ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première chambre

Audience publique du 18 mai 2017

Pourvoi :  n°061/2015/PC du 17/04/2015

Affaire :    Etablissements KOKOU Services et 05 autres

                 (Conseils : SCPA Abel KASSI, KOBON & Associés Avocats à la Cour)

 

                                Contre

 

                GENAN ISMAIL SALIH et 02 autres

        

Arrêt N°125/2017 du 18 mai 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), première chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 18 mai 2017 où étaient présents :

Madame Flora DALMEIDA MELE,                                            Présidente, rapporteur

Messieurs Marcel SEREKOISSE SAMBA,                                    Juge

Robert SAFARI ZIHALIRWA,                                                       Juge

et Maître Edmond Acka ASSIEHUE,                                        Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 17 avril 2015 sous le n°061/2015/PC et formé par la SCPA Abel Kassi, Kobon & Associés Avocats à la Cour, demeurant Cocody les II plateaux, boulevard Latrille, résidence « SICOGI Latrille », près de la mosquée d’Aghien, bâtiment  L, 1er étage, porte  136, 06 BP 1774 Abidjan 06,  agissant au nom et pour le compte de Etablissements  KOKOU SERVICES, sis à Abidjan Marcory, boulevard  VGE, parcelle B, titre foncier n°5751, 01 BP 3242 Abidjan 01, agissant aux poursuites et diligences de monsieur AGBALEGNON KOKOU, son gérant, demeurant es-qualité au siège de ladite société,  monsieur GAMBY SEKOU, commerçant, domicilié à Abidjan Koumassi, 12 BP 324 Abidjan 12, monsieur GAMBY IBRAHIM, commerçant, domicilié  à Abidjan Marcory Hibiscus, 05 BP 419 Abidjan 05, monsieur GAMBI AMADOU, commerçant, domicilié à Marcory, 05 BP 419, Abidjan 05, monsieur AVAHOUIN Blaise Boladji, domicilié à Yopougon, 11 BP 2383 Abidjan 11, commerçant, madame AMAVI Caroline Renée,  domiciliée à la riviera  golf , 22 BP 22 Abidjan 22, commerçante, dans la cause les opposant à GENAN ISMAIL SALIH , CIRAK SULEYMAN, SCI « LES RESIDENCES MODERNES », en cassation de l’arrêt n°210/cial rendu le 21 mars  2014  par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

En la forme

Déclare les ETABLISSEMENTS KOKOU SERVICE et autres recevables en leur appel ;

Au fond

Les y dit mal fondés ;

Les en déboute ;

Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;

Les condamne aux dépens ; » ;

Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que depuis des années, les requérants ont conclu des baux à usage commercial avec la SCI « Les Résidences modernes » sis à Marcory et s’acquittent régulièrement les loyers ; que par exploit en date du  22 juin 2012, GENAN ISMAIL SALIH leur a fait signifier un acte de vente entre Les Résidences modernes et lui en leur demandant de verser désormais les loyers entre les mains de CIRAK SULEYMAN, son représentant, aux risques de s’exposer à une poursuite judicaire ; que le 03 juillet 2012, le nouvel acquéreur notifiait  aux locataires un préavis de 6 mois pour raison d’édification d’un immeuble que ces derniers contestaient ; que le 24 décembre 2012, un second congé leur fut servi pour construction d’un immeuble en lieu et place des constructions actuelles sans autres précisions ; que par exploit du 1er mars 2013, les locataires contestaient le nouveau congé et assignaient en paiement d’une indemnité d’éviction GENAN ISMAIL SALIH et deux autres devant le Tribunal de commerce d’Abidjan  lequel, par jugement  n° 275 du 30 mai 2013, les déboutait de leur demande en paiement d’indemnité d’éviction  après avoir dit que le congé servi était irrégulier et  que les contrats  de bail continuent de produire leurs effets ; que sur leur appel, la Cour d’appel d’Abidjan a rendu le 21 mars  2014, l’arrêt confirmatif n°210/cial dont pourvoi ;

 

Attendu que, bien qu’ayant reçu notification du recours par lettre n°695/2015/G2 du 29 mai 2015, reçue le 11 juin 2015, CIRAK SULEYMAN , défendeur au pourvoi, n’a pas déposé de  mémoire en réponse dans le délai  de trois mois qui lui a été  imparti ; que le principe du contradictoire ayant été ainsi respecté, il y a lieu d’examiner le présent recours ;

Attendu que les lettres n°693/2015/G2 et n°694/2015/G2 du 29 mai 2015 du Greffier en chef, adressées par courriers recommandés avec accusé de réception à GENAN ISMAIL SALIH et SCI « LES RESIDENCES MODERNES » défendeurs au pourvoi, sont revenues avec la mention « non réclamé, retour à l’envoyeur ou boîte postale fermée » ; que le principe du contradictoire ayant ainsi été respecté, il y a lieu d’examiner la cause ;

Sur le premier moyen

 

Vu l’article 127 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général ;

 

Attendu que les requérants reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir par fausse interprétation violé l’article 127 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général les déboutant de leur demande en paiement d’indemnité d’éviction pour raison de nullité du congé donné alors, selon le moyen, que l’indemnité d’éviction est due si le bailleur qui envisage démolir son immeuble et le reconstruire ne justifie pas de la nature et de la description des travaux envisagés ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 127 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, « Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler d’indemnité d’éviction, dans les cas suivants :

…….

 

2°) s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux, et de le reconstruire. Le bailleur doit dans ce cas justifier de la nature et de la description des travaux projetés.

Le preneur a le droit de rester dans les lieux jusqu’au commencement des travaux de démolition, et il bénéficie d’un droit de priorité pour se voir attribuer un nouveau bail dans l’immeuble reconstruit.

Si les locaux reconstruits ont une destination différente de celle des locaux objet du bail, ou s’il n’est pas offert au preneur un bail dans les nouveaux locaux, le bailleur doit verser au preneur l’indemnité d’éviction prévue à l’article 126 ci-dessus. » ; qu’il résulte de cet article que le bailleur qui entend démolir son immeuble pour le reconstruire doit justifier des travaux projetés et qu’à défaut, il s’exposerait au paiement d’une indemnité d’éviction ;  qu’en l’espèce, l’exploit de congé du 02 décembre 2012 mentionne  que le bailleur entend « procéder sur ladite superficie  à la construction  d’un immeuble  en lieu et place  des  constructions actuelles » sans donner aucune  précision sur les travaux à entreprendre ni même fourni un quelconque plan qui pourrait rassurer les locataires de bénéficier d’un  droit de priorité  dans l’attribution de nouvel espace dans l’immeuble reconstruit leur permettant ainsi de retrouver leur environnement commercial dont la clientèle qui fait partie de leur fonds de commerce ; qu’en fondant sa décision sur la nullité du congé pour débouter les requérants de leur demande en paiement d’indemnité d’éviction alors qu’au sens de l’article sus visé, la non justification de la nature et de la description des travaux projetés expose le bailleur qui entend démolir et reconstruire son immeuble à l’octroi de l’indemnité d’éviction, la Cour d’appel a commis le grief visé au moyen et son arrêt encourt cassation sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que les requérants demandent à la Cour de céans, qu’après cassation de l’arrêt attaqué, d’évoquer et statuant à nouveau, de dire et juger qu’aux termes de l’article 127-2°) de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, le bailleur qui  entend démolir les lieux loués pour le reconstruire, doit justifier, dans le congé délivré au preneur, la description  des travaux projetés, sous peine d’être condamné au paiement d’une indemnité d’éviction ;  qu’ils soutiennent qu’ils sont locataires depuis plusieurs années dans les locaux  SCI « LES RESIDENCES MODERNES » qui les a cédés à GENAN ISMAIL SALIH , nouveau propriétaire ; que ce dernier leur a servi un congé pour démolition et reconstruction de l’immeuble sans préciser la nature des travaux ni leur description ; qu’ils ont contesté le congé et assigné GENAN ISMAIL SALIH  en paiement de l’indemnité d’éviction devant le tribunal de commerce d’Abidjan qui a rendu le 30 mai 2013 le jugement n°275 dont le dispositif est le suivant :

« PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de Messieurs GEAN Ismaël Salih et CIAK Suleyman et défaut à l’égard de la SCI « Les Résidences Modernes » et, en premier ressort ;

Reçois les Etablissements KOKOU SERVICES et autres en leur action ;

Constate la non conciliation des parties ;

Les y dit partiellement fondés ;

Dit que le congé à leur servi est irrégulier ;

En prononce la nullité et dit en conséquence que les contrats de bail continuent de produire leurs effets ;

Condamne les défendeurs aux dépens. » ;

Qu’ils allèguent qu’ils ont réalisé de gros investissements sur les lieux et  que leur fonds de commerce est attrayant ; que le congé qui leur est servi ne respecte pas les conditions fixées à l’article 127 -2°) de l’Acte uniforme sus indiqué qui fait obligation  au bailleur  de justifier la  nature  et la  description des travaux sous peine de paiement d’indemnité d’éviction sans autre sanction comme la nullité de l’exploit comme l’ont retenu les premiers juges ; qu’en tenant compte du chiffre d’affaires, des investissements réalisés, de la situation géographique du local  et des frais  de déménagement  imposés  par le défaut  de renouvellement, ils sollicitent la condamnation des défendeurs au paiement des sommes suivantes à titre d’indemnité d’éviction :

 

Etablissements KOKOU SERVICES : 1.500. 000. 000 FCFA

Monsieur GAMBY SEKOU :  15. 991. 525 FCFA

Monsieur GAMBY IBRAHIM : 25. 360. 000 FCFA

Monsieur GAMBI AMADOU : 20. 845. 000 FCFA

Monsieur AVAHOUIN Blaise Boladji : 130. 484. 727 FCFA

Madame AMAVI Caroline Renée : 54. 325. 000 FCFA

 

Sur la demande de l’indemnité d’éviction

Attendu que le congé servi le 24 décembre 2012 et contesté le 1er mars 2013 n’a nulle part indiqué la nature ni la description des travaux et encore moins de les a nullement justifiés ; qu’au sens de l’article 127 -2°) de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, l’indemnité d’éviction est due si le bailleur qui veut démolir son immeuble pour la reconstruire ne justifie pas de la nature et de la description des travaux projetés ; que la preuve de la justification n’étant pas rapportée, et pour les mêmes motifs que ceux ayant prévalu à la cassation de l’arrêt, il convient de dire que l’indemnité d’éviction est due aux requérants et d’infirmer le jugement entrepris ;

 

Sur les montants de l’indemnité d’éviction

 

Attendu que les requérants sollicitent le paiement des sommes ci-après à titre d’indemnité d’éviction :

 

Etablissements KOKOU SERVICES : 1.500. 000. 000FCFA

Monsieur GAMBY SEKOU :  15. 991. 525 FCFA

Monsieur GAMBY IBRAHIM : 25. 360. 000 FCFA

Monsieur GAMBI AMADOU : 20. 845. 000 FCFA

Monsieur AVAHOUIN Blaise Boladji : 130. 484. 727 FCFA

Madame AMAVI Caroline Renée : 54. 325. 000 FCFA

Attendu qu’aux termes de l’article 126, alinéa 2 de de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général : « à défaut d’accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement » ;

 

Attendu qu’au vu des pièces produites par les Etablissements KOKOU SERVICES, notamment les états financiers de 2009, 2010, 2011, les déclarations douanières et un récapitulatif de dépenses effectués pour leur réinstallation, la Cour fixe le montant de l’indemnité d’éviction au montant de 50 millions FCFA ;

 

Attendu qu’appréciant les justificatifs produits notamment les dépenses effectuées pour le déménagement, la situation géographique des locaux, les pièces comptables, la Cour fixe souverainement l’indemnité d’éviction aux montants ci-après pour :

 

Monsieur GAMBY IBRAHIM : 10 millions FCFA ;

Monsieur GAMBY AMADOU :  08 millions FCFA ;

Monsieur AVAHOUIN Blaise Boladji : 20 millions FCFA ;

Madame AMAVI Caroline Renée : 15 millions FCFA ;

 

Attendu que monsieur GAMBY SEKOU n’ayant produit aucune pièce susceptible de soutenir ses prétentions, la Cour ne dispose d’aucun élément d’appréciation pour faire droit à sa demande ; qu’il convient de l’en débouter ;

 

Attendu qu’il échet de débouter les requérants du surplus de leurs demandes ;

 

Attendu qu’ayant succombé, GENAN ISMAIL SALIH, CIRAK SULEYMAN, SCI « LES RESIDENCES MODERNES doivent être condamnés aux dépens ;

 

 

 

PAR CES MOTIFS

 

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

 

Casse l’arrêt n°210/cial rendu le 21 mars 2014 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

 

Evoquant et statuant sur le fond,

 

Infirme le jugement n°275 rendu le 30 mai 2013 par le Tribunal de commerce d’Abidjan ;

 

Statuant à nouveau,

 

Condamne GENAN ISMAIL SALIH, CIRAK SULEYMAN, SCI « LES RESIDENCES MODERNES à payer les sommes ci-après à titre d’indemnité d’éviction :

 

Les Etablissements KOKOU SERVICES : 50 millions FCFA

Monsieur GAMBY IBRAHIM : 10 millions FCFA

Monsieur GAMBY AMADOU :  08 millions FCFA

Monsieur AVAHOUIN Blaise Boladji : 20 millions FCFA

Madame AMAVI Caroline Renée : 15 millions FCFA ;

 

Les déboute du surplus de leur demande ;

 

Déboute monsieur GAMBY SEKOU de sa demande comme non justifiée ;

 

Condamne GENAN ISMAIL SALIH, CIRAK SULEYMAN, SCI « LES RESIDENCES MODERNES » aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

La Présidente

Le Greffier