ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)
Deuxième chambre
Audience Publique du 26 mai 2005
POURVOI n° : 016/2004/PC du 16/02/2004
AFFAIRE : Banque Africaine de Développement dite BAD
(Conseils : Maîtres ESSY N’GATTA, COWPLI BONI , Cyprien F. KOFFI
HOUNKANRIN, Avocats à la Cour)
contre
Société Ivoir Café
(Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)
ARRET N°034/2005 du 26 mai 2005
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 26 mai 2005 où étaient présents :
Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA, Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Boubacar DICKO, Juge, rapporteur
et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier ;
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire Banque Africaine de Développement dite BAD contre Société Ivoir Café, par Arrêt n°675/03 du 11 décembre 2003 de la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi initié par exploit en date du 07 février 2002 de la BAD dont le siège social est à Abidjan, Avenue Joseph Anoma, 01 BP 1387 Abidjan 01, ayant pour conseils Maîtres COWPLI-BONI Béatrice, ESSY N’GATTA et Cyprien F. KOFFI Hounkanrin, Avocats à la Cour, tous demeurant en leur cabinet respectif à Abidjan,en cassation de l’Arrêt n°1384 rendu le 30 novembre 2001 par la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;
Reçoit tant la BAD que la Société Ivoir Café en leurs appels principal et incident relevés du Jugement n°187 du 14 mars 2001, rendu par le Tribunal de 1ère instance d’Abidjan ;
Au fond :
Infirme le jugement entrepris ;
Sur évocation ;
Déclare la BAD irrecevable en sa demande d’annulation de la Société Ivoir Café en application de l’article 3 du code de procédure civile ;
Dit par contre la Société Ivoir Café recevable et partiellement fondée en son appel incident ;
Condamne la BAD à payer la somme de 1.200.000.000 francs à titre de dommages-intérêts à la Société Ivoir Café ;
Condamne la BAD aux entiers dépens. » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que par convention en date du 15 juin 1993 conclue entre la BAD et la Société Ivoir Café représentée par Monsieur Thierry TAN, son Président Directeur Général, la première consentait à la seconde un prêt d’un montant de 3.800.000 francs français soit 3.800.000.000 (trois milliards huit cent millions) de francs CFA pour financer une partie des coûts en devises du projet de construction d’une usine de fabrication de café soluble ; que le décaissement effectif des fonds par la BAD était soumis à la réalisation préalable de certaines conditions limitativement fixées dans la convention précitée ; qu’ayant estimé que la Société Ivoir Café ne les avait pas satisfaites, la BAD refusait de s’exécuter, motifs pris notamment de ce que des informations en sa possession ont révélé que la Société Ivoir Café ne serait pas une société légalement constituée en ce que de nombreuses irrégularités et inexactitudes entacheraient la sincérité non seulement de la souscription du capital social initial de 150.000.000 francs CFA mais aussi l’augmentation prétendue de celui-ci à 1.862.440.000 francs CFA ; que par exploit introductif d’instance en date du 08 septembre 1997, la BAD assignait en annulation la Société Ivoir Café devant le Tribunal de première instance d’Abidjan ; que par Jugement n°187 du 14 mars 2001, ledit Tribunal déclarait la BAD mal fondée en son action en annulation de la Société Ivoir Café et irrecevable la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de celle-ci portant sur la somme de 1.000.000 francs CFA pour défaut de provision suffisante en application de l’article 44 du code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative ; que la BAD et la Société Ivoir Café ayant respectivement relevé appels principal et incident du jugement susvisé, par Arrêt n°1384 du 30 novembre 2001, la Cour d’appel d’Abidjan, infirmant ledit jugement, déclarait irrecevable pour défaut d’intérêt l’action en annulation de la Société Ivoir Café initiée par la BAD et condamnait celle-ci à payer à Ivoir Café la somme de 1.200.000.000 francs CFA en réparation du préjudice par elle excipé ; que par exploit en date du 07 février 2002, la BAD s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE et celle-ci, par Arrêt n°675/03 du 11 décembre 2003, s’est dessaisie du dossier de la procédure au profit de la Cour de céans ;
Sur la compétence de la Cour de céans
Vu l’article 14, alinéas 3 et 4, du Traité susvisé ;
Attendu, en l’espèce, qu’il ressort tant de sa « déclaration de pourvoi en cassation par exploit d’huissier » que du « mémoire ampliatif » qu’elle a produit à l’appui dudit pourvoi que la BAD a conclu à la compétence de la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE ; qu’à cet égard elle fait observer que :
« 1- Au moment où la Banque Africaine de Développement engageait son assignation en nullité de la Société Ivoir Café, soit à la date du 08 septembre 1997, les dispositions du Traité OHADA ainsi que les Actes uniformes relatifs aux sociétés commerciales et aux groupements d’intérêts économiques n’étaient pas entrés en vigueur.
2- A aucun moment de la procédure, Ivoir Café n’a revendiqué l’application du Traité OHADA au litige ;
3- L’arrêt entrepris n’a point fait état d’aucune disposition du Traité OHADA.
De sorte qu’il ne fait aucun doute que la cause soumise à la Cour Suprême nationale relève bien de sa compétence. » ;
Attendu que pour sa part dans son « mémoire en défense en cassation » en date du 28 février 2003, la Société Ivoir Café soutient que « contrairement à ce que prétend la BAD, le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique était en vigueur au moment où celle-ci a saisi le Tribunal de première instance d’Abidjan de son action aux fins de voir prononcer la nullité de la Société Ivoir Café ; qu’en effet, ledit Traité a été signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis et est entré en vigueur le 18 septembre 1995 ; qu’il est constant que c’est par exploit d’huissier de justice en date du 08 septembre 1997 que la BAD a attrait la Société Ivoir Café devant le Tribunal pour entendre prononcer la nullité de celle-ci ; que c’est donc dans ce Traité qu’il faut rechercher la réponse à la question de l’applicabilité ou non de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique au litige opposant Ivoir Café à la BAD ; qu’il résulte de l’article 10 du Traité de l’OHADA que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure » ; que l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique est entré en vigueur le 1er janvier 1998, ainsi que le précise l’article 920 dudit Acte uniforme ; que par conséquent, au moment où le Tribunal de première instance d’Abidjan, saisi par la BAD d’une action en nullité de la Société Ivoir Café pour constitution irrégulière de son capital social, rendait sa décision, à savoir le 14 mars 2001, l’Acte uniforme [précité] était non seulement en vigueur mais était également directement applicable et obligatoire en COTE D’IVOIRE, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ; qu’il est constant que la BAD reproche à la Société Ivoir Café d’avoir irrégulièrement procédé à l’augmentation de son capital social ; qu’elle prétend par ailleurs que son capital social initial n’a pas été intégralement libéré ; que l’appréciation de la régularité de la souscription, de la libération et de l’augmentation du capital d’une société commerciale ne pouvaient être envisagées le 14 mars 2001 que par rapport à l’Acte uniforme [précité] ; que lorsque la Cour d’appel d’Abidjan, saisie de l’appel de la BAD contre le jugement du 14 mars 2001 statuait le 30 novembre 2001, les données restaient les mêmes et l’appréciation de la régularité de la souscription, de la libération et de l’augmentation du capital de la Société Ivoir Café ne pouvaient être envisagées que par rapport [audit] Acte uniforme ; qu’il n’est donc pas besoin de savoir si Ivoir Café a revendiqué l’application du Traité OHADA au litige ou si l’arrêt entrepris a ou non fait état d’une disposition du Traité OHADA ou de l’Acte uniforme… » ;
Attendu que par Arrêt n°675/03 du 11 décembre 2003, la Chambre judiciaire de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire s’est dessaisie du dossier de la présente procédure au profit de la Cour de céans au motif que « le litige objet de l’arrêt attaqué soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes, en particulier celle portant sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique… » ;
Mais attendu que l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique édicte que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application commune des Actes uniformes et, saisie par la voie du recours en cassation, se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales, ainsi que dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux ;
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure que l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, entré en vigueur le 1er janvier 1998, n’avait pas intégré l’ordre juridique interne de la République de COTE D’IVOIRE à la date de l’exploit introductif d’instance, soit le 08 septembre 1997, et qu’il ne pouvait de ce fait être applicable ; que dans ce contexte spécifique, aucun grief ni moyen relatif à l’application dudit Acte uniforme n’avait pu être formulé et présenté devant les juges du fond ; que dès lors, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA en matière contentieuse, telles que précisées à l’article 14 susvisé n’étant pas réunies, il y a lieu, nonobstant l’arrêt de dessaisissement susindiqué qui ne lie pas la Cour de céans, de se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire devant la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE ;
Attendu qu’il y a lieu de réserver les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Se déclare incompétente ;
Renvoie l’affaire devant la Cour Suprême de COTE D’IVOIRE ;
Réserve les dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier