ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Troisième chambre

Audience publique du 14 décembre 2017

Pourvoi : n° 034/2016/PC du 11/02/2016

Affaire :   CLASS-TOSSOU Tinos

               (Conseils : Maître TCHAOU TCHEKPI et la SCPA BILE-AKA,

               BRIZOU-BI & Associés, Avocats à la Cour)

 

                             contre

                1) SAVI de TOVE Mathilde

               2) SAVI de TOVE Lucia

               3) SAVI de TOVE Rosita

               4) SAVI de TOVE Céline

               5) SAVI de TOVE Félicia

               (Conseil : Maitre DZOKA ESSIAME Koko, Avocat à la Cour)

 

Arrêt N° 235/2017 du 14 décembre 2017

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires(OHADA), Troisième Chambre, a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 14 décembre 2017 où étaient présents :

 

 

Messieurs     César Apollinaire ONDO MVE,                        Président, Rapporteur

Namuano Francisco DIAS GOMES,                    Juge

Djimasna N’DONINGAR,                                 Juge

 

et Maître     Alfred Koessy BADO                                     Greffier ;

 

 

 

Sur le recours enregistré au Greffe de la Cour de céans le 11 février 2016 sous le numéro 034/2016/PC et formé par Maitres TCHAOU TCHEKPI, Avocat au Barreau du Togo, domicilié à Lomé, quartier Aflao-Gakli, angle avenues Pya et Evala, maison n°1494 à l’étage, 18 B.P. 216, et la SCPA BILE-AKA, BRIZOUA-BI et Associés, Avocats à la Cour, Cabinet sis au 7, Boulevard Latrille, Abidjan- Cocody, 25 B.P. 945 Abidjan 25, agissant au nom et pour le compte de CLASS-TOSSOU Tinos, domicilié à Lomé, 124 Rue AKPAVE, quartier TOKOIN Hôpital, B.P. 12370 NYEKONAKPOE, dans la cause qui l’oppose à SAVI de TOVE MASSAN Mathilde, SAVI de TOVE Lucia, SAVI de TOVE Rosita, SAVI de TOVE Céline et SAVI de TOVE Félicia, domiciliées à Lomé, ayant pour conseil Maitre DZOKA ESSIAME Koko, Avocat au Barreau du Togo, demeurant à Lomé, 71, Boulevard des Armées, quartier TOKOIN GBADAGO, face aux Etablissements ECHO 2000, 02 B.P. 20439, en cassation de l’arrêt numéro 297/2015 du 15 juillet 2015 rendu par la Cour d’Appel de Lomé, dont le dispositif est ainsi libellé :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale sur opposition et en appel ;

En la forme

Déboute les défenderesses de leur demande de nullité de l’exploit d’opposition pour violation de l’article 179 du code de procédure civile ;

Déclare l’opposition recevable ;

Au fond

Sur l’exception d’incompétence du juge des référés :

La rejette ;

Sur l’opposition proprement dite

La déclare partiellement fondée ;

Rétracte partiellement l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné le demandeur à l’opposition à payer aux défenderesses la somme de 2.000.000 de FCFA à titre de dommages-intérêts ;

 

Le réformant,

Se déclare incompétente à connaitre de ladite demande ;

Renvoie les défenderesses à mieux se pourvoir sur ce point ;

 

Sur les demandes de désignation d’expert en bâtiment et d’octroi d’indemnités d’éviction :

Se déclare également incompétente ;

Renvoie ainsi le demandeur à l’opposition à mieux se pourvoir sur ce point ;

Confirme l’arrêt attaqué en ces autres points non contraires ;

Condamne le sieur CLASS-TOSSOU Tino aux dépens dont distraction au profit de Maitre DZOKA Koko, Avocat aux offres de droit (…) » ;

 

Le demandeur invoque au soutien de son recours en cassation les deux moyens tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur le Second Vice-Président César Apollinaire ONDO MVE ;

 

Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu que des pièces du dossier de la procédure, il résulte que le 16 avril 2002, CLASS TOSSOU prenait à bail à usage commercial un immeuble sis à Lomé, propriété des hoirs JONATHANS SAVI de TOVE, pour une durée allant du 1er octobre  2002 au 1er octobre 2017 ; qu’il s’engageait à effectuer des travaux à hauteur de 30.000.000 de FCFA dans un délai minimum de six mois à compter de la signature du contrat, et à payer un loyer mensuel de 70.000 FCFA duquel il devait déduire une somme de 50.000F CFA pour amortir les dépenses liées aux travaux lui incombant ; que suite à diverses incompréhensions relatives aux loyers et à la finition des travaux, les hoirs JONATHANS SAVI mettaient le preneur en demeure le 15 mars 2012, outre de leur payer 1.680.000 FCFA au titre de sept années de loyers impayés, de leur communiquer l’état des travaux faits et de leur coût ; que CLASS-TOSSOU n’ayant pas exécuté cette mise en demeure, ils l’assignaient devant le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé qui, par ordonnance numéro 0244/2013 du 25 mars 2013, les déboutait de leurs demandes tendant à la résiliation du bail et à l’expulsion du preneur ; que sur leur appel, la Cour de Lomé, par arrêt n°004/14 rendu par défaut le 15 janvier 2014, infirmait ladite décision, constatait la résiliation du bail, ordonnait l’expulsion du preneur et des occupants de son chef, condamnait le preneur à payer 180.000 FCFA au titre des arriérés des loyers de la période de janvier à septembre 2013, ainsi que 2.000.000 de FCFA à titre de dommages-intérêts ; que sur opposition du preneur, la même Cour rendait l’arrêt dont pourvoi ;

 

Sur la recevabilité du recours

 

Attendu que les défenderesses soulèvent l’irrecevabilité du recours formé selon eux hors délai ; que l’arrêt attaqué lui ayant été signifié le 9 décembre 2015, le demandeur avait un délai de deux mois qui a expiré le 9 février 2016 ; qu’il était donc forclos à la date du 11 février 2016 à laquelle il a formé son recours, en vertu des prescriptions de l’article 28.1 du Règlement de procédure de la Cour de céans ;

 

Mais attendu qu’en vertu des articles 25.2 et 28.1 du Règlement de procédure susvisé, et de l’article 1er de la Décision n°002/99/CCJA en date du 4 février 1999 relative aux délais de distance, le demandeur disposait, pour exercer son recours, d’un délai de deux mois augmenté d’un délai de distance de quatorze jours ; qu’il apparait du décompte de ce délai qu’il n’était nullement forclos à la date du 11 février 2016 et que son pourvoi est parfaitement recevable ;

 

Sur la première branche du premier moyen

 

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué la violation de l’article 133 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, en ce que la Cour a rejeté l’exception relative à l’incompétence du juge des référés en se fondant sur la force obligatoire d’un contrat qui n’était pas conforme aux dispositions d’ordre public du texte précité ; qu’en effet, à partir du moment où l’article 157 du code de procédure civile togolais ne donne aucun pouvoir au juge des référés pour résilier un bail commercial, il n’appartenait pas aux parties d’y déroger par convention ; que selon le moyen, la Cour, en statuant donc comme elle l’a fait, sans préalablement s’assurer que le droit togolais consacrait la compétence du juge des référés, a violé la loi et exposé sa décision à la cassation ;

 

Vu l’article 28 bis du Règlement de procédure de la CCJA ;

 

Attendu qu’il est acquis en l’espèce, comme résultant de l’examen des pièces du dossier, que le contrat litigieux a été signé le 16 avril 2002 sous l’empire de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général entré en vigueur le 1er janvier 1998 ; qu’en son article 101 in fine, cet Acte uniforme prévoit un « jugement » en cas de résiliation judiciaire d’un bail commercial ; qu’il en résulte que seul le Tribunal et, le cas échéant, la Cour d’appel statuant comme juridiction du fond, connaissent d’un tel contentieux ; qu’en retenant la compétence des juridictions des référés, l’arrêt attaqué a violé les dispositions précitées et encourt la cassation de ce seul chef ; qu’il échet alors d’évoquer ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que par exploit en date du 6 octobre 2014, CLASS-TOSSOU a formé opposition contre l’arrêt n°004/14 rendu le 15 janvier 2014 par la Cour de Lomé, dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des appelantes, par défaut à l’égard de l’intimé, en matière commerciale et en appel ;

En la forme :

Reçoit l’appel ;

 

Au fond :

Le dit fondé ;

Infirme, en conséquence l’ordonnance n°0244/2013 rendue le 25 Mars 2013 par le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Lomé, en toutes ses dispositions ;

 

Statuant à nouveau,

Constate la résiliation de plein droit du contrat de bail en date du 16 avril 2002 liant les parties conformément à sa rubrique « clauses résolutoires » ;

Prononce l’expulsion pure, simple et immédiate du sieur CLASS-TOSSOU Tinos et celle de tous occupants de son chef de l’immeuble objet du bail conformément aux dispositions de l’article 133 de l’Acte uniforme portant Droit Commercial Général ;

Condamne l’intimé à payer aux appelantes, la somme de 180.000 FCFA au titre des arriérés de loyers de janvier à septembre 2013 ainsi que la somme de deux millions (2.000.000) FCFA à titre de dommages-intérêts ;

Condamne l’intimé aux entiers dépens (…) » ;

 

Attendu qu’au soutien de son recours, il expose que cette décision a été rendue au mépris de la loi et des faits ; qu’il n’est pas redevable des loyers envers ses bailleresses et sa condamnation à des dommages-intérêts ne repose sur aucun fondement ; qu’il a effectué des travaux sur la base desquels le loyer mensuel a d’ailleurs été fixé à 20.000 FCFA pour tenir compte de leur amortissement ; que le montant desdits travaux a été fixé à trente millions de FCFA ; que les bailleresses contestant ce montant, il sollicite la désignation d’un expert pour évaluer le coût des constructions réalisées, en vue d’une juste indemnisation préalable à son expulsion, les frais de cette expertise étant supportés par les bailleresses ; que la Cour impartira audit expert un délai pour déposer son rapport ; qu’il demande en outre la condamnation des bailleresses à lui verser, avant toute expulsion, la somme de 50.000.000 de FCFA à titre d’indemnité d’éviction, eu égard aux troubles dont il a été victime de la part de ces dernières qui l’ont empêché de jouir paisiblement des lieux, nonobstant les paiements effectués ; qu’au regard de tout ce qui précède, il sollicite la rétractation de l’arrêt n°004/14 susvisé ;

 

Attendu qu’en réplique, SAVI de TOVE MASSAN Mathilde, SAVI de TOVE Lucia, SAVI de TOVE Rosita, SAVI de TOVE Céline et SAVI de TOVE Félicia, concluent à l’irrecevabilité de l’opposition pour non-respect de l’article 179 du Code de procédure civile, ledit recours ne comportant pas les moyens de l’opposant ; qu’au fond, elles exposent qu’après avoir pris à bail commercial leur immeuble, l’intimé n’a pas honoré ses engagements en accumulant des arriérés de loyers en dépit des mises en demeures ; que c’est alors qu’elles ont requis son expulsion mais ont été déboutées par le juge des référés ; que l’arrêt dont opposition, rendu sur leur appel, a correctement appliqué l’article 133 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, ce texte ne disposant pas que seules les juridictions du fond connaissent de la résiliation de plein droit d’un bail commercial ; que toujours selon les appelantes, le Président du Tribunal de première instance de Lomé a mal dit le droit en déclarant la juridiction des référés saisie par elles incompétente ; qu’elles estiment donc mal fondée l’opposition de CLASS-TOSSOU et concluent au débouté de celui-ci ;

 

Attendu que CLASS-TOSSOU ayant clairement énuméré les moyens qui sous-tendent son opposition, celle-ci réunit les conditions de la loi et doit être déclarée recevable en la forme ;

 

Attendu qu’au fond, c’est à bon droit que le premier juge s’est déclaré incompétent ; qu’il y a lieu de rétracter l’arrêt infirmatif du 15 janvier 2014 de la Cour d’Appel de Lomé, pour les mêmes motifs que ceux ayant entrainé la cassation de celui du 15 juillet 2015 ; que, par voie de conséquence, il échet de dire que l’ordonnance n°0244/2013 du 25 mars 2013 produira ses pleins et entiers effets ;

 

Attendu que les défenderesses succombant, seront condamnées aux dépens ;

 

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;

 

Déclare le pourvoi recevable ;

 

Casse et annule l’arrêt n°297/2015 du 15 juillet 2015 ;

 

Evoquant et statuant au fond :

 

Déclare l’opposition de CLASS-TOSSOU Tinos recevable ;

 

Rétracte l’arrêt n°004/14 du 15 janvier 2014 ;

 

Dit que l’ordonnance n°0244/2013 du 25 mars 2013 rendue par le juge des référés du Tribunal de première instance de première classe Lomé produira ses pleins et entiers effets ;

Condamne les défenderesses aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que ci-dessus et ont signé :

 

 Le Président

 

Le Greffier