ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Deuxième Chambre

Audience Publique du 03 juin 2010

Pourvoi : n° 092/2006/PC du 17 novembre 2006

Affaire : Les Etablissements TICA

                      (Conseil : Maître VIEIRA Patrick Georges, Avocat à la Cour)

contre

                Société TRIDENT SHIPPING SA

                (Conseils : Maîtres KOUASSI ALLAH et BOHOUSSOU, Avocats à la Cour)          

ARRET N°034/2010 du 03 juin 2010

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 03 juin 2010 où étaient présents :

 

Messieurs  Antoine Joachim OLIVEIRA, Président, rapporteur

Doumssinrinmbaye BAHDJE,  Juge

Boubacar DICKO, Juge

 et      Maître MONBLE Jean Bosco, Greffier ;              

 

Sur le renvoi en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, dans l’affaire les Etablissements TICA contre la Société TRIDENT SHIPPING SA, par Arrêt n°422/06 en date du 06 juillet 2006 de la Cour Suprême, Chambre Judiciaire, Formation Civile de la République de Côte d’Ivoire, saisie d’un pourvoi formé le 08 octobre 2004 par les Etablissements TICA, sis à Abidjan – Biétry, Boulevard de Marseille, 18 B.P. 1739 Abidjan 18, ayant pour conseil Maître VIEIRA Patrick Georges, Avocat à la Cour, demeurant au 3, rue des Fromagers, Abidjan – Plateau Indénié, Immeuble CAPSY-Indénié, 1er étage, 01 B.P. V 159 Abidjan 01,

en cassation de l’Arrêt n° 562 rendu le 26 avril  2002 par la Cour d’appel d’Abidjan au profit de la Société TRIDENT SHIPPING SA, sise à Abidjan 18, ayant pour conseil, Maîtres KOUASSI ALLAH et BOHOUSSOU, Avocats associés, demeurant à Abidjan Plateau 44 Bd Angoulvant, Résidence le manguier 4è étage porte n° 13, 01 B.P. V71 Abidjan 01et dont le dispositif est le suivant :

« EN LA FORME :

Déclare la Société TRIDENT SHIPPING recevable en son appel relevé de l’ordonnance de référé n°876 rendu le 18 février 2002 par la juridiction présidentielle du Tribunal d’Abidjan ;

AU FOND :

L’y dit fondé ;

Réformant ladite ordonnance ;

Déboute l’Etablissement TICA de sa demande en désignation d’un tiers qualité de séquestre ;

Confirme l’ordonnance en ses autres dispositions ;

Condamne l’Etablissement TICA aux dépens ; » ;

 

Le requérant invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur Antoine Joachim OLIVEIRA, Président,

Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif  à  l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces de la procédure qu’en vertu de l’Ordonnance n°4304/2001 rendue le 20 septembre 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, la Société TRIDENT SHIPPING SA a pratiqué, pour garantie et paiement de la somme de 18.957.677 francs CFA, la saisie conservatoire autorisée par ladite ordonnance, sur 640 tonnes de graines de coton appartenant aux Etablissements TICA ;

 

Attendu que par requête intitulée « requête aux fins d’être autorisé à vendre des denrées périssables en date du 21 septembre 2001, la Société TRIDENT SHIPPING SA a saisi le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan aux fins de solliciter l’autorisation de vendre les 640 tonnes de graines de coton, de « séquestrer » le produit de la vente et ce jusqu’à ce qu’elle obtienne un titre exécutoire à l’encontre des Etablissements TICA ; qu’au soutien de sa requête, la société TRIDENT SHIPPING SA énonce « … que les graines de coton sont dans un état de dépréciation telle leur valeur s’amoindrit du fait des intempéries, et que si les choses demeurent ainsi, le gage de sa créance que constituent ces graines de coton aura disparu. Ce pourquoi, pour éviter la perte totale de sa sûreté et dans l’intérêt tant du débiteur saisi que de celui du créancier (la société requérante), la requérante… » sollicite les deux mesures susnoncées ; que par Ordonnance n°434/2001 rendue au pied de la requête, le 21 septembre 2001, le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, estime, en application des articles 231 et suivants du code de procédure civile ivoirien, d’une part, que la requête introduite par la société TRIDENT SHIPPING SA était fondée, d’autre part, que le produit de la vente sera séquestré entre les mains de la requérante jusqu’à ce qu’elle obtienne un titre exécutoire ;

 

Attendu que par Ordonnance de référé n°876 rendue le 18 février 2002, le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, saisi par les Etablissements TICA d’un exploit en date du 5 février 2002 aux fins d’ordonner la consignation du produit de la vente des graines de coton dans les mains d’un séquestre, en application des articles 1955 in fine, 1956 et 1961 relatifs au séquestre du Code civil, a désigné la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA en qualité de séquestre du produit de la vente du coton ;

 

Attendu que sur appel de la société TRIDENT SHIPPING SA, la Cour d’appel d’Abidjan a, par Arrêt n°562/02, rendu le 26 avril 2002, dont pourvoi, reformé l’Ordonnance de référé n°876 et débouté les Etablissements TICA, de leur demande en désignation d’un tiers en qualité de tiers ;

 

Sur le premier moyen, toutes branches réunies

Attendu que les Etablissements TICA fait grief à la Cour d’appel d’Abidjan d’avoir appliqué, pour désigner la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA en qualité de séquestre judiciaire du produit de la vente des graines de coton, les articles 36, 57 et 106 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en estimant qu’il résultait de la combinaison de ces articles que « le créancier est réputé gardien et la saisie des sommes vaut consignation et lui confère un droit de gage dont il ne peut être déchargé au profit du séquestre », alors, d’une part que l’article 57 régit exclusivement la saisie des sommes d’argent, laquelle est différente de la saisie des meubles corporels concernant le présent litige, d’autre part, que l’article 36 ne créé au profit du tiers détenteur du bien qu’une simple présomption ; enfin que l’article 106 ne traite pas du séquestre, mais uniquement de la possibilité de pratiquer la saisie sur soi-même ; qu’en statuant comme il l’a fait la Cour d’appel a mal appliqué ces articles à l’espèce que lui a été soumise, faisant ainsi encourir de cassation de l’Arrêt attaqué ;

 

Vu l’article 113 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution applicable selon l’article 67 du même Acte à la saisie conservatoire des biens meubles corporels pratiquée entre les mains d’un tiers qui dispose que « …Sous réserve du droit d’usage dont le tiers pourrait être le titulaire sur les biens saisis, la juridiction compétente peut ordonner sur requête, à tout moment, même avant le début des opérations de saisie, et après avoir entendu les parties ou celles-ci dûment appelées, la remise d’un ou plusieurs objets à un séquestre qu’il désigne » ;

 

Attendu que la Cour d’appel d’Abidjan a débouté les Etablissements TICA, débiteur saisi, de sa demande de désignation d’un séquestre autre que la Société TRIDENT SHIPPING SA, qui avait pratiqué à son encontre la saisie conservatoire et la vente, avant toute opération de saisie, des 640 tonnes de graines de coton ; au motif que cette dernière était gardienne des sommes et donc titulaire sur celles-ci d’un droit de gage inaltérable ;

 

Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’au sens de l’article 113 suscité, la juridiction compétente peut, désigner un séquestre entre les mains duquel doivent être consignées les sommes d’argent provenant de la vente d’objets saisis conservatoirement, par le créancier saisissant, avant toute opération de saisie autorisée par le juge des référés, la Cour d’appel a violé ce texte et que l’arrêt attaqué doit être cassé, et qu’il y a lieu, en application de l’article 14 du Traité de l’OHADA d’évoquer la présente affaire et de statuer au fond ;

 

Sur l’évocation

 

Attendu que la société TRIDENT SHIPPINP a relevé appel, par exploit du 5 mars 2002, de l’ordonnance de référé n°876 rendue le 18 février 2002 par la juridiction présidentielle du Tribunal d’Abidjan – Plateau dont le dispositif est ainsi libellé ;

 

« Déclarons l’entreprise TICA recevable et fondé en son action ;

Désignons la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA en qualité de séquestre du produit de la vente jusqu’à une décision définitive ;

Mettons en dépens à la charge des parties pour moitié chacune » ;

 

Attendu qu’aux termes de son acte d’appel valant conclusions, la société TRIDENT SHIPPING, fait grief au premier juge d’avoir violé les articles 36, 57, et 106 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; qu’à cet effet elle relève que le juge des référés a considéré à tort que sa saisie faite en vertu d’une ordonnance d’injonction de payer, ce qui ne l’est pas ; que le titre en vertu duquel elle conserve sous la garde la somme de 18.917.000 FCFA est une ordonnance sur requête n°4304/2001 prise en vertu des articles 5 et suivant de l’Acte uniforme précité ; que cette ordonnance autorisant le n’a jamais été rétractée, il en est de même pour l’Ordonnance 4347/2001 ; que la saisie pratiquée est une mesure conservatoire, faite pour garantir le recouvrement de sa créance ; que cette saisie est régulière tant en la forme qu’au fond ; que partant, aucun incident relatif à la procédure d’injonction de payer introduite entre les parties ne peut affecter le cours de la saisie ; qu’en considérant que le produit de la saisie est litigieux du seul fait de l’opposition formalisée par l’entreprise TICA, le juge des référés a mal statué et occulté ces règles de droit impératives posées par le Traité OHADA ;

 

Qu’aux termes de l’article 36 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, pendant toute la durée de la procédure principale, qu’au cours du règlement des incidents relatifs tant à la saisie qu’à son exécution, le tiers détenteur est réputé gardien des biens saisis ; qu’en l’espèce, c’est elle seule, détentrice des biens saisis qui a vocation pour assurer la garde des biens saisis ; qu’elle poursuit, en faisant valoir que l’article 57, alinéa 2 du Traité précité indique que la saisie vaut de plein droit consignation des sommes devenues indisponibles et confère au saisissant un droit de gage ; qu’ainsi, en désignant la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA  séquestre des sommes détenues par elle, le juge des référés, a violé les dispositions susindiquées, car selon l’article 106, le créancier est fondé à pratiquer saisie entre ses propres mains et bénéficie ainsi de tous les droits reconnu à la fois un créancier poursuivant qu’au tiers saisis ; qu’en faisant droit à la demande de séquestre, le juge des référés s’est comporté comme si elle avait été désigné séquestre d’une somme litigieuse alors que bien au contraire elle conserve de par la loi le droit de consigner entre ses mains les biens saisis ;

 

Attendu qu’au bénéfice de toutes ces observations, la société TRIDENT SHIPPING conclut à l’infirmation de l’ordonnance attaquée à l’effet de voir débouter l’entreprise TICA de sa demande de séquestre ;

 

Attendu que pour sa part, les Etablissements TICA, intimé, plaide l’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt, en ce que, d’une part, aux termes des articles 1956 et 1963 du code civil le séquestre judiciaire ne peut être qu’un tiers, de sorte que la désignation de la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA ne cause à l’appelante aucun grief ; que d’autre par l’entreprise TICA relève qu’il s’agit d’une mesure conservatoire qui ne préjudice en rien les intérêts des parties ;

 

Attendu que subsidiairement au fond, l’entreprise TICA fait valoir qu’il n’a aucune violation des articles 36, 57, 103 et 106 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; conséquemment, elle conclut à la confirmation de l’ordonnance attaquée ;

 

Attendu que à l’analyse des Etablissements TICA, la société TRIDENT SHIPPING a parfaitement intérêt à relever appel de l’ordonnance attaquée en raison de ses qualités de partie au procès d’une part et d’autre part, ce créancier saisissant qui estime que la désignation d’un séquestre lèse ses intérêts et surtout viole des dispositions légales ; qu’il en résulte que le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut d’intérêts n’apparaît pas justifié et doit être rejeté comme tel ;

 

Attendu que la détention par la société TRIDENT SHIPPING, saisissante, du prix de vente des graines de coton saisies, opérée par elle avant la mise en œuvre des opérations de saisie conservatoire, autorisé par  l’Ordonnance n°4347/2001 rendue le 21 septembre 2001 au pied de la requête par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan a créé, en raison de ce que la créance, objet du recouvrement, était contestée, une situation mettant en péril la conservation des intérêts des Etablissements TICA, ce qui avait conduit le juge des référés à ordonner raisonnablement au « profit des deux parties » la désignation en qualité de séquestre du prix de vente du coton un tiers en la personne de la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA ;

 

Attendu que la société TRIDENT SHIPPING SA, ayant succombé, doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n°562 rendu le 26 avril 2002 au profit des Etablissements TICA, par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant au fond ;

Confirme l’Ordonnance de référé n°876, rendue le 18 février 2002, par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan et ayant désigné la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats dite CARPA en qualité de séquestre ;

Condamne aux dépens la société TRIDENT SHIPPING SA.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 Le Président
Le Greffier