ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 28 avril 2016
Pourvoi : n° 036/2010/PC du 01/04/2010
Affaire : SOCIETE BANK OF AFRICA dite BOA-CI
(Conseil : Maître Bakari FOFANA, Avocat à la cour)
contre
SOCIETE ETUDE REALISATION ET CONSTRUCTION (ERC)
SOCIETE SIM-IVOIRIS devenue ORANGE-CI
(Conseils : Maîtres Théodore HOEGAH & Michel ETTE, Avocats à la cour)
Arrêt N° 076/2016 du 28 avril 2016
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 28 avril 2016 où étaient présents :
Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente
Messieurs Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Idrissa YAYE, Juge
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Fodé KANTE, Juge, rapporteur
et Maître Alfred Koessy BADO, Greffier ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 1er avril 2010, sous le n° 036/2010/PC et formé par maître Bakari FOFANA, avocat à la Cour, demeurant à Cocody les Deux Plateaux, Résidence du Vallon, Immeuble Vanda, 3ème étage, porte 12, 25 BP 1126 Abidjan 25, agissant pour le compte de la société Bank Of Africa Côte d’Ivoire dite BOA-CI, représentée par madame Lala Moulaye, directrice générale, et dont le siège social est à Abidjan- Côte d’Ivoire, dans la cause l’opposant à la société Orange Côte d’Ivoire (anciennement SIM-Ivoiris), dont le siège social est situé à Abidjan-Côte d’Ivoire, représentée par monsieur Jean Jacques de Pins, son directeur général, ayant pour conseils, maîtres Théodore HOEGAH & Michel ETTE, Avocats Associés près la cour d’appel d’Abidjan, y demeurant au Plateau, rue A 7 Pierre Semard, villa NA 2, 01 BP 4053 Abidjan 01, et à la société Etude Réalisation Construction dite ERC, siège social Abidjan, Zone 3, rue Clément Ader, 16 BP 584 Abidjan 16,en cassation de l’arrêt n°465-CIV 4 rendu le 13 juin 2008 par la cour d’appel d’Abidjan dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;
En la forme
- Déclare la Bank Of Africa recevable en son appel ;
Au fond
- L’y dit mal fondé ;
- L’en déboute ;
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
- La condamne aux dépens. » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Fodé KANTE, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par contrat N° SIM/DG/98289/CI en date du 28 avril 1998, la société Orange-CI (anciennement SIM IVOIRIS) a confié la construction de son siège social à la société Etude Réalisation et Construction dite ERC ; qu’en exécution de ce contrat, SIM IVOIRIS devenue Orange-CI a fourni à la société ERC une avance de démarrage des travaux, d’un montant de 84.417.038 FCFA, pour le remboursement duquel la société Bank of Africa Côte d’Ivoire dite BOA-CI s’est portée caution personnelle et solidaire ; qu’après la livraison des travaux, il est apparu qu’Orange-CI a payé à la société ERC, le montant total du marché de construction, outre une somme complémentaire de 4.515.738 FCFA, sans déduction du montant de l’avance de démarrage ; que la société ERC s’étant opposée au bien-fondé de la sommation de payer à elle servie relativement au trop perçu ainsi relevé, la société SIM IVOIRIS devenue Orange-CI a saisi le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau pour entendre condamner solidairement la BOA-CI et la société ERC à lui payer la somme de 84.417.038 FCFA, outre les intérêts de droit et les frais, ainsi que la condamnation personnelle de la société ERC à lui payer la somme de 4.518.738 FCFA ; que par jugement N° 626 du 09 mars 2005, le Tribunal a dit mal fondée la BOA-CI en sa demande reconventionnelle et dit par contre Orange-CI partiellement fondée en son action et en conséquence a condamné solidairement la société Etude Réalisation et Construction et la Bank Of Africa à payer à la société Orange-CI la somme de 81.976.938 FCFA ; que sur appel relevé le 13 juin 2007 par la BOA-CI contre ce jugement, la Cour d’Appel d’Abidjan a rendu l’arrêt n° 465-CIV4-B du 13 juin 2008, objet du présent pourvoi ;
Attendu que la lettre n°0066/2016/G2 en date du 13 janvier 2016 du greffier en chef de la Cour de céans adressée par courrier recommandé avec accusé de réception à la société Etude Réalisation et Construction dite ERC, défenderesses au pourvoi, pour lui notifier le pourvoi conformément aux articles 29 et 30 du Règlement de procédure de la Cour de céans ; que cette lettre reçue le 20 janvier 2016, est revenue avec la mention « non réclamée » ; que le principe du contradictoire ayant ainsi été respecté, il y a lieu d’examiner la cause ;
Sur la compétence de la Cour de céans
Attendu que dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 22 septembre 2010, la SIM-Ivoiris ( devenue Orange Côte d’Ivoire), a soulevé in limine litis, l’exception d’incompétence de cette Cour sur le fondement de l’article 14 du Traité institutif de l’OHADA, motif pris de ce que l’affaire ayant abouti à l’arrêt attaqué ne soulève aucune question relative à l’application des Actes uniformes, en ce que les demandes principales et reconventionnelles étaient toutes fondées sur les dispositions légales de droit interne ;
Mais attendu que l’article 14 alinéa 3 du Traité institutif de l’OHADA dispose : « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales » ; qu’au sens des dispositions qui précèdent, la Cour de céans est compétente lorsque l’affaire qui a donné lieu à la décision attaquée soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes ou des Règlements prévus au Traité, à l’exception des décisions appliquant les sanctions pénales ; qu’en l’espèce, il est acquis que l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt attaqué, est relative à une sûreté constituée le 30 avril 1998 ; que l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, entré en vigueur le 1er janvier 1998, avait déjà intégré l’ordre juridique de la République de Côte d’Ivoire au moment de la constitution de ladite sûreté qui, de ce fait, reste régie par cet Acte uniforme ; d’où il suit que la Cour de céans est compétente pour connaître de la présente affaire ;
Sur le premier moyen
Vu les articles 3, 4 et 30 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, le défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs en ce que la cour d’appel a prononcé la condamnation de la recourante au motif qu’ il résulte de son acte d’engagement que celui-ci constitue en réalité, une garantie à première demande par laquelle elle se serait engagée elle-même, à première demande à verser immédiatement toute somme à concurrence de 84.417.038 francs en renonçant aux bénéfices de discussion et de division alors, selon le moyen, que par là-même, la cour d’appel admet implicitement et nécessairement que l’acte de cautionnement qui lui (BOA-CI) est attribué, est irrégulier ; que la Cour d’Appel s’est trompée en disqualifiant ledit cautionnement en une garantie à première demande, pour la validité de laquelle, les dispositions des articles 3 et 4 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (non révisé), doivent être strictement observées ; qu’il est en outre invoqué la violation de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 avril 1997, en ce que la convention de garantie litigieuse ne comporte pas la dénomination de lettre de garantie ainsi que les conditions de la demande de paiement ;
Attendu en effet, qu’en vertu de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 avril 1997, « Les conventions de garantie et de contre garantie ne se présument pas. Elles doivent être constatées par un écrit mentionnant, à peine de nullité :
- La dénomination de lettre de garantie ou de contre garantie à première demande ;
- Le nom du donneur d’ordre ;
- Le nom du bénéficiaire ;
- Le nom du garant ou du contregarant ;
- La convention de base, l’action ou le fait, cause de l’émission de la garantie ;
- Le montant maximum de la somme garantie ;
- La date d’expiration ou le fait entrainant l’expiration de la garantie ;
- Les conditions de la demande de paiement ;
- L’impossibilité pour le garant ou le contregarant, de bénéficier des exceptions de la caution » ;
Qu’en l’espèce, la sûreté qualifiée par la cour d’appel de garantie à première demande, n’est pas conforme aux dispositions des articles 3, 4 et 30 de l’Acte uniforme sus visé ; qu’elle n’est pas, non plus, conforme à aucune autre sûreté prévue par ledit Acte uniforme ; que dès lors, l’arrêt attaqué encourt cassation ;
Sur l’évocation
Attendu que, par exploit d’huissier en date du 13 juillet 2007, la société Bank Of Africa dite BOA-CI a relevé appel du jugement n° 626/05 rendu le 09 mars 2005 par le Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau dont le dispositif est le suivant :
« – Reçoit les demandes principales et reconventionnelles de la Société Ivoirienne des Mobiles devenue orange-CI et de la Bank Of Africa ;
- Dit la BOA mal fondée ; l’en déboute ;
- Dit par contre Orange-CI partiellement fondée en son action ;
- Homologue le rapport d’expertise ;
- Condamne solidairement la société Etude Réalisation et Construction et la Bank Of Africa à payer à la société Orange-CI la somme de 81.976.938 francs ;
- Déboute Orange-CI du surplus de sa demande ; » ;
Sur la demande de validité du cautionnement
Attendu qu’au soutien de son appel, la Bank Of Africa dite BOA-CI sollicite de la Cour l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions ; qu’elle fait valoir à cet égard, que le Tribunal a omis de statuer sur la validité du cautionnement qui, selon elle, est nul parce que violant les termes de l’article 4 de l’Acte uniforme sur les sûretés en ce qu’il ne comporte pas la signature de la société Orange-CI, créancière ; qu’à titre subsidiaire, elle fait plaider que le cautionnement litigieux est éteint par l’arrivée du terme fixé au 30 octobre 1998, la société Orange-CI n’ayant mis la garantie en œuvre que trois ans après l’expiration de ce délai ; qu’ en outre, elle fait observer que la créance de la société Orange-CI n’est pas clairement établie à l’égard du débiteur principal qu’est la société ERC qui, en réponse à la sommation qui lui a été servie à la requête de l’intimée, a répondu ne rien devoir, de sorte que, selon la BOA-CI, à défaut de prouver sa créance vis-à-vis de la société ERC, la société Orange-CI devra être déboutée de sa demande ; qu’au surplus, elle soutient que la société Orange-CI a fait preuve d’une négligence fautive dans le recouvrement de sa créance qui friserait même selon elle, la collusion ; que le contrat de cautionnement n’ayant pas été exécuté de bonne foi, qu’il ne serait pas juste qu’elle supporte, en tant que caution, le coût de la négligence de la société Orange-CI ;
Attendu qu’en réplique, la société Orange-CI sollicite la confirmation du jugement querellé ; qu’elle fait plaider, s’agissant de l’omission de statuer qui est reproché au premier juge, qu’il n’était pas demandé au Tribunal de se prononcer sur l’extinction et la validité du cautionnement ; qu’en réalité, la BOA-CI fait une confusion entre les demandes et les moyens ; qu’elle soutient en tout état de cause, que le moyen tiré de la nullité du cautionnement pour défaut de signature n’est pas pertinent d’autant que l’acte de cautionnement, contrairement aux affirmations de la BOA-CI, a bien été signé par la société Orange CI, et fait valoir en outre qu’il s’agit d’un contrat innommé ; qu’en ce qui concerne l’existence de la créance, elle fait remarquer que non seulement celle-ci a été reconnue par le débiteur principal dans un courrier du 15 mai 2000, confirmé par un autre du 17 août 2000, mais aussi, qu’elle a été incontestablement établie par l’expertise ordonnée par le Tribunal ; que poursuivant, elle indique qu’il n’est nullement établi que la subrogation aux droits et garanties d’Orange-CI ne peut plus s’opérer en faveur de la BOA-CI par le fait de celle-là ;
Mais attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant prévalu lors de la cassation, il y a lieu d’infirmer le jugement n° 626/05 rendu le 09 mars 2005 par le Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau en ce qu’il a solidairement condamné la société Etude Réalisation et Construction et la Bank Of Africa à payer à la société Orange-CI la somme de 81.976.938 FCFA et, statuant à nouveau, il convient d’annuler le cautionnement litigieux et de mettre la BOA-CI hors de cause ;
Sur la demande de paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive
Attendu que la BOA-CI sollicite la condamnation de la société Orange-CI à lui payer la somme de 2.000.000 FCFA à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;
Mais attendu qu’il n’est justifié d’aucun abus de la part de la société Orange-CI dans l’exercice de son action ; qu’il échet de débouter l’appelante de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Sur les dépens
Attendu que la société Orange-CI ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare recevable le pourvoi formé le 1er avril 2010 par la Bank Of Africa dite BOA-CI ;
Casse l’arrêt n° 465-CIV4-B du 13 juin 2008 rendu par la Cour d’Appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné solidairement la société Etude Réalisation et Construction dite ERC et la BOA-CI à payer la somme de 81.976.938 FCFA à la société Orange-CI ;
Annule le cautionnement constitué suivant acte en date du 30 avril 1998 par la Bank Of Africa dite BOA-CI ;
Met la Bank Of Africa dite BOA-CI hors de cause ;
Déboute la Bank Of Africa de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Orange-CI aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
La Présidente
Le Greffier