ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Troisième Chambre
Audience Publique du 06 décembre 2011
Pourvoi : n° 106/2009/PC du 29/10/2009
Affaire : SOCIETE TRIGON ENERGY LTD
Conseils : SCPA Jurifis Consult, Avocats à la Cour)
contre
BANQUE COMMERCIALE DU SAHEL (BCS SA)
(Conseils : SCPA Ex aequo – Droit Mali, Avocats à la Cour)
ARRET N° 031/2011 du 06 décembre 2011
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 06 décembre 2011 où étaient présents :
Messieurs Ndongo FALL, Président, rapporteur
Abdoulaye Issoufi TOURE, Juge
Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la cour de céans le 29 octobre 2009 sous le n° 106/2009/PC et formé par la SCPA Jurifis Consult, Avocats à la Cour, au nom et pour le compte de la Société TRIGON ENERGY LTD, ayant son siège social à Africa Ind. BLDG Valco Rd, Heavy Ind. Area, PMB Comm, I Tema (République de Ghana), représentée par son directeur général, dans la cause sus référencée,en cassation de l’Arrêt n° 49 rendu le 08 juillet 2009 par la Cour d’appel de Bamako (Mali) et dont le dispositif est le suivant :
« La Cour statuant publiquement, contradictoirement, … en matière commerciale et en dernier ressort ;
En la forme :
Reçoit les appels …
Annule l’ordonnance d’injonction de payer n° 321/07 en date du 15 novembre 2007 du Président du Tribunal du commerce de Bamako ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes … » ;
La requérante invoque à l’appui dudit pourvoi deux moyens tels qu’ils figurent dans sa requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Ndongo FALL ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que dans le cadre de leurs relations d’affaires, la Société NDIAYE et Frères SA (en abrégé SNF) a, par lettre en date du 18 décembre 2006, sollicité de la Banque Commerciale du Sahel (BCS SA), au profit de la Société TRIGON ENERGY LTD (en abrégé STEL), l’ouverture d’un crédit documentaire pour l’achat de 1.089.116 MT de gasoil d’un coût total de 665.450,00 dollars US ;
Qu’après la mise en place dudit crédit, la STEL a, comme convenu, livré à la SNF qui l’a régulièrement réceptionnée, la totalité du produit commandé et a présenté pour paiement à la BCS la facture accompagnée des documents afférents au crédit documentaire ;
Qu’en dépit de la demande expresse de la SNF, faite par lettre du 31 Mai 2007, d’effectuer le paiement en faveur de la STEL, la BCS a estimé ne pas devoir payer, motif pris de ce que certains documents n’étaient pas conformes ;
Que pour vaincre ce refus de la BCS, la STEL a sollicité et obtenu le 15 novembre 2007, l’ordonnance d’injonction de payer les sommes de 344 394 690 FCFA en principal et de 57 990 689 FCFA à titre de frais et accessoires ;
Que sur opposition de la BCS à ladite ordonnance, le Tribunal de Commerce de Bamako a rendu le 30 Juillet 2008 le Jugement n° 403 dont le dispositif suit: «… En la forme : reçoit l’opposition ; Au fond : dit que l’ordonnance d’injonction de payer de céans sortira ses plein et entier effet pour la somme de FCFA 306 327 700 …. » ;
Que la BCS a relevé appel de cette décision et appelé en intervention forcée la SNF devant la Cour d’appel qui a rendu l’arrêt attaqué par la STEL et dont le dispositif est ci-dessus énoncé ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que la BCS soulève l’irrecevabilité du recours de STEL en ce que les pièces annexes au recours de la STEL qui lui a été notifié ne comportent ni la mention « certifiée conforme » comme prescrit à l’article 27 alinéa 1er du Règlement de procédure de la Cour, ni la preuve que le mandat donné à l’avocat de la STEL a été régulièrement établi par un représentant qualifié de celle-ci comme l’exige l’article 28 alinéa 4 et en ce que des documents notamment des statuts de société sont établis en langue anglaise et que, non traduits en français, sont inexploitables pour elle ;
Mais attendu d’une part qu’en l’absence dans le dossier d’une demande de régularisation prévue à l’article 28-5 du Règlement de procédure restée sans suite, l’omission de la mention « certifiée conforme » sur les copies des pièces produites par une partie ne peut à elle seule justifier l’irrecevabilité du recours et ce, d’autant plus que les pièces dont s’agit ont été déposées, communiquées et discutées contradictoirement aussi bien en instance qu’en appel sans être contestées tant dans leur forme que dans leur substance et qu’il n’est dénoncé aucune fraude derrière cette omission ;
Que l’argument suivant lequel le mandat de représentation de la STEL n’a pas été délivré par une personne habilitée à la représenter conformément à l’article 28-4 du Règlement susvisé n’est pas fondé dans la mesure où il ressort des pièces du dossier que le signataire dudit mandat, Stéphanie DIAKITE, a dûment été habilité à cet effet par le représentant légal de STEL. ;
Qu’enfin il ne saurait être reproché à une partie à une procédure devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’avoir produit des pièces en anglais, dès lors que depuis l’adoption du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique le 17 Octobre 2008 à Québec, l’article 42 a été modifié et l’anglais est, au même titre que le français, l’espagnol et le portugais, une langue de travail de l’OHADA ;
Attendu qu’il y a lieu en conséquence de rejeter ces exceptions et de déclarer le recours de la STEL, qui a été introduit dans les formes et délai prévus, recevable ;
Sur le second moyen du recours
Attendu que la STEL fait notamment grief à l’arrêt dont pourvoi d’avoir méconnu les dispositions des articles 12 et 14 de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution en se fondant sur la différence existant entre le montant mentionné dans l’ordonnance d’injonction de payer et celui retenu dans le jugement rendu sur opposition en relevant qu’il est passé de 344 394 690 FCFA « avec intérêt au taux légal majoré » à 306 327 700 FCFA dans le jugement sur opposition, sans que ne soit précisé ni « le pourcentage appliqué, ni la période de référence », pour en conclure que la créance ne répond pas aux critères exigés par l’Acte uniforme susvisé, alors qu’en allouant la somme de 306 327 700 FCFA, le juge d’instance indique expressément dans ses motifs qu’il a appliqué au montant du crédit documentaire qui est de 658 506,39 dollar US un taux de change du dollar US estimé à 450 FCFA, ce qui permet d’avoir 296 327 700 FCFA en principal, auquel il a souverainement ajouté le montant des frais, avant de débouter la STEL de ses autres prétentions, « notamment les intérêts légaux, les intérêts majorés, les pénalités de retard » non prouvés ;
Attendu qu’aux termes des dispositions combinées des articles 12 et 14 de l’Acte uniforme susvisé, « la juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation … [et] statue immédiatement sur la demande en recouvrement, même en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une décision qui aura les effets d’une décision contradictoire [et qui] … se substitue à la décision portant injonction de payer » ;
Qu’ainsi, le juge saisi de l’opposition à injonction de payer connaît de l’entièreté du litige et rend, en cas d’échec de la tentative de conciliation des parties, une décision qui se substitue à l’ordonnance d’injonction de payer en examinant tous les aspects du litige et, sans méconnaître les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité de la créance, peut en arrêter le montant au regard des pièces et des textes applicables ;
Qu’en conséquence, en fondant sa décision de réformation sur une différence du montant de la créance retenu dans l’ordonnance d’injonction de payer et dans le jugement d’instance, l’arrêt incriminé a violé les textes suscités ;
Attendu qu’il échet en conséquence, sans qu’il y ait besoin d’examiner le premier moyen du pourvoi, de casser l’arrêt sus référencé et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que la STEL a sollicité dans l’instance d’appel la confirmation en toutes ses dispositions du jugement n° 403 du 30 juillet 2008 du Tribunal de Commerce de Bamako dont le dispositif est le suivant : « … Dit que l’ordonnance d’injonction de payer de céans sortira ses plein et entier effet pour la somme de 306 327 700 FCFA … » tandis que la BCS a conclu à son infirmation ;
Attendu qu’il apparaît à l’examen des faits soumis à l’appréciation de la juridiction saisie sur opposition tels qu’énoncés ci-dessus que la créance ayant une cause contractuelle est matérialisée dans un crédit documentaire dont la réalisation était subordonnée à la production de documents afférents à l’opération de vente ;
Qu’en dépit de la remise desdits documents approuvés expressément par la SNF par lettre en date du 31 mai 2007, la BCS s’est abstenue de payer au motif que certains de ces documents n’étaient pas conformes aux « Règles et Usances Uniformes 500 » de la Chambre de commerce internationale sans démontrer en quoi cette non-conformité mettait en doute le caractère de certitude, de liquidité et d’exigibilité de la créance comme l’a relevé la juridiction statuant sur opposition ;
Attendu toutefois, que même si les motifs du jugement sur opposition sont pertinents au regard du caractère certain, liquide et exigible de la créance de la STEL, la formulation retenue dans ce jugement, consistant à vouloir faire sortir à l’ordonnance d’injonction de payer « son plein et entier effet », est inadéquate au regard des dispositions combinées des articles 12 et 14 sus énoncées qui prévoient que « la juridiction saisie sur opposition … statue … par une décision qui aura les effets d’une décision contradictoire [ et qui] … se substitue à la décision portant injonction de payer » ;
Qu’il échet en conséquence de réformer le jugement entrepris sur ce point et statuant à nouveau, condamner la BCS à payer la somme de 306 327 700 FCFA à la STEL ;
Sur les dépens
Attendu qu’il y a lieu de condamner la BCS qui succombe aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare recevable le pourvoi de la Société TRIGON ENERGY LTD ;
Casse l’Arrêt N° 49 en date du 08 juillet 2009 de la Cour d’appel de Bamako (République du Mali),
Evoquant,
Et réformant le jugement n° 403 en date du 30 juillet 2008 du Tribunal du commerce de Bamako, condamne la Banque Commerciale du Sahel à payer la somme de trois cent six millions trois cent vingt sept mille sept cent francs CFA (306 327 700 FCFA) à la Société TRIGON ENERGY LT ..
La condamne également aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef