Le Conseil des ministres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (l’« OHADA »), a adopté les 23 et 24 novembre 2017, trois nouveaux textes d’importance pour la pratique de l’arbitrage et le règlement des différends dans l’espace OHADA. Concernant la pratique de l’arbitrage, il s’agit de la révision de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’Arbitrage et le règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (la « CCJA »). Le Conseil a également adopté un tout nouvel Acte Uniforme relatif à la Médiation (l’« AUM »), qui sera la seule réforme examinée dans le cadre de cet article ; nous avons consacré un focus spécial sur les deux réformes relatives à la pratique de l’arbitrage, consultable sur notre site internet.
A titre liminaire, il convient de rappeler en quoi la médiation, en tant que nouveau Mode Alternatif de Règlement des Différends (« MARD »), se distingue de l’arbitrage.
L’arbitrage est une justice privée par laquelle les parties désignent un ou plusieurs arbitres pour trancher leur conflit ; l’arbitre décidant dans le respect des principes du droit. Son rôle s’apparente à celui d’un juge étatique dans la mesure où la sentence rendue par lui possède l’autorité de la chose jugée, sa solution s’impose aux parties et elle est contraignante.
La médiation, en revanche, est une procédure informelle facilitée par un médiateur dont la fonction est d’aider les parties à négocier dans le cadre du différend qui les oppose, afin de parvenir à un accord ; il ne rend aucune décision et les parties ne sont pas tenues par les propositions faites par lui au cours de la négociation.
En résumé, la principale différence entre l’arbitrage et la médiation réside dans le fait que l’arbitrage débouche sur un titre exécutoire sous la forme d’un jugement arbitral, alors que la médiation se solde par un accord entre les parties qui ne constitue pas un titre exécutoire. L’exécution de l’accord de médiation est dès lors laissée à l’entière discrétion des parties ; ces dernières pouvant recourir au juge pour solliciter l’apposition de la formule exécutoire sur l’accord.
Ce rappel étant fait, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi le législateur OHADA a adopté un texte spécifique à la médiation en sus de ceux relatifs à l’arbitrage. Pour y répondre, nous présenterons ci-dessous la réforme de l’AUM en trois points : l’importance de l’adoption de l’AUM (1), la codification de la médiation en droit OHADA (2), et le déroulement de la procédure de médiation conformément aux dispositions de l’AUM (3).
1. L’importance de l’adoption de l’AUM
Malgré l’absence d’une codification spécifique par le législateur OHADA, force est de constater que la médiation avait déjà fait son entrée dans l’espace OHADA. En effet, ces dernières années des centres de médiation ont germé dans de nombreux Etats membres de l’OHADA, notamment : le centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation du Bénin ; le centre national d’arbitrage, de conciliation et de médiation de la République Démocratique du Congo ; le Centre d’Arbitrage de la Côte d’Ivoire (« CACI ») ; le Centre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation de Ouagadougou (« CAMC-O ») ; et le Centre Permanent d’Arbitrage et de Médiation du Cameroun (« CPAM »), pour ne citer qu’eux.
Selon les statistiques publiées par le CAMC-O, il en ressort que depuis sa création en 2007 jusqu’au mois de mai 2013, il a reçu près de 184 affaires dans le cadre d’une médiation[1]. Ces chiffres encourageants démontrent que les investisseurs sont de plus en plus enclins à recourir à la médiation dans l’espace OHADA et cela malgré l’absence de législation.
Néanmoins, cette absence de codification ne favorisait pas la vulgarisation de la médiation dans la mesure où, pour y recourir, il fallait obligatoirement se rattacher à un centre de médiation disposant d’un règlement qui servirait de feuille de route pour la conduite de la procédure. Les parties ne disposaient pas de la possibilité de conduire leur médiation de manière ad hoc c’est-à-dire en dehors de tout centre de médiation. De plus, la procédure prévue par les règlements des centres n’était pas forcément à la convenance des parties.
L’adoption de l’AUM par le législateur OHADA vient combler ce vide car ce nouvel acte permet aux parties qui ne veulent pas se rattacher à un centre de médiation, de pouvoir mener leur médiation selon les dispositions de l’AUM. Les parties ont également la possibilité de déterminer elles-mêmes les modalités de la médiation et notamment, le déroulement de la procédure, sa durée, les frais y afférents et la délimitation de l’intervention du médiateur. Ainsi, nous ne pouvons que saluer l’initiative du législateur OHADA qui en codifiant la médiation a permis aux investisseurs de disposer d’un MARD plus flexible que l’arbitrage, et participe à l’attractivité de l’espace OHADA.
2. La codification de la médiation en droit OHADA
Elle peut être appréciée en trois points : son champ d’application (2.1), la différence entre la médiation et des notions voisines (2.2), et les différents modes de médiation (2.3).
2.1 Le champ d’application
L’AUM ne s’applique qu’aux domaines prévus par le traité OHADA à savoir notamment le droit commercial et le droit des sociétés.
La médiation ne s’applique pas aux cas dans lesquels un juge ou un arbitre, pendant une instance judiciaire ou arbitrale respectivement, tente de faciliter un règlement amiable directement avec les parties[2].
2.2 La notion de médiation
La médiation est définie comme étant tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats[3]. Cette définition claire de la médiation permet de la distinguer d’autres notions voisines. Notons que le mot « tiers » dans cette définition renvoie au médiateur qui est sollicité pour mener une médiation[4].
Les notions qui sont proches et peuvent être confondues à la notion de médiation sont nombreuses. Nous avons, par exemple, la négociation qui est un processus de discussion entre des parties en vue de parvenir à un accord au sujet d’une affaire. Le négociateur se différencie du médiateur en ce sens qu’il est partie prenante à la négociation, alors que le médiateur est un tiers impartial et neutre à la médiation.
Nous avons également la conciliation qui se diffère de la médiation en ce sens que la médiation requiert l’intervention d’un tiers qui intervient de manière plus active dans la recherche d’une solution au différend. Selon le professeur Henri Touzard[5], tandis que le conciliateur « se contente de faciliter les relations et les communications entre les parties », le médiateur « peut intervenir dans la discussion, faire des suggestions et des propositions ou même formuler des recommandations en vue d’un accord ». Toutefois, comme dans le cadre de la conciliation, le tiers médiateur n’est qu’un catalyseur dans la recherche d’une solution au conflit qui oppose les parties. Il ne dispose d’aucun pouvoir pour trancher le différend ni imposer de solution aux parties. André -Jean Arnaud résumait parfaitement ces deux éléments distinctifs lorsqu’il précisait, tout d’abord, que « la médiation n’est qu’une forme de conciliation opérée par un tiers, laquelle n’est qu’une forme de conciliation lato sensu » et enfin, que « le médiateur n’est qu’un conciliateur particulièrement actif »[6].
Ainsi, la médiation a un régime juridique bien défini qui ne doit en aucun cas faire l’objet de confusion avec des notions voisines malgré leur similarité parfois étroite.
2.3 Les modes de médiation
La médiation se présente sous deux formes principales dans l’AUM : la médiation judiciaire et la médiation conventionnelle.
La médiation judiciaire est celle qui intervient sur demande ou invitation d’une juridiction étatique[7]. Dans la mesure où l’AUM ne précise pas de critères de compétence pour la juridiction étatique, tout porte à croire que toutes les juridictions des Etats membres de l’OHADA seraient en mesure de demander ou d’inviter à la mise en œuvre d’une médiation entre des parties à un différend.
La médiation conventionnelle est celle qui est mise en œuvre directement par les parties.
3. Le déroulement de la procédure de médiation
3.1 La demande de médiation
Avant l’adoption de l’AUM, la procédure de médiation se déroulait suivant les modalités et conditions fixées par le règlement de chaque centre de médiation. Pour certains comme le CACI et le CPAM, la demande de médiation est subordonnée à la production de certains documents liés à la procédure et le paiement des frais y afférents. L’AUM prévoit que la procédure de médiation soit déclenchée par la partie la plus diligente, suite à la mise en œuvre d’une convention de médiation écrite ou non, sans paiement de frais quelconques[8]. En l’absence de convention, la demande de médiation prend la forme d’une invitation écrite envoyée à l’autre partie. En cas de défaut d’acceptation par l’autre partie dans un délai de 15 jours ou à l’expiration de tout autre délai spécifié dans la lettre d’invitation, la partie en demande peut considérer l’absence de réponse comme un rejet de l’invitation à la médiation. En cas d’acceptation, les parties se rencontrent pour procéder aux modalités du déroulement de la procédure de médiation notamment la désignation du ou des médiateurs ainsi que la délimitation de leur intervention, la fixation de la durée du déroulement de la procédure et de manière générale la conduite de la médiation.
3.2 La désignation du médiateur
Les parties choisissent librement le ou les médiateurs d’un commun accord[9]. L’AUM prévoit que les parties peuvent être assistées d’une « autorité de désignation » ; cette autorité pouvant être toute personne physique ou morale, notamment un centre ou une institution offrant des services de médiation. Le législateur OHADA laisse donc toute liberté aux parties pour organiser le processus de désignation du médiateur.
3.2.1 Obligation d’indépendance et d’impartialité du médiateur
Le médiateur doit obligatoirement déclarer par écrit son indépendance et son impartialité ainsi que sa disponibilité pour assurer la procédure de médiation[10]. Ces critères sont essentiels car ils garantissent que le médiateur dirigera de manière objective la médiation.
En cas de survenance de circonstances nouvelles susceptibles de soulever des doutes légitimes sur son indépendance et son impartialité, le médiateur est tenu d’informer les parties de leur droit à s’opposer à la poursuite de sa mission. Si l’une des parties choisies de mettre en œuvre ce droit d’opposition, la mission du médiateur prend fin.
3.3 La conduite de la procédure de médiation
Le médiateur et tout centre de médiation établi dans un Etat membre doivent adhérer aux principes garantissant le respect de la volonté des parties, l’intégrité morale, l’indépendance et l’impartialité du médiateur, la confidentialité et l’efficacité du processus de médiation[11].
Les parties sont libres de convenir, y compris par référence à un règlement de médiation, de la manière dont la médiation doit être conduite, contrairement aux règlements des centres qui prévoient les modalités de déroulement de la procédure.
Par ailleurs, l’AUM prévoit la suspension du délai de prescription d’une action ayant été initiée auprès d’une juridiction étatique ou un tribunal arbitral, afin de permettre aux parties de recourir à la médiation. Si les parties parviennent à un accord, elles peuvent se désister de la procédure initiale ou, dans le cas contraire, poursuivre ladite procédure.
De manière générale, le médiateur accomplit sa mission avec diligence et accorde, dans la conduite de la médiation, un traitement équitable aux parties en prenant en compte les circonstances de l’affaire.
Les informations communiquées lors de la procédure de médiation sont confidentielles et ne peuvent être divulguées que dans les cas prévus par la loi ou pour les besoins de la mise en œuvre ou l’exécution de l’accord issu de la médiation[12].
3.4 La fin de la procédure de médiation
Après divers échanges et réception du rapport d’expertise recommandé le cas échéant par le médiateur, la médiation prend fin dans le meilleur des cas par un accord écrit signé par toutes les parties et par le médiateur si les parties le souhaitent. Cet accord aura valeur de la chose convenue, c’est-à-dire qu’elle ne produira d’effets qu’entre les parties comme un nouveau contrat qui les obligent.
3.5 L’Exécution de l’accord issu de la médiation
Afin de garantir l’exécution forcée de l’accord de médiation et de lui conférer autorité de la chose transigée, l’AUM prévoit que les parties auront le choix entre (i) le dépôt au rang des minutes d’un notaire pour authentification d’écritures et de signatures et délivrance d’une copie exécutoire, ou (ii) la requête aux fins d’homologation de l’accord ou d’exequatur de la juridiction étatique compétente[13]. L’ordonnance d’homologation est rendue par le juge, après vérification de l’authenticité de l’accord de médiation et de sa conformité à l’ordre public, dans un délai maximum de 15 jours ouvrables à compter de la date du dépôt de la demande ; à défaut, l’homologation ou l’exequatur est réputé acquis (l’« Homologation Automatique »).
A noter que, les règlements de certains centres tels que le CACI ne renvoient pas les parties auprès du juge étatique afin que ce dernier confère à l’accord intervenu autorité de la chose jugée avec exécution forcée. Selon nous, une telle absence de renvoi n’alerte pas les parties sur la nécessité de faire apposer la formule exécutoire sur leur accord afin de se prévaloir de tout droit qui en découlerait. La précision présente dans l’AUM est donc louable sur ce point.
Enfin, notons également que les parties disposent de deux recours à savoir (i) un recours contre l’Homologation Automatique devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (« CCJA ») si l’une des parties estime que l’accord de médiation n’est pas conforme à l’ordre public et (ii) un pourvoi devant la CCJA en cas de refus d’homologation ou d’exequatur par le juge[14]. La décision du juge qui accorde l’homologation ou l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours.
Les règlements des centres de médiation ne prévoient pas les modalités d’exécution des accords intervenus entre les parties qui doivent se rendre auprès du tribunal compétent pour faire apposer la formule exécutoire. En cas de recours contre un accord de médiation, les parties sont soumises aux règles du droit commun.
En conclusion, le législateur OHADA a une fois de plus amélioré le climat des affaires dans la zone à travers l’adoption de l’AUM comme nouveau mode alternatif de règlement de différends afin de permettre aux acteurs économiques de mener avec souplesse et contrôle la gestion de leurs différends.
Auteurs :
Aurélie Chazai, avocate aux Barreaux du Cameroun et de Paris, managing partner du cabinet Chazai Wamba.
Vanina Fonga, juriste, collaboratrice senior au sein du cabinet Chazai Wamba.
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http://revue.ersuma.org/no-4-septembre-2014/doctrine/article/mediation-et-ohada ↑
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Article 2 de l’AUM. ↑
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Article 1 (a) de l’AUM. ↑
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Article 1 (b) de l’AUM. ↑
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H. TOUZARD, Propositions visant à améliorer l’efficacité de la médiation dans les conflits du travail, Dr. social, 1977, p. 87, n° 4. ↑
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A.-J. ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, p. 13. ↑
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Article 1er de l’AUM. ↑
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Article 4 de l’AUM. ↑
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Article 5 de l’AUM. ↑
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Article 6 de l’AUM. ↑
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Article 8 de l’AUM. ↑
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Articles 10 et 11 de l’AUM. ↑
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Article 16 de l’AUM. ↑
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Article 16 de l’AUM. ↑