ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Première Chambre
Audience Publique du 22 décembre 2005
Pourvoi : n°032/2004/PC du 15 mars 2004
Affaire : Etablissements Soulès et Cie
(Conseil : Maître Robert DOSSOU, Avocat à la Cour)
contre
Continental Bank Benin (Ex Crédit Lyonnais-Benin)
(Conseil : Maître CAKPO-ASSOGBA Maxim, Avocat à la Cour)
Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(BCEAO)
(Conseil : Maître Saidou AGBANTOU, Avocat à la Cour)
ARRET N°061/2005 du 22 décembre 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Première Chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 22 décembre 2005 où étaient présents :
Messieurs Jacques M’BOSSO, Président
Maïnassara MAIDAGI, Juge, rapporteur
Biquezil NAMBAK, Juge
et Maître KEHI Colombe BINDE, Greffier ;
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, de l’affaire Etablissements SOULES & Cie contre Contiental Bank Bénin et Banque Centrale des Etats de l’Afrique Ouest (BCEAO), par arrêt du 18 avril 2003 de la Cour Suprême du Bénin, Chambre Judiciaire, saisie d’un pourvoi initié le 13 août 2001 par Maître Robert DOSSOU, Avocat à la Cour, demeurant 17, Boulevard St Michel , 01 BP 3407 Cotonou (BENIN), agissant au nom et pour le compte des Etablissements SOULES & Cie, renvoi enregistré sous le n°032/2004/PC du 15 mars 2004, en cassation de l’Arrêt n°218/2001 rendu le 12 juillet 2001 par la Cour d’appel de Cotonou et dont le dispositif est le suivant :
« En la forme
Déclare la Continental Bank Bénin recevable en son appel principal et les Etablissements SOULES ET COMPAGNIE recevables en leur appel incident ;
Au fond
Infirme le jugement n°27/1e C. Com. du 05 juin 2000 en toutes ses dispositions ;
Evoquant et statuant à nouveau :
Constate que le principe de créance des Etablissements SOULES ET COMPAGNIE sur la Continental Bank Bénin est anéanti par l’arrêt n°175 du 28 juin 2001 ;
Annule par conséquent la saisie-attribution pratiquée le 13 janvier 2000 par les Etablissements SOULES ET COMPAGNIE sur les avoirs, deniers et créances de la Continental Bank entre les mains de la BCEAO ;
Ordonne subséquemment mainlevée de ladite saisie sous astreinte comminatoire de francs CFA 2.000.000 par jour de résistance à partir de la date du présent arrêt ;
Dit que le présent arrêt est commun à la BCEAO ;
Déboute les parties de leurs demandes plus larges ou contraintes ;
Condamne les Etablissements SOULES ET COMPAGNIE aux dépens » ;
Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent au mémoire ampliatif du 26 avril 2002 annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que le 07 janvier 1994, la Société N & D avait donné au Crédit Lyonnais Bénin ordre de transfert au profit des Etablissements SOULES & Cie de la somme de 127.500.000 FCFA, soit en francs français 2.550.000 ; que Crédit Lyonnais Bénin n’avait pas exécuté le transfert jusqu’au 11 janvier 1994, date de la dévaluation du franc CFA ; que le 26 juillet 1994, la Société N & D avait assigné Crédit Lyonnais Bénin devant le Tribunal de première instance de Cotonou aux fins de le voir condamner à transférer la somme de deux millions cinq cent cinquante mille (2.550.000) francs français valeur 10 janvier 1994 et de porter au débit de son compte la somme de cent vingt sept millions cinq cent mille (127.500.000) F CFA, valeur 07 janvier 1994 ; que par lettre en date du 26 septembre 1995, la Société N & D informait le Crédit Lyonnais Bénin de ce qu’elle cédait aux Etablissements SOULES & Cie à titre irrévocable « toutes sommes en principal et accessoires auxquelles il serait condamné » ; que sur la base de la créance qu’ils détenaient sur la Société N & D et de cette cession, les Etablissements SOULES & Cie s’étaient portés intervenants volontaires dans la procédure initiée contre Crédit Lyonnais Bénin, par conclusions en date du 29 mai 1996, pour obtenir que les sommes pour lesquelles celui-ci serait condamné leur soient directement versées ; que le Tribunal de première instance de Cotonou avait notamment, par Jugement n°531 du 20 novembre 1997, condamné le Crédit Lyonnais Bénin à effectuer le transfert en payant aux Etablissements SOULES & Cie 255.000.000 de FCFA et à débiter le compte de la Société N & D de la somme de 127 500 000 FCFA selon l’ancienne parité, ordonné l’exécution provisoire nonobstant toutes voies de recours ; que la Société N & D et la Continental Bank Bénin avaient relevé appel de cette décision respectivement le 08 janvier 1998 et les 12 et 13 janvier 1998 ; que s’appuyant notamment sur l’exécution provisoire ordonnée par le Jugement n°531 susindiqué, les Etablissements SOULES & Cie pratiquaient le 13 janvier 2000 saisie-attribution sur les avoirs, deniers et créances de la Continental Bank Bénin entre les mains de la BCEAO ; que la Continental Bank Bénin ayant, par exploit en date à Cotonou des 21 et 25 janvier 2000, attrait les Etablissements SOULES & Cie et la BCEAO devant le Tribunal de première instance de Cotonou aux fins, entre autres, d’annuler la saisie-attribution en date du 13 janvier 2000 et en ordonner la mainlevée immédiate sous astreinte comminatoire de 5.000.000 de francs par jour de retard, de condamner les Etablissements SOULES et Cie au paiement de la somme de 100.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts, ledit tribunal avait notamment, par Jugement n°027/1ère C. Commerciale du 05 juin 2000, constaté que la saisie-attribution du 13 janvier 2000 avait respecté les règles de forme prévues par l’Acte uniforme OHADA sur les voies d’exécution, débouté par conséquent la Continental Bank Bénin de sa demande de nullité de la saisie-attribution en date du 13 janvier 2000 et ordonné la poursuite de la saisie-attribution ; qu’entre temps, par acte notarié du 14 avril 2000, la Société N & D avait consenti « une remise de dette » au profit de la Continental Bank Bénin ; que statuant sur les appels relevés du Jugement n°531 du 20 novembre 1997, la Cour d’appel, se basant sur l’acte notarié susindiqué avait, par Arrêt n°175 du 28 juin 2001, jugé que par ledit acte notarié la Société Négoce et Distribution avait remis sa dette à la Continental Bank Bénin, constaté par conséquent que la procédure par laquelle la Société Négoce et Distribution entendait se faire payer devenait sans objet ; qu’à la lumière dudit Arrêt n°175 du 28 juin 2001 et statuant sur les appels relevés du Jugement n°27/1ère C. Commerciale du 05 juin 2000 par la Continental Bank Bénin et les Etablissements SOULES & Cie, la Cour d’appel avait rendu l’Arrêt n°218/2001 du 12 juillet 2001 dont pourvoi formé par les Etablissements SOULES & Cie devant la Cour Suprême du Bénin, laquelle, ayant estimé que l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes, s’est déclarée incompétente et dessaisie du dossier au profit de la Cour de céans par Arrêt du 18 avril 2003 ;
Sur le premier moyen
Vu les articles 36 et 154 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions des articles 36 et 154 de l’Acte uniforme susvisé « en ce que la saisie-attribution a eu lieu le 13 janvier 2000 et a été dénoncée le 14 janvier alors que la prétendue ” remise de dette” à laquelle l’Arrêt querellé a, à tort, accordé effet est intervenue le 24 avril 2000 soit trois mois et 11 jours après ladite saisie…Ainsi pour statuer ainsi qu’il l’a fait, l’arrêt querellé a trop manifestement violé la loi : une créance sous saisie ne peut plus faire l’objet de remise. Il appelle de ce chef la sanction de la Haute juridiction » ;
Attendu qu’aux termes des articles 36, alinéa 2 et 154, alinéa 2 de l’Acte uniforme susvisé, « l’acte de saisie rend indisponibles les biens qui en sont l’objet » et « les sommes saisies sont rendues indisponibles par l’acte de saisie » ;
Attendu que contrairement à ce que soutiennent les Etablissements SOULES & Cie, demandeurs au pourvoi, la Cour d’appel n’avait à aucun moment, en l’espèce, eu à se prononcer sur le point de litige relatif à la “remise de dette” opérée par la Société N & D ; qu’elle s’était uniquement fondée sur l’autorité de la chose jugée de son Arrêt n°175 du 28 juin 2001 par lequel elle « dit que par acte notarié en date du 14 avril 2000 la Société Négoce et Distribution a remis sa dette à la Continental Bank Bénin [et] constate par conséquent que la procédure par laquelle la Société Négoce et Distribution entendait faire payer sa créance devient sans objet », lequel arrêt s’imposait à elle le 12 juillet 2001, date de l’arrêt attaqué ; qu’en effet, pour constater que le principe de créance des Etablissements SOULES & Cie sur la Continental Bank Bénin était anéanti par l’Arrêt n°175 du 28 juin 2001 et annuler par conséquent la saisie-attribution pratiquée le 13 janvier 2000 par les Etablissements SOULES & Cie sur les avoirs, deniers et créances de la Continental Bank Bénin entre les mains de la BCEAO, la Cour d’appel avait motivé sa décision en retenant qu’ « en raison de l’Acte notarié du 14 avril 2000 portant remise de sa dette à la Continental Bank Bénin par la Société Négoce et Distribution, l’Arrêt n°175 du 28 juin 2001 de la Cour d’appel de céans a réduit à néant le Jugement n°531 rendu le 20 novembre 1997 par le tribunal de céans… qu’ainsi l’arrêt n°175 du 28 juin 2001 fait subséquemment disparaître tout principe de créance pouvant sous tendre la saisie-attribution pratiquée… que les Etablissements SOULES & Cie n’ayant plus de créance sur la Continental Bank Bénin, il y a lieu de dire qu’ils sont mal fondés à pratiquer saisie-attribution sur les avoirs, deniers et créances de la Continental Bank Bénin entre les mains de la BCEAO… qu’il échet d’annuler ladite saisie-attribution et d’en ordonner subséquemment mainlevée » ; qu’il suit que la Cour d’appel n’a en rien violé les dispositions susénoncées des articles 36 et 154 de l’Acte uniforme susvisé ; qu’ainsi le moyen tiré de la violation desdits articles 36 et 154 n’est pas fondé et doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu’il est également fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé « les règles gouvernant les jugements » en ce que le Jugement n°531 du 20 novembre 1997 assorti de l’exécution provisoire et dont l’exécution était entreprise avait condamné « le Crédit Lyonnais à effectuer le transfert en payant aux Etablissements SOULES & Cie la somme de 255.000.000 F CFA et à débiter le compte de la Société Négoce & Distribution de la somme de 127.500.000 F CFA selon l’ancienne parité alors que la Continental Bank Bénin prétend quatre ans après ledit jugement bénéficier non pas de la part des Etablissements SOULES & Cie mais de celle de la Société N & D d’une prétendue remise de dette. En effet dès le prononcé du jugement n°531, ladite Société N & D a perdu ne serait-ce que provisoirement tout droit sur cette somme et ne peut plus en disposer. L’arrêt querellé, en reconnaissant à la Société N & D ce droit a violé le principe de la chose jugée. De ce chef ledit Arrêt appelle cassation » ;
Attendu que le Jugement n°531 du 20 novembre 1997 a été frappé d’appel respectivement le 08 janvier 1998 par la Société N & D et les 12 et 13 janvier 1998 par la Continental Bank Bénin ; que cet appel a eu pour effet de suspendre l’autorité de la chose jugée dévolue audit jugement et ceci bien qu’il soit assorti de l’exécution provisoire, la mesure d’exécution provisoire tendant seulement a faire échec au principe selon lequel l’appel suspend l’exécution du jugement ; qu’il suit qu’en annulant la saisie-attribution pratiquée par les Etablissements SOULES & Cie sur les avoirs, deniers et créances de la Continental Bank Bénin entre les mains de la BCEAO au motif que ceux-là n’ont plus de créance sur celle-ci, la Cour d’appel n’a en rien violé le principe de l’autorité de la chose jugée ; qu’ainsi le moyen tiré de la violation dudit principe n’est pas fondé et doit être rejeté ;
Sur le troisième moyen
Attendu qu’il est enfin fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé « le principe de l’inopposabilité de l’acte frauduleux », « en ce que le prétendu acte notarié de cession du 24 avril 2000 revêt toutes les apparences d’un acte régulier mais constitue à l’évidence un acte délibérément fait en fraude des droits des Etablissements SOULES & Cie, alors qu’il est de jurisprudence et de doctrine établies de longue date qu’une telle « fraude vêtue » est sanctionnée par son inopposabilité aux tiers donc par l’inefficacité. La prétendue « remise de dette » du 24 avril 2000 vient ainsi supplanter la cession de créance régulièrement faite par la même Société N & D aux exposants depuis le 26 septembre 1995. Ce moyen, bien qu’il ne puisse être bien amplement développé que dans la procédure relative au pourvoi formé contre l’Arrêt n°175/2001 du 28 juin 2001, atteint l’Arrêt querellé et appelle sa cassation » ;
Attendu, comme il a déjà été précisé lors de l’examen du premier moyen, que la Cour d’appel ne s’est jamais fondée sur l’acte notarié de cession du 24 avril 2000 pour annuler la saisie-attribution pratiquée le 13 janvier 2000 et en ordonner la mainlevée mais plutôt sur l’autorité de la chose jugée de l’Arrêt n° 175/2001 du 28 juin 2001 par lequel la même Cour d’appel a constaté que la procédure par laquelle la Société Négoce et Distribution entendait se faire payer est sans objet ; qu’il s’ensuit qu’en annulant ladite saisie-attribution au motif que les Etablissements SOULES & Cie n’ont plus de créance sur la Continental Bank Bénin, la Cour d’appel n’a en rien violé le principe dit « de l’inopposabilité de l’acte frauduleux » ; qu’en conséquence il y a lieu de déclarer également ce troisième moyen non fondé et de le rejeter ;
Attendu que les Etablissements SOULES & Cie ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi formé par les Etablissements SOULES & Cie ;
Les condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier