ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Audience Publique du 15 juillet 2004

 

Pourvoi n° 027/2003/PC du 07 février 2003

 

Affaire : MOBIL OIL COTE D’IVOIRE

               (Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)

contre

      1°) – LES CENTAURES ROUTIERS

                         (Conseils : Maîtres FADIKA-DELAFOSSE-KACOUTIE –ANTHONY,

                                  Avocats à la Cour)

 

               2°) COMPAGNIE IVOIRIENNE D’ELECTRICITE

                     dite CIE

 

              3°) SOCIETE D’ETUDE ET DE DEVELOPPEMENT

                      DE LA CULTURE BANANIERE DITE SCB

 

                         4°) Maître ADOU Hyacinthe, Huissier de Justice

 

ARRET N° 027/2004 du 15 juillet 2004

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 15 juillet 2004 où étaient présents :

 

Messieurs Seydou BA, Président

Jacques M’BOSSO, Premier Vice-président

Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-président

Maïnassara MAIDAGI, Juge, rapporteur

Biquezil NAMBAK, Juge

Et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré le 07 février 2003 au greffe de la Cour de céans sous le n°027/2003/PC et formé par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à  la Cour, demeurant, immeuble SIPIM, 5ème étage, 24, boulevard Clozel, 01 BP 1306 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, dans une cause l’opposant, d’une part, à la société LES CENTAURES ROUTIERS ayant pour conseils Maîtres FADIKA-DELAFOSSE-KACOUTIE-ANTHONY, Avocats à la Cour, demeurant immeuble les Harmonies, Boulevard Carde, rue Docteur Jamot, 01 BP 2297 Abidjan 01 et, d’autre part,  à la Compagnie Ivoirienne d’Electricité dite CIE, à la Société d’Etude et de Développement de la Culture Bananière dite SCB et à Maître ADOU Hyacinthe, Huissier de justice, en cassation de l’Arrêt n°585 rendu le 03 mai 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« En la forme :

Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;

Reçoit la Société MOBIL OIL en son appel relevé de l’ordonnance de référé n°3672 du 10 septembre 2001, rendue par le Tribunal de première Instance d’Abidjan ;

Au fond :

 

L’y dit mal fondée ;

L’en déboute ;

Confirme en toutes ses dispositions ladite ordonnance ;

Condamne l’appelante au dépens » ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que dans un litige opposant la société LES CENTAURES ROUTIERS à la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE, celle-ci avait été condamnée, par Arrêt n°1107 du 11 juin 1996 de la Cour d’appel d’Abidjan, à payer à celle-là la somme principale de 1.109.000.000 F CFA outre les intérêts de droit et les frais de procédure ; qu’en exécution de cette décision, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait, par exploit en date du 23 janvier 2001, fait pratiquer au préjudice de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE une saisie-attribution de créance entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE, saisie suite à laquelle cette dernière avait répondu en ces termes : « Des informations communiquées par notre direction financière, il se dégage un solde en date du 23 janvier 2001 de 4.061.566.850 F en faveur de MOBIL OIL » ; que par deux autres exploits datés des 28 juillet et 1er août 2001, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait fait pratiquer d’autres saisies-attributions de créance entre les mains de la Société d’Etude et de Développement de la Culture Bananière dite SCB et de la Compagnie Ivoirienne d’Electricité dite CIE ; que suite à ces deux dernières saisies, la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE avait assigné la société LES CENTAURES ROUTIERS devant le juge des référés du Tribunal de première instance d’Abidjan aux fins d’obtenir la mainlevée desdites saisies-attributions de créance des 28 juillet et 1er août 2001 au motif que le montant avait d’ores et déjà été atteint par une précédente saisie pratiquée entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE ; que par Ordonnance n°3672/2001 du 10 septembre 2001, le juge des référés avait débouté la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE de sa demande, Ordonnance confirmée par la Cour d’appel d’Abidjan sur appel de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE par Arrêt n°585 du 03 mai 2002 dont pourvoi ;

Sur le deuxième moyen

Vu l’article 154 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est fait grief à l’Arrêt attaqué d’avoir violé l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé ou commis une erreur dans son interprétation en ce que la Cour d’appel, pour maintenir les saisies-attributions de créance pratiquées les 28 juillet et 1er août 2001, a soutenu qu’« il ne résulte nulle part après analyse que cet article ait fait défense  au créancier de procéder à des saisies multiples, même  si le montant d’une d’entre elles suffit à éponger la dette… c’est donc sans fondement juridique que MOBIL OIL reproche à la Société LES CENTAURES ROUTIERS d’avoir procédé ainsi » alors que, selon la requérante, par cette décision, la Cour d’appel d’Abidjan donne la faculté à un créancier poursuivant de multiplier des procédures d’exécution à l’encontre de son débiteur même si le recouvrement du montant des sommes recherchées par le créancier poursuivant a dores et déjà été garanti par une première saisie ; qu’en offrant une telle opportunité au créancier poursuivant, la Cour d’appel d’Abidjan ouvre la porte aux abus dans le cadre des procédures d’exécution ; que c’est dans le souci d’éviter ces abus  de procédure que le législateur a prévu à l’article 154 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution la limitation des procédures d’exécution et par ailleurs admis le principe du cantonnement ; que toutes les mesures de recouvrement des créances envisageables par le créancier poursuivant doivent viser uniquement à recouvrer le montant principal de la condamnation en sus des intérêts de droit et frais sans pour autant excéder ce montant recherché et dès lors que par l’effet d’une première saisie antérieurement pratiquée entre les mains d’un tiers, le créancier poursuivant s’est constitué une garantie suffisante pour le recouvrement du montant de la condamnation en principal, intérêts et frais du titre exécutoire dont il se prévaut, la mise en place d’autres procédures d’exécution serait sans fondement et injustifiée ;

Attendu qu’aux termes de l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé, « l’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée ainsi que de tous ses accessoires, mais pour ce montant seulement, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers.

Les sommes saisies sont rendues indisponibles par l’acte de saisie.

Cet acte rend le tiers personnellement responsable des causes de la saisie dans la limite de son obligation » ;

Attendu qu’il ressort de l’analyse des dispositions de l’article 154 susénoncé que la signification de l’acte de saisie-attribution de créance rend indisponible la créance saisie-attribuée et emporte attribution directe de celle-ci au créancier saisissant, lequel devient ainsi créancier du tiers-saisi, même si le paiement de ladite créance saisie-attribuée se trouve différé jusqu’à épuisement du délai d’un mois prévu pour élever contestation ou jusqu’à épuisement des procédures de contestation effectivement élevées ;

Attendu qu’en l’espèce la société LES CENTAURES ROUTIERS avait, antérieurement aux saisies-attributions des 28 juillet et 1er août 2001, en exécution de l’Arrêt n°1107 du 11 juin 1996 de la Cour d’appel d’Abidjan ayant condamné la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE à lui payer la somme de 1.109.000.000 F CFA outre les intérêts de droit et les frais, pratiqué en exécution du même arrêt une première saisie-attribution le 23 janvier 2001 au préjudice de ladite société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE et entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE, saisie suite à laquelle cette dernière avait fait les déclarations suivantes : « des informations communiquées par notre direction financière, il se dégage un solde en date du 23 janvier 2001 de 4.061.566.850 F CFA en faveur de MOBIL OIL COTE D’IVOIRE » ;

Attendu qu’en se bornant à affirmer qu’ « il ne résulte nulle part après analyse que cet article [article 154] ait fait défense au créancier de procéder à des saisies multiples, même si le montant d’une d’entre elles suffit à éponger la dette… » sans se prononcer sur la saisie-attribution antérieure du 23 janvier 2001 pratiquée par la société LES CENTAURES ROUTIERS entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE qui avait déclaré devoir la somme de 4.061.566.850 F CFA, laquelle couvre largement la créance cause de la saisie s’élevant en principal, intérêts et frais à 907.416.216 F CFA, la Cour d’appel n’a pas mis la Cour de céans en mesure d’exercer son contrôle ; qu’en conséquence, il y a lieu de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les premier et troisième moyens ;

Sur l’évocation

Attendu que la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE demande à la Cour de céans de dire et juger son action bien fondée et ordonner par conséquent la mainlevée des saisies des 28 juillet et 1er août 2001 pratiquées entre les mains des Sociétés SCB et CIE, lesquelles saisies-attributions violent les dispositions :

 

  • de l’article 153 de l’Acte uniforme susvisé en vertu duquel, pour pratiquer une mesure d’exécution, le créancier poursuivant doit être muni d’un titre exécutoire constatant sa créance ; or par l’effet de la saisie-attribution de créance pratiquée entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE, le montant des sommes recherchées en principal, intérêts et frais résultant de l’arrêt de condamnation par la société LES CENTAURES ROUTIERS a été atteint ; par conséquent les termes de l’arrêt de condamnation n°1107 du 14 juin 1996 ont été exécutés et ce titre ayant été exécuté, la société LES CENTAURES ROUTIERS ne possède plus de titre d’exécution à l’encontre de la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE ;

 

  • de l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé en vertu duquel le créancier poursuivant ne peut entreprendre des mesures d’exécution complémentaires à l’encontre de son débiteur dès lors que le montant des sommes recherchées a dores et déjà été garanti par une saisie précédente ; une saisie attribution de créance pratiquée entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE a permis d’immobiliser la somme de 4.061.566.850 FCFA, laquelle permet de couvrir largement le montant des sommes recherchées par la société LES CENTAURES ROUTIERS qui s’élève selon les calculs à la somme de 907.430.755 F CFA ; les saisies-attributions de créance des 28 juillet et 1er août 2001 pratiquées respectivement entre les mains des sociétés SCB et CIE constituent des saisies manifestement intempestives et sans fondement ;

 

  • de l’article 157-3) de l’Acte uniforme susvisé lequel exige de la part du créancier poursuivant l’exactitude dans la détermination du montant des frais dans l’exploit de saisie-attribution ; or en l’espèce les exploits de saisies-attribution de créance des 28 juillet et 1er août 2001 indiquent au titre des frais dits de l’article 87, la somme de 1.114.780 FCFA alors que le décret n°75-51 du 29 janvier 1975 portant tarification des émoluments des huissiers de justice en son article 87, plafonne les frais susindiqués à la somme de 20.000 F CFA ; l’indication erronée des frais dits de l’article 87 équivaut à un défaut d’indication ;

Attendu que la société LES CENTAURES ROUTIERS, intimée, d’une part, soutient que le caractère excessif des frais et émoluments n’engage que son auteur qui est l’huissier étant donné que les sommes à lui verser et indiquées par elle ne comportent aucune erreur et, d’autre part, affirme à propos de l’argumentaire de l’appelante suivant lequel « la saisie pratiquée entre les mains de la compagnie AIR AFRIQUE le 12 décembre 2000 est largement suffisante pour garantir le paiement », que l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé ne fait pas obstacle à d’autres saisies mais énonce le principe « qu’entre les mains d’un tiers, la saisie ne peut avoir d’effet que pour le montant pour lequel elle est pratiquée ; que la saisie-attribution est une mesure d’exécution qui doit se solder par un paiement, la confusion étant à éviter avec la saisie conservatoire encore qu’il est loisible à MOBIL OIL COTE D’IVOIRE d’ordonner le paiement des sommes qu’elle doit à l’un quelconque des tiers saisis à l’effet de mettre un terme aux procédures judiciaires, la Société AIR AFRIQUE étant du reste incapable à nos jours de payer la somme saisie entre ses mains » ; qu’en conséquence, elle conclut à la confirmation de l’ordonnance attaquée ;

Attendu qu’il ressort de l’analyse de l’article 154 de l’Acte uniforme susvisé que l’acte de saisie-attribution rend indisponible la créance saisie-attribuée et emporte attribution immédiate et de plein droit de celle-ci au créancier saisissant, lequel devient ainsi créancier du tiers saisi ; qu’il résulte de ce transfert immédiat que la somme, objet de la saisie, est affectée de droit au saisissant et que ni la signification ultérieure d’autres saisies, ni toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ne peuvent remettre en cause cette attribution ;

Attendu qu’en l’espèce, la société LES CENTAURES ROUTIERS avait déjà effectué une première saisie-attribution le 23 janvier 2001 entre les mains de la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE, laquelle avait déclaré devoir à la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE la somme de 4.061.566.850 FCFA ; que ladite somme couvre largement le montant des sommes dont le recouvrement est recherché et s’élevant en principal, intérêts et frais à  907.430.755 FCFA ; que le créancier saisissant, la société LES CENTAURES ROUTIERS, ne démontrant pas qu’il n’a pu se faire payer par le tiers-saisi la Compagnie Multinationale AIR AFRIQUE pour quelque raison que ce soit, ne pouvait en l’état pratiquer d’autres saisies-attributions à l’encontre de son débiteur la société MOBIL OIL COTE D’IVOIRE ; qu’il y a lieu dès lors  d’ordonner la mainlevée des saisies-attributions pratiquées les 28 juillet et 1er août 2001 entre les mains de la SCB et de la CIE ;

Attendu que la société LES CENTAURES ROUTIERS ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n°585 rendu le 03 mai 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Ordonne la mainlevée des saisies-attributions des 28 juillet et 1er août 2001 pratiquées par la société LES CENTAURES ROUTIERS entre les mains de la SCB et de la CIE ;

Condamne la société LES CENTAURES ROUTIERS aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

Le Président

Le Greffier