ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première Chambre

Audience publique du 29 février 2016

Pourvoi : n°014/2014/PC du 28/01/2014

Affaire : TRANSREGIONALES S.A

       (Conseils : Maîtres NGADJADOUM Josué, MBAIGANGNON Athanase et Masrangué TRAHOGRA, Avocats à la Cour)

 

Contre

 

    ESSO EXPLORATION AND PRODUCTION CHAD INC

    (EEPCI)

                (Conseil : Maître Thomas DINGAMGOTO, Avocat à la Cour)

ARRET N° 037/2016 du 29 février 2016

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 29 février 2016 où étaient présents :

 

Messieurs   Marcel SEREKOISSE-SAMBA,     Président

Mamadou DEME,                                      Juge

Vincent Diéhi KOUA,                                Juge

César Apollinaire ONDO MVE,                   Juge

Robert SAFARI ZIHALIRWA,                        Juge, rapporteur

et Maître   ASSIEHUE Acka,                      Greffier ;

 

1

Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 28 janvier 2014 sous le N°014/2014/PC et formé par TRANSREGIONALES S.A, Société Anonyme au capital de 30.000.000 FCFA dont le siège social est sis Avenue Behagle 3, rue 3012, Quartier Djamabal Barh BP 6358 N’Djamna (République du Tchad), immatriculée au Registre de Commerce et du Crédit Mobilier sous le numéro TCH-NDJ/2001/B/0613, représentée par Monsieur MEMBATINGAR NGARSADJIM, son directeur général et ayant pour conseils Maître NGADJADOUM Josué, MBAIGANGNON Athanase et Masrangué TRAHOGRA, tous avocats au barreau de la République du TCHAD, mais élisant domicile pour les besoins des présentes en l’étude de Maître Moussa DIAWARA, avocat à la Cour y demeurant Cocody – RIVIERA Golf( MAFIT) immeuble Goyave  2ème Etage, Porte n°210, 08 BP 99 Abidjan 08, dans la cause l’opposant à la société ESSO EXPLORATION AND PRODUCTION CHAD INC (EEPCI) immatriculée dans l’Etat du Delaware aux Etats unis d’Amérique, agissant par sa succursale au Tchad dont le siège social est situé sur la rue de Bordeaux 41401, BP 694 N’Djamena ,en cassation de l’Arrêt N°127/12 rendu le 28 mai 2012 par la Cour d’appel de N’Djamena et dont le dispositif est le suivant :

« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties en matière civile et en dernier ressort ;

En la forme : Reçoit l’appel de TRANSREGIONALES ;

Au fond : Confirme le jugement entrepris le 17/07/2007 du Tribunal de Commerce de N’Djamena en ce qu’il a jugé que l’action de TRANSREGIONALES est irrecevable du fait de la prescription des faits ;

Dit et juge que TRANSREGIONALES est également irrecevable dès lors qu’elle a déjà renoncée à sa prétendue créance ;

Dit et juge que TRANSREGIONALES est irrecevable en raison de son défaut d’intérêt à agir ;

Condamne TRANSREGIONALES aux dépens à la somme de Vingt-deux mille (22 000) FCFA » ;

La requérante invoque au soutien de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à  la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Robert SAFARI ZIHALIRWA ;

Vu les articles 13 et 14 du traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et de l’Arbitrage de l’OHADA ;

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que dans le cadre du projet de transport du pétrole exploité au Tchad  vers le Cameroun, le Gouvernement Tchadien a autorisé la société Tchad oil Transportation Company (TOTCO) à entreprendre des opérations de construction, d’exploitation et d’entretien d’un Pipeline ; que pour ce faire, la société TOTCO eut recours aux services du Groupement d’intérêt économique WILLBROSS WEST AFRICA INC et SPIE CAPAG (JERSEY) ; qu’en date du 25 octobre 2002, le GIE WILLBROSS WEST AFRICA signa un  Contrat de sous-traitance avec la société TRANSREGIONALES au terme duquel cette dernière devait mobiliser et fournir les services de transport pour la durée du projet prévu pour prendre fin au mois de juillet 2003 ; que pour satisfaire ses obligations contractuelles, la société TRANSREGIONALES a conclu un protocole d’accord avec la société Nigériane dénommée RALPH ENTREPRISE LTD LAGOS en date du 17 octobre 2002 pour la fourniture d’une cinquantaine de véhicules gros porteurs ; qu’au moment où elle s’apprêtait à mettre cinquante camions mobilisés à la disposition du GIE WILLBROSS WEST AFRICA INC et SPI  CAPAG pour le démarrage de ses prestations prévues pour le 17/11/2002, elle fut surprise d’apprendre que le transport d’équipements dont elle avait la charge a été confiée à d’autres transporteurs à son détriment ; qu’en date du 08 janvier 2003, la société TRANSREGIONALES saisit par écrit la GIE WILLBROSS en protestation et en réclamation de paiement de la somme de un milliard deux cent quatre-vingt-un millions trois cent quatre-vingt-sept mille huit cent soixante (1.281.387.860) francs CFA représentant les frais d’immobilisation de cinquante véhicules ainsi que l’ensemble des dépenses engagées dans le cadre du protocole signé entre parties ; que bien qu’ayant reçu la lettre de réclamation susvisée, WILLBROSS n’y réserva aucune réponse, et courant mars 2003, EEPCI (Maître d’ouvrage) qui pourtant était au courant du différend opposant les deux parties, fit savoir à TRANSREGIONALES que sa relation avec la GIE prenait fin et que son solde de tout  compte serait payé le même mois ; que face au péril lié à un éventuel départ de sa partenaire, elle sollicita et obtint du Président du Tribunal de première instance de N’Djamena, une ordonnance en date du 18 mars 2003 lui permettant de pratiquer une saisie conservatoire sur les avoirs de WILLBROSS logés à la SGTB ; que sur contestation, cette ordonnance a été rétractée le 02 avril 2003 au motif que la créance n’était ni liquide ni exigible ; que WILLBROSS s’étant replié sur sa base à Douala, une sommation de payer lui a été signifiée par exploit de Maître YOSSA, huissier de justice près la Cour d’appel et les Tribunaux de Douala mais celle-ci est demeurée infructueuse ; que nonobstant saisine du Tribunal de Douala aux mêmes fins en septembre 2003 et la lettre de Maître François SERRES adressée  au Directeur de EEPCI le 26 novembre 2003 restée sans réponse, WILLBROSS a quitté définitivement le TCHAD et le Cameroun après que EEPCI l’eut donné quitus ; considérant que le fait pour EEPCI de n’avoir pas veillé au respect par WILLBROSS de ses obligations à l’égard de ses fournisseurs et autres partenaires engage sa responsabilité délictuelle en sa qualité de maître d’ouvrage, TRANSREGIONALES S.A l’a attrait devant le tribunal de commerce de N’Djamena par requête du 09 juin 2008 en vue d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de un milliard deux cent quatre-vingt-un millions trois cent quatre-vingt-sept mille huit cent soixante francs (FCFA) à titre de créance principale et cinq cent millions (500 000 000) FCFA à titre de dommages-intérêts conformément aux dispositions de l’article 1383 du code civil ; que par jugement n°087/2010 rendu le 07/07/2010, le Tribunal de commerce de N’Djamena a déclaré l’action de TRANSREGIONALES irrecevable et mit les dépens à sa charge ; que sur appel interjeté contre ledit jugement le 19/07/2010 par Maîtres Thomas MBAIGANGNON et NGADJADOUAN Josué agissant pour le compte de TRANSREGIONALES), la 2ème chambre civile de la Cour d’appel de N’Djamena rendait en date du 28 mai 2012 l’arrêt confirmatif n°127/2012, objet du présent pourvoi ;

Sur la recevabilité du pourvoi

Attendu que dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 28 avril 2014, la défenderesse au pourvoi a, par le biais de son conseil Maître Thomas DINGAMGOTO, soulevé in limine litis, l’irrecevabilité du présent pourvoi pour violation de l’article 28-1 et 2 du règlement de procédure de la Cour de céans en ce que ledit pourvoi ne mentionne pas la date à laquelle l’arrêt attaqué a été signifié à la requérante ; que selon le moyen, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de N’Djamena le 28 mai 2012 n’ayant jamais été signifié aux parties en cause, le défaut de cette formalité préalable rend le pourvoi formé par la TRANSREGIONALES irrecevable ;

Attendu que l’article 28-1 et 5 du règlement de procédure de la Cour de céans dispose que « lorsque la Cour est saisie par l’une des parties à l’instance par la voie du recours en cassation prévu au troisième ou quatrième alinéa de l’article 14 du  traité, le recours est présenté au greffe dans les deux mois de signification ou de la notification de la décision attaquée par l’avocat du requérant dans les conditions fixées à l’article 23 du présent règlement… » et « la décision de la juridiction nationale qui fait l’objet du recours doit être annexée à ce dernier. Mention doit être faite de la date à laquelle la décision attaquée a été signifiée au requérant » ;

Mais attendu que la signification d’un arrêt n’est pas la condition du recours contre celui-ci mais marque plutôt le point de départ de la computation du délai dans lequel le recours doit être exercé ; qu’ainsi, les dispositions du Règlement de procédure de la Cour de céans n’interdisent pas les recours faits avant la signification de la  décision attaquée ; qu’il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité du recours soulevée par la  défenderesse au pourvoi n’est pas fondée et doit être rejetée ;

Attendu que dans ce même mémoire en réponse, la défenderesse a également conclu à l’irrecevabilité du pourvoi pour cause de prescription des faits au moment de son introduction ainsi que pour défaut de production de la preuve de l’existence juridique de TRANSREGIONALES ;

Mais attendu d’une part, que saisie en cassation, la Cour de céans est juge en droit, et non en fait ; que, d’autre part et contrairement aux allégations de la défenderesse, la demanderesse au pourvoi a satisfait à l’exigence de l’article 28-5 du Règlement de procédure susvisé en joignant à sa requête un extrait de déclaration de constitution de personne morale qui renseigne qu’elle a été inscrite au registre de commerce et du crédit mobilier sous le numéro TCH-NDJ/2001/B/0613, et qu’elle est régulièrement représentée par monsieur MEMBATINGAR NGARSADJIM, signataire du mandat spécial d’agir délivré aux avocats de cette dernière aux fins du présent pourvoi ; qu’il suit que cette seconde exception n’est pas davantage fondée et doit être rejetée ;

 

Sur le moyen unique tiré de la prescription des faits, ensemble violation de l’article 18 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (AUDCG)

Vu l’article 18 susvisé, devenu article 16 dans l’Acte uniforme relatif au droit commercial révisé ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt déféré d’avoir violé les dispositions du texte susvisé en ce qu’il a confirmé le jugement du Tribunal de Commerce de N’Djamena qui a déclaré irrecevable pour cause de prescription des faits, l’action de la demanderesse sur la base de cette disposition au motif que les faits de l’espèce remontent à novembre 2002 et que c’est seulement en juin 2008 que la présente procédure a été introduite devant les juridictions Tchadiennes ; alors, selon le moyen, que l’action initiée contre la défenderesse au pourvoi est une action en responsabilité délictuelle soumise à une prescription trentenaire d’une part, et que d’autre part, les dernières actions et citations opposant TRANSREGIONALES S.A à WILLBROSS datant du 03 Septembre 2003, ainsi que la saisie conservatoire de créance pratiquée sur les  avoirs de WILLBROSS entre les mains de la défenderesse en date du 26 septembre 2007 constituent des actes interruptifs de prescription conformément à l’article 2244 du code civil selon lequel « une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifié à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile »  et que, toujours selon le moyen, la prescription retenue ne peut être invoquée que par WILLBROSS avec qui elle avait eu des relations directes d’affaires en leurs qualités respectives de commerçants ;

Mais attendu que l’article 18 devenu article 16 de l’AUDCG dispose de manière péremptoire que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans  si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes…» ; qu’il est constant, en l’espèce, que, d’une part, tant devant le premier Juge que devant la Cour d’appel de N’Djamena, la demanderesse n’a pas fait état de l’existence d’une quelconque pièce attestant que depuis le 17 novembre 2002, date alléguée de la rupture du contrat par le GIE WILLBROSS, elle a exercé à l’encontre de la défenderesse EEPCI une action au fond ou en référé pour la préservation des droits dont elle se prévaut ; que la seule action engagée contre elle date du 09 juin 2008, soit au-delà du délai de cinq ans qui expirait le 17 novembre 2007 et que, d’autre part, il appert des productions au dossier que toutes les parties en cause sont commerçantes et que l’action initiée par TRANSREGIONALES devant le Tribunal de Commerce de N’Djamena porte sur une obligation née de son Commerce ; qu’ainsi, en relevant qu’en raison de leur caducité, la saisie conservatoire pratiquée sur les avoirs de WILLBROSS ainsi que l’ordonnance l’autorisant n’ont aucun effet interruptif de délai à l’égard d’EEPCI, et en écartant l’application de la prescription trentenaire aux obligations nées entre commerçant à l’occasion de leur commerce, l’arrêt attaqué ne viole en rien la disposition visée au moyen ; qu’il s’ensuit que le pourvoi de TRANSREGIONALES S.A n’est pas fondé et doit être rejeté ;

Attendu que TRANSREGIONALES S.A ayant succombé doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Reçoit la société TRANSREGIONALES S.A en la forme de son recours ;

Au fond, rejette ledit recours ;

La condamne aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président

Le Greffier