités dans ledit compte courant ».

 

Attendu que le 05 juin 2006, la SCTM a assigné la BICEC et l’expert financier devant le Tribunal de Grande Instance du Wouri pour voir rétracter le jugement avant-dire-droit du 08 mars 2006, cantonner la mission de l’expert au 08 juillet 1993 et exclure de sa mission la période allant du 08 juillet 1993 au 10 juin 2004 ; que par jugement n° 808 du 08 août 2006, le Tribunal de Grande Instance du Wouri a entrepris la décision suivante :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en matière civile et commerciale et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

En la forme :

Reçoit l’opposition de la SCTM comme faite conformément à la loi ;

Rejette comme non fondées les exceptions d’irrecevabilité tirées du défaut de qualité d’une part et de la violation des articles 2 et 4 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution d’autre part ;

Dit par rapport à la demande de rectification du jugement avant-dire- droit que l’expert avait pour mission principale de dégager le solde du compte querellé à la date du 08 juillet 1993 et que le seul but visé par le solde au 10 juin 2004 était de dégager le montant exact des sommes payées par la SCTM entre la date de la clôture dudit compte et la date de la saisine du Tribunal ;

Dit que ce renseignement recherché par le tribunal transparaît à la page 19 du rapport d’expertise ;

Dit du reste qu’un rapport d’expertise ne fait que renseigner le tribunal sans l’obliger ;

Déclare en conséquence sans objet la demande de rectification du jugement avant-dire droit n°400/ADD du 08 mars 2006 ;

Au fond

Dit que la créance de la BICEC s’élevant en principal à la somme de 333.783.514 FCFA est certaine, liquide et exigible ;

Déclare en conséquence non fondée l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer faite par la SCTM ;

La condamne à payer à la BICEC la somme de 333.783.514 FCFA en principal, augmentée de celle de 10.000.000 FCFA à titre de frais de procédure, soit au total 343.783.514 (Trois cent quarante trois millions sept cent quatre vingt trois mille cinq cent quatorze) FCFA, causes de l’ordonnance d’injonction de payer n°280/03/04 du 10 juin 2004 rendue par le Président du Tribunal de  Grande Instance du Wouri ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel ;

Condamne la SCTM aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Ebénézer MONGUE-DIN, Avocat, sur les offres et affirmations de droit ».

Attendu que sur appel de la SCTM, la Cour d’Appel du Littoral à Douala, après avoir considéré que l’appelante n’a rapporté aucun élément nouveau au dossier susceptible d’amener la Cour à réformer la décision entreprise, et adoptant les motifs de celle-ci, a rendu l’arrêt confirmatif  n° 026/C du 20 février 2009 susénoncé ;

Que le 27 avril 2009, la SCTM a formé  pourvoi devant la Cour de céans,

 

Sur les exceptions d’irrecevabilité

Attendu que la demanderesse au pourvoi soulève quatre exceptions d’irrecevabilité de la requête aux  fins d’injonction de payer ainsi articulées :

 

1° : irrecevabilité pour absence de décompte des différents éléments de la créance et du fondement de celle-ci ;

2° : irrecevabilité pour absence d’indication du caractère contractuel ;

3° : nullité de l’exploit de signification de l’ordonnance d’injonction de payer ;

4° dénaturation des conclusions de la requérante.

 

Attendu qu’il convient de ne retenir  pour analyse, sur ces exceptions de forme, que celle relative à la nullité de l’exploit de signification tirée de  l’inobservation de l’article 8 de l’AUPSRVE (alléguée  par ailleurs  comme premier moyen  du pourvoi), les autres se rapportant au fond  et aussi  reprises comme  telles  par  la requérante ;

Attendu donc que la requérante fait grief à l’exploit de signification d’avoir  sommé la SCTM de payer, outre la condamnation décidée par le juge, les droits de  recette  de l’huissier ainsi que la Taxe sur la Valeur Ajoutée(TVA) et la somme de 266.000 FCFA à titre de frais de greffe, alors que  d’une part ces droit de  recette et TVA ne sont pas prévus  par l’article 8 susmentionné , d’autre part que l’ordonnance d’injonction de payer n’a pas alloué cette somme, et qu’enfin cet exploit de signification n’indique pas les intérêts que la prétendue créance a générés ;

 

Attendu qu’il y a lieu de relever que la SCTM tire son exception de l’exploit de signification du 25 juin 2004  qui a été annulé par celui du 01er juillet 2004, lequel est conforme aux dispositions de l’article 8 de l’AUPSRVE, qu’en outre, un défaut d’indication des intérêts dans un exploit de signification ne remet pas en cause la validité de celui-ci dès lors que ces intérêts ne sont pas réclamés par le créancier qui par ailleurs n’a nullement l’obligation de les réclamer ; qu’ainsi, cette exception d’irrecevabilité doit être rejetée comme non fondée ;

 

Sur le deuxième moyen du recours en cassation, tiré de la violation des principes généraux gouvernant les décisions de justice et réaffirmés par l’article 39 du Règlement de procédure de la CCJA.

Attendu qu’il est reproché à la Cour d’Appel du Littoral à Douala de ne s’être prononcée que par adoption des motifs du Tribunal, alors qu’il résulte de l’article 39 susvisé et de la jurisprudence que toute décision de justice doit être motivée en fait et en droit, doit contenir des motifs propres à la justifier et ne saurait impunément se contenter de renvoyer aux motifs de la décision attaquée ;

 

Attendu que l’effet dévolutif de l’appel implique que le juge du second degré est non seulement saisi en fait et en droit, mais aussi qu’il est saisi des motifs et dispositif du jugement qui lui est déféré ; qu’en l’espèce ,  l’arrêt querellé, en retenant  souverainement dans ses motifs  «  qu’il ressort des pièces du dossier et des débats que l’appelante n’a rapporté aucun élément nouveau au dossier susceptible d’amener la Cour à réformer la décision entreprise… »,  a  ainsi exprimé les motifs  ayant conduit le juge d’appel du Littoral à Douala  à  adopter les motifs du premier juge qu’il a trouvés pertinents ; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé et doit donc  être  rejeté

 

Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 1er de l’AUPSRVE.

Attendu que le requérant fait grief à  l’arrêt querellé d’avoir rejeté  son opposition  fondée entre autres sur le caractère non liquide de la créance de la BICEC, alors qu’aux  termes de l’article susvisé, le recours à la procédure d’injonction de payer n’est applicable que pour le recouvrement d’une créance « liquide » ; et que le fait d’avoir ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant de la créance alléguée prouve que celle-ci n’était pas liquide au moment où le Président du  tribunal a rendu l’ordonnance attaquée.

 

Attendu qu’aux termes de la jurisprudence et de la doctrine, une créance est  dite « liquide » lorsque  le montant en argent  de cette créance est connu et déterminé ; attendu que la SCTM ne conteste pas sa qualité de débitrice pour une somme qu’elle-même évalue  à 78.177.470 FCFA à l’égard de la BICIC ,      alors que de son côté, la BICEC, créancière cessionnaire, fait état de 333.783.514 FCFA ; que la contrariété des prétentions des deux parties a amené le juge de l’opposition à décider  d’une expertise relativement au solde du compte querellé, mesure dont les résultats, sans s’imposer au juge, ne  pouvaient  que  l’éclairer  dans la prise  de sa décision. ; qu’au demeurant, même  si le caractère liquide de  la créance  de la BICEC pouvait être contesté  au moment de l’ordonnance, cette créance était  liquide au moins pour le montant que la SCTM a reconnu sans l’avoir  soldé  et qui justifierait déjà  une  procédure d’injonction de payer ; qu’ainsi ce  troisième moyen ne peut prospérer et  mérite lui aussi  le rejet.

 

Sur le quatrième et cinquième moyens pris ensemble

Attendu que la première branche du quatrième moyen, tirée de la violation de l’article 4 alinéa 2,2) de l’AUPSRVE, reproche à la BICEC de se prétendre créancière de la somme de 333.783.514 FCFA sans préciser le décompte des différents éléments de la créance, notamment quelle partie du solde représente les intérêts générés par le principal de la prétendue créance, alors qu’aux termes de l’article susvisé, la requête aux fins d’injonction de payer doit contenir à peine d’irrecevabilité l’indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance… ;

Que la seconde branche du quatrième moyen et le cinquième moyen, tirés de la violation de l’article 2 de l’AUPSRVE, font grief à la requête et à l’ordonnance contestée de n’avoir pas indiqué le fondement de la créance , alors qu’aux termes des textes visés aux moyens, la requête aux fins d’injonction de payer doit, à peine d’irrecevabilité, contenir l’indication du fondement de la créance.

 

Attendu qu’il y a lieu de rappeler  que la BICEC tient son droit de créance sur la SCTM d’une cession de créance opérée par la BICIC en faveur de la BICEC suite à une convention d’ « Achat et de prise en charge » en date du 14 mars 1997 ; que la créance initiale de la  BICIC sur la SCTM est fondée sur un contrat de prêt bancaire consenti par la première à la seconde qui ne conteste nullement sa qualité de débitrice ; que le transfert  de la  créance  ayant été notifié  à la SCTM par exploit d’huissier en date du 28 avril 2003, celle-ci en a pris acte par lettre en réponse du 02 mai 2003, acquiesçant par là même la subrogation de la BICEC dans la qualité de créancier de la BICIC ; que dans ces conditions, c’est en vain que la SCTM tente de faire  méconnaître les droits de créance dont la BICEC est cessionnaire, nés  du contrat de prêt dont elle-même avait bénéficié ; que le fondement contractuel de la créance de la BICEC ayant été ainsi déterminé, ce moyen doit être rejeté comme non fondé.

 

Attendu que la Société Camerounaise de Transformation Métallique (SCTM) ayant succombé, elle doit être condamnée aux dépens.

                 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

En la forme :

Déclare recevable le recours introduit par Société Camerounaise de Transformation métallique (SCTM) ;

Au fond :

Le rejette comme non fondé;

Condamne la SCTM aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président 

Le Greffier