ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA)

COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA)

 

Audience Publique du 04 novembre 2004 

Pourvoi : n° 039/2002/PC du 16 août 2002

Affaire : Société de Gestion Ivoirienne de Transport Maritime et Aérien

                dite GITMA

                (Conseil : Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour)

Contre

Société Africaine de Matières Exportables dite SAMEX                           

ARRET N° 030/2004 du 04 novembre 2004

 

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 04 novembre 2004 où étaient présents :

 

Messieurs :    Seydou BA,    Président

Jacques MBOSSO,                 Premier Vice-Président

Doumssinrinmbaye BAHDJE,   Juge

Maïnassara MAIDAGI,           Juge

Boubacar DICKO,                  Juge, rapporteur

Biquezil NAMBAK,               Juge

et Maître ASSIEHUE Acka,        Greffier ;

 

Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 16 août 2002 sous le n° 039/2002/PC et formé par Maître Agnès OUANGUI, Avocat près la Cour d’appel d’Abidjan, y demeurant 24, boulevard CLOZEL, Immeuble SIPIM, 5è étage, 01 B.P. 1306 Abidjan 01,  agissant au nom et pour le compte de la Société de Gestion Ivoirienne de Transport Maritime et Aérien dite GITMA dont le siège social est à Abidjan Vridi, face à Blohorn, 18 B.P. 3298 Abidjan 18, dans le litige qui l’oppose à la Société Africaine de Matières Exportables dite SAMEX, dont le siège social est à Abidjan, Zone 3, 09 B.P. 3987 Abidjan 01,en cassation de l’Arrêt n° 850  du 29 juin 2001 rendu par la 1ère chambre civile de la Cour d’appel d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :

 

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort ;

En la forme : Reçoit la société SAMEX en son appel relevé de l’Ordonnance de référé n° 1676 du 26 avril 2001 rendue par le Tribunal de première instance d’Abidjan ;

Au fond :

  • L’y déclare bien fondée ;
  • Infirme l’ordonnance de référé ;
  • Statuant à nouveau ;
  • Ordonne la restitution par la Société GITMA des connaissements qu’elle retient au préjudice de la Société SAMEX, sous astreinte comminatoire de la somme de 25.000.000 F CFA par [jour] de retard à compter du prononcé de la présente décision
  • Condamne GITMA aux dépens. » ;

 

La requérante invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent Arrêt ;

 

Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO ;

 

Vu les dispositions des articles 13 et  14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;

 

Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;

 

Attendu que SAMEX n’a pu être jointe par le Greffier en chef de la Cour de céans lequel lui avait adressé la lettre n° 355/2002/G5 en date du 18 octobre 2002 à l’effet de lui signifier, en application des articles 29 et 30 du Règlement susvisé, le recours en cassation formé par GITMA contre l’Arrêt n° 850 rendu le 29 juin 2001 par la Cour d’appel d’Abidjan ; que par ailleurs, la Société civile professionnelle d’Avocats Abel Kassi et Associés, constituée en appel pour SAMEX, a, par lettre en date du 13 mai 2004, informé le Greffier en chef de ladite Cour de ce qu’elle n’assurait plus la défense des intérêts de SAMEX au motif que celle-ci reste lui devoir des honoraires ; que toutes les diligences prescrites ayant été accomplies, il y a lieu d’examiner le recours ;

 

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que GITMA, en sa qualité de commissionnaire agréé en douane, a effectué pour le compte de SAMEX des opérations d’exportation de cacao au titre de la campagne 2000/2001 ; que dans ce cadre, GITMA déclarait avoir procédé à quatre opérations d’expédition portant respectivement sur 2002 tonnes, 450,450 tonnes, 400,400 tonnes et 575,575 tonnes de cacao pour lesquels elle soutenait avoir elle-même liquidé les droits de douane correspondants et fait établir par des compagnies maritimes de transport les connaissements relatifs à l’embarquement de ces marchandises ; qu’ayant estimé à 576.726.154 F CFA le montant des diverses sommes dues par SAMEX, GITMA exposait que toutes les démarches amiables par elle exercées auprès de sa débitrice en vue de se faire payer se sont avérées vaines ; que c’est pourquoi elle pratiquait la rétention des connaissements n°s PYAM 201 et SPYAM 901 et les connaissements n°s 1, 3 et 4 respectivement émis les 25 et 26 mars 2001 par la Société NDS et la Compagnie Grimaldi lines ; que par exploit en date du 24 avril 2001, SAMEX, représentée par la SCPA Abel KASSI et Associés, Avocats près la Cour d’appel d’Abidjan, faisait délivrer à GITMA une assignation en référé d’heure à heure aux fins de restitution des connaissements précités sous astreinte comminatoire de 25.000.000 francs CFA par jour de retard ; que par Ordonnance de référé n° 1676/2001 en date du 26 avril 2001, le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, statuant sur ladite assignation, déboutait SAMEX de ses prétentions et la condamnait aux entiers dépens ; que SAMEX ayant relevé appel de cette décision, la Cour d’appel d’Abidjan infirmait celle-ci par Arrêt n° 850 du 29 juin 2001 et ordonnait à GITMA la restitution des connaissements précités sous astreinte comminatoire de 25.000.000 francs CFA par jour de retard ; que c’est cet arrêt qui est l’objet du présent pourvoi en cassation ;

 

SUR LE MOYEN UNIQUE

Vu l’Acte uniforme portant organisation des sûretés ;

 

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir commis une erreur dans l’application de la loi notamment l’article 43 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés en ce que pour infirmer l’Ordonnance de référé n° 1676 rendue le 26 avril 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan, la Cour d’appel a considéré que « …le connaissement qui ne confère seulement que des droits sur une marchandise et non comme un effet de commerce sur les sommes d’argent, ne peut constituer un gage… » ; qu’en raisonnant ainsi, ladite Cour, qui s’est fondée sur les dispositions de l’article 43 de l’Acte uniforme précité aux termes desquelles le créancier qui ne reçoit pas paiement de son dû peut exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière de gage, a fait une mauvaise application dudit article qui traite seulement des effets communs de la rétention avec le gage sans pour autant assimiler les deux types de sûreté qui sont différentes de par leur constitution ; qu’en effet le gage est une remise volontaire faite par un débiteur d’un bien dont il est propriétaire en garantie du paiement de sa dette alors que la rétention est une appréhension forcée qu’effectue un créancier sur le bien qu’il détient de son débiteur pour contraindre ce dernier à payer son dû ; qu’en l’espèce, GITMA ayant exercé sur les connaissements litigieux un droit de rétention à l’effet de contraindre SAMEX à lui payer son dû et non un gage, c’est à tort que la Cour d’appel s’est fondée sur les dispositions de l’article 43 de l’Acte uniforme susvisé pour infirmer l’ordonnance de référé querellée ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué ;

 

Attendu que les articles 41 et 43 de l’Acte uniforme susvisé prescrivent respectivement que « le créancier qui détient légitimement un bien du débiteur peut le retenir jusqu’à complet paiement de ce qui lui est dû, indépendamment de toute autre sûreté » et « si le créancier ne reçoit ni paiement ni sûreté, il peut, après signification faite au débiteur et au propriétaire de la chose, exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière de gage.» ;

 

Attendu qu’il ressort des articles susénoncés, la faculté pour le créancier rétenteur, soit de conserver par devers lui un bien de son débiteur qu’il détient légitimement et d’en refuser la restitution jusqu’au paiement complet de sa créance, soit d’exercer les prérogatives du créancier gagiste en procédant à la vente forcée dudit bien suivant la procédure et les modalités prévues par l’Acte uniforme susvisé pour la réalisation du gage ;

 

Attendu que la rétention opérée par GITMA sur les connaissements de marchandises qu’elle a expédiées avait pour seul but, par l’emprise matérielle qu’elle exerçait sur ces connaissements et le préjudice subséquent que leur privation pouvait causer,  de contraindre SAMEX à honorer sa dette ; que de ce fait, cette rétention ne s’inscrivait nullement dans le cadre de la réalisation forcée d’un bien gagé, les pièces et documents retenus ne s’y prêtant d’ailleurs pas, mais plutôt dans celui de l’exercice régulier du droit de rétention tel qu’il ressort de l’article 41 susénoncé de l’Acte uniforme susvisé ; que dès lors, en se fondant sur l’article 43 du même Acte uniforme pour condamner GITMA à la restitution des connaissements qu’elle retient au préjudice de SAMEX sous astreinte comminatoire de la somme de 25.000.000 francs CFA par jour de retard à compter du prononcé de sa décision alors que ledit article n’était pas applicable en l’espèce, la Cour d’appel a commis une erreur ; qu’il échet en conséquence de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer ;

 

Sur l’évocation

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, par exploit en date du 14 mai 2001, SAMEX a relevé appel de l’Ordonnance de référé n° 1676 rendue le 26 avril 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan et dont le dispositif est ainsi conçu : « Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en premier ressort ;

 

  • Déclarons la Société SAMEX recevable en son action ;
  • L’y disons mal fondée ;
  • L’en déboutons,
  • La condamnons aux dépens » ;

 

Attendu qu’au soutien de son appel, SAMEX déclare que dans le cadre de ses relations avec GITMA, celle-ci a effectué pour son compte le transit à l’exportation de plusieurs tonnages de produits agricoles ; qu’à leur arrivée à destination, GITMA a refusé de remettre les connaissements y afférents à leurs destinataires aux motifs qu’elle use de son droit de rétention pour sûreté, conservation et avoir paiement de sommes dont elle est redevable à l’égard de l’Administration des douanes ; que ce droit de rétention, selon elle, est d’autant plus infondé que c’est la douane qui est sa créancière ; qu’elle sollicite en conséquence la restitution des connaissements précités sous astreinte comminatoire de 25.000.000 francs CFA par jour de retard ;

 

Attendu que GITMA relève, d’une part, que « les connaissements litigieux sont tous libellés à ordre et n’ont fait l’objet d’aucun endossement par SAMEX au profit d’un tiers et que dès lors, les marchandises connaissementées sont restées dans son patrimoine et sont donc bien susceptibles de faire l’objet d’une mesure de sûreté pour garantir le paiement de sommes dûes par ladite société ; qu’il est constant, d’autre part, qu’elle a effectué pour le compte de SAMEX des opérations d’exportation relatives à 3428,425 tonnes de cacao ; que toutes ces opérations ont été liquidées au débit de son compte et réglées par ses soins, ce pourquoi, les marchandises litigieuses ont pu être effectivement exportées ; que sa créance, que ne conteste d’ailleurs pas SAMEX, est certaine, liquide, exigible et constatée par l’émission de factures subséquentes ; que SAMEX se contente simplement d’exposer dans sa requête la valeur de la cargaison, objet des connaissements réclamés et le risque de dépérissement de ladite cargaison sans justifier du règlement des droits de douane et des prestations du commissionnaire en douane alors même que c’est parce qu’elle a, en cette qualité, réglé lesdits droits de douane, après les avoir liquidés au débit de son compte d’agrément, que les marchandises ont pu être exportées en donnant lieu à l’émission des connaissements que SAMEX revendique actuellement ; que par ailleurs, par Jugement n° 225 rendu le 13 décembre 2001, la chambre présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan a reconnu le droit de créance de GITMA en condamnant SAMEX à lui payer la somme de 576.726.124 francs CFA ; que ce jugement est devenu définitif ainsi qu’il résulte du certificat de non appel n° 908 en date du 05 février 2002 délivré par le Greffier en chef près le Tribunal de première instance d’Abidjan.» ; qu’elle demande en conséquence de :

 

«  – constater que son droit de créance a été reconnu par le jugement    précité devenu définitif ;

  • dire et juger que la rétention par elle exercée sur les connaissements litigieux est fondée et régulière ;
  • débouter SAMEX de ses prétentions qui sont mal fondées ;
  • la condamner en outre aux entiers dépens dont distraction faite à Maître Agnès OUANGUI, Avocat aux offres de droit. » ;

 

Sur le bien fondé de la créance de GITMA

Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que GITMA, agissant en qualité de commissionnaire agréé en douane, a affectué à la demande de SAMEX, sa cliente, des opérations d’exportation portant respectivement sur 2002 tonnes, 450,450 tonnes, 400,400 tonnes et 575,575 tonnes de cacao ; que dans ce cadre, GITMA s’est acquittée pour le compte de sa cliente du montant des droits et taxes liquidés par l’Administration des Douanes comme l’attestent de nombreuses pièces justificatives versées au dossier ; que dans ces circonstances, GITMA ayant chiffré à 576.726.154 francs CFA le montant de ses prestations et débours, il sied de dire que cette créance résulte des relations contractuelles existant entre SAMEX et elle et qu’en conséquence, elle est fondée à en réclamer le paiement ;

 

Sur le bien fondé de la rétention exercée par GITMA

Attendu qu’il résulte de l’analyse ci-dessus du moyen unique de cassation que la rétention opérée par GITMA au préjudice de SAMEX sur les connaissements relatifs aux marchandises expédiées au profit et pour le compte de cette dernière avait pour seul et unique but le paiement de la créance réclamée par GITMA et que de ce fait ladite opération s’inscrivait dans le cadre légal fixé par l’article 41 susénoncé de l’Acte uniforme susvisé ; que dès lors, la rétention opérée par GITMA sur lesdits connaissements est régulière et fondée ;

 

Sur la demande de restitution de SAMEX

Attendu que SAMEX a demandé la restitution des connaissements sous astreinte comminatoire de 25.000.000 francs CFA par jour de retard, aux motifs, selon elle, que la rétention faite par GITMA sur lesdits connaissements est d’autant plus infondée que c’est l’Administration des Douanes qui est sa créancière ;

 

Attendu à cet égard que les affirmations de SAMEX ne sont étayées d’aucune preuve ; qu’il y a lieu en conséquence de la déclarer mal fondée en ses prétentions et l’en débouter ;

 

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que l’ordonnance entreprise doit être confirmée en toutes ses dispositions ;

 

Attendu que SAMEX ayant succombé doit être condamnée aux dépens ;

 

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, après en avoir délibéré,

Casse l’Arrêt n° 850 rendu le 29 juin 2001 par la Cour d’appel d’Abidjan ;

Evoquant et statuant sur le fond,

Dit que la créance de la Société de Gestion Ivoirienne de Transport Maritime et Aérien dite GITMA est fondée et que la rétention des connaissements de marchandises expédiées au profit et pour le compte de SAMEX est régulière ;

Déboute la Société Africaine de Matières Exportables dite SAMEX de sa demande relative à la restitution desdits connaissements sous astreinte comminatoire de 25.000.000 francs CFA par jour de retard ;

Dit en conséquence qu’il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions l’Ordonnance de référé n° 1676, dont appel, rendue le 26 avril 2001 par le Président du Tribunal de première instance d’Abidjan ;

Condamne la Société Africaine de Matières Exportables dite SAMEX aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :

 

 

 

Le Président

Le Greffier en chef