ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième Chambre
Audience Publique du 03 juillet 2008
Pourvoi : n° 119/2004/PC du 21 décembre 2004
Affaire : Société Burkina et Shell
(Conseil : Maître Harouna Sawadogo, Avocat à la Cour)
contre
OUEDRAOGO Sibiri Philippe
(Conseil : Maître Mamadou Sombie, Avocat à la Cour)
ARRET N°036/2008 du 03 juillet 2008
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 03 juillet 2008 où étaient présents :
- Antoine Joachim OLIVEIRA, Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge, rapporteur
Boubacar DICKO, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 21 décembre 2004 sous le n° 119/2004/PC et formé par Maître Harouna Sawadogo, Avocat au Barreau du Burkina Faso, au nom et pour le compte de la société Burkina et Shell, société anonyme mixte dont le siège social est à Ouagadougou, Place des Nations Unies, dans une cause opposant cette dernière à Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe, ayant pour Conseil Maître Mamadou Sombie, Avocat à la Cour, 01 B.P. 4665 Ouagadougou 01,en cassation de l’Arrêt n° 84 rendu par la Cour d’appel de Ouagadougou le 16 juillet 2004 et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
En la forme
Déclare l’appel de la société Burkina et Shell et l’appel incident de OUEDRAOGO Sibiri Philippe recevables ;
Au fond
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
Condamne la société Burkina et Shell aux dépens – » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe, propriétaire d’un terrain nu de 2020m², sis à Ouagadougou, à la Cité 1200 logements, à l’angle des rues Babaginda et Boinceyaar, l’a loué suivant contrat de bail en date du 30 janvier 1991 et avenant n°1 du 1er juin 1991, à la société Burkina et Shell, à raison de 100.000 F CFA de loyer mensuel ; que par la suite, la société Burkina et Shell a édifié sur ce site les constructions suivantes :
-une station d’essence comprenant 6 pompes, une boutique de lubrifiants, un magasin, un compartiment de lavage de véhicules et un compartiment dans lequel se font les graissages ;
-un kiosque à café, un restaurant et un Télécentre ; que par lettre en date du 26 février 2002, Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe a manifesté son intention de réviser le loyer à la hausse en le portant à 800.000 francs CFA ; que face au mutisme de la société Shell et Burkina, il a saisi le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, sur le fondement des articles 84 et 85 de l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général, aux fins de révision du loyer en le portant à 800.000 F CFA par mois ; qu’il a demandé en outre à ladite juridiction, en l’absence d’une clause de révision, de dire que le loyer sera révisé à concurrence de 30 % de son montant en cours à l’expiration de chaque période triennale ; que le Tribunal de grande instance de Ouagadougou a accédé à la demande de révision du loyer en le ramenant cependant à 400.000 francs CFA par mois et a débouté Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe du surplus de sa demande ; que contre cette décision du Tribunal, la Société Burkina et Shell a interjeté appel pour, principalement, voir celle-ci infirmer et débouter Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe de toutes ses prétentions et subsidiairement, demander à la Cour de tenir compte du taux d’inflation dans la fixation du loyer ; que l’adversaire de la requérante a également relevé appel du jugement entrepris à l’effet, par la Cour, de faire droit à l’intégralité de ses demandes ; que la Cour d’appel de Ouagadougou, par Arrêt n° 84 du 16 juillet 2004, objet du présent pourvoi, a confirmé la décision du Tribunal en toutes ses dispositions ;
Sur le moyen unique
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 85 de l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général, en ce qu’en portant le nouveau loyer à 400.000 F CFA, les juges du fond ont, non seulement procédé à une augmentation de plus de 300 %, mais aussi n’ont pas pris en compte les loyers pratiqués dans des locaux similaires comme l’exige l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé ; que la société Burkina et Shell fait observer également que l’augmentation pratiquée ne saurait trouver son fondement dans l’exploitation complémentaire du terrain, puisque le contrat conclu avec Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe consistait en l’exploitation d’un terrain nu aux fins de construction de toutes installations nécessaires à la vente de produits pétroliers ; que toujours selon la requérante, il s’ensuit que le bail ne concernant que le terrain nu, seule sa valeur locative devait servir de référence à la révision ; que la révision qui a pris en compte les constructions et installations réalisées traduit une application erronée de la loi et une mauvaise appréciation des faits par le juge d’appel, car si l’on estime les constructions érigées contraires à l’objet du contrat, cela ne devrait donner lieu qu’à une résolution judiciaire pour inexécution des obligations contractuelles ; que la base de révision ne pouvant non plus avoir pour assiette les chiffres d’affaires réalisés par la requérante qui soutient que le terrain litigieux n’est pas situé dans un centre commercial et que ni le Jugement n° 236/2003 du 14 mai 2003 ni l’arrêt querellé n’ont retenu ce critère ; que la requérante relève que la superficie de 2020m² invoquée par son adversaire n’est pas conforme à la superficie mentionnée dans le permis d’exploiter qui l’évalue à 1218m² ; qu’elle fait remarquer que l’argument soulevé par Monsieur OUEDRAOGO Sibiri Philippe tendant à justifier la révision du loyer par la transformation des lieux loués, n’ayant pas été soulevé devant les juridictions du fond est un moyen nouveau qui ne saurait être présenté pour la première fois devant la Cour de céans ; qu’elle relève qu’aux termes de l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé, la fixation du nouveau loyer prend en compte :
-la situation des locaux ;
-leur superficie ;
-l’état de vétusté et le prix des loyers commerciaux similaires couramment pratiqués ; qu’en application de ce dernier alinéa, le juge peut rechercher des critères à même de permettre la détermination d’un taux variable ; que l’article 21 du Décret n° 52-765 du 30 juin 1952 réglementant les rapports entre locataires et bailleurs en ce qui concerne le renouvellement des baux d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en Afrique Occidentale française, dispose que le taux de variation du coût des loyers ne peut excéder 25 % ; que pour toutes les raisons qui précèdent, la requérante demande à la Cour de céans de casser et annuler l’Arrêt n° 84 rendu le 16 juillet 2004 par la Cour d’appel de Ouagadougou ;
Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 85 de l’Acte uniforme précité, « A défaut d’accord écrit entre les parties sur le nouveau montant du loyer, la juridiction compétente est saisie par la partie la plus diligente pour fixer le montant du nouveau loyer, la juridiction compétente tient notamment compte des éléments suivants :
-la situation des locaux ;
-leur superficie ;
-l’état de vétusté ;
-le prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux similaires ; d’autre part, que selon l’article 102 du même Acte uniforme, les dispositions de l’article 85 sont d’ordre public ; que ledit article ayant donné pouvoir au juge de fixer le montant du loyer en considération des éléments suscités, il ne saurait lui être opposé les dispositions du Décret susvisé ; qu’en outre, non seulement cet article 85 donne un pouvoir discrétionnaire d’appréciation aux juges du fond, mais il fixe également la liste des éléments dont le juge tient compte et de laquelle est exclu le montant du taux de variation de 25% prescrit par le Décret n° 52-765 du 30 juin 1952 ; d’où il suit que cette disposition du Décret étant contraire à l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé, le moyen doit être rejeté parce que non fondé ;
Attendu que la Société Burkina et Shell ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi formé par la Société Burkina et Shell contre l’Arrêt n°84 rendu le 16 juillet 2004 par la Cour d’appel de Ouagadougou ;
Condamne la requérante aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef