ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 Première Chambre

Audience publique du 07 juillet 2005

Pourvoi : n° 103/2003/PC du 04 novembre 2003

Affaire : Aziablévi YOVO et autres

                (Conseils : – Maître KOUASSI Gahoun HEGBOR, Avocat à la Cour

         – Maître Odadjé HOUNNAKE, Avocat à la Cour)

                        Contre

      Société TOGO TELECOM

                (Conseil : Maître Wlé – Mbanewar BATAKA, Avocat à la Cour)

ARRET n° 043/2005 du 07 juillet 2005

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 07 juillet 2005 où étaient présents :

 

  1. Jacques M’BOSSO, Président, rapporteur

Maïnassara MAIDAGI, Juge

Biquezil NAMBAK, Juge

et  Maître KEHI Colombe BINDE,  Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n° 103/2003/PC du 04 novembre 2003 et formé par Maîtres KOUASSI Gahoun HEGBOR et Odadjé HOUNNAKE, Avocats à la Cour à Lomé, TOGO, agissant aux noms et pour le compte de Messieurs Aziablévi YOVO, Koudékouto LAWSON LATE, Simékpé LAWSON et Madame Béatrice Kayi LASSEY, demeurant à Lomé, dans la cause qui oppose ceux-ci à la Société TOGO TELECOM, Société d’Etat,  au capital de 4.000.000.000 francs CFA, représentée par son Directeur général, ayant pour Conseil Maître W.M. BATAKA, Avocat à la Cour à Lomé,en cassation de l’Arrêt n°186/2003 rendu le 26 septembre 2003 par la Cour d’appel de Lomé et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;

En la forme

Reçoit l’appel

Au fond

Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a ordonné la mainlevée des saisies pratiquées par les appelants sur les comptes de l’intimée entre les mains des Banques et autres Etablissements financiers de la place ;

Rejette la demande reconventionnelle de l’intimée pour défaut de preuve ;

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision nonobstant toutes voies de recours et sans caution ;

Condamne les appelants aux dépens ; » ;

 

Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la « requête afin de pourvoi en cassation » annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Président ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure qu’en exécution de l’Arrêt n°27/03 rendu le 10 juillet 2003 par la Chambre Sociale de la Cour d’Appel de Lomé ayant condamné la Société TOGO TELECOM à leur payer la somme de 118.970.213 francs CFA, Aziablévi YOVO et autres avaient fait pratiquer « saisie-attribution de créances entre les mains de divers établissements financiers de Lomé sur les comptes de TOGO TELECOM » ; que contestant cette saisie-attribution au motif qu’elle violait l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution qui accorde l’immunité d’exécution aux entreprises publiques, TOGO TELECOM avait assigné les créanciers poursuivants devant le Président du Tribunal de première instance de Lomé pour en obtenir mainlevée ; que par Ordonnance n°425/03 du 13 août 2003, le Juge des référés du Tribunal de première instance de Lomé avait fait droit à cette contestation et donné mainlevée de la saisie-attribution de créances ainsi pratiquée ; que sur appel interjeté de ladite Ordonnance n° 425 du 13 août 2003 par Aziablévi YOVO et autres, la Cour d’appel de Lomé avait, par Arrêt n° 186/03 du 26 septembre 2003 dont pourvoi, confirmé l’ordonnance entreprise ;

 

Sur le premier moyen

 

Vu l’article 30, alinéas 1 et 2, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

 

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir violé l’article 30, alinéas 1 et 2, de l’Acte uniforme susvisé en ce que la Cour d’appel, pour confirmer l’Ordonnance n°425/03 du 13 août 2003, a considéré que «l’Acte uniforme de l’OHADA, en son article 30 alinéa 1er a posé le principe d’immunité d’exécution, principe qui sera atténué à l’égard de certaines Sociétés d’Etat nominativement citées en son alinéa 2 ;  que figurent dans cette énumération, les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée l’intimée ; qu’il n’existe aucun doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité d’exécution » alors que, selon le moyen, « l’alinéa 1er de l’article 30, qui ne précise pas les personnes bénéficiant de l’immunité d’exécution, ne fait qu’énoncer le principe général de droit selon lequel l’Etat et les personnes morales de droit public bénéficient d’une immunité d’exécution attachée à leur statut (…), [et] « l’alinéa 2 de l’article 30 innove simplement lorsqu’il autorise la compensation, privant ainsi les personnes publiques de ce privilège de protection ; …que le fait que les entreprises publiques soient citées dans l’alinéa 2 de l’article 30, ne signifie pas qu’elles bénéficient automatiquement de l’immunité d’exécution… que le TOGO ayant voulu rendre compétitives ses entreprises publiques les a soustraites au droit public pour les soumettre au droit privé… qu’il est donc manifeste que l’arrêt déféré a erré en énonçant que l’Acte uniforme de l’OHADA en son article 30 alinéa 1er a posé le principe d’immunité d’exécution… » ; que ledit arrêt doit être cassé de ce chef ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 30, alinéas 1 et 2, de l’Acte uniforme susvisé, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.

Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité » ;

 

Attendu que de l’analyse des dispositions susénoncées, il ressort, contrairement aux allégations des requérants, qu’en énonçant en son alinéa 1er que « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution » et en son alinéa 2 que « toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité », l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé pose, audit alinéa 1er, le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et en atténue les conséquences audit alinéa 2 à travers le procédé de la compensation des dettes ;  que ladite compensation, qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, ne peut s’analyser que comme un tempérament au principe de l’immunité d’exécution qui leur bénéficie en vertu de l’alinéa 1er dudit texte ; qu’il suit qu’en jugeant que « l’article 30 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisé pose le principe d’immunité d’exécution, et que les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée TOGO TELECOM, figurent dans l’énumération des Sociétés contre lesquelles s’applique la compensation, il n’y a aucun doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité d’exécution », la Cour d’appel de Lomé n’a point erré dans l’interprétation dudit article et donc point violé celui-ci ; qu’il échet en conséquence de rejeter ce premier moyen comme étant non fondé ;

 

Sur le second moyen

 

Vu l’article 10 du Traité susvisé ;

Vu l’article 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

 

Attendu qu’il est également fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article 2 de la loi togolaise n°90/26 du 04 décembre 1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques en ce que la Cour d’Appel a estimé que la Société TOGO TELECOM, Société d’Etat créée par décret n°96/22/PR du 28 février 1996  bénéficie de l’immunité d’exécution, alors que, selon le moyen, l’article 2 de la loi susvisée soustrait les entreprises publiques du régime de droit public pour les soumettre au droit privé ;

 

Attendu qu’aux termes des articles 10 du Traité et 336 de l’Acte uniforme susvisés, «  les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure »  et « le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties » ;

 

Attendu qu’il s’infère des dispositions combinées de ces deux textes que la portée abrogatoire des Actes uniformes implique que les dispositions de droit national portant sur le même objet que lesdits Actes uniformes ou qui leur sont contraires soient abrogées au profit des seules dispositions du droit uniforme ;

 

Attendu, en l’espèce, que l’article 2 de la loi togolaise n°90/26 du 04 décembre 1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques dont la violation est invoquée par les demandeurs au pourvoi, dispose que « les règles du droit privé, notamment celles du droit civil, du droit du travail et du droit commercial, y compris les règles relatives aux contrats et à la faillite sont applicables aux entreprises publiques dans la mesure où il n’y est pas dérogé par la présente loi.

Les entreprises publiques sont soumises aux règles du plan comptable national.

La réglementation générale sur la comptabilité publique ne leur est pas applicable » ; que lesdites dispositions de droit interne togolais, qui soustraient les entreprises publiques du régime de droit public pour les soumettre au droit privé, privent celles-ci, notamment de l’immunité d’exécution attachée à leur statut d’entreprises publiques ; que ce faisant, elles contrarient les dispositions de l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé qui consacre ce principe d’immunité d’exécution des entreprises publiques alors même que, d’une part, l’article 336 dudit Acte uniforme a expressément abrogé «toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties » et, d’autre part, que l’article 10 du Traité susvisé dispose que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure » ; qu’au regard des dispositions de ces deux articles du droit uniforme OHADA, seul est applicable, en l’espèce, l’article 30, alinéas 1er et 2, de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution ; qu’ainsi, en considérant que « la décision déférée porte sur une matière relevant des domaines indiqués dans ledit Acte [Acte uniforme sur les voies d’exécution] qui ne peut que  recevoir application »  pour conclure que la Société TOGO TELECOM, en sa qualité d’entreprise publique, bénéficie de l’immunité d’exécution conformément à l’article 30, alinéas 1er et 2, dudit Acte uniforme, la Cour d’appel de Lomé a fait une saine application de la loi et confirmé à bon droit l’ordonnance querellée ; qu’il suit que le second moyen, tiré de la violation  de l’article 2 de la loi togolaise n°90/26 du 04 décembre 1990, doit également être rejeté comme non fondé ;

 

Attendu que Aziablévi YOVO et autres ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Rejette le pourvoi formé par Aziablévi YOVO et autres ;

Les condamne aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président

Le Greffier