ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Audience Publique du 19 juin 2003

 

Pourvoi : n° 030/2002/PC du 11 juin 2002

 

Affaire :  1. Murielle Corinne Christel KOFFI

  1. Sahouot Cédric KOFFI

(Conseil : Maître Georges Patrick VIEIRA, Avocat à la Cour)

Contre

Société LOTENY TELECOM

(Conseils : Maîtres René BOURGOIN et Patrice K. KOUASSI, Avocats à la Cour)

 

ARRET N° 011/2003 du 19 juin 2003

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ( C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires ( O.H.A.D.A ) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 19 juin 2003 où étaient présents :

 

Messieurs  Seydou BA, Président

Jacques M’BOSSO, Premier Vice-président, rapporteur

Antoine Joachim OLIVEIRA,Second Vice-président

Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge

Maïnassara MAIDAGI, Juge

 

et  Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef ;

 

Sur le recours formé le 11 juin 2002 par Maître Georges Patrick VIEIRA, Avocat à la Cour, 3, rue des Fromagers 01 BP. V 159 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de Murielle Corinne Christel KOFFI et Sahouot Cédric KOFFI, ayants droit de feu KOFFI VICTOR BERGSON, dans la cause opposant ceux-ci à la Société LOTENY TELECOM S.A., Société anonyme dont le siège est à Abidjan – Plateau, 12 avenue Crosson Duplessis, 01 B.P. 3865 Abidjan 01, ayant pour conseils Maîtres René BOURGOIN et Patrice K. KOUASSI, Avocats à la Cour, demeurant à la Résidence EDEN, 44 avenue Lamblin, 01 BP. 8658 Abidjan 01, en annulation de l’Ordonnance de référé n° 020/02 rendue le 15 février 2002 par le Président de la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement et contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort ;

 

Nous nous déclarons compétent pour statuer sur la requête présentée par la Société LOTENY TELECOM ;

 

Ordonne la suspension de l’exécution de l’Arrêt  n° 1176 du 24 août 2001 jusqu’à ce que la Chambre judiciaire vide le pourvoi pendant devant elle ;

 

Ordonne la mainlevée des saisies pratiquées en vertu de cet arrêt ;

 

Laissons les dépens à la charge du Trésor public »

 

Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi le moyen unique d’annulation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt  ;

 

Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Premier Vice-Président ;

 

Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que KOFFI VICTOR BERGSON, alors administrateur et Président du Conseil d’administration de la Société LOTENY TELECOM, s’était vu relevé de ses fonctions lors d’un conseil d’administration tenu hors sa présence le 10 septembre 1998 à Genève ; que considérant irrégulières au regard des textes régissant cette société la convocation et les délibérations de ce conseil d’administration du 10 septembre 1998, KOFFI VICTOR BERGSON avait saisi le Tribunal de première instance d’Abidjan – Plateau en vue d’en obtenir l’annulation ; que n’ayant eu gain de cause par le jugement civil n° 94 rendu le 12 avril 2001 par ledit tribunal, KOFFI VICTOR BERGSON en avait relevé appel devant la Cour d’appel d’Abidjan ; que par son Arrêt n° 1176 du 24 août 2001, la Cour d’appel d’Abidjan avait infirmé le jugement déféré en accédant à la demande de KOFFI VICTOR BERGSON ; qu’en exécution dudit arrêt, KOFFI VICTOR BERGSON avait pratiqué des saisies conservatoires sur les comptes de la Société LOTENY TELECOM ouverts dans les livres de différents établissements bancaires d’Abidjan ; que réagissant aux saisies pratiquées sur ses comptes, la Société LOTENY TELECOM avait saisi le Président de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire d’une requête aux fins de suspension de l’exécution de l’Arrêt n° 1176 du 24 août 2001 et de mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit Arrêt ; que le Président de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a, par Ordonnance de référé n° 020/02 du 15 février 2002 dont l’annulation est demandée, d’une part, ordonné la suspension de l’exécution de l’Arrêt n° 1176 précité jusqu’à ce que la Chambre judiciaire vide le pourvoi pendant devant elle et, d’autre part, décidé de la mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit arrêt ;

 

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la défenderesse

 

Attendu que la Société LOTENY TELECOM, dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 24 janvier 2003, demande de déclarer irrecevable le recours en annulation formé par les ayants droit de feu KOFFI VICTOR BERGSON au motif que ceux-ci « ne justifient plus d’un intérêt pour agir et par conséquent leur demande en annulation ne saurait être accueillie du fait de la caducité de l’ordonnance en cause, suite à l’Arrêt n° 756/02 rendu par la Chambre civile de la Cour Suprême d’Abidjan le 05 décembre 2002 qui a vidé la cause au fond ; … que la caducité est l’état d’un acte juridique valable mais privé d’effet en raison de la survenance d’un fait postérieur à sa création » ;

 

Mais attendu que s’il est exact que l’intérêt d’une action en justice participe des conditions de sa recevabilité, il est de règle qu’il ne s’apprécie qu’à la date de l’introduction de l’instance et ne saurait dépendre pour son existence des faits postérieurs ; qu’en l’espèce, la date d’introduction de l’instance est le 11 juin 2002 ; qu’à cette date, les requérants justifiaient bien d’un intérêt légitime à agir en justice contre l’ordonnance du Président de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire dont ils contestaient la légalité et qui leur portait préjudice en suspendant l’exécution d’un titre exécutoire régulier, à savoir l’Arrêt n° 1176 du 24 août 2001 qui leur était favorable ; que la survenance de l’Arrêt n° 756/02 du 05 décembre 2002 six mois après la date introduction de l’instance ne saurait ôter à celle-ci son intérêt ; qu’il échet en conséquence de rejeter la fin de non- recevoir soulevée comme non fondée ;

Sur l’annulation

Vu l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est fait grief à l’ordonnance attaquée d’avoir suspendu l’exécution de l’Arrêt n° 1176 du 24 août 2001 et décidé de la mainlevée des saisies pratiquées en vertu dudit arrêt, alors que, selon le moyen, l’objet de la requête de la Société LOTENY TELECOM porte sur les voies d’exécution, en l’occurrence la demande de mainlevée d’une saisie conservatoire de créance pratiquée le 17 janvier 2002 ; que l’article 49 sur les voies d’exécution prévoit que la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le Président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui… ; qu’il s’ensuit que le juge compétent en cette matière est le Président de la juridiction de première instance du lieu de la saisie ou le magistrat délégué par lui ; que c’est à tort que la Société LOTENY TELECOM a saisi le Président de la Cour suprême ; qu’en statuant en dernier ressort dans une matière dévolue à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, la décision rendue a méconnu la compétence de cette juridiction et encourt l’annulation ;

Attendu que la matière des voies d’exécution à laquelle se rattache la présente espèce est régie depuis le 11 juin 1998, date de son entrée en vigueur, par l’Acte uniforme susvisé ; que celui-ci dispose en son article 49 que « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le Président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui.

La décision est susceptible d’appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé ;

Le délai d’appel comme l’exercice de cette voie de recours n’ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du Président de la juridiction compétente » ;

Attendu qu’il ressort des dispositions susénoncées de l’article 49 de l’Acte uniforme susvisé que tout litige relatif à une mesure d’exécution forcée relève, quelle que soit l’origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, de la compétence préalable du Président de la juridiction statuant en matière d’urgence et en premier ressort ou du magistrat délégué par lui ; qu’il s’ensuit qu’en l’espèce, le juge compétent pour connaître des difficultés nées de la saisie attribution pratiquée sur les comptes de la Société LOTENY TELECOM en exécution de l’Arrêt n° 1176 du 24 août 2001 est le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan – Plateau ou le magistrat délégué par lui ; qu’il en résulte qu’en retenant sa compétence et en rendant l’ordonnance attaquée, le Président de la Cour suprême de Côte d’Ivoire a méconnu les dispositions susmentionnées et exposé sa décision à l’annulation ; qu’il échet, en conséquence, d’annuler l’Ordonnance n° 020/02 du 15 février 2002 pour cause de violation de la loi ;

Attendu que la Société LOTENY TELECOM ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la Société LOTENY TELECOM ;

Annule l’Ordonnance n° 020/02 rendue le 15 février 2002 par le Président de la Cour suprême de Côte d’Ivoire ;

Condamne la Société LOTENY TELECOM aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président

Le Greffier en chef