ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première chambre

Audience publique du 14 décembre 2017 

Pourvoi : n° 275/2016/PC du 28/12/2016

Affaire :   MAMADI KOULIBALY et OUMAR KOULIBALY

                        (Conseils : Maîtres Joachim GBILIMOU & Ibrahima Kalil KEITA, Avocats à la Cour)

 

                             Contre

 

                   MAMADOU DEM

(Conseil : Maître Almamy TRAORE, Avocat à la Cour)

 

Arrêt N° 228/2017 du 14 décembre 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), première chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 14 décembre 2017 où étaient présents :

Madame      Flora DALMEIDA MELE,                             Présidente

Messieurs    Marcel SEREKOISSE SAMBA,                       Juge, rapporteur

Robert SAFARI ZIHALIRWA,                         Juge

 

et Maître     Edmond Acka ASSIEHUE,                           Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 28 décembre 2016, sous le n° 275/2016/PC et formé par Maîtres Joachim GBILIMOU, avocat au Barreau de Guinée, demeurant au quartier Kouleondy, Commune de Kaloum-Conakry et Maître Ibrahima KEITA, Avocat au Barreau de Guinée, demeurant au quartier Almamya Commune de Kaloum-Conakry, agissant au nom et pour le compte de Monsieur Mamadi KOULIBALY, né en 1960 à Mandiana (Guinée), commerçant domicilié au quartier Yimbaya, Commune de Matoto-Conakry et de Monsieur Oumar KOULIBALY, né le 14 septembre 1988 à Conakry, domicilié au quartier Yimbaya, Commune de Matoto-Conakry, dans le différend qui l’oppose à Monsieur Mamadou DEM, né en 1956 à Pita (Guinée), commerçant domicilié à Hamdallaye, Commune de Ratoma-Conakry, ayant pour Conseil Maître Almamy TRAORE, Avocat au Barreau de Guinée, demeurant au quartier Dixinn, Commune de Dixinn-Conakry, en cassation de l’arrêt n°209 rendu le 24 mai 2016 par la Cour d’appel de Conakry et dont le dispositif suit :

 

« Par ces motifs ;

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière économique et en dernier ressort ;

 

En la forme :

 

Reçoit Mamadi KOULIBALY et Oumar KOULIBALY en leurs appels ;

 

Au fond :

 

Les déclare mal fondés ;

– Constate que pour le paiement des montants de 78.224.55Euros et 15150SUS, Mamadi KOULIBALY a mis en hypothèque l’immeuble objet du titre foncier N°04396/2003/TF du 23 Septembre 2003 en accord avec son épouse Minata BAYO ;

– Constate que ce droit réel grevé sur l’immeuble sus-visé a été le fait des parents biologiques et représentants légaux de Oumar KOULIBALY alors mineur ;

En conséquence :

Confirme le jugement civil n°127 du 08/04/2011 en toutes ses dispositions ;

Met les dépens à la charge des appelants ; » ;

 

Les requérants invoquent à l’appui de leur recours quatre moyens de cassation  tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Juge ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que dans le cadre de leurs relations d’affaires consistant en la fourniture à Mamadi KOULIBALY par Mamadou DEM des friperies, le premier est resté débiteur envers le second des arriérés d’impayés de 15.150 dollars US, 85.692,62 Euros et la somme de 11.984,062 Euros représentant 7% de commissions sur toutes les factures de commandes faites par Mamadou DEM au profit de Mamadi KOULIBALY ; qu’en garantie de paiement, Mamadi KOULIBALY a consenti le 05 juillet 2006 une  hypothèque conventionnelle sur l’immeuble objet du titre foncier n° 04396/2003/TF titre foncier de Conakry du 01/09/2003 appartenant à son fils Oumar KOULIBALY ;

Que le 16 avril 2007, Mamadi KOULIBALY a vendu, par deux actes sous-seings privés, en cette même date, à Mamadou DEM, deux immeubles lui appartenant, à savoir :

– l’immeuble formant la parcelle n° 1 du lot 46 du plan cadastral de Kissosso, commune de Matoto, consistant en un terrain urbain d’une contenance de 777,56 m2 objet du TF n° 00171/1997/TF du16 juin 1997 enregistré au livre foncier de Conakry, volume n°1 folio 86 du registre n°224 ;

– l’immeuble formant la parcelle n°17 du lot 19 du plan cadastral de Yimbaya école, commune de Matoto, consistant en un terrain urbain bâti d’une contenance totale de 869,36 m2 objet du TF n° 00361/1998/TF du 06 février1998 enregistré au livre foncier de Conakry, volume n° 1 folio 181 du registre n° 482 ;

Que face au non-paiement de sa créance, Mamadou DEM, par exploit d’huissier du 05 février 2010, a fait assigner, en réalisation d’hypothèque,  Mamadi KOULIBALY devant le Tribunal de première instance de Conakry II ; que par jugement  n° 127 du 08 avril 2011, le tribunal, après avoir constaté que l’hypothèque conventionnelle qui a été conclue entre les parties , l’avait été sous une forme agréée par le conservateur foncier et constaté la minorité de Oumar KOULIBALY au moment des faits et sa représentation par ses parents biologiques, a condamné Mamadi KOULIBALY au paiement des montants de 85.692, 62 Euros et 15.150 USD et 7 % de ces sommes à titre principal et à 200.000.000 FG de dommage-intérêt, et a fait droit à la demande réalisation de l’hypothèque jusqu’à concurrence de sa valeur pour lesdits montants ;

Que Mamadi et Oumar KOULIBALY ayant relevé appel de ce jugement le 30 avril 2013, la Cour d’appel de Conakry a rendu un arrêt avant-dire-droit aux fins de désignation d’un expert-comptable et financier qui a déposé son rapport le 28 novembre 2013 ; qu’une contre-expertise ayant été autorisée par la cour d’appel à la demande des KOULIBALY, le second expert a déposé son rapport le 11 décembre 2015 ; que vidant sa saisine, la cour d’appel a rendu le 24 mai 2016 l’arrêt n° 209 sus-énoncé, objet du présent pourvoi ;

 Sur le premier moyen 

Vu les articles 127 ancien de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et 400 du Code civil guinéen ;

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué  la violation des dispositions de l’article 127 ancien de l’Acte uniforme portant organisation des Sûretés, en ce que l’arrêt a retenu que le droit réel grevant l’immeuble litigieux a été le fait des parents biologiques et représentants légaux de Oumar KOULIBALY encore mineur à l’époque de la convention d’hypothèque, alors qu’il est constant que Mamadi KOULIBALY a donné en hypothèque, l’immeuble objet du titre foncier n° 04396/2003/TF titre foncier de Conakry du 01/09/2003 appartenant à son fils Oumar KOULIBALY sur lequel il n’est titulaire d’aucun droit réel ;

Attendu, d’une part, que l’article 127 ancien de l’Acte uniforme précité dispose :

« L’hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par celui qui est titulaire du droit réel immobilier régulièrement inscrit et capable d’en disposer » ; que d’autre part, l’article 400 du Code civil guinéen stipule : « le père est, du vivant des époux, l’administrateur légal des biens de leurs enfants mineurs non émancipés. » ;

Attendu qu’il ressort de l’examen combiné de ces deux dispositions que le pouvoir d’administration des parents sur les biens de leur enfant mineur ou celui du tuteur sur les biens de son  pupille, ne s’analyse qu’en un acte de conservation, c’est-à-dire du maintien du patrimoine dans l’état où il se trouve et en un acte d’administration, qui a pour but de faire  fructifier le patrimoine dans l’intérêt du mineur  pour lui en rendre compte à sa majorité, mais ne s’analyse pas en un pouvoir de disposition qui fait sortir un bien du patrimoine et l’appauvrit ; que cette hypothèque conventionnelle qui porte sur la chose d’autrui doit être frappée de nullité absolue comme ayant été consentie par un non-propriétaire ; qu’ en validant ladite hypothèque qui ne remplit pas les conditions légales de forme et de fond indispensables à sa validité, l’arrêt attaqué a méconnu la rigueur des dispositions impératives susvisées ; qu’il y a lieu de casser cet arrêt sur la base de ce moyen, d’évoquer et statuer sur le fond, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours ;

Sur l’évocation

Attendu que Mamadi KOULIBALY et Mamadou DEM ont noué des relations commerciales consistant en la fourniture par Mamadou DEM des marchandises à Mamadi KOULIBALY ; que dans ce cadre, Mamadi KOULIBALY est demeuré redevable d’importantes dettes à l’égard de Mamadou DEM ; qu’en garantie de leur apurement, Mamadi KOULIBALY a consenti le 05 juillet 2006 une  hypothèque conventionnelle sur un immeuble immatriculé à la Conservation Foncière sous le n°04396/2003/TF au nom de son fils Oumar KOULIBALY encore mineur à l’époque de la convention d’hypothèque ; que par deux actes sous-seings privés du 16 avril 2007, Mamadi KOULIBALY a vendu à Mamadou DEM  deux immeubles consistant en des parcelles non bâties ; que n’ayant reçu aucun paiement, Mamadou DEM, le 05 février 2010,  a fait assigner en réalisation d’hypothèque Mamadi KOULIBALY par devant le Tribunal de première instance de Conakry 2 qui a rendu le 08 avril 2011 le jugement n° 127 dont le dispositif  suit :

« Par ces motifs

Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

En la forme : Reçoit Oumar KOULIBALY en son intervention forcée ;

Au fond : les y dit mal fondée ;

  • Constate la minorité de monsieur Oumar KOULIBALY au moment des faits et sa représentation par ses représentants légaux ;
  • Déboute monsieur Oumar Koulibaly de ses prétentions ;
  • Constate qu’il y a entre Mamadi KOULIBALY une hypothèque conventionnelle au profit du demandeur El hadj Mamadou DEM en garantie de paiement des créances de 15.000 USD et 85.692,62 Euros, de 7% de toutes factures de commande qui ont été lancées par El hadj Mamadou DEM qui se lève à aujourd’hui 11.984,062 Euros ;
  • Constate que l’hypothèque conventionnelle a été conclue sous une forme agréée par le conservateur foncier ;
  • Constate qu’à l’époque des faits […..] d’un pouvoir étendu sur l’immeuble objet de ladite hypothèque ;

 En CONSEQUENT

– Condamne Mamadi KOULIBALY au paiement des montants de

85.692,62 Euros et 15.150 USD et 7% de ceux-ci à titre principal,

– Le condamne à 200.000.000 FG de dommage-intérêt ;

– Dit et juge que cette hypothèque […..] jusqu’à concurrence de sa valeur pour les montants » ;

Attendu que par déclaration reçue au greffe de la Cour d’appel de Conakry le 30 avril 2013, Mamadi et Oumar KOULIBALY ont relevé appel contre ce jugement ; qu’à l’appui de son appel, Oumar KOULIBALY soutient qu’il n’est pas débiteur de l’intimé Mamadou DEM ; qu’il est propriétaire exclusif de l’immeuble objet du titre foncier n° 04396/2003/TF et qu’il n’a consenti aucune hypothèque au profit de Mamadou DEM ; qu’il demande l’annulation de ladite hypothèque, sa radiation par le bureau de la Conservation Foncière, l’infirmation en toutes ses dispositions du jugement n°127 du 08 avril 2011, la condamnation de Mamadou DEM et le Bureau de la Conservation Foncière à lui payer  300.000.000 FG de dommages-intérêts et de débouter ceux-ci de leurs prétentions ;

Que pour sa part, Mamadi KOULIBALY demande la mise à néant du jugement attaqué, de constater le refus délibéré de Mamadou DEM de considérer les paiements qu’il a effectués et sollicite la prise en compte des fruits issus de la gestion des bâtiments construits par lui et mis à la disposition de son créancier ;

Attendu que Mamadou DEM réplique en demandant le rejet des prétentions des appelants et la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions ; qu’il soutient, d’une part, qu’à la date du 23 avril 2007, Monsieur Oumar KOULIBALY était encore mineur, ce qui signifie que ses avoirs étaient gérés par ses parents selon la loi ; que légalement, cette hypothèque est valable car  les parents de Oumar KOULIBALY ont un large pouvoir sur l’administration de ses biens en tant que mineur ; d’autre part, que Mamadi KOULIBALY lui a consenti l’hypothèque conventionnelle litigieuse sur le titre foncier n° 04396/2003 du 28 septembre 2003 avec le consentement de son épouse Minata BAYO, dans le cadre des activités de leur entreprise familiale dénommée « Etablissements KOULIBALY et FRERES » dont les résultats profitent aussi à leur fils Oumar KOULIBALY ;

Mais attendu que pour faire droit aux prétentions de El hadj Mamadou DEM relativement à la convention d’hypothèque sur l’immeuble objet du titre foncier n°04396/2003/TF, le Tribunal de première instance de Conakry 2 retient que « l’achat du terrain hypothéqué et son immatriculation au nom de Monsieur Oumar KOULIBALY n’est rien d’autre qu’une fraude aux droits des créanciers. En effet, à l’époque des faits, Monsieur Oumar Koulibaly n’avait que 18 ans, donc mineur qui ne pouvait s’acheter une maison puisqu’il était élève. Dans le titre foncier établi en son nom, il y est indiqué que Monsieur Oumar KOULIBALY tient son droit d’un contrat de vente passé entre lui et un certain Moussa Fofana » ;

Mais attendu d’une part, que l’immeuble objet du titre foncier n°04396/2003/TF a été acheté par Mamadi KOULIBALY des mains de Monsieur Moussa FOFANA par acte notarié en date du 27 décembre 2002 ; que sur réquisition de Mamadi KOULIBALI en date du 23 juillet 2003, enregistrée le 28 août suivant, le Conservateur a procédé le 29 septembre 2003 à l’immatriculation de l’immeuble au nom de Oumar KOULIBALY, soit plus de deux ans avant la convention d’hypothèque litigieuse et à environ  trois ans avant la convention de collaboration du 05 juillet 2006 qui avait concrétisé les relations d’affaires entre Mamadi KOULIBALY et El hadj Mamadou DEM ; que dans ces circonstances, le tribunal ne peut soutenir utilement que l’immatriculation de l’immeuble faite par Mamadi KOULIBALY au profit de son fils mineur Oumar KOULIBALY l’a été en fraude aux droits d’un quelconque créancier qui n’existait pas encore, ni au moment de l’achat de l’immeuble, ni à la date de son immatriculation à la Conservation Foncière ;

Attendu d’autre part que Mamadi KOULIBALY a vendu à Mamadou DEM les deux immeubles, non grevés d’hypothèque, consistant en  la parcelle N°1 du lot 46 objet du titre foncier N°00171/1997/ TF d’une superficie de 777,56 m2 et la parcelle N° 17 du lot 19 objet du titre foncier N°0361/1998/TF d’une superficie de 869,36 m2 ; que les fruits de la vente sont venus en déduction du montant des dettes de Mamadi KOULIBALY tel que cela ressort du premier rapport d’expertise déposé le 28 novembre 2013 par l’expert-comptable HADJIMALIS Antoine Sylla, non contesté par Mamadi KOULIBALY ; que Mamadou DEM perçoit désormais les loyers de ces immeubles en sa qualité de propriétaire légitime ; qu’ainsi lesdits loyers ne pouvant venir en déduction des dettes de KOULIBALY à l’égard de Mamadou DEM, il y a lieu de le débouter de ce chef de demande ;

Attendu qu’en définitive, la substance de la présente cause se résume en l’action en réalisation de l’hypothèque consentie par Mamadi KOULIBALY avec le consentement de son épouse sur l’immeuble immatriculé au nom de son fils Oumar KOULIBALY ; que pour les motifs ci-dessus développés, il y a lieu d’infirmer partiellement le jugement querellé et statuant à nouveau, faire droit à la demande de Oumar KOULIBALY ;

Attendu que El hadj Mamadou DEM et Mamadi KOULIBALY ayant succombé, il y a lieu de faire masse des dépens entre eux ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

 

Casse l’arrêt n° 209 rendu le 24 mai 2016 par la Cour d’appel de Conakry ;

 

Evoquant et statuant sur le fond,

 

Infirme partiellement le jugement n°127 rendu le 08 avril 2011 par le tribunal de première instance de Conakry 2 en ce qu’il a validé l’hypothèque          conventionnelle ;

 

Annule l’hypothèque conventionnelle consentie par Mamadi KOULIBALY au profit de Mamadou DEM sur l’immeuble objet du titre foncier n°04396/2003/TF du 1er septembre 2003 immatriculé au nom de Oumar KOULIBALY ;

 

Ordonne en conséquence la radiation de ladite hypothèque par le Bureau de la Conservation Foncière de Conakry ;

 

Déboute Oumar KOULIBALY du surplus de sa demande ;

 

Déclare valables les ventes des immeubles effectuées le 16 avril 2007 par Mamadi KOULIBALY au profit de Mamadou DEM avec toutes les conséquences de droit ;

 

Déboute Mamadi KOULIBALY de toutes ses prétentions ;

 

Fait masse des dépens entre El hadj Mamadou DEM et Mamadi KOULIBALY.

 

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

La Présidente

Le Greffier