ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième chambre
Audience Publique du 26 mai 2005
POURVOI n° : 010/2004/PC du 16/02/2004
AFFAIRE : KOITA Bassidiki
(Conseils : Cabinet Dadié-Sangaret et Associés, Avocats à la Cour)
contre
FABRIS OSCAR ADONE
(Conseil : Maître VIEIRA Georges Patrick, Avocat à la Cour)
ARRET N°033/2005 du 26 mai 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 26 mai 2005 où étaient présents :
Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA, Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Boubacar DICKO, Juge, rapporteur
et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire KOITA Bassidiki contre FABRIS OSCAR ADONE par Arrêt n°554/03 en date du 06 novembre 2003 de la Cour Suprême de la République de Côte d’Ivoire, Chambre Judicaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié par exploit en date du 12 septembre 2002 de Monsieur KOITA Bassidiki ayant pour conseils le Cabinet DADIE-SANGARET & Associés, Avocats à la Cour, demeurant rue Lecoeur, immeuble Alliance B, 04 BP 1147 Abidjan 04, en cassation de l’Arrêt n°261 rendu le 15 février 2002 par la Cour d’appel d’Abidjan au profit de Monsieur FABRIS OSCAR ADONE, demeurant à Abidjan, 18 BP 338 Abidjan 18, ayant pour conseil Maître VIEIRA Georges Patrick, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan-Plateau, Indénié, 3, rue des Fromagers, 01 BP V 159 Abidjan 01, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
- Déclare FABRIS OSCAR ADONE recevable en son appel régulièrement relevé du Jugement n°207 rendu le 2 avril 2001 par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;
- Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau ;
- Déclare FABRIS OSCAR ADONE bien fondé en sa demande ;
- Dit qu’il bénéficie d’une indemnité d’éviction préalable conformément à l’article 95 de l’Acte uniforme OHADA portant droit commercial général ;
- Dit qu’il pourra demeurer dans les locaux jusqu’au début des travaux ;
- Déboute KOITA Bassidiki de sa demande d’expulsion. » ;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’il figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par « exploit de congé aux fins de reprise pour la reconstruction des lieux » en date du 12 juillet 2000, Monsieur KOITA Bassidiki, propriétaire d’une villa sise à Abidjan zone 4/C et louée à Monsieur FABRIS OSCAR ADONE qui y exploitait un restaurant, a signifié au susnommé un congé au terme duquel celui-ci devait libérer les lieux ; que le délai de congé étant arrivé à expiration le 30 janvier 2001, Monsieur FABRIS OSCAR ADONE a entendu se maintenir sur les lieux en contestant ledit congé et en réclamant une indemnité d’éviction ; que saisi par Monsieur KOITA Bassidiki, par exploit en date du 29 décembre 2000 à l’effet d’ordonner et l’expulsion du locataire tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef et l’exécution provisoire de sa décision, le Tribunal de première instance d’Abidjan, par Jugement n°207/CIV 4 en date du 02 avril 2001, faisait droit aux demandes du bailleur ; que par exploit en date du 09 juin 2001 de Maître BOA Coffi M. Colette, Huissier de Justice à Abidjan, Monsieur FABRIS OSCAR ADONE relevait appel du jugement précité devant la Cour d’appel d’Abidjan ; que celle-ci, par Arrêt n°261 en date du 15 février 2002, infirmait le jugement entrepris et, statuant à nouveau, déboutait Monsieur KOITA Bassidiki de sa demande d’expulsion après avoir reconnu à l’appelant le bénéfice d’une « indemnité d’éviction préalable conformément à l’article 95 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général » ; que par exploit en date du 12 septembre 2002, Monsieur KOITA Bassidiki formait contre l’arrêt précité un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE et celle-ci se dessaisissait au profit de la Cour de céans ;
Sur la nullité et la qualification de l’arrêt attaqué
Attendu que le requérant fait valoir , in limine litis, que l’arrêt attaqué a été qualifié de contradictoire par la Cour d’appel d’Abidjan alors qu’en réalité il s’agit d’un arrêt de défaut aux motifs que ni lui-même, ni son conseil n’avaient été informés de la procédure devant ladite Cour ; « qu’encore mieux », après des recherches auprès de Maître BOA Coffi M. Colette, Huissier de Justice à Abidjan, l’acte d’appel n’a jamais été signifié par celui-ci à la date du 09 juin 2001, à moins qu’il l’ait été par un clerc d’huissier non assermenté ; que si tel était le cas, l’acte d’appel étant nul, il s’ensuit que l’arrêt attaqué doit être déclaré nul ; qu’à contrario, ledit arrêt ne peut être qu’un arrêt de défaut ;
Mais attendu qu’il est de principe, d’une part, qu’il incombe au demandeur au pourvoi d’établir le véritable caractère de la décision attaquée à savoir si elle est contradictoire ou par défaut ; que, d’autre part, les mentions d’une décision de justice, en l’occurrence, celles de l’arrêt attaqué, font foi jusqu’à inscription de faux ;
Attendu, en l’espèce, qu’il ressort des productions que le requérant se prévaut du caractère faux de l’exploit de signification de l’acte d’appel et du faux dont aurait usé l’appelant pour solliciter la nullité dudit exploit et, par voie de conséquence, la nullité de l’arrêt attaqué ; qu’à l’appui de ses dires, il fait état de ce que l’huissier instrumentaire Maître BOA Coffi M. Colette, interpellé par lui, a déclaré ne pas se souvenir avoir servi ledit exploit ; qu’il a également versé au dossier, à titre de comparaison, d’autres exploits servis par ailleurs par le même huissier, lesquels seraient réguliers et comporteraient une signature différente de celle figurant sur l’exploit de signification litigieux, ce qui attesterait encore du « caractère faux » de celui-ci et du « caractère par défaut de l’arrêt attaqué » ;
Attendu que les seules affirmations du requérant, en l’absence d’une procédure dûment exercée et déclarative de faux, ne sauraient évincer les mentions que comporte ledit exploit, lesquelles font dès lors foi ; qu’il s’ensuit que l’arrêt attaqué, qui a été prononcé à la suite de cet exploit et dont les mentions indiquent qu’il l’a été « contradictoirement », ne saurait être déclaré nul et encore moins être qualifié d’arrêt de défaut ; que par conséquent, la demande du requérant sur ces points doit être rejetée ;
Sur le premier moyen
Vu l’article 95 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir, par mauvaise interprétation ou erreur dans son application, violé l’article 95 de l’Acte uniforme susvisé en ce que ledit arrêt a alloué au preneur une indemnité d’éviction alors que le texte visé au moyen dispose que « le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail sans avoir à régler d’indemnité d’éviction s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux loués et de le reconstruire » ; que tel était le cas en l’espèce, raison pour laquelle le Tribunal a ordonné l’expulsion de Monsieur FABRIS OSCAR ADONE sans lui allouer une quelconque indemnité d’éviction en lui allouant cette indemnité, la Cour d’appel d’Abidjan a violé ledit article ; que dès lors, l’arrêt attaqué encourt la cassation ;
Mais attendu que s’il est vrai que l’article 95 de l’Acte uniforme susvisé dispose que « Le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail sans avoir à régler d’indemnité d’éviction… s’il envisage de démolir l’immeuble comprenant les lieux loués et de le reconstruire », il prescrit également que « Le bailleur devra dans ce cas justifier de la nature et de la description des travaux projetés.
Le preneur aura le droit de rester dans les lieux jusqu’au commencement des travaux de démolition, et il bénéficiera d’un droit de priorité pour se voir attribuer un nouveau bail dans l’immeuble reconstruit.
Si les locaux reconstruits ont une destination différente de celle des locaux objet du bail, ou s’il n’est pas offert au preneur un bail dans les nouveaux locaux, le bailleur devra verser au preneur l’indemnité d’éviction prévue à l’article 94 ci-dessus. » ;
Attendu, en l’espèce, que les locaux, objet du bail, abritaient un fonds de commerce constitué d’un restaurant exploité par le preneur sous la dénomination « BOL’S Pub Joker » ; qu’il ressort des plans et devis descriptifs des travaux de reconstruction projetés par le bailleur, versés au dossier de la procédure, que ce dernier entendait donner au nouvel immeuble « R+1 » à édifier en lieu et place des locaux, objet du bail, une destination d’habitation, notamment par la construction de plusieurs appartements et aires de stationnement pour véhicules ; qu’en relevant, sur la base des plans et devis descriptifs précités, que le bailleur « a décidé de démolir son immeuble pour le reconstruire selon un plan différent du premier » et que, dès lors, « le locataire est non seulement fondé à obtenir une indemnité d’éviction préalable à son expulsion mais à demeurer dans les locaux jusqu’au début des travaux… », la Cour d’appel n’a pas violé l’article 95 susénoncé de l’Acte uniforme susvisé ; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé et doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué un défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété de motifs, en ce que le congé étant régulier, Monsieur FABRIS OSCAR ADONE ne peut à bon droit exiger son maintien dans les lieux ; qu’ainsi donc, la Cour d’appel ne pouvait infirmer le jugement, encore qu’à la date de l’arrêt attaqué, Monsieur FABRIS OSCAR ADONE avait déjà été expulsé – les travaux étant très avancés à ce jour- ; qu’en conséquence, son maintien dans les locaux jusqu’au début des travaux est sans objet ; que partant, l’arrêt attaqué mérite cassation ;
Mais attendu que la Cour d’appel, de par l’effet dévolutif de l’appel en vertu duquel la chose jugée est remise en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit, n’était nullement tenue par l’expulsion prononcée par le jugement querellé, même si cette expulsion avait été rendue effective à la suite de la mise en œuvre de la mesure d’exécution provisoire dont ce jugement était assorti ; que dès lors, en infirmant ledit jugement conformément à ses prérogatives légales, il ne saurait être reproché à la Cour d’appel d’avoir ordonné, en application de l’article 95 susénoncé de l’Acte uniforme susvisé, le maintien du locataire dans les locaux jusqu’au début des travaux ; qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé et doit également être rejeté ;
Attendu que Monsieur KOITA Bassidiki ayant succombé, doit être condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette la demande de Monsieur KOITA Bassidiki relative à la nullité et à la qualification de l’Arrêt n°261 du 15 février 2002 dont pourvoi ;
Rejette le pourvoi ;
Condamne le requérant aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier