ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Première chambre
Audience publique du 22 décembre 2005
Pourvoi : n° 090/2004/PC du 03 août 2004
Affaire : Société « Constructions Modernes de Côte d’Ivoire »
dite COMCI
(Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)
Contre
Société de construction immobilière LES ROSIERS dite SCI-LES
ROSIERS
(Conseil : Maître Mohamed Lamine FAYE, Avocat à la Cour)
ARRET n° 062/2005 du 22 décembre 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 22 décembre 2005 où étaient présents :
Messieurs Jacques M’BOSSO, Président
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Biquezil NAMBAK, Juge, rapporteur
et Maître KEHI Colombe BINDE, Greffier ;
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire Société Constructions Modernes de Côte d’Ivoire dite COM-CI contre Société de Construction Immobilière LES ROSIERS, par Arrêt n° 250/04 du 15 avril 2004 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre Judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié le 11 août 2003 par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, demeurant Abidjan 24, Boulevard CLOZEL, immeuble SIPIM, 5è étage, 01 B.P. 1306 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la Société COM-CI, pourvoi enregistré le 03 août 2004 sous le n° 090/2004/PC, en cassation de l’Arrêt n°461 rendu le 18 avril 2003 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;
En la forme : Reçoit la SCI-LES ROSIERS en son appel ;
Au fond : L’y dit bien fondée ;
Infirme le jugement attaqué et statuant à nouveau ;
Déclare la Société COMCI mal fondée en son opposition ;
L’en déboute ;
Restitue à l’Ordonnance d’injonction de payer n° 237/2002 du 7 janvier 2002 son plein et entier effet ;
Condamne la Société COMCI aux dépens ».
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à l’acte de pourvoi annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil NAMBAK ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par marché n° 960156 du 10 juin 1996, l’Etat de Côte d’Ivoire a confié à la Société COM-CI, le lotissement du quartier Palmeraie Extension, parcelle dénommée « Les Terrasses de la Palmeraie » ; que par contrat verbal, la Société COM-CI a sous-traité ledit marché portant sur la somme de 192.978.277 F CFA en totalité à la SCI-LES ROSIERS ; que celle-ci ayant exécuté entièrement ses prestations, la COM-CI lui en a assuré un paiement partiel avant d’émettre quatre (04) traites et un (01) chèque pour le solde, soit un montant global de 141.441.970 F CFA, revenus impayés ; que par suite des règlements effectués postérieurement, la créance de la SCI-LES ROSIERS a été ramenée à la somme de 88.507.267 F CFA ; que n’ayant abouti, à ce jour, qu’au recouvrement de la somme globale de 104.471.010 F CFA sur la créance de 192.978.277 FCFA, la SCI-LES ROSIERS a saisi la Juridiction présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan d’une requête aux fins d’injonction de payer et celle-ci, par Ordonnance n° 237/02 rendue le 07 janvier 2002, a condamné la Société COM-CI au paiement de la somme principale de 88.507.267 F CFA, outre les intérêts de droit et les frais ; que sur opposition de la Société COM-CI, le Tribunal de première instance d’Abidjan a, par Jugement contradictoire n° 770/Civ/7 du 15 mai 2002, débouté la SCI-LES ROSIERS au motif que sa créance était contestée et qu’elle n’avait pas produit de justificatifs à l’appui de sa demande en recouvrement ; que sur appel de la SCI-LES ROSIERS, la Cour d’appel d’Abidjan a, par Arrêt n°461 rendu le 18 avril 2003, infirmé le Jugement n° 770/Civ/7 querellé et restitué à l’Ordonnance d’injonction de payer n° 237/02 du 07 janvier 2002, son plein et entier effet ; que sur le pourvoi de la Société COM-CI, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, après avoir relevé que l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes, notamment l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, s’est dessaisie du dossier au profit de la Cour de céans ;
Sur la recevabilité du pourvoi
Attendu que la SCI-LES ROSIERS demande à la Cour de céans de « déclarer la Société COMCI irrecevable en ses deux moyens de cassation en ce que, ni pour l’un, ni pour l’autre, elle n’a articulé un énoncé précis du cas d’ouverture de cassation qu’elle entendait viser » en violation des dispositions de l’article 206-1° et 6° du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative ;
Mais attendu que la Cour Suprême de Côte d’Ivoire s’étant dessaisie du dossier au profit de la Cour de céans normalement compétente, seul le Règlement de procédure de celle-ci est applicable et non le Code de procédure civile et administrative susmentionné ; que la présente saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage étant conforme aux exigences de l’article 51 dudit Règlement de procédure, l’irrecevabilité invoquée par la SCI-LES ROSIERS en l’espèce n’est pas fondée ; que dès lors, il y a lieu de la rejeter ;
Sur le premier moyen pris en sa seconde branche
Vu les articles 1er et 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu qu’il est fait grief à l’Arrêt attaqué d’avoir violé la loi ou commis une erreur dans son application ou son interprétation en ce qu’il a jugé que « la Société Constructions modernes de Côte d’Ivoire dite COM CI ne conteste pas sérieusement la créance dans son principe ; Par ailleurs, la SCI LES ROSIERS a produit les justificatifs de sa créance tandis que la société COM CI ne prouve pas qu’elle s’est acquittée de sa dette évaluée à 88.507.267 francs ; Dès lors, c’est à tort que le premier juge a estimé que la créance n’était pas certaine » alors que, selon le moyen, la COM CI « a toujours contesté la prétendue créance de 88.507.267 francs alléguée par la société LES ROSIERS ainsi que l’attestent son acte d’opposition du 05 février 2002 et ses conclusions en appel du 04 juillet 2002 ; qu’en effet, la défenderesse, sous traitant de la COM CI, se prévaut d’une créance de 192.978.277 F CFA correspondant, selon elle, à la valeur du marché n° 96.0156 du 10 juin 1996 attribué à la Société COM CI ; qu’elle affirme que c’est cette créance qui a ensuite été ramenée à 88.507.267 FCFA suite aux règlements effectués par la Société COM CI ; [que cependant] il importe de préciser de prime abord que la valeur du marché susvisé était de 184.240.009 F CFA hors TVA et non de 192.978.277 F CFA, (cf. article 2.1 du cahier des clauses et conditions particulières) ; qu’ensuite, le sous traitant, tiers au marché principal liant la COM CI à l’Etat de Côte d’Ivoire ne peut prétendre au montant fixé par ce marché, en application de l’effet relatif des contrats ; qu’il ne peut prétendre qu’à la rémunération telle que résultant du contrat de sous traitance qu’il a conclu avec la Société COM CI ; Or les parties ont omis de fixer cette rémunération, ce qui explique pourquoi la SCI LES ROSIERS ne l’a pas précisée dans sa requête et a plutôt retenu unilatéralement le montant du marché principal ; qu’en droit, la non fixation du prix du contrat de sous-traitance par les parties ne peut être suppléée que par une fixation judiciaire par le tribunal ou par un tiers choisi par elles, qui établira en outre les comptes entre les parties pour tenir compte des paiements néanmoins effectués par la COM CI en guise de bonne foi, et qui s’élèvent à la somme de 104.471.010 FCFA, ainsi qu’il résulte du propre aveu de la défenderesse par la voix de son conseil ( cf. lettre de Maître Lamine FAYE datée du 25 octobre 2001) ; que la créance initiale étant inconnue, l’on ignore la base sur laquelle la défenderesse a imputé la somme de 104.471.010 F CFA réglée par la COM CI pour aboutir au prétendu solde de 88.507.267 F réclamée ; que d’ailleurs, le décompte de ces règlements n’est pas indiqué dans la requête ; qu’il s’ensuit que la créance alléguée n’est ni certaine ni liquide ; qu’il appartenait par conséquent à la Cour d’appel d’en juger ainsi et de confirmer le jugement ; qu’en statuant comme elle l’a fait, elle a violé l’article 1er de l’Acte uniforme ; qu’il échet de casser son arrêt de ce chef » ;
Attendu qu’aux termes des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme susvisé « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer » et « celui qui a demandé la décision d’injonction de payer supporte la charge de la preuve de sa créance » ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la SCI-LES ROSIERS avait joint à sa requête aux fins d’injonction de payer quatre traites et un chèque d’une valeur totale de 141.441.970 FCFA revenus impayés ; que la SCI-LES ROSIERS soutenait que de cette somme de 141.441.970 FCFA que lui devait donc la société COM-CI, cette dernière avait fait des règlements postérieurs, ce qui aurait ramené sa créance à la somme de 88.507.267 FCFA ;
Attendu que s’il est vrai que la créance matérialisée par les quatre traites et le chèque revenus impayés à échéance s’élevant à 141.441.970 FCFA était certaine, liquide et exigible, il n’en est pas de même de la somme de 88.507.267 FCFA au paiement de laquelle la SCI-LES ROSIERS demande la condamnation de la Société COM-CI suivant la procédure d’injonction de payer ; qu’en effet, la SCI-LES ROSIERS ne précise, ni dans la requête aux fins d’injonction de payer, ni dans les différentes écritures versées aux débats, les modalités de paiement de la différence entre la créance de 141.441.970 FCFA et celle de 88.507.267 FCFA réclamés ; qu’elle ne verse pas non plus aux débats les justificatifs desdits 88.507.267 FCFA réclamés ; qu’ainsi et faute pour la SCI-LES ROSIERS d’avoir produit lesdits justificatifs de la créance de 88.507.267 FCFA dont elle poursuit le recouvrement auprès de la Société COM-CI, il y a lieu de constater que la certitude de ladite créance n’est pas établie ; qu’il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé les dispositions susénoncées des articles 1er et 13 de l’Acte uniforme susvisé et exposé son arrêt à la cassation ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 14 juin 2002, la SCI-LES ROSIERS a déclaré interjeter appel du Jugement n°770/CIV/7 rendu le 15 mai 2002 par le Tribunal de première instance d’Abidjan ; qu’elle demande à la Cour d’infirmer le jugement querellé, de dire et juger que sa créance est certaine, liquide et exigible ;
Attendu que la Société COM-CI, intimée, tout en soutenant que la créance de la SCI-LES ROSIERS n’est pas certaine, au moins quant à son montant et qu’elle n’est pas liquide étant donné qu’on ne sait pas si les paiements effectués n’ont pas éteint la créance, demande la confirmation pure et simple du jugement déféré ;
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l’arrêt a été cassé, il y a lieu de déclarer que la créance de la SCI-LES ROSIERS n’est pas certaine et de confirmer en toutes ses dispositions le Jugement n°770/CIV/7 rendu par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;
Attendu que la SCI-LES ROSIERS ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’Arrêt n° 461 rendu le 18 avril 2003 par la Cour d’appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant au fond,
Confirme en toutes ses dispositions le Jugement n°770/CIV/7 rendu le 15 mai 2002 par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;
Condamne la SCI-LES ROSIERS aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier