ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

Première chambre

Audience publique du 29 mars 2007

Pourvoi : n° 044/2004/PC du 18 mai 2004

Affaire : Olivia YAOVI et autres                  

                            (Conseil : Maître EDOH AGBAHEY, Avocat à la Cour)

                         contre

               Banque Internationale pour l’Afrique au Togo dite B.I.A-TOGO S.A.  

                   (Conseil : Maître  MARTIAL AKAKPO, Avocat à la Cour)

 

ARRET N° 011/2007 du 29 mars 2007

                   

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 29 mars 2007 où étaient présents :

 

Messieurs   Jacques M’BOSSO,                        Président

Maïnassara MAIDAGI,                  Juge

Biquezil NAMBAK,                       Juge, rapporteur

 

et Maître ASSIEHUE Acka,           Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré le 18 mai 2004 au greffe de la Cour de céans sous le n°044/2004/PC et formé par Maître Edoh AGBAHEY, Avocat au Barreau de Lomé, demeurant au 3, Rue AMOUZOU BRUCE, quartier Nyékonakpoè, B.P. 2.993, agissant au nom et pour le compte de Olivia Afanvi Mireille YAOVI et autres, dans une cause les opposant à la Banque Internationale pour l’Afrique au Togo dite B.I.A-TOGO S.A. dont le siège social est situé à Lomé, 13, Rue du Commerce, B.P. 346, ayant pour conseil Maître Martial AKAKPO, Avocat au Barreau de Lomé, demeurant 27, Rue Maréchal BUGEAUD, B.P. 62.210,   en cassation de l’Arrêt n° 243 rendu le 10 décembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en appel ;

 

En la forme : Reçoit l’appel ;

 

Au fond : Constate que les matières sur lesquelles le Tribunal par jugement n°986/94 du 22 novembre 1994 et la Cour d’appel par arrêt n°102/2001 du 02 août 2001 se sont prononcés, n’entrent pas dans le domaine de compétence du législateur OHADA ;

Constate que les instances dans le litige opposant l’appelante aux intimés sont introduites avant l’entrée en vigueur du Traité OHADA ;

Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Dit qu’il est sursis à l’exécution de l’arrêt n°102/2001 du 02 août 2001 ;

Dit que le juge des référés n’est pas compétent pour rétracter l’ordonnance n°102 rendue le 08 novembre 2001 par le Président de la Cour Suprême du Togo ;

Dit que la saisie attribution du 10 avril 2003 a été pratiquée sans titre exécutoire ;

Ordonne en conséquence la mainlevée de ladite saisie ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent arrêt sur minute avant enregistrement ;

Condamne les intimés aux dépens. » ;

Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil NAMBAK ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, par Jugement n°986 du 22 novembre 1994, le Tribunal de première instance de première classe de Lomé avait condamné la Méridien B.I.A.O-TOGO devenue B.I.A-TOGO à verser aux héritiers de feu YAOVI Comlan la somme globale de 26 832 225 FCFA représentant le solde du compte et les dommages et intérêts ; que suite à l’appel interjeté par la B.I.A-TOGO, la Cour d’appel de Lomé, par Arrêt n°102/01 du 02 août 2001, avait confirmé la décision attaquée ; que le 19 octobre 2001, la B.I.A-TOGO s’était pourvue en cassation et le même jour, avait adressé au Président de la Cour Suprême du TOGO une requête aux fins de sursis à exécution de l’Arrêt n° 102/01 du 02 août 2001 ; que le 25 octobre 2001, les  héritiers de feu YAOVI Comlan avaient fait signifier avec commandement à la B.I.A-TOGO, ledit arrêt du 02 août 2001 ; que le 02 novembre 2001, le Président de la Cour Suprême du Togo ordonnait le sursis à exécution dudit arrêt ; que le 09 avril 2003, les  héritiers de feu YAOVI Comlan pratiquaient une saisie attribution de créances au préjudice de la B.I.A-TOGO en se fondant sur le Jugement n°986/94 du 22 novembre 1994 et l’Arrêt n° 102/01 du 02 août 2001; que le Président du Tribunal de première instance de première classe de Lomé, statuant en référé par Ordonnance n°244/2003 du 5 mai 2003, avait rejeté la demande de B.I.A-TOGO aux fins de mainlevée de la saisie attribution pratiquée ; que suite à l’appel interjeté par la B.I.A-TOGO, la Cour d’appel de Lomé, par Arrêt n°243/2003 du 10 décembre 2003 dont pourvoi, infirmait l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions, disait que la saisie attribution du 10 avril 2003 avait été pratiquée sans titre exécutoire et ordonnait la mainlevée de ladite saisie ;

 

       Sur le premier moyen

       Vu les articles 10 et 13 du Traité susvisé et 337 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

 

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué la violation des articles 10 et 13 du Traité de l’OHADA en ce que « la Cour d’appel de Lomé parle des décisions autres que celle qui lui a été déférée ; (…) qu’en effet la décision dont le présent pourvoi est l’arrêt n°243/03 rendu le 10 décembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé statuant sur les mérites de l’appel interjeté par la B.I.A-TOGO contre l’Ordonnance de référé n° 244/03 rendue le 05 mai 2003 par le Président du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé comme juge de l’exécution en application de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE) ; qu’en constatant comme elle l’a fait, que les matières sur lesquelles le jugement n°986/94 du 22 novembre 1994 du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé et l’arrêt n°102/01 du 02 août 2001 de la Cour d’appel de Lomé se sont prononcés n’entrent pas dans le domaine de compétence du législateur OHADA, la Cour d’appel de Lomé a délibérément violé les articles 10 et 13 du Traité de l’OHADA, car, la décision qui lui a été déférée n’est ni le jugement n°986/94 du 22 novembre 1994 du Tribunal de Lomé et encore moins son propre arrêt n° 102/01 du 02 août 2001 ; que même si le jugement n°986/94 du 22 novembre 1994 et l’arrêt n°102/01 du 02 août 2001 sont antérieurs au 1er juin 1998, date d’entrée en vigueur de l’AUVE, l’instance de leur exécution initiée en 2003 et qui a donné lieu à l’Ordonnance de référé n°244/03 du 05 mai 2003 est la seule décision qui a été déférée à la Cour d’appel de Lomé ; que l’arrêt n° 243/03 rendu le 10 décembre 2003 encourt de ce fait la cassation » ;

 

Attendu que les articles 10 et 13 du Traité et 337 de l’Acte uniforme susvisés disposent respectivement que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure », que « le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats Parties » et que « le présent Acte uniforme sera applicable aux mesures conservatoires, mesures d’exécution forcée et procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur » ;

 

Attendu, en l’espèce, que l’affaire soumise à la Cour d’appel de Lomé est relative à une demande de mainlevée d’une saisie attribution, procédure régie par les articles 153 à 172 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que le 09 avril 2003, date à laquelle la saisie attribution a été pratiquée, ledit Acte uniforme, entré en vigueur le 1er juillet 1998, avait déjà intégré l’ordonnancement juridique de la République Togolaise et qu’il était de ce fait applicable « nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure » ; qu’en soutenant que « le litige est né de l’exécution par l’appelante d’une décision étrangère au mépris des dispositions légales de droit interne exigeant un exequatur ; que par ailleurs les problèmes tranchés (…) dans son arrêt n°102/01 du 02 août 2001 ne relèvent pas du domaine de compétence du Traité de l’OHADA tel que défini en son article 2 ; qu’en outre, l’instance ayant été introduite depuis 1993, il est constant que le Traité OHADA qui est entré en vigueur en 1998 ne peut s’appliquer au cas d’espèce au nom du principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle », la Cour d’appel a méconnu les dispositions des articles 10 et 13 du Traité susvisé et 337 de l’Acte uniforme précité ; qu’il échet en conséquence de casser  l’arrêt attaqué et d’évoquer sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen ;

 

Sur l’évocation

Attendu que, par exploit en date du 16 mai 2003 de Maître  EKLOU, Huissier de Justice à Lomé, la Banque Internationale pour l’Afrique au Togo (B.I.A-TOGO) a relevé appel de l’Ordonnance de référé n°244/2003 rendue le 05 mai 2003 par le Président du Tribunal de première instance de première classe de Lomé et dont le dispositif est ainsi conçu :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en premier ressort ;

 

Au principal,

– Renvoyons les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront ; mais dès à présent, vu l’urgence ;

– Déboutons la requérante de toutes ses demandes, fins et conclusions comme non fondées ;

– Disons que la présente ordonnance est exécutoire par provision sur minute ;

– Condamnons la requérante aux dépens. » ;

 

Attendu qu’à l’appui de son appel, la B.I.A-TOGO S.A. soutient que les problèmes juridiques tranchés par la Cour d’appel dans son Arrêt n°102/2001 du 02 août 2001 étaient relatifs à des questions d’exequatur, d’état de personnes, de représentation des intimés, au principe de procédure pénale selon lequel, « le criminel tient le civil en état » et au quantum des dommages intérêts ; que ces questions n’entrent pas dans le domaine de compétence du Traité ; que par ailleurs, l’instance ayant été introduite depuis 1993, le Traité de l’OHADA ne saurait s’appliquer à la cause au nom du principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle ; qu’en conséquence, c’est à bon droit que le Président de la Cour Suprême est intervenu dans la procédure en accordant le sursis à exécution de l’arrêt contesté ; qu’il s’ensuit que cette ordonnance du Président de la Cour Suprême ne saurait être rétractée par le Président du Tribunal ; qu’il y a dès lors lieu de constater que la saisie attribution a été pratiquée sans titre exécutoire ; qu’elle sollicite qu’il plaise à la Cour d’annuler l’ordonnance entreprise et évoquant, constater qu’il est sursis à l’exécution de l’Arrêt n°102/2001 du 02 août 2001, dire que la saisie attribution du 10 avril 2003 a été opérée sans titre exécutoire et en ordonner la mainlevée ;

 

Attendu que les ayants droit de YAOVI, intimés, concluent à la confirmation de l’ordonnance attaquée en faisant valoir que l’objet du litige est une demande de mainlevée de saisie attribution ; qu’aucun des problèmes relevés par l’appelante comme étant l’objet du litige n’a été posé au premier juge ; que l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel ayant déjà commencé par la signification avec commandement de ladite décision, le Traité OHADA doit s’appliquer au cas d’espèce ; que par ailleurs, aux termes de l’article 13 dudit Traité, la Cour Suprême ne figure pas au nombre des juridictions nationales compétentes pour statuer sur le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes ; qu’en ordonnant le sursis à exécution de l’arrêt de la Cour d’appel, le Président de la Cour Suprême a violé les dispositions de l’article 14, alinéa 1er du Traité ; qu’en outre, le Traité OHADA ayant prévu à l’article 32 de son Acte uniforme portant organisation des voies d’exécution (AUVE) que l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire par provision, l’instance en cours n’a plus de raison d’être ;

 

Sur le caractère exécutoire de l’Arrêt n°102/01 du 02 août 2001

Vu l’article 31 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

 

Attendu que le litige soumis à l’appréciation de la Cour, suite à l’appel relevé de l’Ordonnance n°244/03 rendue le 05 mai 2003 par le Président du Tribunal de première instance de première classe de Lomé, est celui relatif à la régularité de la saisie attribution pratiquée le 09 avril 2003 par les ayants droit de YAOVI en exécution de l’Arrêt confirmatif n°102/01 du 02 août 2001 de la Cour d’appel de Lomé ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 31 de l’Acte uniforme susvisé, « l’exécution forcée n’est ouverte qu’au créancier justifiant d’une créance certaine, liquide et exigible sous réserve des dispositions relatives à l’appréhension et à la revendication des meubles » ;

 

Attendu, en l’espèce, que par Ordonnance n°102 du 02 novembre 2001, le Président de la Cour Suprême du Togo avait ordonné le sursis à l’exécution de l’Arrêt n° 102 du 02 août 2001 sur requête de la B.I.A-TOGO S.A. à la suite d’un pourvoi que cette dernière a formé contre ledit arrêt ; qu’aucun acte d’exécution dudit arrêt n’étant intervenu avant l’ordonnance ayant ordonné le sursis à l’exécution, l’exploit de signification en date du 05 octobre 2001 de l’arrêt incriminé ne pouvant être considéré comme un acte d’exécution en matière de saisie attribution ; qu’il suit que ledit arrêt n’était plus exécutoire et la créance des ayants droit YAOVI n’était plus exigible ; qu’ainsi c’est en violation des dispositions de l’article 31 susénoncées de  l’Acte uniforme susindiqué que les ayants droit YAOVI ont pratiqué la saisie attribution du 09 avril 2003 ; qu’il échet  d’en ordonner la mainlevée après avoir annulé l’ordonnance entreprise ;

 

Attendu, en l’espèce, qu’il y a lieu que chaque partie supporte ses propres dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

 Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n° 243 rendu le 10 décembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Annule l’Ordonnance n°244/2003 rendue le 05 mai 2003 par le Président du Tribunal de première instance de première classe de Lomé ;

Ordonne la mainlevée de la saisie attribution pratiquée le 09 avril 2003 au préjudice de la B.I.A-TOGO par Olivia YAOVI et autres ;

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé:

 

    

Le Président

                           

Le Greffier