ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Deuxième chambre                                   

Audience Publique du 23 février 2017

Pourvoi : n°161/2013/PC du 26/12/2013       

Affaire : KONAN Kouakou René

                      (Conseils : La SCPA le PARACLET, Avocats à la Cour)

 

Contre

 

       Société STAR Auto SA

  (Conseils : La SCPA ADJE-ASSI-METAN, Avocats à la Cour)

 

Arrêt N° 020/2017 du 23 février 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 23 février 2017 où étaient présents :

 

Messieurs Abdoulaye Issoufi TOURE,                                    Président,

Namuano Francisco DIAS GOMES,                                        Juge,

Djimasna N’DONINGAR,                                                    Juge,

KOUA DIEHI Vincent,                                                        Juge,

ONDO MVE César Apollinaire,                                                    Juge, Rapporteur

et Maître Jean Bosco MONBLE,                                           Greffier,

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 26 décembre 2013 sous le n°161/2013/PC et formé par la SCPA le PARACLET, Avocats à la Cour, à Abidjan, Cocody les II Plateaux-Aghien, Boulevard des Martyrs, Résidences Latrille Sicogi, 17 BP 1229 Postel 2001 Abidjan 17, au nom et pour le compte de KONAN Kouakou René, ex-agent commercial indépendant demeurant à Abidjan 17 BP 85 Abidjan 17, dans la cause qui l’oppose à la Société STAR Auto SA dont le siège social à Abidjan, Marcory Zone 4, 01 BP 4054 Abidjan 01, assistée de la SCPA ADJE-ASSI-METAN, Avocats à la Cour, à Abidjan, 59 Rue des Sambas (Indénié-Plateau), Résidence « Le trèfle », 01 BP 1212 Abidjan 01,en cassation de l’Arrêt n°440 rendu le 03 avril 2012 par la Cour d’appel d’Abidjan dont le dispositif est libellé ainsi qu’il suit :

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

Reçoit KONAN Kouakou en son appel ;

L’y dit mal fondé ;

L’en déboute ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Met les dépens à sa charge… » ;

 

Le demandeur invoque à l’appui de son recours le moyen unique de cassation tel qu’il figure dans sa requête annexée au présent Arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Juge ;

 

Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que le 04 mai 1995, KONAN Kouakou René a été engagé en qualité de vendeur auto par la société Star Auto ; qu’un protocole d’accord signé le 30 novembre 2005 ayant mis un terme à ce contrat de travail, les deux parties ont conclu un nouveau contrat le 1er décembre 2005, par lequel KONAN Kouakou est passé du statut d’employé salarié à celui de vendeur libre ; que le 1er décembre 2006, la société Star Auto a décidé de ne pas renouveler ce second contrat ; que KONAN Kouakou a alors demandé au Tribunal de première instance d’Abidjan de condamner la société Star Auto à lui payer la somme trente-deux millions sept cent huit mille cent douze (32 708 112)francs CFA au titre des commissions et de diverses autres sommes; que par jugement n°1622/CIV3/A du 13 mai 2009, la société Star Auto a été condamnée à lui payer seulement huit cent quarante-deux mille cent vingt-cinq mille (842 125)  francs CFA et KONAN Kouakou débouté du surplus de ses demandes ; que l’Arrêt, objet du présent recours, a été rendu sur appel de KONAN Kouakou René;

 

Sur la recevabilité du moyen unique

 

Attendu que dans son mémoire du 1er avril 2014, la société Star Auto soulève l’irrecevabilité du moyen unique, au motif que les articles 219, 229 et 222 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général visés n’ont aucun lien avec le contrat d’agent commercial, ces textes concernant plutôt l’obligation de livraison du vendeur et la déchéance du droit de l’acheteur de se prévaloir d’un défaut de conformité ;

Attendu qu’en réplique, le demandeur soutient que son recours, qui date du 20 décembre 2013, a été exercé sous l’empire de l’Acte uniforme sur le droit commercial général révisé le 15 décembre 2010, pris en son titre IV ; que même s’il avait fait allusion à l’Acte uniforme sur le droit commercial général de 1997, la Cour aurait relevé que les textes cités n’ont aucun rapport avec le statut d’agent commercial et que les fondements de ses demandes sont énoncés dans les actes de procédure saisissant les premiers juges et produits dans son recours ; que son moyen unique de cassation n’encourt donc pas l’irrecevabilité soulevée par la Société Star Auto ;

Attendu qu’il convient pour la Cour de joindre l’examen de cette exception au fond, l’irrecevabilité soulevée y étant relative ;

 

Sur la seconde branche du moyen unique

 

Attendu qu’il est fait grief à l’Arrêt attaqué d’avoir omis de statuer sur la demande d’indemnité compensatrice du requérant, la Cour d’appel ayant confondu ladite indemnité avec une prétendue « indemnité compensatrice de préavis » non demandée, exposant ainsi sa décision à la cassation ;

 

Attendu en effet qu’il ressort des pièces du dossier qu’aussi bien devant le premier juge que dans son acte d’appel du 22 avril 2010, KONAN Kouakou a demandé la condamnation de la société Star Auto à lui payer, entre autres, une indemnité compensatrice fondée sur les articles 197 et 198 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général de 1997, devenus les articles 229 et 230 dans l’Acte uniforme relatif au droit commercial général du 15 décembre 2010 ; que la Cour d’appel n’a pas statué sur cette demande mais sur une « indemnité compensatrice de préavis » non sollicitée par KONAN Kouakou; qu’elle a omis de statuer et méconnu l’effet dévolutif de l’appel ; que le grief étant avéré, il y a donc lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Société Star Auto SA, de casser l’arrêt déféré sans qu’il soit besoin d’examiner les autres branches du moyen unique, et d’évoquer ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que par acte d’huissier de justice en date du 22 avril 2010, KONAN Kouakou René a relevé appel du jugement n°1622 rendu le 13 mai 2009 par le Tribunal de première instance d’Abidjan dont le dispositif est libellé ainsi qu’il suit :

« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort ;

Reçoit monsieur KONAN Kouakou René en son action ;

L’y dit partiellement fondé ;

Condamne Star Auto à lui payer la somme de 842.125 F au titre de ses commissions ;

Le déboute du surplus de ses demandes ;

Dit que le présent jugement est exécutoire par provision… » ;

 

Attendu que l’appelant expose que du 1er décembre 2005 au 1er décembre 2006, il a presté en qualité de vendeur libre de la société Star Auto, en vertu d’un contrat d’agent commercial indépendant conclu avec cette dernière ; que la société Star Auto a, sans préavis, rompu ce contrat le 30 novembre 2006 sans lui payer ses droits ; qu’il a saisi le Tribunal de première instance d’Abidjan qui a rendu le jugement dont appel, pour avoir paiement des commissions, de l’indemnité spéciale, de l’indemnité compensatrice et des dommages-intérêts; qu’il sollicite l’infirmation dudit jugement et la condamnation de la société Star Auto au paiement des droits sus-énoncés ;

 

Attendu que la société Star Auto s’y oppose et conclut à la confirmation du jugement attaqué ; que selon elle, il n’est dû au demandeur que la somme de huit cent quarante-deux mille cent vingt-cinq (842 125)  francs CFA, liée aux ventes de véhicules effectuées au profit des sociétés SODECI et STA ; que ses autres réclamations ne sont pas justifiées ;

 

Attendu que l’appel ayant été relevé dans les conditions de forme et de délai prescrites par la loi, il y a lieu de le déclarer recevable ;

 

Sur la demande relative aux commissions

 

Attendu que KONAN Kouakou sollicite, conformément à l’article 7 de leur contrat, la condamnation de la société Star Auto à lui payer la somme de douze millions quatre cent vingt-deux mille huit cent vingt (12 422 820) francs CFA au titre de ses commissions ;

 

Attendu qu’aux termes de cet article : « La rémunération principale de l’agent est constituée par la commission telle que déterminée dans l’annexe 5 ci-jointe… Le fait générateur de la commission sera constitué par l’acceptation de la commande par le mandant et la livraison effective des produits figurant sur le bon de commande. Cependant, en cas de cessation du contrat, la commission demeurera acquise à l’agent à la condition que le bon de commande ait été signé avant ladite cessation. Toutefois, la commission ne sera acquittée que dans les conditions de l’alinéa 2, ci-dessus, à savoir, à compter de la livraison et après encaissement des règlements conformément à l’alinéa 6 ci-dessous…Les parties conviennent que les commissions ne sont dues qu’après entier encaissement des règlements effectués autrement qu’en espèces » ;

 

Attendu qu’il en résulte que le droit à commission de KONAN Kouakou était subordonné d’une part, à la signature d’un bon de commande par la société Star Auto avant la cessation du contrat et, d’autre part, à la livraison effective des produits figurant sur ledit bon de commande et à l’encaissement des règlements ; qu’au regard des articles 5 et 6 dudit contrat, les parties avaient la possibilité de vérifier la satisfaction de ces deux conditions ; qu’en l’espèce, KONAN Kouakou ne prouve pas que celles-ci sont réunies pour la totalité de sa réclamation ; que la société Star Auto reconnaissant la livraison de deux véhicules, c’est à bon droit que le premier juge a fixé à huit cent quarante-deux mille cent vingt-cinq (842 125)  francs CFA la somme qui lui est due au titre des commissions ; qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce chef ;

 

Sur la demande d’indemnité spéciale

 

Attendu que KONAN Kouakou René sollicite la condamnation de la société Star Auto à lui payer trente-deux millions sept cent huit mille cent douze (32 708 112) francs CFA au titre de l’indemnité spéciale, en application d’une part, de l’article 6 alinéa 4 de leur contrat qui dispose que « pendant la durée du contrat et trois mois après sa fin pour quelque cause que ce soit l’agent s’interdit de représenter dans son secteur directement ou indirectement tout produit concurrent des produits visés au présent contrat » et, d’autre part, de l’article 187 alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général énonçant que « lorsqu’une interdiction de concurrence a été convenue entre l’agent commercial et son mandant, l’agent a droit à l’expiration du contrat à une indemnité spéciale » ;

 

Attendu que la société Star Auto, qui s’y oppose, prétend qu’en dépit de la clause de non concurrence, KONAN Kouakou René menait une activité concurrente pendant et après la rupture du contrat, par l’exploitation d’un garage automobile ; qu’il ne peut alors prétendre l’indemnité spéciale après avoir enfreint lui-même les textes précités ;

 

Attendu que la société Star Auto ne prouve pas la concurrence déloyale alléguée, le courrier du 27 mars 2007 qu’elle invoque se révélant à cet effet inopérant, dès lors qu’il remonte à plus de trois mois après la cessation des relations contractuelles des parties le 30 novembre 2006 ;

 

Attendu que KONAN Kouakou René verse au dossier copies de l’annexe 5 portant barème de commissions 2005, et des relevés de commissions de vendeur libre ; que ces éléments qui fournissent des indications suffisantes sur son chiffre d’affaires montrent que sa réclamation est démesurée ; qu’il y a lieu pour la Cour de fixer à huit cent mille (800 000) francs CFA la somme qui lui sera allouée au titre de l’indemnité spéciale ;

 

Sur la demande d’indemnité compensatrice

 

Attendu que KONAN Kouakou demande la condamnation de la société Star Auto à lui payer cinq millions (5 000 000) francs CFA à titre d’indemnité compensatrice ;

 

Attendu en effet qu’aux terme de l’article 197 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.

 

L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant par acte extrajudiciaire, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits… » ;

 

Que l’article 198 du même Acte uniforme dispose que « L’indemnité compensatrice prévue à l’article précédent n’est pas due, en cas :

1) de cessation de contrat provoquée par la faute grave de l’agent commercial ou

2) de cessation du contrat résultant de l’initiative de l’agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant, ou due à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial, et plus généralement, par toutes circonstances indépendantes de la volonté de l’agent par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée, ou

3) lorsqu’en accord avec le mandant, l’agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu’il détient en vertu du contrat d’agence » ;

 

Attendu qu’en l’espèce, la société Star Auto ne prouve pas que KONAN Kouakou tombe dans les hypothèses d’exclusion de l’indemnité, alors que celle-ci est due en cas de cessation des relations entre le mandant et l’agent commercial, que ledit contrat ait été à durée déterminée ou non, et indépendamment d’autres circonstances de sa rupture ; que c’est à tort que le premier juge a débouté KONAN Kouakou de la demande y relative ; qu’au vu des éléments d’appréciation en sa disposition, il y a lieu pour la Cour d’allouer à KONAN Kouakou René le montant de deux millions (2 000 000) francs  CFA au titre de son indemnité compensatrice ;

 

Sur la demande de dommages-intérêts

 

Attendu que KONAN Kouakou René sollicite la condamnation de la société Star Auto à lui payer dix mil1ions (10 000 000) francs CFA au titre des dommages-intérêts pour rupture abusive de leur contrat ; qu’il reproche à cette dernière de ne l’avoir informé du non renouvellement du contrat que le 1er décembre 2006, c’est-à-dire au lendemain de la date de son expiration, alors qu’aux termes de l’article 9 dudit contrat, « la partie qui entendrait mettre fin au contrat devra en informer son cocontractant par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis d’un mois » ; que selon lui les parties étaient désormais liées par un contrat à durée indéterminée que la société Star Auto a abusivement rompu ;

 

Attendu que pour s’opposer à la demande, la société Star Auto  observe que les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée qui a régulièrement expiré ; que sur le fondement de l’article 195 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, il n’était pas nécessaire d’y mettre un terme par une quelconque formalité ; que de plus, KONAN Kouakou n’ayant fourni aucune prestation pour son compte à compter du 30 novembre 2006, c’est de mauvaise foi qu’il soutient que le contrat est devenu à durée indéterminée parce qu’il a reçu le 13 décembre 2006, le courrier de non renouvellement signé le 1er décembre 2006 ; que l’article 9 invoqué est inapplicable à l’espèce, le contrat n’ayant pas été rompu avant terme ;

 

Attendu en effet que l’article 2 du contrat du 1er décembre 2005 stipule que « le mandat prend effet à la date du 1er décembre 2005. Il est conclu pour une durée de douze (12) mois renouvelable par accord express des parties par lettre recommandée avec accusé de réception 30 jours avant la date d’anniversaire du mandat » ; que cet article 2 est relatif au renouvellement du contrat qui doit être express, alors que l’article 9 précité fixe les conditions de la cessation dudit contrat avant son terme ; que cet article 9 n’est donc pas applicable et est d’évocation inopportune en l’espèce, le contrat n’ayant prévu aucune faculté de renouvellement ou de reconduction tacite ; que la demande étant mal fondée, il échet de confirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a débouté KONAN Kouakou René de ce chef ;

 

Attendu que la société Star Auto ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;

 

 

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Reçoit KONAN Kouakou René en son pourvoi ;

Rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Star Auto ;

Casse et annule l’Arrêt n°440 rendu le 03 avril 2012 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

 

Evoquant et statuant à nouveau :

Réforme le jugement n°1622 rendu le 13 mai 2009 par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;

Condamne la société Star Auto à payer à KONAN Kouakou René les sommes suivantes :

  • Huit cent quarante-deux mille (842 125) francs CFA au titre des

commissions ;

  • Huit cent mille (800 000) francs CFA au titre de l’indemnité spéciale ;
  • Deux millions (2 000 000) francs CFA au titre de l’indemnité

compensatrice ;

 

Déboute KONAN Kouakou René du surplus de sa demande ;

Condamne la société Star Auto aux dépens ;

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 

 

Le Président

Le Greffier