ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 Première chambre

Audience Publique du 22 décembre 2005

Pourvoi : n°  031/2004/PC du 13 mars 2004

Affaire : DIRABOU Yves Joël et 3 autres

               (Conseil : Maître OBENG-KOFI FIAN,  Avocat à la Cour)

contre

     Société  « LES TERRES NOBLES » dite TERNOB

        (Conseil : Maître KIGNIMA Charles, Avocat à la Cour)                          

ARRET N° 060/2005 du 22 décembre 2005      

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A), Première chambre, de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 22 décembre 2005 où étaient présents :

 

Messieurs Jacques M’BOSSO,                     Président

Maïnassara MAIDAGI,                Juge, rapporteur

Biquezil NAMBAK,                   Juge

 

et Maître KEHI Colombe BINDE, Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°031/2004/PC du 13 mars 2004 et formé par Maître OBENG-KOFI FIAN, Avocat à la Cour, demeurant 19, Boulevard Angoulvant, Résidence NEUILLY, aile gauche, 2ème étage, 01 BP 6514 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de DIRABOU Yves Joël et 3 autres, dans la cause qui oppose ceux-ci à la Société « TERRES NOBLES » dite TERNOB, ayant pour conseil Maître KIGNIMA Charles, Avocat à la Cour,en cassation de l’Arrêt n°626 rendu le 20 mai 2003 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort ;

 

Déclare recevable mais mal fondé et rejette comme tel, l’appel relevé par DIRABOU YVES JOEL, OUATTARA HABIB, KINDA KASSOUM, YOVO KOUAMI de l’Ordonnance de référé n°1441 rendue le 27 mars 2003 par la juridiction présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan ;

Confirme ladite ordonnance en toutes ses dispositions ;

Condamne les appelants aux dépens » ;

Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent au recours en cassation annexé au présent arrêt ;

Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAÏDAGI ;

Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure qu’en exécution de l’Arrêt n°730/2002 du 25 octobre 2002 par lequel la Cour d’appel d’Abidjan avait confirmé le Jugement n°04/2002 en date du 10 janvier 2002 du Tribunal du Travail d’Abidjan condamnant la Société « LES TERRES NOBLES » à payer à DIRABOU Yves Joël et 3 autres, ses ex-employés, diverses sommes d’argent représentant des indemnités de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement abusif, lesdits ex-employés avaient pratiqué une saisie-vente le 16 décembre 2002 sur divers biens meubles appartenant à la Société « LES TERRES NOBLES » au nombre desquels figurent des véhicules terrestres à moteur ; que le 08 février 2003, les saisissants avaient, par voie d’huissier, procédé au recollement des biens saisis suivi de l’enlèvement en vue de leur vente forcée aux enchères publiques ; que par exploit d’huissier en date du 13 février 2003, ils avaient avisé la Société « LES TERRES NOBLES » de la date de la vente fixée au 1er mars 2003 à 9 heures ; que réagissant à cet avis de vente, la société « LES TERRES NOBLES » avait, par exploit d’huissier en date du 27 février 2003, assigné les saisissants devant le juge de référés pour voir annuler la saisie-vente et obtenir la restitution du camion IVECO immatriculé sous le n°5999, objet de la saisie-vente, motifs pris, d’une part, de ce que le procès-verbal de recollement ne visant pas l’acte de saisie serait par conséquent entaché de nullité et, d’autre part, de la violation des articles 103 et 113 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que par Ordonnance n°1441 rendue le 27 mars 2003 le juge des référés a fait droit à la demande de la Société « LES TERRES NOBLES » ; que sur appel de DIRABOU Yves Joël et autres, la Cour d’appel d’Abidjan a, par Arrêt n°626 en date du 20 mai 2003 dont pourvoi, confirmé l’ordonnance attaquée en toutes ses dispositions ;

 

SUR LE TROISIEME MOYEN

Vu les articles 144, alinéas 3 et 4 et 146 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles 144 et suivants de l’Acte uniforme susvisé en ce que la Cour d’appel a confirmé l’Ordonnance de référé n°1441 du 27 mars 2003 rendue par la juridiction présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan, qui a ordonné la mainlevée de la saisie pratiquée et la restitution du véhicule enlevé sous astreinte comminatoire de 200.000 Frs (deux cent mille francs) par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance alors que, selon le moyen, il ressort du texte de l’article 144 de l’Acte uniforme susvisé que la restitution du bien saisi ne peut être demandée que si la saisie est déclarée nulle avant la vente ; qu’en l’espèce, le juge des référés n’a à aucun moment constaté et prononcé la nullité du procès-verbal de recollement, encore moins celle de la saisie ; que sur ce point, les déclarations de la Cour d’appel sont inexactes lorsqu’elle affirme que c’est à bon droit que le premier juge a constaté la nullité du procès-verbal de recollement ; que par ailleurs, toujours selon le moyen, dans le cas d’espèce, la vente était déjà intervenue et le produit distribué lorsque le juge des référés a ordonné, le 27 mars 2003, la restitution du véhicule ; que la loi ne lui reconnaît pas cette possibilité et qu’en rendant une telle décision, il a manifestement violé l’article 144 susindiqué ;

 

Attendu que pour déclarer régulière et recevable l’action de la Société « LES TERRES NOBLES » tendant à ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée et la restitution du véhicule enlevé sous astreinte comminatoire, la Cour d’appel a retenu «  qu’aux termes des dispositions de l’article 144 de l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution, “la nullité de la saisie pour vice de forme ou de fond autre que l’insaisissabilité des biens compris dans la saisie, peut être demandée par le débiteur jusqu’à la vente des biens saisis “… en l’espèce, l’action de la société ” LES TERRES NOBLES” ayant été initiée le 27 février 2003 alors que la vente n’aura lieu que le 1er mars 2003 est régulière et recevable » ;

Attendu qu’aux termes des articles 144 alinéas 3 et 4 et 146 de l’Acte uniforme susvisé,       « si la saisie est déclarée nulle avant la vente, le débiteur demande la restitution du bien saisi s’il se trouve détenu par un tiers, sans préjudice des actions en responsabilité exercées dans les termes du droit commun.

Si la saisie est déclarée nulle après la vente, mais avant la distribution du prix, le débiteur peut demander la restitution du produit de la vente » et « la demande en nullité ne suspend pas les opérations de saisie, à moins que la juridiction n’en dispose autrement » ;

Attendu que de l’analyse des dispositions susénoncées de l’Acte uniforme précité, il s’infère que la restitution du bien saisi ne peut intervenir que si la saisie est annulée avant que la vente aux enchères publiques ne soit intervenue ; qu’en l’espèce, si l’action en nullité initiée le 27 février 2003 l’a été avant la vente aux enchères publiques intervenue le 1er mars 2003, en revanche la décision du juge des référés du 27 mars 2003 ordonnant la restitution du véhicule vendu est intervenue bien longtemps après la vente et la distribution du prix ; qu’il suit qu’en confirmant l’Ordonnance n°1441 du 27 mars 2003, la Cour d’appel fait dire à l’article 144 susénoncé de l’Acte uniforme susvisé qu’il permet la restitution du bien saisi à partir de la seule saisine de la juridiction compétente d’une action en nullité de la saisie alors que, contrairement à ce que retient la Cour d’appel, la juridiction compétente ne peut pas ordonner ultérieurement la restitution des objets saisis lorsque ceux-ci ont déjà été vendus aux enchères publiques et le prix de vente distribué ; qu’il s’ensuit, qu’en l’espèce, l’arrêt de la Cour d’appel a violé l’article 144 de l’Acte uniforme susvisé ; qu’il échet en conséquence de casser ledit arrêt et d’évoquer sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;

 

SUR L’EVOCATION

Attendu que par exploit d’huissier en date du 1er avril 2003 les sieurs DIRABOU Yves Joël et autres ont relevé appel de l’Ordonnance n°1441 du 24 mars 2003 de la juridiction présidentielle du Tribunal d’Abidjan et ont demandé l’annulation ou l’infirmation de ladite ordonnance ; qu’à l’appui de leur appel, les susnommés soutiennent que les articles 103 et 113 susindiqué ne disent aucunement que l’enlèvement du véhicule en vue de la vente est soumis à une autorisation mais prévoient tout simplement la possibilité pour le créancier saisissant de solliciter l’immobilisation du véhicule jusqu’à son enlèvement en vue de la vente, ce qui suppose que l’on se trouve encore dans le délai d’un mois prescrit pour toutes les contestations de la saisie, or ce n’était plus le cas en l’espèce ; que s’agissant de la restitution du véhicule saisi sous astreinte, les appelants estiment que cela ne repose sur aucun fondement, l’article 146 de l’Acte uniforme susindiqué disposant que « la demande en nullité ne suspend pas les opérations de saisie, à moins que la juridiction n’en dispose autrement » ; qu’enfin visant l’article 144 du même Acte uniforme, les appelants affirment que la vente était fixée et avait eu lieu le 1er mars 2003 alors que la Société « LES TERRES NOBLES » avait introduit le 27 février 2003 sa demande en nullité de la saisie et la décision querellée était intervenue le 27 mars 2003 alors que les biens avaient été vendus et le prix de la vente distribué ; que par conséquent la décision querellée ne pouvait en aucun cas ordonner la restitution du véhicule vendu, la seule possibilité pour le débiteur étant de demander la restitution du produit de la vente à la condition qu’il n’ait pas été distribué ;

Attendu que la Société « LES TERRES NOBLES », intimée, conclut à la confirmation de l’Ordonnance entreprise en relevant que l’article 103 de l’Acte uniforme précité oblige l’huissier instrumentaire à solliciter l’autorisation de la juridiction compétente pour toute immobilisation d’un véhicule à moteur ;

Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus développés lors de l’examen du troisième moyen de cassation, il y a lieu de relever que c’est à tort que le premier juge a ordonné la mainlevée de la saisie pratiquée et la restitution, sous astreinte, du véhicule enlevé ; qu’il échet d’infirmer l’ordonnance entreprise et de rejeter en conséquence la demande de la Société « LES TERRES NOBLES » tendant à ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée et la restitution, sous astreinte, dudit véhicule ;

Attendu que la Société « LES TERRES NOBLES » ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n°626 rendu le 20 mai 2003 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Infirme l’Ordonnance n°1441 rendue le 24 mars 2003 par la juridiction présidentielle du tribunal de première instance d’Abidjan ;

Rejette la demande de la Société « LES TERRES NOBLES » tendant à obtenir la mainlevée de la saisie pratiquée et la restitution, sous astreinte, du véhicule enlevé ;

Condamne la Société « LES TERRES NOBLES » aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

Le Président

Le Greffier