ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

                              

Audience Publique du 17 juin 2004

Pourvoi : n°057/2002/PC du 11 décembre 2002

Affaire : EHUA ASSOUAN Julien

              (Conseil : Maître Michel DAGO DJIRIGA, Avocat à la Cour)                                       

Contre

              ZAROUR Gassane

             (Conseil : Maître AYEPO Vincent, Avocat à la Cour)                                             

ARRET N° 020/2004 du 17 juin 2004

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 17 juin 2004 où étaient présents :

 

Messieurs      Seydou BA,                      Président

Jacques MBOSSO,              Premier Vice-Président, rapporteur

Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président

Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge

Boubacar DICKO,              Juge

Biquezil NAMBAK,             Juge

 

et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 11 décembre 2002 et formé par Maître Michel DAGO DJIRIGA, Avocat à la Cour,  demeurant Immeuble CCIA, 3è étage, porte 13, 04 B.P. 1162 Abidjan 04, agissant au nom et pour le compte de M. EHUA ASSOUAN Julien, de nationalité ivoirienne, transporteur demeurant à Marcory, Boulevard du Gabon, lot n° 295/296 P, 05 B.P. 332 Abidjan 05 dans la cause qui oppose celui-ci  à Monsieur ZAROUR Gassane, de nationalité ivoirienne, commerçant, domicilié à Adjamé Mirador, Immeuble BIAO et ayant pour conseil Maître Vincent AYEPO, Avocat à la Cour, à Abidjan, y demeurant, Avenue Delafosse, Immeuble SINGER, 2è étage, 04 B.P. 1412 Abidjan 04,en cassation de l’Arrêt n° 683 rendu le 31 mai 2002 par la chambre civile et commerciale de la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement et contradictoirement, en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;

En la forme :

Reçoit Monsieur ZAROUR Gassane en son appel

Au fond : L’y dit bien fondé

Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ;

Constate qu’il y a prescription relativement aux loyers de septembre 1983 à novembre 1994 ;

Déclare en conséquence irrecevable l’action de M. EHUA concernant lesdits loyers ;

Le déclare en revanche recevable mais mal fondé en sa demande de paiement des loyers de décembre 1994 à février 1995 ;

Le condamne aux dépens ».

 

Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Premier Vice-Président ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure qu’attributaire d’un Arrêté d’autorisation d’ouverture d’une boulangerie à Marcory, Monsieur EHUA ASSOUAN Julien, de nationalité ivoirienne, transporteur demeurant à Marcory, boulevard du Gabon, 05 BP. 332 Abidjan 05 avait conclu le 28 septembre 1983 avec Monsieur ZAROUR GASSANE, également de nationalité ivoirienne, commerçant domicilié à Adjamé Mirador, Immeuble BIAO, un contrat par lequel il avait concédé à celui-ci la réalisation et la gérance de la boulangerie dont l’ouverture lui était autorisée moyennant le versement d’un loyer trimestriel de 600.000 F CFA durant les cinq premières années d’exploitation avec un différé de trois mois non payables et un loyer trimestriel de 900.000 F CFA durant les cinq dernières années ; que par lettre datée du 17 février 1995, Monsieur ZAROUR GASSANE avait dénoncé ledit contrat ; que suite à cette rupture unilatérale du contrat, Monsieur EHUA ASSOUAN a demandé à ZAROUR GASSANE de lui payer les arriérés de loyers qui s’élevaient à la somme de 13.950.000 F CFA et se décomposaient comme suit :

 

  • loyers dus au titre des 5 premières années de la période de 10 ans 2.850.000
  • loyers dus au titre des 5 dernières années de la période de 10 ans 9.000.0000
  • loyers dus suite au renouvellement du contrat de 1994 à 1995 2.100.000 ;

que n’obtenant pas satisfaction par la voie amiable, Monsieur EHUA ASSOUAN fit servir le 28 décembre 1999 à ZAROUR GASSANE sans succès un commandement de payer, puis, sans plus de succès, une sommation de payer le 07 mars 2000 avant de saisir du litige le Tribunal de première instance d’Abidjan – Plateau ; que statuant sur le litige, ledit Tribunal a par son Jugement contradictoire n° 400 du 16 mai 2001 accédé à la demande de Monsieur EHUA ASSOUAN en condamnant ZAROUR GASSANE à payer à celui-ci les arriérés de loyers réclamés ; que par exploit du 14 mars 2002 du ministère de Maître DAIPO AYEPO Justine, huissier de justice, Monsieur ZAROUR GASSANE a interjeté appel dudit jugement devant la Cour d’appel d’Abidjan, laquelle a infirmé le jugement entrepris par son Arrêt n° 683 du 31 mai 2002, objet du présent pourvoi ;

 

Sur le premier moyen

 

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir omis de statuer sur un chef de demande au motif que selon les articles 47.3 et 48, alinéas 1, 4 et 5 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative, « si au jour fixé pour l’audience les parties comparaissent ou sont régulièrement représentées, le Tribunal peut :

(…)

3°/- soit renvoyer l’affaire devant le Président d’audience ou devant le juge qu’il désigne parmi les juges de la formation de jugement pour être mise en état par ses soins » et « le juge chargé de la mise en état, comme il est dit à l’article précédent, doit prendre toutes mesures qui lui paraissent nécessaires pour parvenir à une instruction parfaite de l’affaire.

 

A cet effet, il peut notamment :

(…)

4°/- procéder à une enquête d’office ou à la demande des parties ou commettre un juge d’un autre ressort à cet effet ;

 

5°/- ordonner une expertise, une vérification d’écriture, une descente sur les lieux, la comparution personnelle des parties, déférer d’office le serment ou commettre un huissier de justice pour procéder à des constatations » ; qu’ayant sollicité dans ses conclusions des 22 avril et 16 mai 2002 des juges de la Cour d’appel, la mise en état prévue par les textes susénoncés à l’effet de prouver que Monsieur ZAROUR GASSANE a confectionné un tampon par imitation pour se faire établir des reçus de paiement, lesdits juges ont volontairement refusé de se prononcer sur cette demande de mise en état dont l’unique but était pourtant de mettre à nu la fausseté des reçus produits par Monsieur ZAROUR GASSANE ; que ce faisant, « la Cour d’appel d’Abidjan Plateau a incontestablement omis de statuer et sa décision dont pourvoi doit être sanctionnée en application de l’article 206-2° du Code de procédure précité qui énumère les 8 cas d’ouverture de pourvois de cassation » ;

 

Attendu que l’article 47, alinéa 5, susénoncé du Code ivoirien précité dispose que « les décisions du Tribunal visées au présent article sont des décisions de pure administration judiciaire contre lesquelles aucun recours n’est possible. Elles seront mentionnées au registre d’audience ».

 

Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 47, alinéa 5, ci-dessus que la décision implicite de rejet de la demande de mise en état formulée par Monsieur EHUA ASSOUAN est une décision de pure administration judiciaire qui ne peut faire l’objet de recours ; qu’il échet en conséquence de rejeter ce moyen comme étant non fondé ;

 

Sur le deuxième moyen

 

Attendu qu’il est également reproché à l’Arrêt attaqué d’avoir violé la loi ou commis une erreur dans son application ou son interprétation au motif qu’en considérant que l’article 18 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général édicte une prescription de 5 ans, s’agissant des obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants et qu’il en résulte que Monsieur EHUA disposait d’un délai de 5 ans à compter de l’exigibilité de chaque loyer pour réclamer le paiement ; qu’ainsi, les loyers de septembre 1983 à novembre 1994 sont frappés par la prescription, étant entendu que la sommation du 28 décembre 1999 est le premier acte de réclamation de Monsieur EHUA alors qu’il a été servi à Monsieur ZAROUR GASSANE le 28 décembre 1999 un commandement de payer qui interrompt la prescription aux termes de l’article 2244 du Code civil, la Cour d’appel d’Abidjan – Plateau a violé lesdites dispositions et exposé son arrêt à la cassation en application de l’article 206.1 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 18 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes » ;

 

Attendu par ailleurs qu’il est de principe qu’«une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompt la prescription ainsi que les délais pour agir » ;

 

Attendu qu’en l’espèce les arriérés de loyers considérés comme dûs par ZAROUR GASSANE à EHUA ASSOUAN sont répartis sur la période allant de la date de conclusion du contrat par ceux-ci soit le 28 septembre 1983 à la date de dénonciation dudit contrat, soit le 23 février 1995 ; que ledit contrat signé le 28 septembre 1983 prévoyait un différé de trois mois non payables et non compris dans sa durée ; qu’ainsi les loyers dus au titre de la période allant du 28 décembre 1983 au 28 décembre 1993 soit deux périodes consécutives de cinq ans auraient dû être réclamés pour interrompre la prescription avant chaque échéance de cinq ans ; qu’il n’en a point été ainsi ; que c’est seulement le 28 décembre 1999 que Monsieur EHUA ASSOUAN a servi à Monsieur ZAROUR GASSANE un commandement de payer interruptif de la prescription ; qu’il suit qu’en considérant au regard des normes juridiques sus-rappelées « que Monsieur EHUA disposait d’un délai de 5 ans à compter de l’exigibilité de chaque loyer pour réclamer le paiement ; ainsi les loyers de septembre 1983 à novembre 1994 sont frappés par la prescription étant entendu que la sommation du 28 décembre 1999 est le premier acte de réclamation de Monsieur EHUA [et qu’]il suit que les loyers  de décembre 1994 à février 1995 ne sont pas concernés par la prescription quinquennale », la Cour d’appel d’Abidjan – Plateau n’a ni violé les dispositions susénoncées, ni erré dans leur application ou leur interprétation ; qu’il y a lieu en conséquence de rejeter ce moyen comme étant non fondé ;

 

Sur le troisième moyen

 

Attendu qu’il est enfin reproché à l’arrêt attaqué un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs en ce que Monsieur ZAROUR GASSANE, en exécution partielle du contrat du 28 septembre 1983, devait payer à son co-contractant Monsieur EHUA ASSOUAN pour la période allant de décembre 1994 à février 1995 la somme de 4.200.000 F CFA ; qu’il ne s’est libéré que de la moitié de cette somme et restait devoir 2.100.000 F CFA ; qu’en cause d’appel, il a produit des reçus de paiement de ce reliquat alors que ni devant l’officier ministériel instrumentaire, ni devant le premier juge, il n’a produit lesdits reçus ; qu’en ne rejetant pas ces reçus qui devraient être considérés comme des pièces nouvelles et en concluant automatiquement, selon le moyen, que les loyers de la période de 1994 à 1995 ont été payés après avoir retenu la prescription pour le reste, la Cour d’appel d’Abidjan n’a pas donné de base légale à son arrêt qui encourt cassation de ce chef ;

 

Mais attendu que l’appréciation des faits relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels leur accordent la valeur qu’ils estiment leur reconnaître après examen ; que c’est après avoir souverainement apprécié les reçus produits par ZAROUR GASSANE que la Cour d’appel a conclu qu’ils constituaient la preuve du paiement des loyers de décembre 1994 à février 1995 et qu’il y avait lieu de débouter Monsieur EHUA de sa demande ; qu’il échet en conséquence de rejeter également ce moyen comme étant non fondé ;

 

Attendu que Monsieur EHUA ASSOUAN ayant succombé, doit être condamné aux dépens ;

 

 

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Rejette le pourvoi formé par Monsieur EHUA ASSOUAN Julien ;

Le condamne aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et  an  que dessus et ont signé :

 

 

 

 

 

Le Président

Le Greffier en chef