ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 09 mars 2017
Pourvoi : n° 074/2014/PC du 23/04/2014
Affaire : 1- Maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien
2- Maitre KONE Catherine
(Conseil : Maître KONE Catherine, Avocat à la Cour)
contre
Madame EZAN née KOUAME Aya
(Conseils : SCPA KANGA-OLAYE & Associés, Avocats à la Cour)
ARRET N° 035/2017 du 09 mars 2017
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 09 mars 2017 où étaient présents :
Messieurs Mamadou DEME, Président, rapporteur
Idrissa YAYE, Juge
Fodé KANTE, Juge
et Maître Alfred Koessy BADO, Greffier ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 23 avril 2014, sous le n°074/2014/PC et formé par Maître KONE Catherine, Avocate à la Cour d’Appel d’Abidjan, y demeurant, 13, Avenue CROSSON DUPLESSIS, Résidence DIANA, 5ème étage, 01 BP 8577 Abidjan 01, et Maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien, Avocat demeurant Boulevard de la République, Angle 2, Avenue Lamblin dans la cause les opposant à madame EZAN née KOUAME Aya commerçante, demeurant à Abidjan Cocody les 2 Plateaux, 06 B.P 1666 Abidjan 06, assisté par la SCPA KANGA-OLAYE & ASSOCIES, avocats à la cour d’appel d’Abidjan, y demeurant Cocody, Route du Lycée technique, immeuble CODIPAS, en cassation de l’Arrêt n°126/14 rendu le 14 février 2014 par la cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;
EN LA FORME
Déclare KONE Catherine, Marie Pascale KOUASSI ADEH, TIACOH TEKO Anne Marie, KAUDJHIS OFFOUMOU, HOUNKANRIN Cyprien, ATTOUMBRE YAO et ASSI Jean Sylvain recevable en leur appel relevé du jugement civil contradictoire n°1279/2013 CIV-1ère F rendu le 18 juillet 2013 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan ;
AU FOND
Les y dit mal fondés ; les en déboute ;
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Condamne les appelants aux dépens. » ;
Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les quatre moyens de cassation tels qu’ils figurent à leur requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Fodé KANTE, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 15 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que suivant divers contrats de bail à usage professionnel, les demandeurs au pourvoi ainsi que d’autres personnes ont pris des appartements dans l’immeuble Thomasset sis au Plateau d’Abidjan, appartenant à madame EZAN née KOUAME AYA ; que conclus pour deux années renouvelables, lesdits contrats ont pu être renouvelés plusieurs fois en ce qui concerne les recourants, par tacite reconduction jusqu’en 2012 ; que pour la dernière reconduction, la propriétaire a comme d’habitude, par courrier en date du 24 novembre 2011 à eux adressé, demandé à tous les locataires de l’immeuble, de se rendre au service des domaines et de l’enregistrement en vue de payer les droits d’enregistrement liés au renouvellement de leur contrats pour l’année 2012 ; que deux mois après, elle leur a adressé par l’entremise du gérant de l’immeuble, un autre courrier en date du 23 janvier 2012 ayant pour objet : « préavis de résiliation du contrat de bail » avec effet à compter du 31 juillet 2012, et invoquant comme motif de résiliation, la réhabilitation de l’immeuble ; que par correspondance en date du 20 mars 2012, répondant à la demande d’éclairage de Maître KONE Catherine sur la nature des travaux de cette réhabilitation, ledit gérant de l’immeuble a indiqué qu’il s’agissait simplement de travaux de réfection de l’immeuble pour régler « les nombreux problèmes d’étanchéité et de plomberie» et nullement de démolition, tout en précisant que si les locataires n’entendaient pas libérer les locaux à l’occasion des travaux, il leur fallait faciliter la tâche aux techniciens en autorisant qu’ils accèdent à leurs bureaux respectifs ; que par la suite, madame EZAN née KOUAME AYA a fait servir aux locataires, suivant exploit en date du 25 avril 2012, de Maître DIODAN KOUTOUAN Joséphine, huissier de Justice à Abidjan, un congé de trois mois pour libérer les lieux, en application de la loi n°77-995 du 18 décembre 1977 régissant les rapports entre bailleurs et locataires ou occupants des locaux d’habitation et à usage professionnel ; qu’estimant que leurs droits n’ont pas été respectés, les locataires ont saisi le tribunal de première instance d’Abidjan en contestation de congé et ont réclamé le paiement d’une indemnité d’éviction ; que par jugement n°1279/CIV 1ère F rendu le 18 juillet 2013, le tribunal a débouté les locataires de leurs demandes et a ordonné reconventionnellement leur expulsion de l’immeuble Thomasset ; que sur appel de ces derniers, la cour d’appel d’Abidjan a, par arrêt n°126 rendu le 14 février 2014 dont pourvoi, confirmé le jugement attaqué ;
Sur le deuxième moyen de cassation
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 127 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général en ce que le congé donné par madame KOUAME ne contenait pas le descriptif et la nature des travaux envisagés alors, selon le moyen, que suivant les dispositions de l’article susvisé qui sont d’ordre public, le bailleur en pareil cas est tenu de produire ces justificatifs ;
Attendu en effet, qu’aux termes de l’article 127 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général : « Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler l’indemnité d’éviction, dans les cas suivants : …2°) s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux loués, et de le reconstruire. Le bailleur doit dans ce cas justifier de la nature et de la description des travaux projetés… » ; qu’il en découle que le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du bail sans avoir à régler l’indemnité d’éviction, entre autres, que s’il justifie devoir démolir l’immeuble comprenant les lieux loués et de le reconstruire ; qu’en l’espèce, il est acquis que le congé du 25 avril 2012 ne contient aucun justificatif de la nature et de la description des travaux projetés ; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué encourt cassation et qu’il y a lieu d’évoquer sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit du 26 septembre 2013, KONE Catherine, Marie-Pascale KOUASSI ADEH, TIACOH TEKO Anne-Marie, KAUDJHIS OFFOUMOU, HOUNKANRIN Cyprien, ATTOUMBRE YAO et ASSI Jean Sylvain ont relevé appel du jugement n°1279/2013 CIV-1ère F rendu le 18 juillet 2013 par le tribunal de première instance d’Abidjan dans la cause les opposant à madame EZAN née KOUAME AYA, et dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort ;
*SUR LA DEMANDE PRINCIPALE DE KONE CATHERINE & (06) AUTRES
-Dit que le motif des congés servi aux demandeurs est légitime ;
-Déclare en conséquence mal fondée et rejette comme telle les demandes en contestation des congés et en paiement d’une indemnité d’éviction de KONE Catherine, Marie-Pascale KOUASSI ADEH, TIACOH TEKO Anne-Marie, KAUDJHIS OFFOUMOU, HOUNKANRIN Cyprien, ATTOUMBRE YAO et ASSI Jean Sylvain ;
*SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE EN EXPULSION DE DAME KOUAME AYA MADELEINE épouse EZAN
-L’y dit bien fondée ;
-Ordonne l’expulsion de KONE Catherine, Marie-Pascale KOUASSI ADEH, TIACOH TEKO Anne-Marie, KAUDJHIS OFFOUMOU, HOUNKANRIN Cyprien, ATTOUMBRE YAO et ASSI Jean Sylvain, des lieux loués, tant de leurs personnes de leurs biens, que de tous occupants ;
-Met les dépens à leur charge ; »
Qu’au soutien de leur appel, ils demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, les recevoir en leurs contestations, prononcer la nullité des congés donnés par la propriétaire, faire droit à toutes les demandes en paiement d’une indemnité d’éviction et en paiement de dommages et intérêts ;
Attendu qu’en réplique, l’intimée sollicite que la cour d’appel confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et fait valoir en tout état de cause, que leur demande de maintien dans les lieux loués est devenu sans objet, tous ayant déjà quitté l’immeuble sans contrainte ;
Sur la régularité du congé
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation tirée de la violation de l’article 127 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, il y a lieu d’infirmer le jugement n°1279/2013 CIV-1ère F rendu le 18 juillet 2013 par le tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau en ce qu’il a dit que le motif des congés servis aux demandeurs est légitime et, statuant à nouveau, d’invalider les congés servis les 23 janvier et 25 avril 2012 ;
Sur la demande en paiement d’une indemnité d’éviction
Attendu que la violation de l’article 126 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général étant démontrée à l’égard des congés donnés les 23 janvier et 25 avril 2012, il y lieu de faire droit aux demandes en paiement d’une indemnité d’éviction des locataires ; qu’au regard de la durée d’occupation des locaux professionnels soit 15 ans pour maître KONE Catherine et 20 ans pour maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien, et de l’emplacement géographique des lieux sis au Plateau d’Abidjan, il convient d’allouer à chacun d’eux, une indemnité d’éviction de 5.000.000 F CFA afin de couvrir les frais de déménagement et autres frais induits du fait du changement d’adresse professionnelle ;
Sur la demande en paiement de dommages et intérêts
Attendu qu’en plus des faits préjudiciables indiqués ci-dessus, les appelants exposent à l’appui de leurs demandes en paiement de dommages intérêts, que contrairement à l’affirmation de l’intimée selon laquelle tous les locataires ont quitté l’immeuble de leur plein gré, qu’ils ont plutôt subi des troubles de jouissance répétés et continus de la part de celle-là qui venait pourtant de renouveler leur bail ; qu’elle n’a pas hésité à recourir à des voies de fait pour obtenir le départ forcé de tous ; que pour rapporter la preuve de ces allégations, les appelants produisent aux débats, le procès-verbal de constat de fermeture de porte en date du 27 février 2014, dressé à la requête de madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE par maître KONE Soumaïla, huissier de justice à Abidjan, le procès-verbal d’ouverture de portes en date du 03 mars 2014, dressé à la requête de madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE par le même huissier de justice visant les locaux occupés par les appelants ainsi que le procès-verbal de constat en date des 08, 09 et 10 avril 2013, dressé à la requête de maître KONE Catherine et deux autres, par maître EDMOND ABOU AGAH, huissier de justice à Abidjan ; qu’il ressort de ces procès-verbaux, que les lieux loués ont été par moment fermés et interdits d’accès aux locataires ce, avant le départ de ces derniers des lieux ; que la preuve étant ainsi rapportée que les appelants ont subi des préjudices résultant de comportements fautifs de l’intimée, il y a lieu d’allouer à chacun des appelants maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien et maître KONE Catherine, la somme de 3.000.000 F CFA à titre de dommages et intérêts et de condamner madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE à leur payer cette somme ;
Attendu que madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’arrêt n°126/14 rendu le 14 février 2014 par la cour d’appel d’Abidjan ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Infirme le jugement n°1279/2013 CIV-1ère F rendu le 18 juillet 2013 par le tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau en ce qu’il a dit que le motif des congés servis aux demandeurs est légitime et, statuant à nouveau, invalide les congés servis les 23 janvier et 25 avril 2012 ;
Alloue à chacun des appelants maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien et maître KONE Catherine, une indemnité d’éviction de 5.000.000 F CFA à la charge de madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE ;
Alloue à chacun des appelants maître HOUNKANRIN Koffi Cyprien et maître KONE Catherine, la somme de 3.000.000 F CFA à titre de dommages et intérêts et condamne madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE à leur payer cette somme ;
Condamne madame EZAN née KOUAME AYA MARIE MADELEINE aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier