Réuni en session ordinaire le 21 décembre 2018 à Yaoundé, le Comité Ministériel de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) a adopté, après avis conforme du Conseil d’Administration de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) du 19 décembre 2018 et sur proposition du Gouverneur de la BEAC, le règlement n°04/18/CEMAC/UMAC/COBAC relatif aux services de paiement dans la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) (le « Nouveau Règlement »). Le Nouveau Règlement abroge ainsi toutes dispositions antérieures contraires, notamment les articles 194 et 195 du règlement n°03/16/CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2016 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement (le « Règlement ») et le règlement n°01/11/CEMAC/UMAC/COBAC du 18 septembre 2011 relatif à l’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique.

Le Nouveau Règlement trahit la volonté du comité ministériel de la CEMAC d’assurer un meilleur développement et encadrement des services de paiement, en vue de garantir la sécurité des fonds, la confiance du public et contribuer à une inclusion financière maîtrisée dans la CEMAC. Cette volonté fait suite à l’accroissement des services de paiement dans la CEMAC et l’exigence de mettre en place un cadre réglementaire approprié permettant d’assurer une surveillance et une supervision adéquate par les autorités de contrôle compétentes en la matière.

Ainsi, le Nouveau Règlement définit les services de paiement comme étant des activités liées ou connexes à la mise à disposition ou à la gestion des moyens de paiement tels que ceux-ci sont définis à l’article 12 du Règlement. De plus, le Nouveau Règlement dresse une liste exhaustive des services de paiement qui intègre l’émission et la gestion de la monnaie électronique[1]. Ces services de paiements sont fournis par des prestataires de services qui peuvent être des établissements de crédit, des établissements de microfinance ou des établissements de paiement agréés[2]. Lesdits prestataires peuvent fournir un ou plusieurs services de paiement admis par le Nouveau Règlement. On admet donc aisément l’hypothèse d’un établissement de microfinance qui est capable d’exécuter des opérations de paiement effectuées avec une carte de paiement, mais également d’émettre et de gérer de la monnaie électronique. Plus innovant encore, le Nouveau Règlement admet la possibilité que la monnaie électronique soit émise et gérée par un prestataire qui n’est ni un établissement de crédit ni un établissement de microfinance. Ce prestataire sera considéré comme un établissement de paiement et il peut tout à fait s’agir d’un opérateur de téléphonie mobile opérant dans la zone CEMAC.

Les différentes innovations apportées par le Nouveau Règlement étaient devenues nécessaires non seulement en raison de la prépondérance de l’usage de la monnaie électronique en zone CEMAC, mais également en raison de l’importance des standards internationaux en matière de supervision et de surveillance des systèmes et moyens de paiement. A titre de comparaison, les autorités de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ont adopté depuis 2006 déjà la politique de surveillance des systèmes de paiement applicable aux Etats de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Ce document cible l’ensemble des circuits de paiement existants dans la zone UEMOA et leur mise en œuvre.

Les différentes motivations ayant entraîné les innovations apportées par le Nouveau Règlement sous-tendront notre analyse qui s’attellera à évaluer les conditions d’exercice de l’activité de prestataires de services de paiement (ci-après les « PSP ») (1) et la nouvelle politique de surveillance des services de paiements en vigueur en zone CEMAC (2).

1. LES CONDITIONS D’EXERCICE DE L’ACTIVITE DE PSP CONFORMEMENTAU NOUVEAU REGLEMENT

Le Nouveau Règlement soumet l’activité de PSP au régime de l’autorisation à (1.1.). En outre, il invite les prestataires au respect d’un ensemble d’obligations démontrant leur capacité à fournir les services de paiement (1.2.).

1.1. L’obtention d’un agrément en qualité de prestataire de services de paiement

Les PSP à savoir, les établissements de crédit, les établissements de microfinance et les établissements de paiements désireux de fournir des services de paiement sur le territoire de l’un des Etats membres de la CEMAC sont tenus d’obtenir un agrément délivré par l’autorité monétaire nationale[3] après avis conforme de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). En outre, un agrément est également requis pour l’exercice des fonctions de dirigeants et de commissaire aux comptes.

Concrètement, en adressant sa demande d’agrément à l’autorité monétaire, le prestataire en transmet également une copie à la COBAC ; celle-ci s’assure de la cohérence entre les services de paiements pour lesquels l’agrément est sollicité, la stratégie proposée et le programme d’activités que le requérant prévoit de mettre en œuvre. La COBAC vérifie également la capacité de l’établissement à respecter les normes prudentielles à la création et ultérieurement. La COBAC saisit par la suite la BEAC afin de recueillir son avis sur la conformité de la solution technique envisagée. La BEAC dispose d’un délai de trois mois pour statuer et notifier son avis à la COBAC. L’absence de décision à l’expiration du délai vaut avis favorable et l’avis motivé défavorable de la BEAC lie la COBAC. Ce processus admet toutefois des spécificités selon que l’agrément est requis pour un établissement de paiement (1.1.1) ou pour un établissement de crédit ou un établissement de microfinance (1.1.2.)

1.1.1. L’agrément des établissements de paiement

A titre liminaire, notons que la réglementation relative aux conditions d’exercice et à la supervision des établissements financiers[4] s’applique aux établissements de paiement sauf dérogation du Nouveau Règlement. Les dérogations, le cas échéant, concernent principalement les services que peuvent fournir les établissements de paiement.

C’est ainsi que les établissements de paiement ne peuvent ni mettre à disposition ni gérer les moyens de paiement cambiaires à savoir le chèque, le billet à ordre, la lettre de change ainsi que le crédit documentaire. Cette dérogation se comprend facilement, car il s’agit là de services exclusivement fournis par les établissements de crédit et de microfinance. En outre, les établissements de paiement n’exercent pas l’activité de collecte de dépôts. Les fonds reçus de la part des clients restent la propriété des clients. Cette restriction dénote ni plus ni moins, la volonté du législateur de préserver le monopole détenu par les établissements de crédit et les établissements de microfinance sur une panoplie de services de paiement.

De même, dans le cadre de l’émission et la gestion de la monnaie électronique, les établissements de paiement ne sont pas autorisés à consentir sous quelque forme que ce soit, des services de crédits, ni à payer des intérêts sur les fonds perçus en contrepartie des unités de monnaies électroniques. En effet, comment comprendre qu’un établissement de paiement peut tirer profit de fonds qui ne lui appartiennent pas. Nous l’avons indiqué ci-dessus, les fonds reçus en dépôt restent la propriété des clients.

Par ailleurs, les services effectués par les établissements de paiement sont circonscrits à l’intérieur de la CEMAC. Toutefois, en matière de monnaie électronique, il est reconnu aux établissements de paiement la possibilité de recevoir, pour le compte de leurs clients, des fonds transférés depuis l’extérieur de la CEMAC.

Néanmoins, au-delà des dérogations restrictives, le Nouveau Règlement admet qu’outre les services de paiements, les établissements de paiement sont également habilités à fournir un ensemble de services connexes notamment[5] le change de devises en vue d’un versement en francs CFA dans un compte de paiement et les services de garde, d’enregistrement et traitement de données pour le compte d’autres PSP. Concernant le service de change de devises, notons que l’activité devra être conduite en conformité avec la nouvelle réglementation des changes[6] sous peine de sanctions prévues par la réglementation en vigueur sous la forme de sanctions administratives pécuniaires et sanctions administratives non pécuniaires.

Considérant tout ce qui précède, l’arrêté d’agrément au profit d’un établissement de paiement indique de manière limitative les services de paiement que ce dernier est habilité à fournir. Au préalable, la COBAC aura pris le soin de s’assurer que l’établissement de paiement justifie d’un compte de cantonnement auprès d’une ou plusieurs banques, d’un contrat d’assurance ou d’une garantie bancaire. Concrètement, toutes ces garanties ne sont pas cumulatives. En effet, si le compte de cantonnement est obligatoire[7], la COBAC se réserve le droit d’exiger en complément un contrat d’assurance ou une garantie bancaire à première demande. L’objectif du législateur étant de s’assurer qu’en permanence l’établissement de paiement disposera d’une trésorerie suffisante pour couvrir les besoins en liquidités de ses clients, nous pensons qu’il a ici fait preuve de laxisme, car il n’a pas déterminé les critères pouvant conduire la COBAC à exiger ou non, en sus, un contrat d’assurance ou une garantie bancaire, sauf à penser que le pouvoir dont dispose la COBAC est un pouvoir discrétionnaire. La disposition actuelle crée en effet un mécanisme à deux vitesses, car il admet la possibilité d’être agrée en justifiant uniquement d’un compte de cantonnement tandis que d’autres auront besoin de justifier en plus d’un contrat d’assurance ou d’une garantie bancaire.

En outre, la COBAC s’assure également, que l’établissement de paiement justifie d’un dispositif adéquat de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce dispositif devra faire état des diligences à accomplir relativement à la connaissance de la clientèle notamment l’identification certaine du donneur d’ordre et du bénéficiaire, la connaissance de ses activités ainsi que l’origine des fonds.

1.1.2. L’agrément des établissements de crédits et de microfinance

La principale préoccupation que soulève l’agrément des établissements de crédits et de microfinance à l’aune du Nouveau Règlement consiste en la menace du double agrément. En effet, il est question de savoir si les établissements de crédit et de microfinance déjà en activité doivent solliciter un agrément spécifique en qualité de prestataire de services de paiement[8]. La réponse à cette préoccupation varie selon que l’établissement de crédit ou de microfinance fournissait déjà des services de paiement.

Ainsi, les établissements de crédit et de microfinance en activité qui fournissaient les services de paiement avant l’entrée en vigueur du Nouveau Règlement ne sont pas tenus de solliciter un nouvel agrément. Toutefois, ils doivent être autorisés à poursuivre cette activité et pour ce faire, ils doivent déclarer à la COBAC, dans un délai de six mois, à compter de la date d’entrée en vigueur du Nouveau Règlement, les services de paiement qu’ils fournissent et les solutions techniques utilisées. Lesdits établissements avaient donc jusqu’au 30 juin 2019 pour transmettre leur déclaration à la COBAC[9]. A la réception de la déclaration du requérant, la COBAC prend acte de celle-ci et identifie les services pour lesquels ce dernier dispose déjà d’un agrément et notifie au requérant la correspondance avec les services de paiement indiqué par le Nouveau Règlement[10]. Pour les services dont le requérant ne dispose pas d’agrément, il sera invité à solliciter une extension d’agrément. Tout au long de ce processus, il peut être regretté l’absence de l’autorité monétaire et de la BEAC. Cela peut traduire la volonté du législateur de simplifier au maximum la procédure, mais nous pouvons également y entrevoir la volonté de la COBAC d’affirmer son autorité, car lorsqu’elle notifie au requérant ses éléments de correspondance, elle n’est pas tenue d’en faire ampliation à l’une ou l’autre des institutions précitées ce qui n’est pas le cas lorsque l’établissement de crédit ou de microfinance ne fournissait pas les services de paiement.

Concernant, les établissements de crédits et de microfinance qui ne fournissaient pas de services de paiement avant l’entrée en vigueur du Nouveau Règlement, ils doivent procéder selon le cas au changement ou à l’extension de leur agrément. L’opportunité du choix entre le changement et l’extension est laissé à leur seule discrétion étant entendu que le Nouveau Règlement est resté muet sur ce sujet. La procédure de révision de l’agrément est sanctionnée par l’autorisation préalable de la COBAC.

Concrètement, l’établissement requérant adresse, en deux exemplaires, un dossier de demande d’autorisation au Président de la COBAC[11]. La COBAC dispose d’un délai de trois mois pour statuer et notifier sa décision. L’absence de décision à l’expiration du délai vaut autorisation. La COBAC, avant de délivrer son autorisation, saisit la BEAC afin qu’elle se prononce sur la conformité de la solution technique envisagée. Cette dernière dispose d’un délai de deux mois pour statuer et notifier son avis à la BEAC. L’avis motivé défavorable de la BEAC lie la COBAC. En outre, lorsque la fourniture du service de paiement est envisagée au travers d’une solution de téléphonie mobile, le requérant devra justifier d’une autorisation de l’organisme public chargé des missions de régulation, de contrôle et de suivi des activités des télécommunications[12]. Dans le cadre de l’examen de la demande du requérant, la COBAC se réserve le droit de solliciter la production de toutes pièces permettant d’asseoir sa conviction étant entendu que le secret professionnel n’est pas opposable à la COBAC.

Contrairement à la précédente procédure, l’autorisation préalable de la COBAC est notifiée à l’établissement requérant avec ampliation à l’Autorité monétaire, à la Direction nationale de la BEAC et au Conseil National du Crédit.

 

1.2. Les obligations à la charge des PSP à l’aune du Nouveau Règlement

Le Nouveau Règlement met à la charge des PSP des obligations en vue de l’obtention de l’agrément (1.2.1) et après l’obtention de l’agrément (1.2.2).

1.2.1. Les obligations à respecter lors de la demande d’agrément

Les obligations à respecter lors de la demande d’agrément sont principalement de deux ordres à savoir les services autorisés et la forme juridique du PSP.

Concernant les services autorisés, il s’agit principalement de ceux listés à l’article 3 du Nouveau Règlement. Ci-dessus, nous avons fait cas des services connexes admis pour les établissements de paiements spécifiquement. Le PSP devra apporter la preuve que la fourniture des services se fera dans le strict respect des dispositions de la réglementation des changes en vigueur dans la CEMAC[13], en matière de régime juridique des moyens de paiement[14]. A titre illustratif, les services fournis par un PSP ne devront pas favoriser l’exportation des pièces de monnaie au-delà du seuil indiqué[15]. De plus, ces services ne devront pas fournir des moyens de paiement frauduleux aux interdits bancaires[16].

En ce qui concerne la forme juridique, une attention particulière se doit d’être portée à celle des établissements de paiement, étant entendu que celle des établissements de crédits et de microfinance n’a pas connue de véritable changement. Ainsi, le Nouveau Règlement dispose que les conditions d’exercice et de supervision des établissements de paiements sont celles applicables aux établissements financiers. A la lumière de ces différents textes[17], il est établi que les établissements de paiement, pour être agréés, sont obligatoirement constitués sous la forme juridique de sociétés anonymes avec conseil d’administration et doivent justifier d’un capital social minimum libéré égal à cinq cents millions (500.000.000) de Francs CFA[18]. Au dépôt du dossier d’agrément, l’établissement de paiement devra produire, une expédition notariée des statuts, la liste des actionnaires détaillant pour chacun le nombre d’actions détenues et une lettre d’engagement de l’actionnaire majoritaire adressée au Président de la COBAC.

Ainsi, il apparait évident pour le législateur que les établissements de paiement peuvent être constitués avec un capital social supérieur à cinq cents millions (500.000.000) de Francs CFA, il ne s’agit que du minimum devant être libéré au moment de la demande d’agrément. Cependant, nous pouvons regretter le manque de clarté et de flexibilité dont a fait preuve le législateur. En effet, il n’est pas indiqué le type d’apports qui peut être fait. Les apports doivent-ils exclusivement être en numéraire ou est-il possible d’avoir des apports en nature et plus innovant encore en industrie ? En outre, le choix de la société anonyme avec conseil d’administration nous semble peu convaincant d’autant plus que la récente réforme de l’Acte Uniforme sur les Sociétés commerciales (AUSCGIE) permet la constitution de sociétés par actions simplifiées qui offrent une véritable flexibilité de gouvernance.

1.2.2. Les obligations à respecter après obtention de l’agrément

L’obtention de l’agrément crée au profit des établissements de paiements des obligations envers ses clients et envers les autorités de régulation.

Les obligations envers ses clients consistent en la protection des fonds reçus. Ces fonds ne peuvent être utilisés qu’aux fins de réalisation d’opération de paiement. Ils doivent être domiciliés au plus tard le jour suivant leur réception dans le compte de cantonnement précédemment évoqué. Ils sont protégés contre tout recours d’autres créanciers de l’établissement de paiement. Doit-on y comprendre que ces fonds demeurent saisissables par les créanciers des déposants ? Si la réponse est affirmative pour les comptes en monnaie scripturale[19], elle doit encore être clarifiée par la COBAC pour les comptes ouverts en monnaie électronique[20].

Les obligations envers les autorités de régulation, notamment la COBAC, tiennent principalement au respect des normes prudentielles notamment en ce qui concerne les établissements de paiement. Au rang de ces normes, on peut citer : les normes de gestion en vue de garantir la liquidité, la solvabilité et l’équilibre de leur situation financière ; les normes de protection des fonds de la clientèle ; les normes de supervision, de contrôle interne et de gestion des risques ; la consolidation des comptes et le reporting[21].

Concernant les exigences relatives à la gestion des fonds propres, les établissements de paiement sont désormais tenus de les gérer conformément aux règles prescrites par le règlement COBAC R-2016/03 relatif aux fonds propres des établissements de crédit. Ces fonds propres sont constitués aux trois quarts (¾) par les capitaux propres nets.

Relativement au contrôle interne, les établissements de paiement se doivent désormais de mettre en place un système de contrôle interne adapté à leur profil de risque. Ils peuvent néanmoins solliciter du secrétaire général de la COBAC d’être dispensés de l’application de certaines des dispositions du Règlement lorsque l’importance du risque le justifie.

S’agissant des exigences de reporting, les établissements de paiement sont astreints aux mêmes obligations de reporting que les établissements financiers[22] bien qu’ils doivent en outre transmettre des états financiers spécifiques à leur activité. Les établissements de paiement, notamment ceux émettant et gérant de la monnaie électronique, sont donc tenus de transmettre à la COBAC le recueil de collecte, d’exploitation et de restitution aux Banques et établissements financiers des états réglementaires (CERBER).

A titre de comparaison, les PSP émettant de la monnaie électronique dans l’espace UEMOA sont soumis, depuis 2015[23], à des exigences de reporting encore plus strictes. En effet ils sont tenus, entre autres, de fournir à la BCEAO des rapports mensuels indiquant l’encours de la monnaie électronique et des rapports trimestriels fournissant les données sur les transactions par téléphonie portable et par carte, les indicateurs de risque pour les nouveaux produits et les transactions frauduleuses[24]. Il convient donc de constater que l’espace CEMAC accusait un important retard, que le Nouveau Règlement semble s’atteler à combler au travers des différentes mesures sus évoquées, mais également au travers de la nouvelle politique de surveillance des services de paiement.

2. LA NOUVELLE POLITIQUE DE SURVEILLANCE DES SERVICES DE PAIEMENT

La nouvelle politique de surveillance des services de paiement dans l’espace CEMAC se traduit par un renforcement des prérogatives des autorités sous régionales (2.1.) et un allègement de celles des autorités nationales (2.2.).

2.1. Les prérogatives dévolues aux autorités sous régionales

2.1.1. Les prérogatives dévolues à la COBAC

Le Nouveau Règlement reconnaît désormais à la COBAC, dans le cadre de la surveillance des services de paiements, des prérogatives tant sur le plan législatif que sur le plan de la supervision.

Sur le plan législatif, la COBAC a récemment fixé, à l’attention des PSP, un ensemble de règles. Ces règles qui ont fait l’objet de règlements dédiés encadrent notamment[25] les rapports juridiques entre les PSP et leurs clients dans le cadre de la fourniture des services de paiement, les exigences de capital minimum des PSP et au plan comptable, les normes relatives à la publicité des documents comptables et la consolidation des comptes.

Par ailleurs, la COBAC a également précisé par règlement les conditions d’externalisation des activités et de recours à l’assistance technique. En effet, le Nouveau Règlement reconnaît aux PSP la possibilité d’externaliser la réalisation d’une fonction opérationnelle essentielle[26] auprès d’un partenaire technique[27]. Cependant, la réalisation des activités relatives au contrôle permanent, à l’audit interne, au contrôle de la conformité et à la gestion des risques ne peut être externalisée qu’auprès d’une entité du groupe bancaire auquel appartient le PSP. De plus, le partenaire technique devra être agréé pour fournir les services requis. Le PSP demeure responsable de la conformité du dispositif technique externalisé aux exigences du Nouveau Règlement[28].

Il s’agit d’une véritable innovation de la part du législateur qui vient ainsi corroborer sa volonté de se conformer aux standards internationaux en matière de supervision et de surveillance des systèmes et moyens de paiement. En effet, il s’agit d’une notion présente en France depuis 1997[29]. Cependant deux régimes d’externalisation y sont admis. D’une part, le régime de Prestation de Services Essentiels externalisée (PSEE)[30] et d’autre part la Fonction Opérationnelle Importante (FOI)[31]. Ces deux régimes sont fonction du type d’information à transmettre au prestataire externe au regard de l’obligation de préserver le secret bancaire dans les limites des prestations pouvant être externalisées[32]. Nous pouvons donc regretter que la COBAC, à ce jour, n’ait pas procédé à une différenciation pareille au regard du caractère sensible des informations à partenaire technique et du traitement qu’il peut en faire. De plus, on peut également regretter l’absence d’une liste indicative des principaux services pouvant être externalisés.

Ces différentes approximations sur le plan législatif viennent conforter le goût d’inachevé que laisse le Nouveau Règlement. Au regard de ce qui précède, nous pouvons donc nous attendre à ce que dans les prochains mois, la COBAC prenne des décisions complémentaires au Nouveau Règlement.

Sur le plan de la supervision, la principale obligation de la COBAC consiste en la conduite de contrôles qui peuvent être sur pièces ou sur place. Ces contrôles s’opèrent auprès des PSP, de leurs commissaires aux comptes, leurs partenaires techniques, leurs distributeurs et sous-distributeurs. En cas de réponses insatisfaisantes ou de dysfonctionnement dans la gestion, la COBAC prend toutes les mesures d’assainissement, de restructuration ou disciplinaires prévues par la réglementation en vigueur[33].

Nous pouvons ici regretter l’exclusivité du contrôle qui est réservée à la COBAC mettant ainsi un terme aux espoirs nés avec la nouvelle réglementation des changes[34]. En effet, afin de rendre plus efficace la surveillance de la réglementation des changes, le législateur a procédé à une répartition des tâches entre la COBAC et l’autorité monétaire. On se serait attendu à ce qu’il en soit de même pour le Nouveau Règlement, car en l’état actuel des choses, cela laisse à penser à une volonté d’hégémonie de la COBAC.

2.1.2. Les prérogatives dévolues à la BEAC

Au même titre que la COBAC, il est reconnu à la BEAC, dans le cadre de la surveillance des services de paiement, des prérogatives tant sur le plan législatif que sur le plan de la supervision.

Sur le plan législatif[35], la BEAC fixe les règles relatives au régime juridique de l’émission des moyens de paiement et de la conservation de la monnaie électronique en monnaie scripturale ou fiduciaire, mais également les règles relatives aux plafonds des instruments de paiement, des opérations de paiement et les frais afférents. Sauf erreur de notre part, ces mesures n’ont pas encore, à ce jour, été prises par la BEAC.

Sur le plan de la supervision, la BEAC statue et notifie son avis à la COBAC sur toutes les demandes d’agrément, d’autorisation et d’information préalable. Dans ces différents cas, l’avis défavorable de la BEAC lie la COBAC.

En outre, la BEAC approuve les systèmes de paiement interbancaires de fourniture de service de paiement et à ce titre, elle est habilitée à demander aux prestataires de services de paiement tous renseignements ou justificatifs utiles. Enfin, elle communique à la COBAC les manquements relevés aux fins de la mise en œuvre de mesures disciplinaires ou le cas échéant, le retrait d’agrément et la révocation de l’autorisation préalable.

2.2. Les prérogatives dévolues aux autorités nationales

Les principales autorités nationales intervenantes dans le cadre de la supervision et de la surveillance du Nouveau Règlement sont l’Autorité Monétaire Nationale (2.2.1.), et la Direction Nationale de la BEAC et le Conseil National du Crédit (CNC) (2.2.2.).

2.2.1. Les prérogatives dévolues à l’Autorité Monétaire Nationale

Le Nouveau Règlement reconnaît à l’Autorité Monétaire Nationale des prérogatives formelles et disciplinaires.

Ainsi sur le plan de la forme, la principale prérogative de l’Autorité Monétaire Nationale est la délivrance de l’agrément à l’exercice de l’activité de PSP. Pour rappel, ledit agrément est délivré après avis conforme de la COBAC qui elle-même requiert l’avis de la BEAC. Dans la pratique, il est recommandé, de faire valider chaque pièce du dossier de demande d’agrément, préalablement au dépôt du dossier complet, par l’Autorité Monétaire notamment ses services dédiés. Le but étant d’éviter au maximum le rejet des dossiers pour non-conformité d’une ou de plusieurs pièces.

En outre, il est notifié à l’Autorité Monétaire Nationale les autorisations préalables délivrées par la COBAC, leur refus ou leur révocation.

Par ailleurs, sur avis du Conseil National du Crédit, l’Autorité Monétaire prend les décisions relatives aux conditions d’implantations des agences et guichets et à l’organisation des services communs à l’attention des PSP.

Enfin sur le plan disciplinaire, il est reconnu à l’Autorité Monétaire, la possibilité de procéder à la fermeture d’office des PSP qui fournissent à titre de profession habituelle des services de paiement, sur le territoire de son Etat, sans en avoir été agrées.

2.2.2. Les prérogatives dévolues à la Direction Nationale de la BEAC et au CNC

La Direction Nationale de la BEAC formule des propositions en vue de la coordination de la politique économique nationale avec la politique monétaire commune[36]. Le Conseil National du Crédit est un organe consultatif, chargé de donner des avis sur l’orientation de la politique d’épargne et de crédit, ainsi que sur la réglementation bancaire[37]. Au Cameroun, Le Conseil National du Crédit établit chaque année un rapport relatif à la monnaie, au crédit et au fonctionnement du système bancaire et financier.

Dans le cadre du Nouveau Règlement, ces deux organismes ne disposent que de prérogatives résiduelles. C’est ainsi qu’il leur est principalement fait ampliation des autorisations préalables délivrées par la COBAC ou le cas échéant de leur refus ou leur révocation. Par ailleurs, le Conseil National du Crédit transmet son avis à l’Autorité Monétaire Nationale dans la prise de toutes décisions autres que celles relevant des compétences de la COBAC et de la BEAC.

Le Nouveau Règlement, dans sa volonté d’assurer un meilleur encadrement des services de paiement, suite à l’accroissement desdits services dans la zone CEMAC se caractérise de manière générale par :

  • L’instauration d’un régime spécifique, complété par des règlements d’applications, dédié aux établissements de paiement ;
  • La reconnaissance de l’émission et de la gestion de la monnaie électronique comme service de paiement ;
  • La préservation des services dédiés aux établissements de crédit et de microfinance ;
  • Le renforcement des obligations à respecter par les PSP notamment en ce qui concerne les normes prudentielles ;
  • Le renforcement des prérogatives de la COBAC en matière de surveillance des services de paiement.

Il convient à présent d’apprécier l’application du Nouveau Règlement et de ses règlements subséquents afin de mesurer leur contribution à l’inclusion financière tant souhaitée en zone CEMAC.

Auteurs :

Aurélie Chazai, Avocate aux Barreaux du Cameroun et de Paris, Managing partner du cabinet Chazai Wamba.

Freddy Lionel Mooh Edinguele, Juriste Collaborateur senior au sein du Cabinet Chazai Wamba.

  1. Art. 3 du Nouveau Règlement.

  2. Il s’agit-là d’une innovation, car par le passé, seul était habilité à fournir des services de paiement, les établissements de crédit et de microfinance.

  3. Le Ministère des finances au Cameroun, le Ministère de l’économie, des finances et des solidarités nationales au Gabon.

  4. Règlement COBAC R-2016/01 relatif aux conditions et modalités de délivrance des agréments des établissements de crédit, de leurs dirigeants et de leurs commissaires aux comptes.

  5. Art. 11 du Nouveau Règlement.

  6. Règlement n°02/18/CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2018 portant règlementation des changes.

  7. L’article 54 du Nouveau Règlement indique les clauses, les caractéristiques et les modalités de rémunération du compte de cantonnement.

  8. La problématique est en réalité engendrée par l’article 83 du Nouveau Règlement. Celui-ci dispose que « les établissements de crédit et de microfinance de la CEMAC, en activité à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, disposent d’une période transitoire de douze mois, pour se conformer aux dispositions du présent règlement ».

  9. Etant entendu que le Nouveau Règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2019.

  10. Art. 3 du Nouveau Règlement.

  11. Un texte règlementaire de la COBAC, à venir, fixe la composition du dossier d’agrément.

  12. L’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) au Cameroun et en Centrafrique.

  13. Notamment le règlement CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2018 portant réforme de la réglementation des changes dans les Etats de la CEMAC.

  14. Notamment le Règlement

  15. Art. 12 du règlement CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2018 portant réforme de la réglementation des changes dans les Etats de la CEMAC.

  16. Il s’agit d’une personne qui ne peut émettre des chèques ainsi qu’utiliser des cartes de paiement mais qui peut valablement ouvrir et posséder des comptes bancaires.

  17. Nous pouvons citer entres autres le règlement n°02/15/CEMAC/UMAC/COBAC du 27 mars 2015, le règlement COBAC R-2016/01 du 16 septembre 2016 et le règlement COBAC R-2009/01 du 1er avril 2009.

  18. Art. 2 du règlement COBAC R-2019/02 relatif aux normes prudentielles applicables aux établissements de paiement.

  19. Moyen de paiement constitué par les dépôts à vue dans les établissements de crédit ou de microfinance.

  20. Valeur monétaire stockée sous forme électronique y compris magnétique représentant une créance sur l’établissement émetteur et accepté comme moyen de paiement.

  21. Tous ces éléments sont précisés dans le nouveau règlement COBAC R-2019/02 relatif aux normes prudentielles applicables aux établissements de paiement.

  22. Instruction COBAC I-2008/01 portant mise à jour du système CERBER.

  23. Instruction n°008-05-2015 régissant les conditions et modalités d’exercice des activités des émetteurs de monnaie électronique dans les Etats membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA).

  24. Ces exigences sont détaillées dans les annexes 4 et 5 de l’instruction n°008-05-2015 précitée.

  25. Le détail des différentes obligations législatives à la charge de la COBAC est fourni à l’article 13 du Nouveau Règlement.

  26. Il s’agit d’une opération dont une défaillance ou une anomalie dans son exercice est susceptible de nuire sérieusement à la capacité du PSP de se conformer de manière continue à la règlementation en vigueur, à ses performances financières, ou à la fiabilité et la continuité de ses services de paiement. C’est notamment le cas de la fabrication de cartes bancaires, l’assistance en matière d’ingénierie financière, le traitement comptable, le transport de fonds, etc.

  27. Personne physique ne faisant pas partie du personnel du PSP ou personne morale différente du PSP qui de manière durable et à titre habituel réalise les prestations de services relevant de la fonction opérationnelle essentielle par sous-traitance, mandat ou délégation.

  28. Art. 61 du Nouveau Règlement.

  29. Règlement de la Comité de la Règlementation Bancaire et Financière (CRBF) n°97-02 du 21 février 1997 révisé le 05 mai 2010.

  30. Articles 10 q et 10 r de l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d’investissements soumises au contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

  31. Article L.511-33 (I) (6°) du Code monétaire et financier français.

  32. La Fédération Bancaire de France a publié en septembre 2009 une liste indicative à cet effet dans son document « Externalisation : Contrôle des activités externalisées à des prestataires communs ».

  33. Notamment le règlement n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM, pour les établissements de crédit et les établissements de paiement, et le règlement n°01/17/CEMAC/UMAC/COBAC pour les établissements de microfinance.

  34. Matérialisé par le règlement n°02/18/CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2018 portant règlementation des changes.

  35. Art.18 du Nouveau Règlement.

  36. Art. 58 des statuts révisés de la BEAC datant de juin 2017.

  37. Décret n°96/138 du 24 juin 1996 portant organisation et fonctionnement du Conseil National du Crédit.