ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Deuxième chambre

Audience Publique du 29 décembre 2016

 

Pourvoi : n°004/2014/PC du 07/01/2014

 

Affaire : Madame Sitti DJAOUHARIA épouse CHIHABBIDINE

               (Conseils : SCPA Bilé-AKA, BRIZOUA-BI et Associés,

                        la SELARL AVOGAMA, Avocats à la Cour)

 

          Contre

 

Monsieur Ahmed KELDI

(Conseil : Maître Henri Valentin BOHOUSSOU, Avocat à la Cour)

 

                  

Arrêt N°201/2016 du 29 décembre 2016

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 29 décembre 2016 où étaient présents :

 

Messieurs    Abdoulaye Issoufi TOURE,                       Président

Namuano Francisco DIAS GOMES,              Juge

Djimasna N’DONINGAR,                          Juge, Rapporteur

 

et Maître Jean Bosco MONBLE,                Greffier,

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 07 janvier 2014 sous le n°004/2014/PC et formé par la SCPA BILE-AKA, BRIZOUA-BI & Associés, Avocats à la Cour, y demeurant, 7 boulevard Latrille, Cocody, 25 BP 945 Abidjan 25, agissant au nom et pour le compte de Madame Sitti DJAOUHARIA épouse CHIHABBIDINE gérante de société, demeurant à Moroni, aux Comores, dans la cause qui l’oppose à Monsieur Ahmed KELDI, gérant de société, demeurant à Moroni-Magoudjou, aux Comores, ayant pour Conseil Maître Henri Valentin BOHOUSOU, Avocat à la Cour, y demeurant à Abidjan-Plateau, 13 avenue Crosson-Duplessis, résidence « DIANA », 5ème étage, porte A15, 04 BP 883 Abidjan 04,en cassation de l’arrêt n°01/13, rendu le 02 janvier 2013 par la Cour d’appel de Moroni et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort.

La cour d’appel après avoir délibéré conformément à la loi ;

  • Reçoit les déclarations d’appels respectif de Madame Sitti Djaouharia SAID ZAINA et Monsieur Ahmed KELDI ;
  • Ordonne la jonction de deux procédures datées du 25/06/11 et celle du 19/09/11 ;
  • Reforme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

  • Constate que depuis 2007 à 2010, la comptabilité de la société MAKCOM n’a pas été faite, ni tenue au mépris de la législation nationale en matière de gestion de société commerciale ;
  • Dit que la mésentente entre les deux associés n’est pas à elle seule suffisante pour prononcer la dissolution judiciaire de la société MAKCOM ;
  • Constate que la santé financière de la société MAKCOM n’est pas mise en cause ;
  • Dit que la responsabilité de Sitti Djaouharia SAID ZAINA est en grande partie engagée pour la société MAKCOM ;
  • Prononce la révocation de la cogérante de madame Sitti Djaouharia SAID ZAINA de la société MAKCOM ;
  • Dit qu’à l’ouverture de la société MAKCOM, le nouveau gérant en la personne d’Ahmed Keldi est tenu d’établir préalablement un état des lieux qui sera réalisé par un expert-comptable assermenté par la cour d’appel de Moroni ;
  • Dit qu’une copie du rapport sera communiqué immédiatement à Madame Sitti Djaouharia SAID ZAINA, associée, pour information ;
  • Met fin à la mission de l’administration provisoire en la personne d’Ahmed Ibrahim ;
  • Dit que les frais de l’expert seront supportés par la société MAKCOM ;
  • Rejette les autres demandes ;
  • Ordonne l’exécution provisoire ;
  • Dis que les dépens seront partagés enttre les deux associés. » ;

 

Attendu que la requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation, tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur Djimasna N’DONINGAR, Juge ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par acte enregistré le 07 décembre 2004, Dame Said Zaina Sitti DJAOUHARIA et Monsieur Ahmed KELDI créaient la société MAKCOM, détenue à part égale par les deux associés qui en sont également co-gérants ; que suite à de graves mésententes entre eux, relatives à la gestion de l’entreprise et ayant abouti à la fermeture temporaire des locaux de la société sur réquisition du Procureur de la République, puis à la nomination d’administrateurs provisoires, le tribunal de première instance de Moroni, après avis d’expert désigné par ses soins, par jugement n°30/12 du 30 avril 2012, rejetait la demande de dissolution de la société formulée par Dame Said Zaina Sitti DJAOUHARIA et la déclarait responsable de la mauvaise tenue des états financiers de la société ; que la Cour d’appel de Moroni, sur appel des deux parties, a rendu le 02 janvier 2013 l’arrêt n°01/13 dont pourvoi ;

 

Sur la recevabilité du pourvoi

 

Attendu que dans son mémoire en réponse à la requête, reçu au greffe de la Cour de céans le 21 octobre 2014, Monsieur Ahmed KELDI, défendeur au pourvoi, demande in limine litis à la Cour de déclarer irrecevable le pourvoi formé par Dame Said Zaina Sitti DJAOUHARIA au motif que ce pourvoi, formalisé par une requête déposée le 07 janvier 2014, alors que la décision attaquée a été signifiée à la demanderesse au pourvoi par exploit d’huissier le 09 février 2013, est formé hors le délai des deux mois prévu à cet effet ;

 

Attendu qu’en réplique, la demanderesse soutient qu’il n’y a eu de signification ni au sens de l’article 24 du Règlement de procédure de la Cour de céans, ni au sens des dispositions des articles 659 et suivants du Code de procédure civile des Comores ; que le procès-verbal de remise excipé par le défendeur indique que la demanderesse était à l’aéroport pour un voyage au moment où l’huissier s’est présenté à son domicile ; qu’aucune diligence supplémentaire n’ayant été faite pour remettre l’acte à Madame Sitti, il apparaît clairement que, tant au regard des dispositions régissant la CCJA que de celles en vigueur au sein de l’Union des Comores, aucune signification de la décision ne peut être considérée comme étant intervenue ; qu’elle conclut au rejet de l’exception ;

 

Attendu que la régularité de la signification de l’arrêt déféré à la censure de  la Cour de céans doit être appréciée, non pas suivant les prescriptions du Règlement de procédure de la CCJA, mais en application des dispositions pertinentes du droit national de chaque Etat membre ; qu’ainsi, aux termes de l’article 659 du code de procédure civile Comorien, « la signification doit être faite à personne » ; que l’article 661 dudit code précise le cas où la signification à personne s’avère impossible : « si la personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l’acte et s’il résulte des vérifications faites par l’huissier de justice et dont il sera fait mention dans l’acte de signification que le destinataire demeure bien à l’adresse indiquée, la signification est réputée faite à domicile ou à résidence.

Dans ce cas, l’huissier de justice est tenu de remettre copie de l’acte au parquet le jour même ou au plus tard le premier jour où les services du parquet sont ouverts. Le procureur ou son substitut vise l’original et envoie la copie au chef de police ou de la gendarmerie local. Le procureur ou son substitut fait mention sur un répertoire de la remise et en donne récépissé.

L’huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence du destinataire un avis de passage conformément à ce qui est prévu à l’article précédent. Cet avis mentionne que la copie de l’acte doit être retirée dans le plus bref délai au parquet ou au bureau de police ou de gendarmerie le plus proche, contre récépissé ou émargement, par l’intéressé ou toute autre personne spécialement mandatée… » ;

 

Attendu qu’il ressort du procès-verbal de remise établi par l’huissier en date du 09 février 2013 à 11h30, que l’acte n’a pu être remis au destinataire et que son mari a refusé de prendre copie pour la lui remettre ; que l’huissier n’ayant ni déposé l’acte au parquet, ni laissé un avis de passage conformément au texte suscité, il s’ensuit que la signification de l’arrêt attaqué n’a pas été régulièrement faite à domicile ; qu’il échet en conséquence de déclarer le pourvoi formé par Dame Said Zaina Sitti DJAOUHARIA recevable ;

 

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 200 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE du 17 avril 1997.

 

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de dissolution de la société MAKCOM au motif que la personne à l’origine de la mésentente ne peut formuler une demande de dissolution judiciaire de la société pour mésentente, d’une part, et que, d’autre part, elle doit, en outre, apporter la preuve de justes motifs pour que son action prospère alors, selon le moyen, que l’origine de la mésentente et son imputabilité à un associé quelconque ne font pas partie des conditions posées par l’article 200 visé au moyen ; qu’en statuant ainsi, la cour a rajouté une condition qui n’est pas prévue par cette disposition selon laquelle la mésentente entre associés entrainant l’empêchement du fonctionnement normal de la société est un juste motif ;

 

Attendu en effet qu’aux termes de l’article 200 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE du 17 avril 1997, « la société prend fin (…) par la dissolution anticipée prononcée par la juridiction compétente à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas de (…) mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société… » ; qu’il ressort de l’examen des pièces versées au dossier de la procédure que la mésentente entre les deux associés est de telle nature que tout fonctionnement normal de la société MAKCOM est devenu impossible ; qu’en s’abstenant, dans ces conditions, de prononcer la dissolution sollicitée, la Cour d’appel de Moroni a fait une mauvaise application du texte visé au moyen ; qu’il échet de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit nécessaire d’analyser l’autre moyen ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que, par déclarations respectives en dates des 02 et 28 mai 2012, Dame Sitti DJAOUHARIA Said Zaina et Monsieur Ahmed KELDI, associés et co-gérants de la société MAKCOM, relevaient appel contre le jugement n°30/12 rendu le 30 avril 2012 par le tribunal de première instance de Moroni dans l’affaire les opposant et dont le dispositif est ainsi conçu : « Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale, et en premier ressort ;

  • Constate que depuis 2007 à mi-2010, la comptabilité de la société MAKCOM n’a pas été faite ni tenue, au mépris de la législation nationale en matière de gestion de société commerciale ;
  • Dit que la mésentente entre les deux associés n’est pas à elle seule suffisante pour prononcer la dissolution judiciaire de la société MAKCOM ;
  • Constate que la santé financière de la société MAKCOM n’est pas mise en cause et qu’il n’y a aucune raison valable d’ordonner sa dissolution judiciaire en ce moment précis ;
  • Dit que la responsabilité de madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA est en grande partie engagée pour la non tenue de la comptabilité et des états financiers de la société MAKCOM ;
  • Constate, au vu des pièces comptables versées au dossier qu’entre 2007 à mi 2010, il y a eu un écart de 59.544.192 FC dont l’utilisation n’a pas été justifiée ;
  • Dit que madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA est tenue de restituer ces 59.544.192 FC à la société MAKCOM ;
  • Dit que la société MAKCOM est débitrice envers monsieur Ahmed KELDI de la somme de 20.176.904 FC ;
  • Prononce la révocation de la cogérance de madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA de la société MAKCOM ;
  • Dit qu’à l’ouverture de la société MAKCOM, le nouveau gérant, en la personne de monsieur Ahmed KELDI, est tenu de d’établir préalablement un état des lieux qui sera réalisé par un expert-comptable assermenté près la cour d’appel de Moroni, de son choix ;
  • Dit qu’une copie du rapport complet dudit expert-comptable doit être communiqué immédiatement à madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA, associée de MAKCOM, pour information ;
  • Met fin à la mission de l’administrateur provisoire monsieur Ahmed IBRAHIM et recommande une reprise effective et immédiate de l’activité de la société MAKCOM ;
  • Dit que les frais de l’expert ci-dessus mentionné seront, bien sûr, à la charge de la société MAKCOM ;
  • Rejette les demandes de dommages-intérêts pour préjudice subi, formulées par monsieur Ahmed KELDI ;
  • Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement uniquement en ce qui concerne la révocation de la cogérance de madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA, la fin de mission de l’administrateur provisoire de Ahmed IBRAHIM, la réalisation de l’état des lieux de MAKCOM et la reprise effective de l’activité de ladite société ;
  • Condamne madame SITTI DJAOUHARIA SAID ZAINA aux dépens de l’instance ; »

 

Qu’au soutien de son appel, Dame Sitti DJAOUHARIA Said Zaina demande à la cour de reformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de constater, d’une part, la mésentente entre les associés de la société MAKCOM et, d’autre part, les dysfonctionnements et la paralysie de la société résultant de cette mésentente et, en conséquence, de prononcer la dissolution judicaire de ladite société ; qu’elle expose que le rapport d’expertise commandité par le tribunal n’a relevé aucune faute de sa part ; que, par contre, c’est son associé qui refuse de fournir les pièces sollicitées pour établir les états financiers et a entrepris de la dénigrer et de la discréditer auprès des différents partenaires de la société ; qu’elle sollicite l’infirmation du jugement querellé, rendu en violation des articles 200, 221, 230 et 236 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE ;

 

Attendu que monsieur Ahmed KELDI, en réplique, conclut au rejet de la dissolution au motif que les actes de mauvaise gestion de la société proviennent de son associée ; qu’en outre, il sollicite de la Cour qu’il lui soit accordé les dommages-intérêts refusés par le tribunal ; qu’il conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l’exception de celles de demandes en dommages et intérêts pour lui et pour la société MAKCOM ;

 

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, tiré de la méconnaissance de l’article 200 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, il y a lieu, pour la Cour de céans, d’infirmer le jugement n°30/12, rendu le 30 avril 2012 par le Tribunal de première instance de Moroni en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de constater la mésentente entre les associés de la société MAKCOM et son impact sur le fonctionnement normal de l’entreprise, et de dire qu’il y a lieu de faire droit à la demande de dissolution de ladite société pour justes motifs, avec toutes les conséquences de droit ;

 

Attendu qu’il y a lieu de mettre les dépens à la charge de la liquidation ;

 

PAR CES MOTIFS

 

 

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

Déclare recevable le pourvoi ;

Casse l’arrêt n°01/13, rendu le 02 janvier 2013 par la Cour d’appel de Moroni ;

Evoquant et statuant sur le fond :

Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement n°30/12 rendu le 30 avril 2012 par le Tribunal de première instance de Moroni ;

Constate la mésentente persistante et grave entre les associés de la société MAKCOM, empêchant le fonctionnement normal de ladite société ;

Prononce la dissolution de la société MAKCOM en application de l’article 200, alinéa 5, de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE du 17 avril 1997, avec toutes les conséquences de droit ;

Met les dépens à la charge de la liquidation ;

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 

 

 

 Le Président

 

Le Greffier