ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième chambre
Audience Publique du 15 décembre 2005
POURVOI n° : 088/2003/PC du 23 octobre 2003
AFFAIRE : BOUHO KOSSIA Edith
(Conseil : Maître KIGNIMA K. Charles, Avocat à la Cour)
contre
KOUADIO KOUASSI Jonas
ARRET N°52/2005 du 15 décembre 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 15 décembre 2005 où étaient présents :
Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Boubacar DICKO, Juge, rapporteur
et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;
Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, de l’affaire BOUHO KOSSIA Edith contre KOUADIO KOUASSI Jonas, par Arrêt n°140/03 du 13 mars 2003 de la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE, Chambre Judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié le 13 septembre 2002 par Maître KIGNIMA K. Charles, Avocat à la Cour, demeurant 17, boulevard ROUME, Résidence ROUME, 2ème étage, porte 22, 23 BP 1274 Abidjan 23, agissant au nom et pour le compte de BOUHO KOSSIA Edith, enregistré sous le n°02-136 CIV du 16 septembre 2002 contre l’Arrêt n°582 rendu le 03 mai 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan au profit de KOUADIO KOUASSI Jonas, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;
En la forme
Déclare nul l’acte de signification du 3 décembre 2001 ;
Déclare en conséquence recevable l’opposition de BOUHO KOSSIA Edith ;
Au fond
L’y dit mal fondée ;
L’en déboute ;
Rejette la demande de dommages-intérêts formulée par KOUADIO KOUASSI Jonas ;
Restitue à l’Arrêt attaqué son plein et entier effet ;
Condamne BOUHO KOSSIA Edith aux dépens. » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à l’ « exploit de pourvoi en cassation » annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO ;
Vu les articles 14, 15 et 16 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu que par lettres n°552/2003/G5 du 04 décembre 2003 et n°222/2005/G5 en date du 30 mai 2005, le Greffier en chef de la Cour de céans a informé Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas, défendeur au pourvoi, de ce que le ministère d’avocat étant obligatoire devant ladite Cour en application de l’article 23 du Règlement de procédure de ladite Cour, ce dernier devait par conséquent présenter ses moyens de défense par l’intermédiaire du conseil qu’il aura choisi ; qu’en réponse aux lettres précitées, par courrier en date du 28 juin 2005, Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas faisait en substance la déclaration suivante : « …je n’ai plus rien à ajouter au dossier. Je m’en tiens donc aux décisions de la Cour… » ; qu’il y a lieu de noter et de prendre acte de ce que le défendeur au pourvoi n’a pas désigné de conseil devant la Cour de céans ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas fut un employé de Madame KOUAME AHOU Blandine d’octobre 1988 à mai 1993 dans l’un des salons de coiffure dont celle-ci était propriétaire à Abidjan ; que par la suite, voulant travailler pour son propre compte, il réussit à ouvrir un magasin de vente de pièces détachées automobiles ; que, selon lui, prenant ombrage de cette initiative, son ex-employeur, après l’avoir accusé d’avoir commis des malversations à son détriment, fit saisir les effets contenus dans son magasin ; que ceci occasionna en son temps un procès à l’issue duquel Madame KOUAME AHOU Blandine fut condamnée à restituer lesdits effets à leur propriétaire ; qu’en raison du refus catégorique manifesté par la susnommée, Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas procédait à la saisie-vente des effets contenus dans certains de ses salons de coiffure ; que suite à cette saisie, une autre dame, en l’occurrence Madame BOUHO KOSSIA Edith, demandait la distraction des biens saisis au juge des référés du Tribunal de première instance d’Abidjan qui, par Ordonnance de référé n°4090 en date du 28 septembre 2001 y faisait droit ; que par exploit en date du 05 octobre 2001, Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas a interjeté appel de l’ordonnance précitée devant la Cour d’appel d’Abidjan ; que celle-ci, par Arrêt n°1252 rendu par défaut le 09 novembre 2001, a infirmé l’ordonnance entreprise et débouté Madame BOUHO KOSSIA Edith de sa demande et ordonné la continuation des poursuites ; que par exploit en date du 27 mars 2002, Madame BOUHO KOSSIA Edith a fait opposition à l’Arrêt de défaut n°1252 ci-dessus cité devant la Cour d’appel d’Abidjan ; que par Arrêt n°582 rendu subséquemment le 03 mai 2002, ladite Cour déclarait l’opposition mal fondée, déboutait l’opposante, rejetait la demande de dommages-intérêts formulée par Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas et restituait à l’arrêt précédemment rendu par défaut son plein et entier effet ; que par exploit en date du 13 septembre 2002, Madame BOUHO KOSSIA Edith s’est pourvue en cassation contre l’Arrêt n°582 du 03 mai 2002 précité devant la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE ; que par Arrêt n°140/03 en date du 13 mars 2003, ladite Cour s’est dessaisie du dossier de la procédure au profit de la Cour de céans aux motifs que « l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes précisément l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution entré en vigueur depuis janvier 1998… » ;
Sur le second moyen
Vu l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué un manque de base légale et un défaut de motifs en ce que pour rendre sa décision, la Cour d’appel s’est contentée d’affirmer que « [l’arrêt de défaut n°1252 du 09 novembre 2001] procède manifestement d’une bonne appréciation des faits de la cause » ; qu’une telle motivation est non seulement insuffisante mais elle manque de fondement légal ; que le mardi 04 septembre 2001, le salon de coiffure de Mademoiselle BOUHO KOSSIA Edith a fait l’objet de saisie-vente pratiquée par Maître KACOU YAO Aimé sur la base de l’Arrêt correctionnel d’itératif défaut n°709/98 rendu le 22 décembre 1998 par la Cour d’appel d’Abidjan et condamnant Madame KOUAME AHOU Blandine à lui payer une certaine somme d’argent ; qu’il est patent que la requérante est tiers par rapport à la décision dont l’exécution est entreprise ; que c’est sur la base de ces constatations que le juge des référés avait ordonné la distraction des objets saisis à l’initiative de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas ; que sur le fondement de l’article 141, alinéa 1, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution au terme duquel « le tiers qui se prétend propriétaire d’un bien saisi peut demander à la juridiction compétente d’en ordonner la distraction », la requérante, qui est bien la propriétaire du salon de coiffure, objet de la saisie critiquée, a sollicité et obtenu la distraction des biens saisis ; que, cependant, la Cour d’appel, sans tenir compte de toutes les pièces dont elle a fait état à cet égard, a affirmé de façon péremptoire que l’arrêt attaqué en opposition procède d’une bonne appréciation des faits ; que ce faisant, ladite Cour n’a ni motivé sa décision ni laisser transparaître l’application d’un texte de loi ; que dès lors, l’arrêt attaqué manque de base légale et, étant insuffisamment motivé, encourt la cassation ;
Attendu en effet que pour déclarer l’opposition de la demanderesse au pourvoi mal fondée et l’en débouter, l’arrêt attaqué s’est borné à déclarer que « l’arrêt [de défaut n°1252 du 09 novembre 2001] procède manifestement d’une bonne appréciation des faits de la cause ; il y a lieu de lui restituer son plein et entier effet. » ;
Attendu qu’il est de principe qu’une décision de justice doit se suffire à elle-même ; que dans ce cadre, le présent contentieux étant relatif à une demande de distraction de biens saisis, la seule et laconique référence à l’arrêt de défaut susindiqué, à l’issue d’une instance contradictoire se rapportant à l’examen de l’opposition audit arrêt, ne saurait suppléer les carences de l’arrêt contradictoire n°582 du 03 mai 2002 présentement attaqué qui n’a ni analysé, ni apprécié, au regard des dispositions de l’article 141 dudit Acte uniforme susvisé régissant cette matière, les moyens et arguments des parties pour se déterminer ; d’où il suit qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué encourt les griefs visés au moyen ; qu’il échet en conséquence de casser ledit arrêt sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit en date du 05 octobre 2001, Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas a relevé appel de l’Ordonnance de référé n°4090 rendue le 28 septembre 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant : « Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé d’heure à heure et en premier ressort ;
Au principal, renvoyons les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent, vu l’urgence et par provision ;
Recevons Madame BOUHO KOSSIA Edith en sa demande ;
L’y disons partiellement fondée ;
Constatons qu’elle est tiers par rapport à la créance pour l’exécution de laquelle ses biens sont saisis ;
Ordonnons en conséquence la distraction de ses biens ;
Disons n’y avoir lieu à astreinte ;
Laissons les dépens à la charge de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas. » ;
Attendu qu’au soutien de son appel Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas fait valoir que Madame BOUHO KOSSIA Edith, au profit de qui l’ordonnance de référé susvisée a prononcé la distraction de biens saisis, est la fille de sa débitrice Madame KOUAME AHOU Blandine et que celle-ci n’a jamais cédé à celle –là un salon de coiffure ; qu’il estime également que l’extrait du registre de commerce établi au nom de Madame BOUHO KOSSIA Edith et versé au dossier de la procédure n’est pas suffisant pour établir son droit de propriété sur les biens saisis ; qu’il produit par ailleurs divers pièces et documents, notamment un rapport d’expertise judiciaire qu’avait ordonné dans une cause antérieure intéressant les mêmes parties le Jugement n°4720/95 du 24 octobre 1995 du Tribunal de première instance d’Abidjan et établissant que Madame KOUAME AHOU Blandine est bien la seule propriétaire des effets saisis ; qu’il demande en conséquence, d’une part, l’infirmation de la décision entreprise en ce qu’elle a ordonné la distraction des biens saisis au profit de Madame BOUHO KOSSIA Edith et, d’autre part, l’octroi d’une somme de 5.000.000 de francs CFA à titre de dommages-intérêts et la continuation des poursuites de la saisie-vente par lui pratiquée le 05 septembre 2001 ;
Attendu que pour sa part, Madame BOUHO KOSSIA Edith, intimée, sous la plume de son conseil Maître KIGNIMA K. Charles, Avocat à la Cour, a demandé de :
– déclarer l’appel de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas irrecevable motif pris de ce que son acte d’appel était nul pour avoir été rédigé et signifié par une personne n’en ayant pas qualité en l’occurrence Monsieur POOSON Modeste qui, interpellé sur son statut de clerc assermenté de Maître KACOU YAO Aimé, a été incapable de produire le procès-verbal de prestation de serment relatif à sa qualité de clerc d’huissier ; que faute de n’avoir pu le faire, tous les actes diligentés par ce dernier sont nuls et de nullité absolue en application de la loi n°97-514 du 4 septembre 1997 portant statut des huissiers de justice et abrogeant la loi n°69-242 du 9 juin 1969 qui énonce en son article 5 que « les huissiers de justice ont seuls qualité pour signifier ou notifier les exploits ou les actes et mettre à exécution des décisions de justice ou les actes ou titres en forme exécutoire, lorsqu’aucun autre mode de signification, de notification ou d’exécution n’a été précisé par les lois ou les règlements… » ;
– déclarer l’action de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas mal fondée en ce que pour justifier les poursuites qu’il a entreprises contre elle, Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas s’est toujours contenté de dire qu’étant la fille de Madame KOUAME AHOU Blandine, elle servirait de prête-nom à cette dernière, sa mère ; que ce sont des allégations ne ressortant d’aucune décision de justice ; qu’en réalité, elle est tiers par rapport à la décision rendue au profit de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas dans la cause l’opposant à Madame KOUAME AHOU Blandine ; que la Cour restituera par suite à l’ordonnance de référé entreprise son plein et entier effet ;
Sur la nullité de l’appel interjeté par Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas
Attendu à cet égard que contrairement aux énonciations de l’intimée, il figure au dossier de la procédure un « procès-verbal de prestation de serment » n°47 en date du 16 novembre 1993 attestant que Monsieur POOSSON Hugues Guy Rufin Modeste agréé en qualité de clerc de Maître THO DIORO Martin huissier de justice titulaire de charge à Abengourou a prêté serment ; que dès lors les arguments de l’intimée relatifs à la nullité et à l’irrecevabilité de l’acte d’appel pour défaut de présentation de cette pièce ne sont pas fondés et doivent être rejetés ;
Sur la qualité de tiers de l’intimée à la saisie-vente pratiquée par l’appelant au préjudice de Madame KOUAME AHOU Blandine
Attendu que l’article 141 de l’Acte uniforme susvisé dispose que « Le tiers qui se prétend propriétaire d’un bien saisi peut demander à la juridiction compétente d’en ordonner la distraction.
A peine d’irrecevabilité, la demande doit préciser les éléments sur lesquels se fonde le droit de propriété invoqué. Elle est signifiée au créancier saisissant, au saisi et éventuellement au gardien. Le créancier saisissant met en cause les créanciers opposants par lettre recommandée avec avis de réception ou tout moyen laissant trace écrite.
Le débiteur saisi est entendu ou appelé. » ;
Attendu qu’il ressort de l’examen de diverses pièces versées au dossier de la procédure, notamment de factures et de bons de commande, que les effets saisis par l’appelant l’ont été dans des locaux commerciaux appartenant à Madame KOUAME AHOU Blandine, ce qui fonde à tout le moins une présomption de propriété de celle-ci sur lesdits effets ; que dès lors, l’intimée se contentant à cet égard de simples affirmations non étayées d’éléments probants, il y a lieu, contrairement au premier juge, de la déclarer mal fondée en sa demande et l’en débouter ;
Sur la demande de dommages-intérêts de l’appelant
Attendu que Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas, appelant, sollicite la condamnation de l’intimée au paiement de la somme de 5.000.000 de francs CFA à titre de dommages-intérêts aux motifs que cette dernière, « comme deux autres personnes » se sont, selon lui, rendues complices de Madame KOUAME AHOU Blandine pour entraver la procédure de saisie qu’il a initiée contre celle-ci, ce qui lui a manifestement causé du tort ;
Mais attendu que cette demande, présentée pour la première fois en appel et qui ne se rattache pas au litige originel, est irrecevable ;
Sur la continuation des poursuites
Attendu qu’aux termes de l’article 139 de l’Acte uniforme susvisé, les demandes relatives à la propriété ne font pas obstacle à la saisie mais suspendent la procédure [de la saisie-vente] pour les biens saisis qui en sont l’objet ; qu’en l’espèce, ayant été ci-dessus précisé que les effets, objet de la demande de distraction de l’intimée, n’étant pas la propriété de celle-ci, il y a donc lieu d’ordonner la continuation des poursuites sur lesdits effets ;
Attendu que Madame BOUHO KOSSIA Edith ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’Arrêt n°582 rendu le 03 mai 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant au fond,
Infirme en toutes ses dispositions l’Ordonnance de référé n°4090 rendue le 23 septembre 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan ;
Déclare non fondée la demande de distraction de biens saisis de Madame BOUHO KOSSIA Edith et l’en déboute ;
Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts de Monsieur KOUADIO KOUASSI Jonas ;
Ordonne la continuation des poursuites ;
Condamne Madame BOUHO KOSSIA Edith aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier