ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Première chambre

Audience publique du 02 mars 2017       

Pourvoi : n° 015/2015/PC du 29/01/2015        

Affaire :    Société Trans-Roulements CI  

      (Conseils : Cabinet EMERITUS, Avocats à la Cour)

 

                  Contre

          

Société Commerce et Distribution de Produits Alimentaires Congelés dite CODIPAC

      (Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)

ARRET N° 030/2017 du 02 mars 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), première chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 02 mars 2017 où étaient présents :

 

Madame Flora DALMEIDA MELE,                                      Présidente, rapporteur

Messieurs Marcel SEREKOISSE SAMBA,                               Juge

Robert SAFARI ZIHALIRWA,                                                   Juge

et Maître Edmond Acka ASSIEHUE                                   Greffier ;

 

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 29/01/2015  sous le n°015/2015/PC et formé par le cabinet EMERITUS, Avocats associés, demeurant à Cocody , II plateaux les Vallons, rue  du Burida, J 81 , villa n° 16 , BP 73, Post ’Entreprises Abidjan Cedex, agissant au nom et pour le compte de la Société Trans-Roulements CI SARL dont le siège social est situé à Abidjan, zone 3, angle rue des Brasseurs et rue de l’industrie, 15 BP 737 Abidjan 15, représentée par monsieur SAMI AJAMI, son gérant, demeurant en cette qualité au siège de ladite société, dans la cause l’opposant à la Société CODIPAC agissant aux poursuites et diligences de son gérant, monsieur HOTAIT Ahmad, demeurant à Abidjan 18 BP 2981 18, ayant pour conseil, maître Agnès OUANGUI, avocat à la Cour,  demeurant au 24 boulevard  Clozel, immeuble  SIPIM, 5ème étage, 01 BP 1306 Abidjan 01,en cassation de l’arrêt n°354 rendu le 30 mai 2014 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

 

Ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle général sous les numéros RG 418/2013 et RG491/2013 ;

 

En la forme :

Déclare la société TRANS-ROULEMENTS CI Sarl d’une part, et la Société Commerce et Distribution de Produits Alimentaires Congelés  dite CODIPAC d’autre part, recevables en leurs appels respectivement relevés du jugement n°45 rendu le 16 Mai 2013 par le Tribunal de Commerce d’Abidjan ;

 

Au fond

Déclare la Société TRANS-ROULEMENTS CI Sarl mal fondée en son appel et l’en déboute ; Dit en revanche la Société Commerce et Distribution de Produits Alimentaires Congelés dite CODIPAC bien fondée en son appel ;

 

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que la Société TRANS-ROULEMENTS CI Sarl, a droit à une indemnité d’éviction ;

 

Statuant à nouveau sur ce point :

Dit et juge qu’il n’y a pas lieu en l’état à une indemnité d’éviction et rejette comme mal fondée, cette demande de la Société TRANS-ROULEMENTS CI Sarl ;

Confirme le jugement querellé en ses autres dispositions ;

 

Condamne la Société TRANS-ROULEMENTS CI Sarl aux dépens. » ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent dans sa requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la société TRANS-ROULEMENTS CI a loué depuis avril 1984, un immeuble à usage commercial sis à Abidjan Treichville, angle rue des Brasseurs et rue de l’industrie ; qu’après des ventes successives de l’immeuble, elle a conclu avec la société RMG, dernière propriétaire, un bail à usage commercial  d’une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, courant à compter du 1er janvier 2008 ; que suite à la vente de l’immeuble, la société CODIPAC, nouveau propriétaire a fait signifier un exploit de congé aux fins de reconstruction de l’immeuble à la société TRANS-ROULEMENTS CI qui l’a assignée par devant le Tribunal de commerce d’Abidjan en contestation de congé et en paiement d’une indemnité  d’éviction ; que le 16 mai 2013, le Tribunal de commerce d’Abidjan a rendu la décision n°045/2013 jugeant que TRANS-ROULEMENTS CI avait droit au paiement d’une indemnité d’éviction mais l’en a débouté et a ordonné son expulsion des lieux ; que sur appels principal et incident, la Cour d’appel d’Abidjan a rendu le 30 mai 2014 l’arrêt n°354 dont pourvoi ;

 

Sur le premier moyen

 

Vu l’article 127 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ;

 

Attendu que la requérante fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 127 de l’Acte uniforme portant droit commercial général en ce que pour la débouter de sa demande en paiement de l’indemnité d’éviction, la Cour s’est fondée sur de simples affirmations de CODIPAC relatives aux plans des constructions projetés qui permettront de reloger la société TRANS-ROULEMENTS alors, selon le moyen, que le bailleur doit justifier les travaux projetés par la production d’éléments objectifs qui prouvent à leur seule analyse, la possibilité  de relocation du preneur ;

 

Attendu qu’aux termes de l’article 127 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, « Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler d’indemnité d’éviction, dans les cas suivants :

…….

2°) s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux, et de le reconstruire.

Le bailleur doit dans ce cas justifier de la nature et de la description des travaux projetés.

 

Le preneur a le droit de rester dans les lieux jusqu’au commencement des travaux de démolition, et il bénéficie d’un droit de priorité pour se voir attribuer un nouveau bail dans l’immeuble reconstruit.

Si les locaux reconstruits ont une destination différente de celle des locaux objets du bail, ou s’il n’est pas offert au preneur un bail dans les nouveaux locaux, le bailleur doit verser au preneur l’indemnité d’éviction prévue à l’article 126 ci-dessus. » ; qu’il résulte de cet article que le bailleur a l’obligation de justifier les travaux pour permettre d’apprécier si les locaux reconstruits offrent au preneur les mêmes conditions d’exploitation que celles qu’elles avaient dans le premier local ; qu’en décidant  que CODIPAC, bailleresse, produit des  plans des constructions projetées dont elle affirme qu’elles permettront de reloger la société TRANS-ROULEMENTS et que sur la base de ces affirmations, en l’état, il n’ y a pas lieu à indemnité d’éviction sans justifier, comme le prescrit l’article 127, la possibilité de relocation de TRANS-ROULEMENTS CI aux mêmes conditions d’exploitation, la Cour d’appel a commis le grief visé au moyen et expose ainsi son arrêt à la cassation sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que la société  TRANS-ROULEMENTS CI demande à la Cour de céans, qu’après cassation de l’arrêt attaqué, d’évoquer et statuant à nouveau, d’homologuer les rapports d’expertise du cabinet KADJANE et de contre-expertise de Monsieur CAUMEUTH ; de dire et juger  que les lieux  reconstruits tels que prévus par la société  CODIPAC ne permettront  pas la relocation  de la société TRANS-ROULEMENTS CI ; de dire et juger  que la société TRANS-ROULEMENTS CI a droit  au paiement  d’une indemnité  d’éviction  préalable à la libération des lieux ; de constater que la société TRANS-ROULEMENTS CI a  justifié en cause d’appel la somme de 739.500.000FCFA ; de dire et juger  bien fondée la demande de la société TRANS-ROULEMENTS CI  tendant à l’actualisation  du montant  de son indemnité d’éviction qui n’a cessé de s’accroître depuis son expulsion  vu la perte d’exploitation  de son activité semi-industrielle ;  de condamner en conséquence la société  CODIPAC à lui payer  la somme de 834.653.171 FCFA à titre d’indemnité d’éviction ; de condamner CODIPAC aux entiers dépens ;

Qu’elle soutient qu’elle est locataire dans un immeuble qui a été vendu à la société CODIPAC ; qu’après maintes tentatives de résilier son contrat pour déchéance de son droit au renouvellement du contrat soldées par l’arrêt n°619 du 20 juillet 2012 de la Cour d’appel d’Abidjan reconnaissant le renouvellement de son contrat, CODIPAC lui a servi un congé justifié par la démolition de l’immeuble pour reconstruction ; qu’elle a contesté le congé et assigné CODIPAC  en paiement de l’indemnité d’éviction devant le tribunal de commerce d’Abidjan qui a rendu le 16 mai 2013 le jugement n°045/2013 dont le dispositif est le suivant :

 

« PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort ;

Vu le jugement avant-dire droit du 28 mars 2013 ;

Homologue le rapport d’expertise ;

Dit que les lieux reconstruits tels que prévus par la société CODIPAC ne permettront pas de reloger la société TRANS-ROULEMENTS sans modifier son mode d’exploitation ;

Dit que la société TRANS-ROULEMENTS a droit à une indemnité ;

Constate que la somme de sept cent trente-neuf millions cinq cent deux mille (739 502 000) F CFA sollicitée à ce titre n’est pas justifiée par la société TRANS-ROULEMENTS ;

La déboute de sa demande en paiement ;

Reçoit CODIPAC en sa demande reconventionnelle ;

L’y dit partiellement fondée ;

Dit que la société TRANS-ROULEMENTS devra libérer les lieux loués ;

Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la société TRANS-ROULEMENTS aux dépens. » ;

Qu’elle excipe que bien que les différents experts commis aient conclu que les plans prévus par CODIPAC ne permettront pas de la reloger sans modifier son mode d’exploitation, le tribunal de commerce reconnaissant qu’elle avait droit à l’indemnité d’éviction, l’en a débouté pour non justificatifs du montant réclamé en dépit des états financiers qu’elle a produits ;

Attendu que la CODIPAC rétorque que la demande de la société TRANS-ROULEMENTS CI est mal fondée puisqu’elle a été en mesure d’établir qu’elle peut reloger en priorité son locataire dans les mêmes conditions que les précédentes et  que les locaux  n’étant pas encore  reconstruits, sa demande d’indemnité d’éviction est prématurée  ; qu’elle soutient que la société TRANS-ROULEMENTS CI  ne peut prétendre bénéficier du paiement d’un montant à titre d’une indemnité d’éviction dans la mesure où  le rapport d’expertise a été fait à partir  de pièces émanant uniquement d’elle et qui pour certaines, sont revêtues non pas du cachet des services des impôts mais simplement du cachet de la société  et, d’autres sont basées sur des évaluations  non justifiées  par des pièces probantes ;

Sur la demande de l’indemnité d’éviction

Attendu qu’aux termes du congé pour démolition daté du 16 août 2012 donné à la société TRANS-ROULEMENTS CI, la démolition était envisagée pour la construction d’un hangar devant abriter une chambre froide pour les activités de CODIPAC et un bâtiment composé de bureaux et d’appartements bâti en R+3 ; que nulle part, la relocation de TRANS-ROULEMENTS CI n’était prévue ; qu’un second jet de plans d’un immeuble R+7 avec sous-sol,  commerces au rez de chaussée  bureaux et habitations aux étages supérieurs objet de permis de construire a été produit ; que la relocation de la société TRANS-ROULEMENTS CI dans l’immeuble à reconstruire relevant d’une appréciation technique vu l’activité semi industrielle exploitée dans les locaux par la société par l’utilisation de certains produits à risque, les rapports d’expertise judiciaire du cabinet KADJANE et contre-expertise judiciaire du CAUMAUETH établis sur la base des plans et justifiés par un permis de construire ont conclu à l’impossibilité de relocation de TRANS-ROULEMENTS CI dans l’immeuble à reconstruire ; que dès lors, les locaux construits ayant une destination différente de la précédente , ils ne pourront pas permettre  de reloger  TRANS-ROULEMENTS CI sans modifier son mode d’exploitation ; que selon l’article 127 in fine de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, l’indemnité d’éviction est due si le preneur ne peut être relogé dans le local reconstruit ou si celui-ci n’a pas la même destination que le précédent ; qu’il est constant que TRANS-ROULEMENTS CI ne peut être relogée ; qu’elle est donc fondée à obtenir une indemnité d’éviction préalable à son expulsion qui a été effective depuis le 15 décembre 2014 tel qu’il ressort du procès-verbal d’expulsion dressé par huissier de justice ;

 

Sur le montant de l’indemnité d’éviction

Attendu que la société TRANS-ROULEMENTS CI sollicite le paiement d’une indemnité d’éviction qu’elle fixe à la somme de 739 500 000 FCFA qu’elle actualise à celle de 834 653 171 FCFA vu la perte d’exploitation de son activité semi-industrielle depuis son expulsion ;

Attendu que CODIPAC soutient que cette indemnité ne se justifie pas dans la mesure qu’elle peut reloger TRANS-ROULEMENTS CI ; qu’en outre les pièces justifiant l’allocation de l’indemnité d’éviction ne comportent pas pour certains le cachet des services des impôts ;

Attendu qu’aux termes de l’article 126, alinéa 2 de de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général : « à défaut d’accord sur le montant  de cette indemnité, celle-ci  est fixée par la juridiction  compétente  en tenant compte  notamment  du montant  du chiffre  d’affaires, des investissements réalisés  par le preneur, de la situation géographique du local  et des frais  de déménagement imposés  par le défaut de renouvellement » ;

Attendu qu’au soutien de sa demande, la  société TRANS-ROULEMENTS CI  a produit une attestation  de déclaration de chiffres d’affaires pour les exercices 2009, 2010, 2011, 2012 et 3 mois pour 2013 certifiés par la direction générale des impôts le 10 juin 2013 et les différents états financiers y relatifs comportant les cachets de la direction des impôts ; que la société TRANS-ROULEMENTS CI  a été expulsée des lieux alors que les constructions n’avaient pas encore commencé et ce jusqu’à ce jour, lui occasionnant des frais de déménagement et d’emménagement dans un nouvel espace qui ne répond pas à ses besoins en matière de bureaux, usine stockage et entrainant la chute de son chiffre d’affaire puisque ne pouvant plus mener à bien ses activités ; qu’au vu des éléments d’appréciation dont elle dispose, la Cour fixe l’indemnité d’éviction à la somme de cinq cent millions (500 000 000) FCFA ;

Sur la demande de la société CODIPAC

Attendu qu’ayant été démontré plus haut que la relocation de TRANS-ROULEMENTS CI n’est pas évidente au vu des différents rapports d’expertise judiciaires et qu’une indemnité d’éviction a été allouée à TRANS-ROULEMENTS CI, il convient de débouter CODIPAC de ses demandes ;

Attendu qu’ayant succombé, la société CODIPAC doit être condamnée aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Déclare recevable le pourvoi ;

Casse l’arrêt attaqué ;

Evoquant et statuant sur le fond :

Infirme le jugement n°045/2013 rendu le 16 mai 2013 par le Tribunal de commerce d’Abidjan en ce qu’il a débouté la société TRANS-ROULEMENTS CI de sa demande en paiement d’indemnité d’éviction et reçu la demande reconventionnelle de CODIPAC ;

Statuant à nouveau,

Condamne CODIPAC à payer à la société TRANS-ROULEMENTS CI la somme de 500 000 000 FCFA à titre d’indemnité d’éviction ;

La déboute du surplus de sa demande ;

Déboute CODIPAC de ses demandes ;

Condamne CODIPAC aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

La Présidente

Le Greffier