ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première Chambre

Audience publique du 07 juin 2012

Pourvoi : n° 001/2009/PC du 20 janvier 2009 

Affaire : Etat Congolais

(Conseil : Maître Emmanuel OKO, Avocat à la Cour)

Contre

Succession Charles Ebina composée des héritiers,

       Représentés par JOSE Cyr Ebina

(Conseil : Maître Jean Philippe Esseau, Avocat à la Cour

                          La SCPA Alpha 2000, Avocats associés à la Cour)

 

ARRET N°042/2012 du 07 juin 2012

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Première Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 07 juin 2012 où étaient présents :

 

Messieurs  Antoine Joachim OLIVEIRA,                            Président

Doumssinrinmbaye BAHDJE,                                          Juge, rapporteur

Marcel SEREKOÏSSE SAMBA,                                                 Juge

 et   Maître MONBLE Jean Bosco,                                    Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 20 janvier 2009 sous le n°001/2009/PC et formé par Maître Emmanuel OKO, Avocat à la Cour, B.P. 5298, Brazzaville (Congo), au nom et pour le compte de l’Etat Congolais, représenté par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des droits humains, dans la cause qui oppose ledit Etat à la Succession Charles Ebina, représentée par JOSE Cyr Ebina, commerçant, domicilié N°1 Avenue Nelson Mandela et ayant pour Conseil Maître Jean Philippe ESSEAU, Avocat au Barreau de Brazzaville, BP. 1974 Brazzaville, Avenue Lumumba, en cassation de l’Arrêt n° 08 rendu le 27 octobre 2008 par la Cour d’Appel de Brazzaville et  dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

En la forme : Reçoit l’appel ;

Au fond ; Dit qu’il a été mal appelé et bien jugé

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Déboute l’Etat congolais de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Met les dépens à sa charge».

 

Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi cinq  moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE ;

 

Vu les dispositions des articles  13 et 14  du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par acte dénommé « Acte de cession des actifs de l’hôtel MBOU MVOUMVOU ex Novotel » en date du 7 août 2002, l’Etat Congolais a cédé au groupe international Charles Ebina Yomvoula les actifs mobiliers et immobiliers de l’hôtel MBOU MVOUMVOU ex Novotel pour un prix global de un milliard cinq cent millions (1.500.000.000) de francs CFA suivant des modalités de paiement acceptés par les deux parties ; qu’il a été en même temps décidé le versement d’un acompte de cinq cent millions (500.000.000) de francs à la date du 3 août 2002 et le reste payable en huit trimestrialités de 125.000.000 (cent vingt cinq millions) de francs CFA chacune avec un différé de 8 mois, à partir de 30 mars 2004 ; que pour n’avoir pas respecté ses engagements contractuels portant tant sur l’acompte que sur les trimestrialités, le groupement international Charles Ebina Yomvoula a fait l’objet de mises en demeure de l’Etat Congolais, successivement les 04 novembre 2002 ; 6 avril 2004 ; 11 mai 2004 et 9 juillet 2004 demeurées sans réponse ; que le 13 juillet 2004, le Ministre d’Etat, chargé de l’action gouvernementale, des transports et des privatisations a adressé une correspondance à Monsieur Charles Ebina Yomvoula, proposant à celui-ci le prélèvement sur ses créances au niveau de la caisse congolaise d’Amortissement pour le paiement de l’acompte et des trimestrialités échus ; que le Président du groupe international Ebina Youmvoula a fait une contreproposition par correspondance du 20 juillet 2004, rejetée le 26 août 2004  ; que par lettre du 17 décembre 2004, l’autorité gouvernementale a rappelé à la débitrice de l’Etat qu’elle n’a jusqu’ici ni apuré le reliquat de l’acompte, ni versé les trois trimestrialités échues, le tout se chiffrant à 398.605.000 francs CFA ; qu’il est exigé du commerçant le versement de cette somme d’argent dans un délai de 15 jours, sous peine de faire à ce dernier l’application de la disposition du contrat des parties ayant prescrit la résiliation de plein droit de la convention ; que Monsieur Charles Ebina étant décédé le 25 décembre 2004, c’est le chargé des investissements de son organisation qui, par une correspondance, a sollicité l’indulgence de l’Etat pour non respect de l’engagement pris par son organisation et a sollicité un nouveau délai de paiement ; que le 14 mai 2005, une lettre de résiliation émanant du Conseil d’Etat a été notifiée au groupe international Ebina Yomvoula et par Ordonnance de référé n°494 du 16 juin 2005, l’expulsion dudit groupe de l’hôtel MBOU MVOUMVOU a été décidée ; que le 10 juillet 2006, la Succession Ebina a assigné l’Etat Congolais devant le Tribunal de commerce de Brazzaville aux fins de revendication de la propriété de l’immeuble litigieux ; que par Jugement n°115 du 25 septembre 2007, la juridiction susindiquée a statué comme suit :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort ;

 

Vu les dispositions des articles 8 du contrat de cession conclu entre le défunt Charles Ebina et l’Etat Congolais ; 1184, 1149 du Code civil ; 39 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

 

Vu le jugement avant dire droit rendu dans la présente cause en date du 13 février 2007 et l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel du 28 juillet 2007 ;

 

Constate que par jugement avant dire droit susprécisé, le Tribunal de céans a retenu sa compétence et a rejeté la fin de non recevoir ;

 

Dit et juge que l’expulsion entreprise l’a été en violation de l’article 8 du contrat de cession de l’hôtel MBOU MVOUMVOU ;

 

Ordonne la restitution par l’Etat Congolais, et dans un délai de 06 mois à compter de la signification de la présente décision, des actifs de l’hôtel MBOU VOUMVOU à la Succession Ebina ;

 

Donne acte à la Succession Ebina de ce qu’elle offre de payer la totalité du reliquat ;

 

Dit que les sommes dues au titre du reliquat ne seront exigibles que dans un délai de 15 mois à compter de la restitution effective de l’hôtel MBOU MVOUMVOU ;

 

Condamne l’Etat Congolais à payer à la Succession la somme de 345.319.031 francs, représentant le montant des créances recouvrées par l’Etat en lieu et place de la Succession ;

 

Condamne en outre l’Etat Congolais à payer aux ayants droit de feu Ebina la somme de francs CFA 400.000.000 au titre des dommages-intérêts ;

 

Déboute les ayants droit du surplus de leur demande en dommages-intérêts ;

 

Dit que la somme de francs CFA 345.319.031 portera intérêt de droit au taux légal ;

 

Ordonne l’exécution provisoire pour la même somme ;

 

Met les dépens à la charge du Trésor public ;

 

A défaut de restitution de tous les actifs de l’hôtel MBOU MVOUMVOU :

 

Condamne l’Etat Congolais à payer les sommes suivantes :

 

-Au titre de remboursement de l’acompte sur le prix de la

vente…………………………………………………  750.000.000 FCFA

 

-Au titre de remboursement des sommes d’argent

investies pour rendre l’hôtel opérationnel…………  874.172.143 FCFA

 

-Au titre des créances de la Succession recouvrées

par l’Etat Congolais ………………………………… 345.319.031 FCFA

 

Soit la somme principale de……………………….1.969.491.174 FCFA

 

-Au titre des dommages-intérêts pour préjudice subi en

révision de l’inexécution du contrat……………………    800.000.000 FCFA

 

Soit la somme totale de…………………………… 2.496.911.174 F CFA

 

Déboute la Succession Ebina du surplus de sa demande en dommages intérêts ;

 

Ordonne l’exécution provisoire, sans caution, en ce qui concerne le paiement de l’acompte du prix de vente de l’hôtel (750.000.000) francs CFA ; les sommes investies pour rendre l’hôtel opérationnel (874.172.143 francs CFA), plus celles recouvrées par l’Etat en lieu et place de la Succession (345.319.031) francs CFA ;

 

Dit que les mêmes sommes dont le paiement est assorti de l’exécution provisoire porteront intérêt de droit au taux légal à compter du 10 juillet 2006, date du dépôt de la requête introductive d’instance ;

 

Met les dépens à la charge du Trésor public ;

 

Attendu que l’Etat Congolais a relevé appel dudit jugement ; que la Cour d’appel de Brazzaville a confirmé par Arrêt n° 08 du 27 octobre 2008 ; que l’Etat Congolais s’est ensuite pourvu en cassation contre ledit Arrêt dont le dossier a été reçu et enregistré au greffe de la Cour de céans le 20 janvier 2009 sous le n°001/2009/PC ;

 

Sur la compétence de la Cour

Vu l’article 14, alinéas 3 et 4 du Traité institutif de l’OHADA ;

 

Attendu qu’au soutien de son pourvoi, l’Etat Congolais, par son conseil Maître Emmanuel OKO, Avocat au Barreau de Brazzaville invoque d’une part, la violation des articles 2 et 3 de l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial et d’autre part, celle de l’article 39 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, enfin celle des dispositions de la loi Congolaise relative à l’organisation judiciaire et des articles 1134 et 1184 du code civil, tout comme la violation des articles 142 et 481 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière du Congo ;

 

Attendu qu’aux termes des alinéas 3 et 4 de l’article 14 du Traité susvisé, « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par la juridiction d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats Parties dans les mêmes contentieux » ;

 

Attendu par ailleurs qu’aux termes de l’article 2 de l’Acte uniforme portant Droit commercial général, « sont commerçants ceux qui accomplissent des actes de commerce et en font leur profession habituelle » ; que l’article 3 dispose : « ont le caractère d’actes de commerce, notamment :

 

-l’achat des biens meubles ou immeubles, en vue de leur vente ;

 

-les opérations de banque, de bourse, de change, de courtage, d’assurance et de transit ;

 

-les contrats entre commerçants pour les besoins de leur commerce ;

 

-l’exploitation industrielle des mines, carrières et de tout gisement de ressources naturelles ;

 

-les opérations de manufacture, de transport et de télécommunication ;

 

-les opérations des intermédiaires de commerce, telle que commission, courtages, agences, ainsi que les opérations d’intermédiaire pour l’achat, la souscription, la vente ou la location d’immeubles, de fonds de commerce, d’actions ou de parts de société commerciale ou immobilière ;

 

-les actes effectués par les sociétés commerciales » ;

 

Attendu que la Cour d’appel, dans le litige qui lui est soumis, a fait application, principalement des dispositions qui précèdent ; que l’Etat Congolais étant concerné par la décision soumise à la censure de la Cour de céans, il y a lieu de préciser que cet Etat est une personne morale titulaire de la souveraineté et en tant que tel, est une puissance publique ; qu’il ne saurait être considéré comme ayant accompli l’acte de commerce de l’article 3 susvisé, ni répondant à la définition de commerçant, malgré son interventionnisme économique par la création des entreprises, qui seules, sont des commerçantes et non lui-même, bien que propriétaire desdites entreprises ; que d’ailleurs, dans le cas d’espèce, l’acte de cession par lequel l’Etat congolais a vendu l’hôtel MBOU MVOUMVOU au commerçant Charles Ebina constitue un contrat administratif puisque passé suivant la procédure d’appel d’offres ; qu’au demeurant, cette convention renferme une clause exorbitante du droit commun en son article 8 qui reconnaît à l’Etat le droit de résiliation de plein droit ; qu’en définitive, le fait pour l’Etat de céder une entreprise à un commerçant ne requiert point l’application des textes susvisés ; que de ce fait la Cour de céans n’ayant pas vocation à trancher le litige à elle soumis doit se déclarer incompétente ;

 

Attendu que l’Etat Congolais ayant succombé doit être condamné aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Se déclare incompétente ;

Condamne le requérant aux  dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président 

Le Greffier